Œuvres de Saint François De Sales
TOME VII. SERMONS - 1ER VOLUME
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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales
Première série. Sermons reproduits d'après les Autographes. 5
I. Sermon pour la fête de la Pentecôte. 5
II. Sermon pour la fête de saint Pierre. 16
III. Sermon pour le jour de saint Pierre ad vincula. 25
IV. Sermon pour le douzième Dimanche après la Pentecôte. 29
V. Plan de sermon pour la fête de l'Exaltation de la sainte Croix. 35
VI. Sermon pour le dix-huitième Dimanche après la Pentecôte. 37
VII. Harangue pour la prise de possession de la Prévôté de Saint-Pierre de Genève. 40
Harangue pour la Prévôté, fin décembre 1593. Rédaction définitive. 42
VIII. Plan d'un sermon pour la fête de la Circoncision. 51
IX. Autre plan de sermon pour la fête de la Circoncision. 52
X. Sermon pour le Dimanche de la Septuagésime. 53
XI. Sermon pour le Dimanche de la Sexagésime. 57
XII. Exorde d'un sermon pour le commencement du Carême. 60
XIII. Fragment d'un sermon pour le jeudi après le premier Dimanche de Carême. 61
XIV. Sermon pour le vendredi après le troisième Dimanche de Carême. 63
XV. Fragment d'un sermon pour le quatrième Dimanche de Carême. 66
XVI. Sermon pour le Dimanche des Rameaux. 68
XVII. Sermon pour le mardi de Pâques. 72
XVIII. Sermon pour la fête de l'Invention de la sainte Croix. 74
XIX. Sommaire d'un sermon pour la fête de la Pentecôte. 77
XX. Sommaire d'un sermon sur le Saint-Sacrement. 78
XXI. Sermon pour le troisième Dimanche après la Pentecôte. 79
XXII. Exhortation au service de Dieu. 82
XXIII. Sommaire d'un sermon sur la mission des Pasteurs de l'Eglise. 85
L'ordinaire comme se prouve. 85
L'extraordinaire n'est bonne sans l'adveu de l'ordinaire. 86
Voyons maintenant en particulier de saint [Jean]. 86
Ce grand, tesmoignage de nostre salut nous faict resjouir. 86
XXIV. Sermon sur la visibilité de l'Eglise. 87
XXV. Sermon sur la perpétuité de l'Eglise. 90
XXVI. Sommaire d'un sermon sur la transsubstantiation et le Sacrifice de la Messe. 93
XXVII. Sermon pour le Dimanche de la Quinquagésime. 96
XXVIII. Sermon sur la Salutation Angélique. 99
XXIX. Sermon pour le quatrième Dimanche après Pâques. 101
XXX. Sermon pour la fête de la Sainte Trinité. 105
XXXI. Plan d'un sermon pour la fête de saint Pierre ès liens. 109
XXXII. Sommaire d'un sermon sur la sainte Eucharistie figurée et prédite dans l'Ancien Testament. 111
XXXIII. Notes pour un sermon sur les reliques des Saints. 114
XXXIV. Notes pour des sermons sur divers sujets. 116
I — Sur le jugement dernier. 116
II — Sur la très sainte Vierge. 116
III — Sur la primauté de saint Pierre. 117
Anoncee et exposee de vive voix. 118
Par ceux qui en ont charge de Dieu. 118
XXXVI. Notes pour un sermon sur la présence réelle de Notre-Seigneur dans l'Eucharistie. 119
XXXVII. Sermon pour la fête du Saint-Sacrement. 121
XXXVIII. Sommaire d'un sermon pour le Dimanche dans l'octave du Saint-Sacrement. 126
XXXIX. Fragment d'un sermon pour le jour de l'octave du Saint-Sacrement. 128
XL. Notes pour des sermons sur la sainte Eucharistie. 130
XLI. Sermon pour le Dimanche de la Sexagésime. 132
XLII. Sermon pour une Dédicace. 134
XLIII. Sermon dogmatique sur la sainte Eucharistie. 137
XLIV. Second sermon sur le même sujet. 140
XLV. Troisième sermon sur le même sujet. 145
XLVI. Fragments et notes de sermons sur divers sujets. 148
II — Sur le désir que Dieu a de notre salut. 148
III — Sur le souvenir de la Passion. 149
IV — Sur l'office des Pasteurs. 149
V — Sur la nature de l'adoration. 149
VI — Sur le culte des Saints. 150
XLVII. Notes pour des sermons sur divers sujets. 151
I — Sur la correspondance à la grâce. 151
II — Sur la mortification produite par l'amour. 152
V — Sur l'amour de Dieu et du prochain. 153
VI — Sur le souvenir de la Croix et de la Passion. 154
XLVIII. Sommaire d'un sermon pour le Dimanche dans l'octave de l'Epiphanie. 155
XLIX. Notes d'un sermon pour le Dimanche de la Sexagésime. 156
L. Plan d'un sermon pour le premier Dimanche de Carême. 158
LI. Plan d'un sermon pour le vendredi après le quatrième Dimanche de Carême. 162
LII. Notes d'un sermon pour la fête de Pâques. 164
LIII. Notes d'un sermon pour le jeudi de Pâques. 166
LIV. Fragment, d'un plan de sermon pour le sixième Dimanche après la Pentecôte. 167
LV. Plan d'un sermon pour la fête de saint Jacques le Majeur. 168
LVI. Sommaire d'un sermon pour le huitième Dimanche après la Pentecôte. 170
LVII. Plan d'un sermon pour la fête de l'Assomption. 171
LVIII. Fragments sur divers sujets. 173
I — De l'obligation de servir Dieu. 173
II — L'amour pur exclut tout partage. 173
LIX. Oraison funèbre du duc de Mercœur. 175
Epitre dédicatoire a tres illustre et tres vertueuse princesse, Mademoyselle Françoise de Lorraine, fille unique de feu Monseigneur le duc de Mercœur. 175
Oraison funèbre sur le trespas de tres haut et tres illustre prince Philippe Emmanuel de Lorraine duc de Mercœur et de Penthevre, pair de France prince du saint Empire et de Martigues, etc. lieutenant general de l'empereur en ses armees d'hongrie faitte et prononcee en la grande eglise de Nostre Dame de Paris le 27 avril 1602 par messire François de Sales, coadjuteur et esleu evesque de Geneve. 176
LX. Plans de deux sermons pour la Nativité de saint Jean-Baptiste. 190
LXI. Sermon pour la fête de l'Assomption. 192
LXII. Plan d'un panégyrique de saint Louis, roi de France. 202
LXIII. Notes pour un sermon sur saint Louis, roi de France. 205
LXIV. Notes pour un sermon sur l'humilité et la chasteté. 206
LXV. Sommaire d'un sermon sur le jugement dernier. 207
Je viens et me presente icy avec l'esprit de sousmission et obeissance selon lequel je desire marcher tout le tems de ma vie, lequel, encores qu'il soit favorable a toutes sortes d'entreprises, si est ce neantmoins que j'ay sujet de craindre que quelqu'un ne dise de moy ce qu'aujourd'huy a grand tort les Juifz ont dict des [1] Apostres a sçavoir, Musto plenus est iste : il faut bien dire que celuy cy soit enyvré de quelque temerité, qui, en tel tems, en tel lieu, et en son novitiat ecclesiastique, ose monter en ceste chaire apres de si grans peres. Mays je dis au contraire que le tems m'invite a prescher, puysque je vois que omnes cœperunt loqui magnalia Dei , et que ce jourd'huy est le commencement de toute prædication. Le lieu me donne courage, puysque j'y vois mon Reverendissime Prælat avec la fleur de son clergé, mon vray pere spirituel ; j'y vois le meilleur de la ville en laquelle ayant esté nourri et eslevé en ma plus tendre jeunesse, je l'honnore et m'en pense prævaloir comme d'une bonne mere. Que si les peres et meres, quoy qu'ilz prisent plus les aisnés, ilz caressent neantmoins et cherissent plus tendrement les plus petitz, je vous accorde, Messieurs, que comme la rayson le veut bien, vous prisies plus tous les autres prædicateurs ; mays je demande par droit de petitesse et de minorité d'estre cheri, et qu'on prenne en bonne part mes affections au lieu auquel j'ay jetté les premieres semences du fruict duquel maintenant je vous offre les premices. Au reste, c'est aujourd'huy que non seulement les vieux mais aussi les jeunes doivent prescher, puysqu'il a esté prophetizé de ce jour que prophetabunt filii vestri et filiæ vestræ, et juvenes vestri visiones videbunt. On me dira que cela s'entend de ceux qui avoyent receu le Saint Esprit ; hé bien, pourquoy ne le recevray je pas avec vous ? Si feray certes, si comme les Apostres et disciples nous nous mettons unanimement avec devotion a prier Dieu cum Maria Matre Jesu, laquelle [2] affin qu'elle nous assiste de son intercession, mes Freres, a ce mien commencement, jettons nous plus fervemment que jamais a ses piedz et la saluons ; et puys, in nomine Domini laxabo rete . Ave Maria.
En l'incomprehensible et beaucoup plus indicible abisme de ceste eternité en laquelle regne glorieusement la Majesté divine, le Pere eternel, regardant sa propre substance et infinité, conceut en son entendement et produisit, parla et dict une parolle ou un Verbe, representant et exprimant si parfaittement sa substance, essence et divinité, qu'a ce Verbe il communiqua sa propre essence et divinité, engendrant en ceste maniere son Filz aussi vrayement Dieu que le Pere, et par la mesme divinité que le Pere. Si que ce Filz est vrayement « Dieu de Dieu, lumiere de lumiere : » il est Dieu, puysqu'il a l'infinie divinité pour son essence et substance ; il est « Dieu de Dieu, » pour ce que ceste divinité ou essence divine, il l'a receüe par la feconde communication que son Pere eternel luy en faict eternellement, comme il luy en fit eternellement, l'engendrant et enfantant de son ventre, devant qu'il y eust aucun lucifer entre les Anges au Ciel spirituel et invisible, ny aucune belle estoille ou diane entre les estoilles au ciel corporel et visible : Ex utero ante luciferum genui te ; Ps. 109 .
Adam, ainsy qu'il est escrit au commencement de la Genese, fut doué d'une telle sagesse, que donnant les noms a chaque chose il exprimoit fort vivement sa proprieté. Mays Dieu le Pere voulant exprimer et dire ce qu'il entendoit, consideroit et pensoit de soy mesme, comme s'il se fust voulu donner un nom propre et se nommer soy mesme, il dict un mot, une parolle, un Verbe qui le representa si naïfvement et exprima si vivement ce qui estoit en luy, que ce Verbe fut un autre luy mesme, et fut « vray Dieu de vray Dieu ; » non [3] pas qu'il y eust deux dieux, mais parce qu'il y eut deux Personnes participantes d'une seule, et simple, et indivisible, et totale divine essence.
Or, le Pere voyant l'unique et souverain bien de son essence tant en soy qu'en son Filz, et le Filz voyant le mesme unique et souverain bien tant en soy qu'en son Pere, ne pouvant estre un souverain bien sans un souverain amour, saysis en ceste eternité d'une pure et souveraine amitié, d'une seule et mesme volonté, ilz produirent un amour tellement parfaict, qu'en cest amour ilz communiquerent la divinité et essence mesme laquelle estoit commune au Pere et au Filz. O saint amour, o amour eternel et infini ! Doriques, mes Freres, des lhors, c'est a dire des l'eternité, avant les siecles, en l'infinité, en l'abisme de la perpetuité, ce Pere et ce Filz eternelz, jettans a force d'une mesme et seule volonté, d'une mesme et seule amitié, d'un mesme et seul courage, jettans dis je, par une mesme et seule bouche, un souspir, une respiration, un esprit d'amour, ilz produirent, ilz expirerent un souffle d'ou proceda le Saint Esprit, tierce Personne de la Trinité, « Dieu de Dieu, lumiere de lumiere, Dieu vray de Dieu vray. » Dieu le Pere, Dieu le Filz, Dieu le Saint Esprit, trois Personnes qui ne sont qu'un seul Dieu, une seule tressainte et tres adorable Trinité.
Grand a la verité, et parfaict fut l'amour que l'Espouse portoit a l'Espoux au Cantique des Cantiques (chap. 5 ), puysqu'a sa parolle son ame sembloit se fondre et dissoudre comme faict la cire aux rayons du soleil : Anima mea liquefacta est, cum dilectus meus loquutus est. Mays tout autre est cest amour infini par lequel le Pere et le Filz s'entr'ayment, car en cest amour ilz ne se fondent pas, ilz ne se dissolvent pas, ce qui seroit imperfection ; mays sans alteration de leur nature, ilz produisent un Saint Esprit, Dieu parfaict de Dieu parfaict, possedant pleinierement une mesme divine essence [4] avec eux ; et sans se desfaire de l'essence divine, ilz la communiquent toute entierement et parfaittement a ce Saint Esprit et Amour. Dequoy si je voulois parler davantage, on pourroit bien dire a bon droit de moy ce qu'aujourd'huy les Juifz disoyent sans rayson des Apostres : Musto plenus est iste, c'est a dire : il faut bien que cestuy ci soit enyvré d'une grande presomption de vouloir expliquer les interieures operations de Dieu, qui sont voylëes de leur infinité en telle façon que l'œil de l'homme n'y peut approcher que de bien loin. Je m'arreste donques, mes Freres, et ce que j'en ay voulu dire ç'a esté pour monstrer en quelque façon qui est Celuy duquel nous celebrons la feste, qui est le Saint Esprit et Amour, procedant eternellement du Pere et du Filz, vray Dieu avec le Pere et le Filz ; et encores pour vous donner a entendre que de toute eternité ce Saint Esprit venoit, par ceste incomprehensible procession et respiration, du cœur du Pere et du Filz, combien qu'il ne soit pas venu, ou par maniere de dire arrivé, et que ceste mission n'aye esté bien accomplie qu'a tel jour qu'aujourd'huy, il y a environ 1559 ans. Maintenant je parle des choses claires et fort intelligibles aux fidelles.
Que si l'obscurité de ce que j'ay dict avoit destourné vostre attention, revenes et escoutes devotement. Tout ce que la sainte Trinité opere et fait hors d'elle mesme, en realité, toutes les troys Personnes y communiquent et operent sans division ou distinction quelconque. Ce que nous voulant enseigner lhors qu'elle parle de la creation des choses en leur estre naturel, parlant de celle de l'homme, elle introduit la Majesté divine en ses troys Personnes, disant : Faisons l'homme a nostre sem blance car si une seule Personne eust creé l'homme, elle eust dict : Je fais, et non pas : Faisons, comme nous trouvons escrit : Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram. Et David chante : Benedicat nos Deus, Deus noster, benedicat nos Deus ; Dieu nous benie, Dieu nostre, Dieu nous benie ; ne reprenant par troys fois ce nom de Dieu sinon pour nous monstrer que non seulement le Pere benit, non [5] seulement le Filz benit, mais encores le Saint Esprit, et tous trois ensemble sont ceux qui benissent. Ainsy faut il conclure de tout le reste, qu'une Personne ne faict rien sans les autres quant a ce qui se produit hors la Divinité. Neantmoins, par une certaine appropriation et commodité de langage, les œuvres qui ressentent plus le pouvoir ont accoustumé d'estre accommodëes au Pere, comme la creation et semblables, parce qu'il est source et origine de toute puyssance et divinité ; les œuvres qui ont plus d'apparence de sagesse, au Filz, digne generation de l'entendement paternel ; celles de bonté, au Saint Esprit, amour et charité unique du Pere et du Filz.
Donq, encores que l'operation merveilleuse et puyssante qui a esté faitte es cœurs de l'Eglise naissante a tel jour qu'aujourd'huy, aye esté faitte egalement par le Pere, le Filz et le Saint Esprit, neantmoins, parce qu'en icelle reluit une principale bonté, misericorde et magnifique liberalité, on ne dict pas que toute la Trinité soit venue sur les Apostres, mays on dict et on celebre la descente du glorieux Saint Esprit : a la charge que vous ne vous imagineres pas que pour cela il aye changé de lieu pour descendre ; car estant Dieu, il est tellement par tout par « essence, presence et puyssance, » que est in mundo non inclusus, extra mundum non exclusus . Cœlum et terram ego impleo ; Spiritus Domini replevit orbem terrarum, et hoc quod continet omnia scientiam habet vocis .
« Spiritus intus alit, totamque infusa per artus
Mens agitat molem, et magno se corpore miscet . » [6]
Vous sçaves bien que nostre ame est par tout le cors et toute en toutes les parties d'iceluy ; autrement elle ne seroit pas spirituelle, ou nostre cors seroit mort en la partie en laquelle l'ame ne seroit pas. Tout de mesme donques, Dieu est par tout le monde, vivifiant tout ; et comme nous disons l'ame estre en la teste pour les principales operations qu'elle y faict, aussi disons nous que nostre Dieu est au Ciel pour les principales operations qu'il y faict, monstrant sa gloire ouvertement. Et comme des gourmans, nous disons qu'ilz ont l'ame en la panse, et de certaine nation, qu'elle a l'ame au bout des doigtz, pour ce que ne monstrant d'ailleurs guere de bon entendement, elle en faict plus paroistre es ouvrages manuelz, ainsy (et vaille la comparayson tant qu'elle pourra) nous disons le Saint Esprit descend la ou il faict quelque particuliere operation et participation de ses graces, ou pour le moins quelque nouvelle demonstration, comme quand il descendit sur Nostre Seigneur en son Baptesme ; car la il ne communiqua pas nouvelle grace, Jesus en ayant la plenitude des sa conception, mais il donna seulement l'attestation de sa grandeur.
Vous sçaves maintenant ce que c'est a dire quand on dict que le Saint Esprit est descendu sur les Apostres, et que cela n'est autre sinon qu'il y a faict quelques signalëes et grandes operations. Or, ces operations sont de deux sortes : les unes exterieures, comme les signes qui apparurent ce saint jour, le feu et le son vehement ; les autres interieures, a sçavoir, l'onction de la grace et l'illumination invisible es cœurs et espritz apostoliques : et celles cy estans signifiëes, figurëes et representëes par celles la, en considerant les premieres nous apprendrons aysement les secondes ; c'est a dire, par les signes exterieurs nous apprendrons les effectz interieurs qui sont comme le principal de ce mistere, le reste n'estant qu'accessoire, puysque omnis gloria filiæ regis ab intus . [7]
Or sus, je trouve donq, pour ne m'arrester pas, comme je pourrois, sur chaque parolle, je trouve dis je, deux signes s'estre faitz : l'un, qu'il se fit soudainement un grand son, un bruit, un tonnerre du ciel, porté par un vent vehement, qui remplit toute la mayson ou estoit la beniste brigade de ces peres du Christianisme. C'est la coustume de Dieu d'imprimer sa sainte crainte es courages de ceux esquelz il veut communiquer ses graces, affin qu'apres la crainte vienne l'amour. Ceste cy est le commencement de sagesse, ceste cy est comme l'esguille par le moyen de laquelle on couvre avec la soye cramoysie de charité le vil reseuil de nos consciences. Ne sçaves vous pas que le plus souvent, l'esté principalement, avant que pleuvoir il tonne et fait vent ? Ainsy aujourd'huy il tonne et fait vent, pour monstrer qu'il veut pleuvoir les douces pluyes des consolations du Saint Esprit, ainsy qu'il est escrit : Flabit spiritus ejus, et fluent aquæ. Quand nostre miserable premier pere eut peché, il est escrit : Cum audissent vocem Domini deambulantis in paradiso ad auram post meridiem, abscondit se Adam et uxor ejus. Mays maintenant Dieu se faisant ouÿr par le bruit d'un grand vent, il remet la force es courages apostoliques et la constance que le peché leur avoit osté.
Hé ne vous est il jamais advenu en une seche et alterëe sayson d'esté de voir vos jardins a gueule bëe, ouvrant par maniere de dire la gorge pour recevoir la pluÿe, et ne venant point de secours du ciel a leur soif, en fin les herbes paslir et secher, les fleurs se ternir et faner, et les arbrisseaux sembler plustost un bois mort qu'une plante ? Les païsans alhors s'assemblent, font des prieres et processions pour impetrer ramollissement du ciel et la desiree liqueur pour les champs. Mais voicy un vent impetueux et chaud, lequel ramassant toutes [8] les exhalaisons ja relevees, trame une grosse et noire nuëe qui semble voyler tout le ciel, dedans laquelle s'engendrant le tonnerre et brillant les esclairs, semble que bien tost, au lieu d'apporter soulagement aux fruictz de la terre, elle fracassera par le foudre, la gresle et la tempeste ce peu de biens que la secheresse a laissé sur la terre, et semble menacer les hommes d'une totale ruine. Alhors ces pauvres laboureurs en plus grand soucy, avec plus de souspirs et affligees affections, estendans leurs mains noyres au ciel, empoignans la chandelle beniste, prient le Createur de destourner son ire, representans la misere de la pauvre famille, si ceste nuëe vient a l'effect dont elle menace ; quand voicy que goutte a goutte ceste nuëe descend toute en pure eau, et abbreuve ces si alterees campaignes a souhait, ressemblant plustost a une grosse rosëe qu'a une impetueuse pluÿe. Lhors le laboureur a bien dequoy louer Dieu de voir son jardin et campaignes reverdoyer plus que jamais, les fleurs se redresser, et tous les fruictz, par maniere de dire, reprendre l'haleyne que la chaleur leur avoit ostëe, et representer aux pauvres semeurs le banquet prætendu d'une abondante cueillette.
O qu'il me semble maintenant vous avoir bien donné a entendre le mistere de ceste grande journee. Le jardin de l'Eglise naissante estoit demeuré desja quelque tems privé de l'eau vive, quæ est veluti fontis salientis in vitam æternam , c'est a dire de la douce præsence de son bon et aymable Seigneur ; la peur et la crainte de la persecution judaïque avoit terni les saintes fleurs, fané et mis en friche toutes ces pauvres plantes, et pouvoit bien dire : Expandi manus meas ad te ; anima mea sicut terra sine aqua tibi ; excepté le lys beny de la sacrëe Vierge, sur laquelle, par une particuliere influence du divin amour, la rosëe celeste tomboit [9] tousjours surabondamment. Tous ensemble faisoyent prieres pour impetrer la sainte rosëe de l'Esprit consolateur, quand voyci ce vent impetueux et ce bruit du ciel remplir de frayeur leurs craintifz courages, et leur faire jetter de plus en plus des souspirs de prieres a la divine Majesté. Mais ce bruit, ce vent, ceste impetuosité, au lieu de frayeur se changea en une douce pluye des graces celestes, qui abbreuva si a souhait leurs courages, que des lhors il ne se parla plus de secheresse, ni d'aridité, ni de fletrisseure ; car il leur arriva ce qui est dict de l'homme de bien par le saint roy David, lequel dict : Tanquam lignum quod plantatum est secus decursus aquarum, quod fructum suum dabit in tempore suo ; et folium ejus non defluet, et omnia quæcumque faciet prosperabuntur.
Mais c'est asses parlé de ce premier signe pour le peu de tems que nous avons ; venons a parler du second, qui fut des langues de feu ou comme de feu. Si ces langues furent de vray feu ou non, je n'en diray rien ; il suffit qu'elles avoyent repræsentation et figure de feu et estoyent comme feu. O saint feu, feu qui consume toutes superfluités, feu qui chasse toute froideur, feu qui consume parfaittement l'holocauste de nos ames sur l'autel sacré de l'obeyssance !
Au commencement je trouve que Spiritus Domini ferebatur super aquas, en la premiere formation du monde. C'est a dire le chaos ou monde elementaire, ou bien le globe des eaux qui couvroit toute la face de la terre, estant creé, le saint Esprit de Dieu estoit porté par dessus, pour donner a ce chaos informe, a cest element infecond telle fecondité que, sans l'eau desormais, ni plante ni animal ne peust estre engendré : de maniere qu'il veut quasi dire qu'il couvoit et fecondoit les eaux, affin qu'elles produisent les animaux aquatiques [10] et servent a la production de toute chose animëe. Ainsy ce mesme Esprit aujourd'huy est porté par dessus le feu, non ja pour creer et former le monde, mais pour le recreer et reformer : Et apparuerunt illis dispertitæ linguæ tanquam ignis, seditque supra singulos eorum . Et comme pour le creer il fecondoit les eaux, aussi pour le recreer et renouveller il semble qu'il fecondast le feu : Emitte Spiritum tuum, et creabuntur, et renovabis faciem terræ . Et d'autant que le feu est plus noble que l'eau, d'autant est ceste reformation plus grande que la formation ; et d'autant que le feu est plus actif que l'eau et plus puyssant, reduisant en feu quasi tout ce qui luy est præsenté en un moment, ce que l'eau ne fait pas, aussi y a il plus de puyssance et de majesté a reformer le monde qu'a le former, a le renouveller qu'a le creer. Pour le former, vous trouveres par tout simplement : Fiat lux, appareat arida, faciamus ; mais a le reformer, Mot caro factum est. Et devant que l'œuvre de la reparation aye esté faitte, combien a il cousté de sang a Jesus Christ mesme, vray Dieu et vray homme? Devant qu'oser dire et s'asseurer de ceste grande parolle : Consummatum est, combien de peynes a il enduré ? ains quelles peynes n'a il pas enduré et souffert ?
Or les theologiens, non contens de sçavoir resolument que plus admirable a esté la Majesté divine en la reformation qu'en la formation du monde, ains que plus est admirable la justification du simple et seul pecheur, laquelle neantmoins se faict tous les jours en cent mille lieux du Christianisme, non contens, dis je, de le sçavoir, ilz demandent entr'eux le pourquoy, affin par apres de pouvoir rendre conte aux curieux de leur dire, et de faire mieux connoistre aux hommes la grace que Dieu leur [11] faict quand il les appelle a pœnitence. Et respondent tous qu'en la formation du monde les choses furent faites du rien, et ne falloit faire autre que destruire le rien pour donner estre aux choses, lequel rien ne faisoit point de resistance a la volonté de Dieu, mays luy obeissoit, se changeant en estre a la simple parolle du Createur : Ipse dixit, et facta sunt ; mandavit, et creata sunt . Et quoy que le rien fust infiniment ennemy de Dieu, estant tout a fait de party contraire le neant et le sauverain Estre, si est ce neantmoins que n'ayant aucune puyssance, et le rien ne pouvant rien faire avec sa nulle puyssance, le tout qui estoit Dieu, au simple projet de sa volonté, mettoit en fuite le rien, changeant sa neantise en un bon estre, lhors qu'il faisoit les creatures.
Ainsy donques Dieu en la creation n'avoit point de resistance, mais bien tout au contraire en la recreation et reformation du monde, en la justification du pecheur. O combien de resistance trouve Dieu en ceste besoigne ! Que si vous me demandes : Hé, qui est si osé et si temeraire que de faire resistance a Dieu, et qui le peut faire ? Saint Pol ne dict il pas en ce chapitre scabreux et qui ne devroit estre leu que des doctes (c'est aux Rom., 9 ) : Voluntati ejus quis resistit ? et au Psalm. 113 : Deus autem noster in cœlo ; omnia quæcumque voluit, fecit. Je sçay bien, o doctes, la vraye et recevable distinction des Peres [et] theologiens, de saint Chrisostome et de saint Bonaventure, de la volonté de Dieu, in « voluntatem signi et voluntatem beneplaciti, » « antecedentem et consequentem, » « efficacem et inefficacem ; » mais je veux estre entendu de tous mes freres.
Des choses que Dieu veut estre faites, il veut les unes [12] estre faites sans nostre consentement, et en celles cy tousjours il est obei : telle est la production des choses, la pluye, neige, tempeste, les maladies et afflictions. Les autres, il ne veut qu'elles soyent faites sans nostre consentement et sans nostre concours. Et quant a celles cy, il est tousjours obei au Ciel, et partant Deus autem noster in cœlo ; omnia quæcumque voluit fecit. Mays en terre, il n'y est pas tousjours obei ; autrement, dites moy, qu'aurions nous besoin de demander Fiat voluntas tua sicut in cœlo et in terra ? Et d'ou vient, me dires vous, ceste difference entre les volontés qui sont au Ciel et celles qui sont en la terre ? En peu de parolles je vous le diray : c'est que les volontés celestes et heureuses sont tellement appuyëes sur la volonté de Dieu, que l'une ne se peut mouvoir sans l'autre, et n'ont pas la liberté de contrarieté, c'est a dire de mal faire, ains seulement de bien faire : grace et gloire tout ensemble.
C'est la perfection du franc arbitre que, ne pouvant mal faire, il aille et suive volontairement le bien, et d'estre tellement appuyé qu'il ne puisse jamais descheoir. Mays nous autres, pendant que nous sommes en ce malotru monde, nous ne sommes pas ainsy appuyés ; mays affin que nous puissions mieux meriter selon la suavité de la divine disposition, nous sommes tellement appuyés de la grace de Dieu, que nous puissions descheoir : la grace nous fait vaincre nostre infirmité et nous fortifie dans l'amour et la prattique du bien, nous laissant neantmoins tousjours en danger de tomber. Que si quelques uns en ce monde, comme la Sainte Vierge, ont esté tousjours sans cheoir par speciale grace de Dieu, encores ne sont ilz pas semblables aux Bienheureux, n'estant necessités a bien faire tousjours et en toutes façons comme les Bienheureux. Et pour nous conduire en Paradis, il se sert des remedes telz qu'ilz ne puissent pas lever la liberté qu'il a donné.
Un seigneur a juré que si vous prenes la peyne de ramer sur un batteau jusques a un certain lieu, de la, il vous conduira en un autre lieu plein de toute amenité, pour, le reste de vostre vie, y jouÿr de tous playsirs. [13] Il desire infiniment que vous le fassies, il vous le commande, il vous excite, il vous menace, il faict tout effort pour vous faire prendre l'aviron en main et voguer ; cependant, pour ce qu'il a juré de ne vous pas faire ce bien que vous ne ramies, si vous ne rames, quoy qu'il le desire, il ne fera rien pour vous. Ainsy Dieu en la constitution et reformation des choses jura, par maniere de dire, sur son immutabilité, que si nous voulons voguer sur la nacelle de l'Eglise parmi l'eau amere de ce monde, il nous conduiroit en Paradis. Il le desire, il le commande, il nous exhorte, il nous menace ; mays de nous y conduire sans que nous nous aydions, il ne le peut pas faire, puysqu'il a juré le contraire. Dieu pourroit bien nous creer en Paradis, nous y mettre des l'enfance, en tout tems ; mais nostre nature requiert qu'il nous fasse ses cooperateurs, et que « Celuy qui nous fit sans nous, ne nous sauve pas sans nous. » C'est icy ou je respondray a vostre demande : Qui peut resister, qui veut resister a Dieu ? Je le veux demander a mon ame, luy proposant les doutes que j'ay en cecy, et si vous faites mes demandes chacun a la vostre, vous ouyres de belles responses en vous mesme.
O mon ame, ma chere moitié, n'as tu jamais ouy en toy mesme le Seigneur ton Dieu te commander : Ambula coram me, et esto perfectus ? Ouy sans doute ; et luy as tu jamais respondu : Recede a nobis, viam mandatorum tuorum nolumus ? O combien de fois, avec tant de pechés, as tu rejetté les inspirations de Dieu ; combien de fois luy as tu fait resistance ! Ah, la lamentable voix que Dieu rend par Isaye, se plaignant de nous autres : Tota die expandi manus meas ad populum non credentem, et contradicentem mihi . Et ceste autre voix : Pænitet me fecisse hominem, [14] ah, bon Dieu, elle seroit suffisante de nous fendre les cœurs, s'ilz estoyent de chair ; car nostre Dieu ne se plaint pas d'avoir faict l'homme pour la creation, car quand il l'eut creé, vidit cuncta quæ fecerat, et erant valde bona ; mais pour la peyne que devoit avoir son Filz faict homme a le reformer, dont il dict : Tactus dolore cordis intrinsecus. Ce n'est donq pas merveille si le Saint Esprit ayant fecondé les eaux pour l'institution du monde, il a voulu feconder le feu pour la restitution d'iceluy ; car besoin estoit de plus d'efficace pour le r'habiller que pour le faire.
J'eusse peu aller recherchant ce que ce son faict au ciel, porté par le vent, et ce feu signifie par tous les coins de l'Escriture ; mais je l'ay trouvé tout en un Psalme si gravement descrit, que ce seroit peyne de le chercher ailleurs : c'est le Psalme 28.
Et premierement, le tiltre d'iceluy est : Psalmus David in consummatione Tabernaculi. Qu'est ce que la consommation du Tabernacle, sinon la mission du Saint Esprit qui consomma et perfectionna le tabernacle de l'Eglise Chrestienne ? Donques est il dict en ce Psalme : Vox Domini super aquas ; Deus majestatis intonuit ; vox Domini super aquas multas. Il appelle icy les nuëes eaux, a cause que des nuëes se faict la pluÿe et les eaux, comme s'il vouloit dire : Factus est repente de cœlo sonus tanquam advenientis spiritus vehementis ; car le tonnerre ne se faict pas sans nuages. Il dict donques que le Dieu de majesté, le mesme Dieu qui se monstra tant terrible sur la montaigne de Sinaï, a faict un son vehement sur les eaux et nuages en l'air. [15]
Vox Domini, dict il, in virtute ; vox Domini in magnificentia. Ce son, ceste voix du Seigneur, elle fut in virtute, en grande vertu et puyssance, et vehemente et magnifique, pour monstrer qu'elle revigora, elle donna force et vertu, elle communiqua une grande constance et magnanimité aux Apostres. Si que les Apostres estans comme les çieux de l'Eglise, on peut bien dire d'eux : Verbo Domini cœli firmati sunt, et spiritu oris ejus omnis virtus eorum ; les deux apostoliques, par l'influence desquelz Jesus Christ, comme premier mouvant, nous communique sa foy et ses graces, ont esté confirmés par la parolle de ce Verbe de Dieu, lhors qu'il les laissa pour monter au Ciel, leur faisant ses beaux advertissemens. Et spiritu oris ejus ; et par le Saint Esprit, qui est respiré par la bouche et sapience du Pere comme un souspir d'amour, toute leur vertu a esté perfectionnëe et tellement establie, que des lhors, selon la plus probable opinion, non seulement quant a la foy, qui est chose certaine, mais mesme quant aux mœurs, les Apostres ne firent onques faute. Donques, pour monstrer ceste force, il dict : Vox Domini in virtute. Et pour monstrer combien de dons celestes il departit lhors a ses Apostres, et par consequent a son Eglise, il adjouste : Vox Domini in magnificentia. Et puys, pour monstrer l'operation de ce son n'estre seulement pour ses Apostres mays aussi pour l'extirpation de toute la puyssance mondaine, il dict : Vox Domini confringentis cedros, confringet Deus cedros Libani.
Il va poursuyvant, que les Apostres fortifiés par cest Esprit desracineront la gloire et vanité mondaine : Et comminuet eas tanquam vitulum Libani ; c'est a [16] dire, le Seigneur ayant consolé, conforté, corroboré avec ce son, ce vent et ce feu les cœurs des Apostres, par leur ministere il fracassera, il fera sauter, il dissipera cedros Libani, c'est a dire les plus haut eslevés mescreans et infidelles : et ainsy est il advenu, mes Freres. Ou sont ces glorieux Cesars, ou sont tant de grans personnages en guerre qui estoyent du tems des Apostres ? Ou eux, ou leur posterité ne se sont ilz pas mis a genoux aux piedz des Apostres ou de leurs successeurs ? Dites moy un peu, ou est la memoire de Neron ? il ne s'en parle plus qu'en mal. O quelle est la memoire du glorieux Apostre saint Pierre, pauvre pescheur, deschaussé, desnué et simple ! Grand est le palais, la basilique, le monument de saint Pierre ; celle de Neron n'est plus rien. Ainsy les petitz pescheurs ont surmonté les grans pecheurs. Donq ceste voix, ce son, estoit signe que par la parolle de Dieu portee par la voix des Apostres, l'idolatrie avec ses adhaerans seroit bouleversee comme les veaux qui paissent au Liban et que in omnem terram exibit sonus eorum, et in fines orbis terræ verba eorum ; et que portæ inferi non prævalebunt adversus eam ; et que reges erunt nutritii Ecclesiæ et principes pulverem ejus lingent .
Il s'ensuit au mesme Psalme : Vox Domini intercidentis flammam ignis ; c'est a dire, ce son qui replevit totam domum Dei, est intercidentis flammam ignis ; ce son, dis je, dispersa une flamme de feu en plusieurs parties, selon qu'il est dict : Sedit supra singulos eorum, pour demonstrer que la parolle evangelique portëe par les Apostres, devoit faire part a chacun du saint feu duquel Nostre Seigneur disoit : Ignem [17] veni mittere in terram, c'est a dire de charité ou de foy vive. O que ce n'est pas sans cause que le Prophete royal dict : Ignitum eloquium tuum, Domine, et servus tuus dilexit illud ; car par la parole de Dieu nos ames sont du tout enflammees en son amour et a l'extirpation de toutes nos imperfections. Vox Domini concutientis desertum ; commovebit Dominus desertum Cades. Il appelle desert le lieu ou estoyent les Apostres, ou les Apostres mesmes, pour ce que l'Eglise dict :
« Sine tuo Numine, nihil est in homine, nihil est innoxium ; »
et le Psalmiste, parlant peut estre du Saint Esprit : In terra deserta, invia et inaquosa. C'estoit un grand desert, puysqu'il n'y avoit aucune herbe verte de resolution, ni aucun chemin pour aller a la prædication innocente, ni aucune eau de consolation ; et partant il l'appelle desertum Cades, qui estoit une grande vasteté et solitude vers l'Arabie.
Apres, poursuit le Prophete : Vox Domini præparantis cervos ; et revelabit condensa, et in templo ejus omnes dicent gloriam. Mes Freres, les biches ont tellement grande difficulté de faonner ou faire leurs petitz, que jamais elles n'en viendroyent a bout si les tonnerres ne leur faisoyent poser de frayeur ou qu'elles n'usassent d'une herbe appellee siselle ; et ainsy en l'hebrieu, au lieu que nous avons : præparantis cervos, il y a : parturire facientis. Ainsy semble il que par ce son vehement Nostre Seigneur aye voulu faire enfanter les saintes prædications a ses Apostres, et par le [18] moyen de ses Apostres a tout le monde, lesquelz estoyent comme engrossés de la connoissance d'un vray Dieu et Sauveur par plusieurs conjectures naturelles et du paganisme ; dequoy je me rapporte a Eusebe, De Præparatione Evangelica. Mais de nous mesmes, nous ne pouvions enfanter qu'apres ceste sainte venue du Saint Esprit, qu'apres ce feu, ce vent, ce tonnerre, quand la promulgation de l'Evangile commença.
Ce n'est pas sans cause que vous voyes les Apostres comparés aux biches, car les biches ne sont point armees de branches et cornes comme les cerfz ; aussi les Apostres estoyent nudz d'armes corporelles, ne combattant le monde qu'avec la faim, soif et tribulation. Et d'ailleurs, ces animaux sont d'une extreme vistesse ; et telz sont les Apostres desquelz la voix a couru tout le monde : In omnem terram exivit sonus eorum, et in fines orbis terræ verba eorum ; et a rayson d'eux fut dict : Spiritus Domini replevit orbem terrarum, et hoc quod continet omnia scientiam habet vocis. Aussi estoyent ilz ambassadeurs vers tout le monde, et portoyent la parolle pour un Monarque qui est extremement viste et courant, duquel l'Eglise chante : « Nescit tarda molimina Spiritus Sancti gratia. » Et David : Lingua mea calamus scribæ velociter scribentis.
Et de cest enfantement des Apostres que s'ensuit il ? Deus revelabit condensa ; il s'ensuit que le sombre et touffu bois et forest de l'ignorance et aveuglement du monde a esté esclairci et descouvert, les arbres en ont esté abattus et rués par terre, si qu'apres ceste descouverte il n'y a personne qui puisse plus dire : Quis ostendit nobis bona ? car par tout le son de la trompette evangelique a esté ouÿ, pour nous advertir de quel costé nous nous devons jetter a la retraitte, et par [19] tout il y a des autelz dressés a sa Majesté et des temples, si que in templo ejus omnes dicent gloriam.
Et quelle gloire, quelle louange pourront ilz dire ? Ilz diront : Deus diluvium inhabitare facit, et sedebit Dominus rex in æternum ; c'est a dire : autrefois il fit un deluge pour repurger le monde avec l'eau, mays maintenant il se faict un deluge qui durera tousjours, avec la parolle de Dieu laquelle purifie et illumine les ames : Mot Dei manet in æternum . Si que, comme ce premier deluge nettoya, reforma et renouvella la terre, aussi cestuy [cy] la remet, la reforme et la renouvelle, dont nous chantons : Emitte Spiritum tuum et creabuntur, et renovabis faciem terræ ; et desormais sedebit rex Dominus in æternum, c'est a dire Jesus Christ, qui regnabit in domo Jacob, et regni ejus non erit finis .
Dominus virtutem populo suo dabit, Dominus benedicet populo suo in pace. O Seigneur Dieu, o doux Jesus, que dis je ? Dominus virtutem, etc. Le Seigneur Dieu donnera vertu et force a son peuple, le Seigneur benira son peuple en paix. En paix, mon Dieu, et que feres vous de nous, Seigneur, qui sommes en guerre ?
Mes Freres, ores que vous aves ouy quelque chose de l'infinité des graces que le Saint Esprit communiqua a sa venue, et quoy que ce que j'ay dict soit peu en comparayson de ce qui en est, si est ce que je ne crois pas que vous ne desirassies extremement une venue du Saint Esprit sur vous autres ; ou si vous estes si durs que de ne la pas desirer, je vous oseray bien dire a l'imitation de saint Pol, pour la premiere fois que j'ay eu cest honneur que de vous parler de la part de Dieu : O insensati Allobroges, usquequo gravi corde ? Mais je ne le dis pas, ne pouvant croire tant de mal de [20] ceux auxquelz je desire tant de bien. Je ne m'amuseray donq pas a vous persuader de desirer le Saint Esprit, mays plustost je vous mettray en avant ce qu'il faut faire de nostre costé, comme il se faut disposer a le recevoir ; car, disposés que nous serons, infalliblement selon sa sainte bonté, il arrivera en nous avec toutes ses benedictions.
Regardons un peu comme les Apostres estoyent disposés quand ilz le receurent ; ilz estoyent tout de mesme que quand ilz revindrent de l'Ascension. Et comme estoyent ilz alhors ? Au chapitre I des Actes, rapporté a cestuy cy : Erant perseverantes unanimiter in oratione, cum mulieribus et Maria Matre Jesu, et fratribus ejus ; un peu apres : Erat autem turba centum et viginti. Je trouve ces conditions. La premiere : Erat turba centum et viginti ; la seconde : Erant omnes unanimiter ; la troisiesme : Perseverantes in oratione ; la quatriesme : Cum Maria Matre Jesu, et mulieribus, et fratribus ejus.
Revenons : Ilz estoyent cent et vingt, c'est a dire six vingtz. C'est un mistere, mes Freres : douze estoyent les Apostres au commencement, et maintenant ce nombre de douze a esté multiplié par dix. Il faut apprendre que si nous voulons recevoir le Saint Esprit, il nous faut multiplier et enrichir les douze articles de la foy par l'observation et execution des dix commandemens de la loy. Nous croyons tous, mays fort peu font ce que la foy et creance leur apprend. Ne sçaves vous pas le dire de l'Apostre : Justus ex fide vivit ? Peut estre ne l'entendes vous pas. Je vous diray un sens aysé a nostre propos, et que peut estre ne sçaves vous pas encores, et neantmoins saint et veritable. Justus ex fide vivit, c'est a dire le juste vit a forme de sa foy, il vit a la regle de sa foy. Ne dict on pas : « Æger [21] ex dieta vivit, et regula medici ; » le malade vit de la diete, il vit de la regle, il vit de la maniere que le medecin luy a baillëe ? Certainement ce ne sont pas bons restaurans que la diete, la regle, la maniere escritte ; les apoticaires n'y gaigneront gueres. Ne dict on pas que les advocatz vivent de leurs livres, de leur estude ? Leurs livres et l'estude sont viandes de Caresme, apres Pasques on n'en mange pas ; il n'y a si bon secretaire qui ne laissast son maistre a telle condition de viande. Mays non ; nous voulons dire que le malade, il vit selon la diete ordonnëe par le medecin, selon la regle, selon la maniere ; et l'advocat, qu'il vit du gain (ou juste ou injuste, selon que l'advocat a l'ame bonne ou mauvaise), du gain qu'il faict par le moyen de ses livres. Ainsy voulons nous dire que le juste vit selon la foy, selon qu'elle enseigne, ex præscripto fidei ; et aussi, qu'il vit du gain qu'il faict en la foy, c'est a dire des œuvres bonnes et qui sont selon la foy.
La seconde : Erant omnes unanimiter ; estoyent tous d'un bon accord. Que ferons nous, mes Freres, nous qui sommes, comme j'avois commencé a vous dire, en guerre ? Mes Freres, la guerre est un fleau de Dieu, et pendant que nous en sommes chastiés, il nous faut croire que c'est pour nos pechés ; car si in terra pax est hominibus bonæ voluntatis, donques, bellum hominibus malæ voluntatis ; car, comme inter bonæ voluntatis et malæ voluntatis, il n'y a point d'entre-deux, il n'y en a point aussi entre bellum et pax. Pendant que la guerre dure, il ne faut pas attendre le Saint Esprit, car pendant que la guerre dure c'est signe que nos pechés durent : Et factus est in pace locus ejus . Mais quel peché peut estre cause d'un si grand desastre ? Toute sorte de peché. Hieremie dict : Peccatum peccavit Hierusalem. Je ne veux pas m'amuser [22] beaucoup icy, car s'il plaist a Dieu de se servir de moy en ce ministere, je vous en parleray plus d'une fois. Je vous diray seulement : le peché fondamental qui nous entretient en guerre, c'est l'impœnitence. Jamais Dieu ne cessera de nous chastier, jusques a ce que nous cessions de pecher, dict l'Apostre saint Pol : Tu autem secundum impænitens cor tuum, etc. Et ceste impcenitence vient d'une certaine courtoysie que chacun a envers soy mesme ; que chacun se flatte, chacun est prest ad excusandas excusationes in peccatis , chacun rejette la cause de nos maux sur le peché d'autruy, et non sur les siens, comme l'on devroit ; et me semble, a ouÿr les discours que l'on va faisant en Savoye, que je vois jouer au change.
Et me soit permis de me servir de cest exemple, comme fraischement venu de la conversation ou il se joue. Il se rencontre quelquefois une trouppe de damoyselles vertueuses, lesquelles apres avoir long tems parlé et devisé ensemble, estant au bout de leur roolle, ne le voulant dilater aux despens de celle cy et de ceste la, se mettent a jouer quelque honneste jeu, comme au change des couleurs. Chacune prend sa couleur, et est obligëe de la garder du change, si que, si le jeu estant commencé on dict que le vert change, celle qui a pris le vert, dira : ce n'est pas le vert qui change, c'est le gris ; celle qui a le gris : ce n'est pas le gris qui change, c'est le bleu ; celle qui a le bleu semblablement s'en descharge et dict : ce n'est pas le bleu qui change, c'est le blanc ; et passent ainsy le tems a rejetter l'une sur l'autre le change, tant qu'il se faut retirer et que la conversation est rompue.
Il me semble, mes Freres, qu'en Savoye nous nous entretenons tous au jeu du change : car si vous parles au peuple, la noblesse aura le change, laquelle avec sa lascheté n'ose rien remonstrer ; si l'on parle a la noblesse, [23] les ministres de justice auront le change, qui se meslent de l'autruy ; si l'on parle aux justiciers, les soldatz auront le change, qui sont trop desbordés ; si l'on parle aux soldatz, les cappitaines auront le change, qui les conduisent et retiennent leurs payes, ou sont si avaricieux que pour desrobber eux mesmes ilz permettent a leurs soldatz de desrobber. Parles aux cappitaines, les princes auront le change, qui ont tort de vouloir faire la guerre sans argent, ou qui n'advisent pas d'y mettre l'ordre au moins mal ; et aucuns crient que tout le mal vient des peuples qui ne sont pas asses reformés. Ceux cy sont les plus advisés, car il n'est permis de mesdire sans danger, en ce tems ou nous sommes, de personne sinon de l'Eglise, de laquelle chacun est censeur, chacun la sindique. En fin, nous jouerons tant a ce jeu si nous n'y advisons, qu'il nous faudra rompre ceste conversation ; et comme nous avons veu courir des autres nations ça et la pour vivre, ainsy nous faudra il faire si nous ne prenons garde a nous mesme. Et que faut il faire ? Il faut bannir le peché de nous ; il nous faut faire la paix avec Dieu, et nous aurons bien tost apres la paix en la terre.
Et quel peché faut il chasser ? Ah, que je me garderay bien de me contredire ; vous ne me prendres pas en ma parole. Je n'ay garde de dire qu'il faille chasser le peché des autres, affin de ne pas jouer au change aussi bien que les autres ; mais je vous prieray que chacun die comme moy, et que chacun parle a sa conscience propre et non pas a celle des autres. O mon ame, n'est ce pas toy qui es cause de ce mal, qui as faict tant de pechés sur pechés, tant d'offenses, tant de laschetés que justement l'ire de Dieu est tombëe sur tout un peuple ? Ne sçais tu pas qu'autrefois, s'ilz se fussent trouvé dix hommes de bien, le bon Dieu, pour leur respect, eust gardé toute une ville de ruine (au Gen., 18 ) ? Ah, que peut estre manquoit il le dixiesme en ce païs ; que si tu te fusses reformé, peut estre eusses tu accompli le nombre : o quel grand bien ! Et ne me respons pas : Pourquoy les autres n'y ont ilz advisé ? car ilz en ont plus affaire que toy. Disons donques tous, et que chacun parle pour soy, [24] faisons chacun pour nous en nous eslevant a Dieu : Pater, peccavi in cœlum et coram te ; Tibi soli peccavi, et malum coram te feci . Confessons nos fautes propres, et laissons les autres confesser les leurs ; sçachons qu'il n'est pas tems de dire : Patres nostri comederunt uvam acerbam, et dentes nostri obstupuerunt , car Nostre Seigneur nous respondra : Anima quæ peccaverit, ipsa morietur . Donques, omnes declinaverunt ; que personne ne s'excuse d'estre cause des malheurs de nostre aage : nous avons tous part a la peyne et fascherie, nous avons tous part a la coulpe.
Jonas estant commandé d'aller a Ninive prescher, fut desobeyssant et s'en alloit ailleurs par mer ; la tempeste s'esleva tellement, que le maistre et patron du navire resolut d'en jetter un en mer : le sort tomba sur Jonas, et quoy que ce fust sort, si est ce qu'il fut a propos ; car apres, stetit mare a fervore suo . Je ne parleray qu'a moy mesme, de peur qu'il ne semble que je veuille jouer au change. Je suis comme un petit Jonas, commandé de Dieu de le louer par bonne conversation ; j'ay esté desobeyssant, allant et marchant a rebours du commandement de Dieu. La tempeste, la bourrasque de ce tems calamiteux est grande, et semble qu'il faille jetter quelqu'un dans la mer : Domine, si propter me tempestas orta est, projicite me in mare. O grand Patron de la navire ecclesiastique, Jesus Christ, si c'est faute de ma pœnitence que cest orage s'est eslevé, que la nef se va rompant, jettes moy, Seigneur, dans la mer ; la mer est la pœnitence amere, dans laquelle estant jetté, faites que je sois receu dans le ventre de la baleyne, c'est a dire de l'esperance, sans laquelle [25] le repentir n'est qu'une bourrasque de desespoir ; en ceste esperance j'y demeureray trois jours, de contrition, confession et satisfaction, et alhors, Seigneur, cessabit mare a fervore suo. Que si non seulement propter me tempestas hæc orta est, sed propter hunc totum populum, changes nos volontés mauvayses en bonnes, et nos courages mauvais en bons : Cor mundum crea in me, Deus . Seigneur Jesus Christ, faites encor que de nous, sit cor unum et anima una ; car alhors erit tranquillitas magna . Messieurs, je vous exhorte a l'amitié et a la bienveuillance entre vous, et a la paix entre tous ; car si nous avions la charité entre nous, nous aurions la paix, nous aurions le Saint Esprit.
Il faut se rendre devot et prier Dieu, et c'est la troisiesme disposition ; car les Apostres estoyent perseverans en orayson. Nostre necessité nous y invite, et la liberalité de Dieu : Ad Dominum cum tribularer clamavi, et exaudivit me ; Miserere mei, et exaudi orationem meam . Si nous nous mettons a faire des oraysons, le Saint Esprit viendra en nous et dira : Pax vobis ; ego sum, nolite timere . C'est le vray tems de demander, maintenant que tout le monde est a la besace ; car il est escrit au Psalme 9 : Desiderium pauperum exaudivit Dominus.
L'orayson parfaitte doit avoir troys parties : la 1. une demande ; la 2. l'obsecration, et par maniere de dire l'adjuration, qui est comme la rayson de nostre demande ; la 3. l'action de graces. Que devons nous demander a Dieu, mes Freres ? Tout ce qui est pour son honneur et le salut de nos ames, et en un mot l'assistance du Saint [26] Esprit : Emitte Spiritum tuum et creabuntur ; et en ce tems icy, la paix et la tranquillité : Fiat pax in virtute tua ; Rogate quæ ad pacem sunt Hierusalem . Mays gardes bien de faire comme plusieurs, lesquelz ont accoustumé de dire : O s'il plaisoit a Dieu nous donner la paix, nous triompherions, nous ferions aussi bonne chere. Gardes, mes Freres, car c'est offencer Dieu de demander la paix pour faire des superfluités, pour des passetems ; il la faut demander pour plus commodement le servir, comme faysoit ce Prophete : Ut sine timore, de manu inimicorum nostrorum liberati, serviamus illi ; et comme fait l'Eglise : « Ut et corda nostra mandatis tuis dedita, et, hostium sublata formidine, tempora sint tua protectione tranquilla. » Il faut demander la paix, ut Spiritus pacis veniat super nos.
Il nous faut rendre graces a Dieu de tous ses bien-faictz, si nous voulons qu'il nous donne des victoires qui sont commencement de paix. Et pour obtenir le Saint Esprit, il faut remercier Dieu le Pere qui l'envoye, de ce qu'il l'a envoyé sur nostre chef Jesus Christ Nostre Seigneur son Filz, entant qu'homme, [et] que ex plenitudine ejus omnes accepimus ; de ce qu'il l'a envoyé sur ses Apostres pour nous le communiquer par leurs mains. Il nous faut remercier le Filz, lequel entant que Dieu l'envoye pareillement sur ceux qui se disposent ; mays sur tout, il le faut remercier de ce qu'entant qu'homme il nous a merité la grace de recevoir le Saint Esprit. Sans luy, jamais nous ne pourrions le recevoir ; car Dieu voyant devant le deluge les grans pechés qui se [27] commettoyent, ne dict il pas : Non permanebit spiritus meus in homine, quoniam caro est ? O sentence terrible, o decret effroyable ! Mais Nostre Seigneur, lhors qu'on rompoit sa beniste peau sur l'arbre de la croix et en la colomne, il rompoit avec son merite decretum chirographi, le decret et cedule qui nous tenoit obligés au pouvoir des enfers. O comme Jesus Christ merita la venue du Saint Esprit ! Ce fut lhors qu'il rendit l'esprit en inclinant son chef adorable : Et inclinato capite, emisit spiritum ; car donnant son dernier souspir et esprit au Pere, il merita que le Pere envoyast son Saint Esprit sur son cors mistique. Et de fait, ce sont les prieres que Nostre Seigneur fit en croix desquelles parle saint Pol, aux Heb., 5 : In diebus carnis suæ, preces supplicationesque cum clamore valido et lacrymis offerens, exauditus est pro sua reverentia. O que tousjours sois tu beny, o doux Jesus.
A l'oraison, il faut y adjouster l'obsecration, c'est a dire l'adjurer en vertu de quelque chose qui luy plaise : et premierement, par sa mesme bonté, motif esgal a luy mesme ; secondement, par son Filz Nostre Seigneur, vray mediateur entre Dieu et les hommes, et unique quant a la mediation principale, essentielle et naturelle, ainsy que faict tousjours l'Eglise, quoy que les hæretiques la calomnient ; troysiesmement, par ses Saintz qui sont mediateurs par intercession et dependance : Memento, Domine, David, etc. (vous autres particulierement par le glorieux saint Pierre, saint François, saint Dominique, saint Jacques, saint Maurice), et sur tout par le merite et par l'amour qu'il porte a sa sainte Mere, la glorieuse Vierge Marie ; et cecy ce sera accomplir la quatriesme condition pour recevoir le Saint Esprit, car ce sera estre cum Maria Matre Jesu. [28]
Vous ne sçauries dire combien ceste condition est preignante. Regardes un peu sainte Elizabeth incontinent qu'elle fut en conversation avec la Vierge Marie ; l'Evangeliste saint Luc, au I , dict : Ut audivit salutationem Mariæ Elizabeth, exultavit infans in utero, et repleta est Spiritu Sancto Elizabeth. Et ce n'est pas merveilles, car elle est Espouse du Saint Esprit, Fille du Pere eternel, Mere du Filz eternel. L'Evangeliste dict bien qu'il y avoit des hommes et des femmes, a fin de monstrer que tous devons attendre le Saint Esprit ; mays il nomme celle cy, pour monstrer qu'elle estoit plus que femme, comme la Dame des Apostres, et partant il ne dict pas qu'elle fut avec les Apostres, mays les autres estoyent avec elle et sa suite. Donques, quand il dict cum mulieribus et Maria Matre Jesu, c'est autant a dire comme qui diroit : Il est avec le roy, a la suite du roy ; car il ne nomme particulierement ceste Dame sinon honoris causa.
Que ces suffisans donques se retirent, qui ont peur que nous ne faisions trop d'honneur a la Vierge ; car elle est digne de tout l'honneur qui appartient a la pure creature, tant spirituelle que corporelle. Ceux qui ne sont pas avortons du Christianisme, mais sont de la vraye generation de Jesus Christ, ayment ceste Dame, l'honnorent, la louent en tout et par tout : Beatam me dicent omnes generationes. « Non habebit Christum in fratrem, qui Mariam noluerit habere in matrem, et qui non erit frater Christi, sane nec cohæres . »
Et qu'est ce qu'elle receut icy, puysqu'elle l'avoit desja receu en l'Annonciation ? Mensuram confertam, et coagitatam, et supereffluentem. Qui justus est, justificetur adhuc . O qu'il faut bien croire qu'elle [29] meditoit en la Passion et es angoisses d'icelle, attendant fermement le Saint Esprit, et en prioit son Filz, duquel si l'absence de troys jours la rendit si triste autrefois, qu'est ce qu'aura faict l'absence de dix jours ? En fin je crois qu'elle disoit devotement a son Filz : Fili, quid fecisti nobis sic ? Tu præcepisti nobis ab Hierosolymis ne discederemus : quant a mon cors, o mon Filz, ce qu'il te plaira ; mais quant a mon cœur, ubi thesaurus meus, ibi et cor meum . Et si l'autre a dict : In dimidio dierum meorum vadam ad portas inferi, je diray quant a moy Paradisi, et en ceste meditation s'allumera le feu du Saint Esprit : In meditatione mea exardescet ignis.
Donques, qui veut avoir le Saint Esprit, qu'il se joigne avec Marie, quia qui cum ea non colligit, spargit . Mais de cecy, une autre fois ; il faudra que vous me facies ce bien que de m'assister pour ouyr des louanges de ceste Vierge un peu plus amplement ; et ce pendant je la prieray qu'elle me rende capable. Serves la, honnores la, affin que Celuy qui vient a nous par elle, nous reçoive par elle : Per te nos « suscipiat, qui per te » ad nos venit. C'est Jesus Christ, beny, tres glorieux, qui vit et regne avec le Pere et le Saint Esprit, duquel la benediction tombe sur nous. Amen. [30]
Tu es Petrus, et super hanc petram
Il pourroit sembler estrange a quelqu'un, mes chers auditeurs, que vous ayant apporté du pain la semaine passëe en ceste chaire, vous disant : Hic est panis qui de cœlo descendit (Joan., 6 ), maintenant je ne vous y apporte qu'une pierre, disant : Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam ; et neantmoins, quand je vous invitay a ceste exhortation, je vous promis une semblable refection spirituelle que celle que je vous presentay alhors. Non, je ne m'abuse point, car je vous apporte ceste pierre sur la parole toute puyssante de Nostre Seigneur, laquelle nous asseure que ceste pierre nous doit tous repaistre : Petre, amas me ? Tu scis, Domine, quia amo te. Pasce oves meas ; Joan., 21 .
Addressons nous a nostre tres glorieuse Dame la Sainte Vierge, et la prions qu'elle dise a son divin Filz, non pour le tenter mays pour le glorifier : Dic ut petra [31] hæc panis fiat ; et soyes asseurés que si la semaine passëe Nostre Seigneur cibavit vos ex adipe frumenti (Psal. 80 ), maintenant, de petra melle saturabit vos. Et pour cela, implorons l'assistance de ceste Sainte
Vierge en disant Ave, Maria, etc.
Amen, amen, dico tibi : cum esses junior, cingebas te et ambulabas ubi volebas ; cum autem senueris, extendes manus tuas et alius te cinget, et ducet quo non vis . Omnia tempus habent : tempus nascendi, et tempus moriendi, dict l'Escriture Sainte : dont je prens occasion d'admirer que l'Eglise Catholique nostre Mere, aye commandé, et non sans rayson, que dedans l'octave d'une si grande resjouyssance comme est celle de la nativité de saint Jan, on celebrast la glorieuse memoyre du martire de saint Pierre, grand gouverneur de l'Eglise militante ; car si, comme dict l'Escriture, musica in luctu importuna narratio est, s'il y a tems de mourir et tems de naistre, pourquoy donques a on meslé eh une mesme octave la mort de saint Pierre avec la naissance de saint Jan ? Certes, mes chers auditeurs, il sera bien aysé de trouver responce a ce doute et satisfaire a ceste admiration. Mais peut estre me dires vous que l'Eglise ne tient pas que ceux qui meurent martirs soyent mortz, mays vivans, et estime que, passans a une meilleure vie, on a grande occasion de se resjouyr en leur mort ; et pour ce que leur nativité estant accompaignëe de peché elle les amene aux miseres, et leur mort les mene a la gloire, on celebre leur nativité le jour qu'ilz meurent.
Mais si la nativité des Saintz est miserable, et leur [32] mort glorieuse, pourquoy, a une chose glorieuse comme est la mort, donne on le nom miserable de nativité ? Je trouve qu'il y a tant de similitude entre la nativité de saint Jan et la mort de saint Pierre, que toutes deux se doivent appeller mort ou toutes deux nativité ; car il n'y a nulle apparence que deux choses si semblables doivent avoir diversité de noms. Quand je regarde la ressemblance et belle convenance qu'il y a entre la creation du monde et la recreation et reformation d'iceluy, j'admire extremement ce grand Createur, lequel a si bien sceu, par un si beau moyen et divin artifice, en la creation et reformation, monstrer l'unité du Createur et Reformateur. Mays aujourd'huy je ne veux pas m'arrester sur ces choses pour vous les prouver ; je ne prendray que ce qui fait a mon propos pour la solemnité de ce jour.
Quand je considere que l'Eglise nostre Mere nous propose en la joyeuse octave de la nativité de saint Jan la solemnité de la mort douloureuse de saint Pierre, sçachant qu'elle est conduitte du Saint Esprit, je crois qu'elle le faict pour quelque similitude et rapport qu'il y a entre la mort de l'un et la nativité de l'autre ; pensëe en laquelle je suys d'autant plus confirmé, que je vois que la mesme Eglise appelle aussi bien naissance la mort de saint Pierre que la nativité de saint Jan, voyant que non seulement en la mort, mays encores en leur vie mesme, j'y trouve certaine alliance et grande ressemblance, quoy qu'en certains pointz il y aye de la dissimilitude, comme il y en a tousjours entre les choses du Viel et du Nouveau Testament.
Certes, quand j'ay leu au Genese que Dieu fit deux grans luminaires au ciel, l'un pour præsider et esclairer le jour et l'autre pour la nuict, incontinent j'ay pensé que c'estoyent ces deux grans Saintz, saint Jan et saint Pierre ; car ne vous semble il pas que saint Jan soit le grand luminaire de la Loy mosaïque, laquelle n'estoit qu'une ombre ou comme une nuict au regard de la clairté de la Loy de grace, puysqu'il estoit plus que prophete ? Encores qu'il ne fust pas lumiere, toutesfois il portoit tesmoignage de la lumiere, par [33] quelque participation de la lumiere laquelle in tenebris lucet ; Joan., I . Et vous semble il pas que saint Pierre soit Evangelii luminare majus, puysque c'est luy qui præest diei Evangelii ? lesquelz deux luminaires ont esté mis au ciel ecclesiastique par Celuy qui l'a faict et formé, qui est Jesus Christ Nostre Seigneur.
Nous lisons qu'il y avoit autour du propitiatoire deux cherubins lesquelz s'entreregardoyent. Le propitiatoire, mes chers auditeurs, c'est Nostre Seigneur, lequel le Pere eternel nous a donné pour estre propitiatio pro peccatis nostris : et ipsum proposuit Deus propitiationem . Ces deux cherubins sont, comme j'estime, saint Jan et saint Pierre, lesquelz s'entreregardoyent, l'un comme Prophete et l'autre comme Apostre. Hé, penses vous pas qu'ilz s'entreregardoyent quand l'un disoit : Ecce agnus Dei, et que l'autre disoit : Tu es Christus Filius Dei vivi ? Il est vray que la confession de saint Jan ressent encores quelque chose de la nuict de l'ancienne Loy, quand il appelle Nostre Seigneur aigneau, car il parle de la figure ; mais celle de saint Pierre ne ressent rien que le jour, quia Joannes præerat nocti, et Petrus diei. Ce que je ne dis pas pour vous faire entendre que saint Jan ne sceust bien la verité, mais affin que vous sçachies que comme saint Pierre, qui estoit le luminaire qui præsidoit au jour, parle ouvertement, aussi saint Jan, pour s'accommoder au tems auquel il præsidoit, qui estoit le tems des ombres et des figures, il parle plus couvertement.
Au commencement du monde, on trouve que Spiritus Dei ferebatur super aquas ; Gen., I . La naïfveté du texte en sa source, veut dire fecundabat, vegetabat. [34] Ainsy me semble il qu'en la reformation du monde, Nostre Seigneur fecondoit les eaux, lhors que ambulabat juxta mare Galilææ ; et avec la parolle qu'il dict a saint Pierre et a saint André : Venite post me, il fit esclorre parmy les coquilles maritimes saint Pierre et saint André ; Matth., 4 . En quoy saint Jan a encores quelque similitude avec saint Pierre, puysque ce fut au bord de l'eau ou saint Jan eut la premiere fois l'honneur de voir Celuy qu'il annonçoit, comme saint Pierre, aupres de l'eau, reconneut son divin Maistre et le suyvit. Mais puysque nous sommes sur le mistere de la vocation de saint Pierre, je vous veux descouvrir a ce propos une consideration plus profonde.
Pharao avoit commandé aux sages-femmes des Hebrieux qu'elles tuassent tous les enfans masles d'Israël ; la mere de Moyse, l'ayant enfanté et gardé troys moys, en fin ne le pouvant plus cacher, elle le mit en un panier de joncs qu'elle accommoda le mieux qu'elle peut, puys l'exposa parmi certaines herbes aquatiques au bord de l'eau ; et la fille de Pharao y venant pour se baigner, l'appercevant, le fit prendre, et voyant que ce petit enfant estoit fort beau, par bonheur elle le fit nourrir par sa mere propre ; et parce qu'elle l'avoit retiré des eaux, elle l'appella Moyse, c'est a dire retiré ; Exod., 1 et 2. Vous apperceves vous point du mistere que contient ceste histoire ? Moyse estoit chef de la Synagogue, et fut a cest effect sauvé et retiré des eaux par la providence de Dieu. Et voicy que Nostre Seigneur, l'unique Sapience du Pere eternel, retire le grand chef de l'Eglise militante, saint Pierre, des eaux aupres de la mer de Cesarëe ; lequel on pourroit bien appeller Moyse, puysqu'il a esté retiré des eaux comme Moyse. Et de vray, Simon, l'un des noms de saint Pierre, veut quasi signifier cela, car Simon veut dire obediens, et Moyse signifie extractus, c'est a dire retiré simplement, d'autant qu'il n'avoit pas encores [35] l'usage de rayson quand on le retira. Saint Pierre est appellé obeyssant, pource qu'ayant esté retiré dans l'usage de rayson, il fut retiré par obeyssance : Venite post me ; et continuo secuti sunt eum . Saint Pierre donques fut semblable et a Moyse et a saint Jan.
Mais considerons maintenant la ressemblance de ces deux nativités de saint Jan et de saint Pierre, a condition toutesfois que nous ne ferons que toucher ce qui sera de saint Jan, pour nous arrester davantage en ce qui est de saint Pierre, puysque c'est en ce jour que nous celebrons sa feste. Je trouve premierement que la nativité de saint Jan a esté prædicte par l'Ange : Et multi in nativitate ejus gaudebunt ; Luc., I . Celle de saint Pierre a esté pareillement praedicte ; mais il y a ceste grande difference, que l'Ange prædict celle de saint Jan, et celle de saint Pierre fut praedicte par Nostre Seigneur.
Saint Jan nasquit pour finir la Loy mosaïque, saint Pierre mourut pour commencer l'Eglise Catholique ; non que saint Pierre fust le commencement fondamental de l'Eglise, ny saint Jan la fin de la Synagogue, car c'est Nostre Seigneur, lequel mit fin a la Loy de Moyse, disant sur la croix : Consummatum est (Joan., 19 ), et resuscitant, il commença l'Eglise nouvelle ; car comme il se renouvella luy mesme, aussi renouvella il son Eglise : il se renouvella, dis je, resuscitant revestu d'immortalité, luy qui s'estoit auparavant revestu de nostre mortalité : Et habitu inventus ut homo, etc. ; Philip., 2 . Le rabbin Saadias dict que l'aigle voletant parmy le feu, et puys se jettant dans la mer, renouvelle ses aisles et sa jeunesse. Ainsy Nostre Seigneur, se bruslant au feu de sa tres grande charité et puys se jettant dans les eaux de la mer Rouge de sa Passion, renouvella sa jeunesse, et comparut, sortant d'icelle en resuscitant, glorieux, renouvelle comme l'aigle, [36] suivant ce qui est es Psalmes : Renovabitur ut aquilæ juventus tua ; Psalm. 102 .
La nativité de saint Jan fut prædicte a Zacharie, comme il offroit de l'encens au Seigneur, ainsy qu'il est dict en saint Luc : Cum Zacharias poneret incensum Domino. Mais quel encens penses vous que saint Pierre offroit au Seigneur quand il luy respondit : Domine, tu scis quia amo te ? odeur qui seule est aggreable a sa divine Majesté.
Saint Jan fut sanctifié au ventre de sa mere en la presence de la Sainte Vierge ; et de mesme, saint Pierre fut sanctifié au ventre de l'Eglise militante.
Mais sçaches que les Saintz sont sanctifiés en cinq manieres. La 1. par necessité de consequence : c'est ainsy que fut sanctifié Nostre Seigneur, lequel estant Filz naturel de Dieu, ne pouvoit qu'il ne fust saint ; et parce qu'il estoit saint par nature, il s'appelle saint par excellence : Sanctus vocabitur Filius Dei (Luc., I ) ; estant l'un des trois Sanctus, Sanctus, Sanctus (Isa., 6 ), que les Seraphins que vit Isaye repetent sans cesse dans le Ciel en l'honneur de la tressainte Trinité. La 2. est de ceux qui ne sont pas saintz sinon contingemment, et sans aucune necessité que par la volonté de Dieu ; neantmoins ilz le sont tousjours. Et de ceste seconde sorte, nous n'avons que la Vierge sacrëe, de laquelle David dict, Psal. 84 : Benedixisti, Domine, terram tuam, avertisti captivitatem Jacob. La 3. sorte de sanctification est de ceux qui ne sont pas tous-jours saintz, mais seulement sont sanctifiés au ventre de leur mere : telz furent saint Jan, Hieremie, et, selon l'opinion de quelques uns, saint Joseph, auxquelz on attribue ces parolles : Antequam progredereris ex utero, sanctificavi te. La 4. sorte est de ceux qui sont sanctifiés d'une sanctification commune a tous les [37] justes avant que de mourir, desquelz il est dict, Sap., 3 : Justorum animæ in manu Dei sunt. Mais les derniers sont sanctifiés, non seulement d'une sanctification commune qu'on appelle justification, ains d'une sanctification singuliere de laquelle ilz ne peuvent plus descheoir. Ainsy furent sanctifiés les Apostres au jour de la Pentecoste ; de quoy nous avons tesmoignage en saint Pol, qui dict qu'il est asseuré qu'aucune chose, non pas mesme la mort, ne le pourra separer de la charité de Jesus Christ : Scio quia neque mors nos separabit a charitate Christi ; Rom., 8 .
Or, pour vous monstrer le rapport qu'il y a entre saint Jan et saint Pierre, je trouve que la Sainte Vierge fut presente a leur sanctification. Quant a celle de saint Jan, il est dict (Luc., 1 ) qu'a son arrivee chez sainte Elizabeth exultavit infans in gaudio. Le mesme peut on dire de la sanctification de saint Pierre, qui se fit dans le cenacle, ou la Sainte Vierge estoit aussi presente, a la descente du Saint Esprit ; tellement que l'on peut dire de luy comme de saint Jan : Exultavit infans, puysque saint Pierre auparavant, comme enfant, n'avoit quasi jamais parlé, et tout aussi tost, aperiens os suum Petrus , il commença a prescher et convertir les ames a milliers.
Saint Jan fut le dernier predicateur de la Loy mosaïque ; saint Pierre fut le premier de l'Evangile. O deux luminaires ardens de predication, fayorises de vos saintes intercessions mon enfance, affin qu'il plaise a Dieu se servir de moy en ce ministere, ad dandam scientiam salutis plebi ejus, in remissionem peccatorum eorum (Luc., I ), et que je puisse tellement avoir les levres ouvertes de la part de Nostre Seigneur, que os meum annuntiet laudem ejus ; recte docere, et [38] æ doceo opere complere, ne cum aliis prædicaverim ipse reprobus efficiar .
Vous aves veu jusques icy quelle convenance il y a entre la nativité de saint Jan et la mort de saint Pierre. Maintenant vous voudries peut estre sçavoir quis major est in Regno cœlorum . C'est une chose a quoy je ne puys bonnement respondre ; seulement je vous diray que vous imities la sainteté de l'un et de l'autre, et puys vous le sçaures quand vous seres dans le Ciel. Les philosophes ayant recherché, il y a plus de deux mille ans, les causes du flux et reflux de la mer, ne l'ont jamais sceu comprendre ; mais je ne vous donne pas ce terme pour sçavoir la solution de ceste question : estudies seulement par imitation la sainteté de ces deux grans Saintz, et la pluspart de ceux qui sont icy le sçauront dans peu de tems.
Au reste, l'Eglise appelle nativité la mort de saint Pierre, pource que dans la mort il a trouvé la vie ; mays la mort de saint Jan ne se pourroit pas appeller nativité, d'autant qu'il luy fallut aller aux Limbes, le Ciel n'estant pas encores ouvert pour lhors. Or, despuys l'Ascension de Nostre Seigneur, ceux qui ont mesprisé ceste mortalité se sont faict par la mort une nativité. Mais je ferois tort au passage de la Sainte Escriture que j'ay cité au commencement de ce sermon, si je m'arrestois davantage a poursuyvre les ressemblances qui sont entre la nativité de saint Jan et la mort de saint Pierre, puysque j'ay tant d'occasion de faire une comparayson plus haute, c'est a sçavoir entre la mort de saint Pierre et celle de nostre divin Sauveur.
Et que personne ne vienne dire que toutes comparaysons sont odieuses et qu'il n'y a point de rapport entre le Maistre et le serviteur, puysque Nostre Seigneur ne fait point de difficulté de se mettre en comparayson avec [39] les bergers, avec les moutons, avec les vignes, avec les pierres. Saint Pol dict, Rom., 8 : Quos præscivit, et prædestinavit conformes fieri imaginis Filii sui. Il s'appelle nostre frere, il nous appelle ses amis et ses coheritiers ; et d'abondant, il nous communique un nom duquel la chose est proprement incommunicable : Ego dixi : Dii estis, et filii Excelsi omnes . Mais remarques cecy : car Dieu nous appelle dieux ; le diable nous appelle dieux, quoy que non pas absolument, disant : Eritis sicut dii, scientes bonum et malum . C'est que Dieu nous attribue ces noms pour nous humilier et nous monstrer sa charité ; le diable nous les attribue pour nous faire tomber dans la superbe, et par ce moyen nous separer de la charité. En fin ces noms donnés aux hommes monstrent plustost la gloire de Dieu que celle des hommes : il a tant de bonté que de nous vouloir rendre semblables a luy, autant que nostre bassesse le peut porter.
Il ne faut donq pas, mes chers auditeurs, avec nostre petit entendement contreroller et sindiquer quand nous voyons que l'Eglise donne a certains grans Saintz, notamment a nostre glorieuse Maistresse, des tiltres excellens. Car il y a plusieurs noms qu'elle n'a pas seulement en apparence et similitude mays en verité, comme Mere de grace, Mere de Dieu, et par consequent Reyne des Anges et Imperatrice du Ciel et de la terre, Advocate des pecheurs, Mere de misericorde ; car celle qui est vrayement Mere de Dieu a tous ces tiltres avec plus de rayson, ce semble, qu'un roy ne porte le nom de son royaume. Les autres noms de ceste sainte Vierge s'entendent par proportion et participation, comme quand nous l'appelions nostre refuge, nostre esperance, parce qu'elle l'est en effect, bien que ce ne soit que par participation et par le moyen de son credit. [40]
Nostre Seigneur ayant dict a saint Pierre que quand il seroit viel il estendroit ses mains et seroit lié et mené la ou il ne voudroit pas, il luy dict : Sequere me. Saint Augustin demande pourquoy Nostre Seigneur dict a saint Pierre : Sequere me ; il respond que c'est comme s'il luy eust voulu dire : Quant a toy, Pierre, tu me suyvras non seulement a la mort, mais encor quant a la façon de la mort ; en quoy Euthymius s'accorde, quoy que Theophylacte entende par ces parolles, que Nostre Seigneur luy vouloit dire : Sis vicarius meus. L'une et l'autre exposition est bonne, car Nostre Seigneur luy dict : Sequere me, en suite de ce qu'il luy avoit dict auparavant. Or, il luy avoit dict deux choses. Premierement : Pasce oves meas, secondement : Cum autem senueris, extendes manus tuas, etc. ; et partant il dict apres, par deux fois : Sequere me. La premiere, apres qu'il luy eut praedict sa mort : Cum hoc dixisset, dicit ei : Sequere me, Joan., 21 ; comme s'il eust voulu dire : Tu seras crucifié, pour te monstrer que tu ne repaistras pas seulement mes brebis de ma parolle, mais encores de mon exemple ; sois donq pasteur, mon vicaire et mon lieutenant. Lautrefoys il luy dict : Sequere me, quand il se fut informé que deviendroit saint Jan : saint Jan demeurera comme il me plaira ; quant a toy, il faut que tu me suives, non seulement au vicariat et gouvernement de mon Eglise, mays encores en mourant sur une croix comme moy.
Le lieu ou saint Pierre a esté crucifié, c'est Rome sans doute, car ainsy le rapporte toute l'antiquité ; de quoy nos adversaires sont bien marris, et veulent non seulement nier qu'il soit mort a Rome, mais encores qu'il y aye reside, avec des raysons les plus impertinentes et frivoles qu'on se puisse imaginer. Et neantmoins Papias (au recit d'Eusebe), disciple des Apostres, nous en asseure, apportant pour tesmoignage que saint [41] Pierre date sa premiere Epistre de Babylone, c'est a dire de Rome, interpretation laquelle est suyvie du grand saint Hierosme, au traitté qu'il a faict Des hommes illustres. Mays quelque esprit peu versé et mal affectionné aux choses de la foy me dira : Donques Rome s'appelle Babylone ; Salutat vos, inquit, Ecclesia in Babylone collecta ; I Petri, cap. 5 . Ouy vrayement, car l'idolatrie regnant en ce tems la a Rome qui estoit baignëe du sang des Martirs par la tyrannie de Neron, ceste ville devoit estre appellëe neronienne ou Babylone, et non pas chrestienne. Et pour cela, remarques que saint Pierre ne dict pas : L'Eglise de Babylone vous salue, mays : Salutat vos Ecclesia in Babylone coelecta. L'Eglise romaine estoit in Babylone, sed non de Babylone, comme antichristi multi ex nobis prodierunt, sed non erant ex nobis ; I Joan., 2 . Ainsy se doit entendre cest autre passage : Babylon sedebat supra septem montes.
Saint Pierre donq estant a Rome et disputant contre Simon magicien, apres avoir gouverné l'Eglise environ vingt cinq ans, Neron le voulut faire mourir. Mays estant prié par les Chrestiens qu'il se conservast, comme tres necessaire a l'Eglise, laquelle ne peut perdre son chef sans recevoir quelque desarroy, il s'en alloit hors de Rome ; et comme il fut hors de la porte, Nostre Seigneur luy apparut. Lhors ce grand Saint, avec son ordinaire simplicité, luy demanda ou il alloit : « Domine, quo vadis ? » auquel Nostre Seigneur respondant : « Vado Romam, iterum crucifigi, » saint Pierre par ces paroles conneut que Nostre Seigueur vouloit estre crucifié en sa personne, puysqu'il a dict : Quod uni ex minimis meis fecistis, mihi fecistis ; Matth., 25 . [42] Il rentra soudain dans la ville, et fut incontinent saysi et condamné a estre crucifié ; mays par humilité, il demanda d'estre crucifié la teste en bas et les pieds en haut, ne voulant pas, par respect, estre du tout semblable a son divin Maistre. Ainsy le grand saint Pierre estant viel glorifia Dieu estendant ses mains, comme il luy avoit esté prædict. Or, tout ce que je vous ay dict est rapporté par des autheurs irreprochables, a l'opinion desquelz il n'y a homme de bon jugement qui ose s'opposer. C'est saint Ambroyse en son oraison Contre Auxence, saint Athanase en son Apologie pour sa fuitte, saint Hierosme sur saint Pierre, outre les memoyres qui sont encores a present a Rome. Ainsy donq le glorieux saint Pierre alla apres et suyvit Nostre Seigneur, non seulement en ce qu'il fut son lieutenant en ce monde, mais encores en ce qu'il mourut en croix comme luy.
Quand Dieu crea cest univers, voulant faire l'homme il dict : Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram, ut præsit piscibus maris, volatilibus cœli et bestiis terræ ; Gen., I . Ainsy me semble-il qu'il aye fait en sa reformation ; car voulant que saint Pierre fust le president et gouverneur universel de son Eglise, qu'il commandast tant a ceux qui sont dans les eaux de ce monde comme a ceux qui se retirent en la Religion pour voler en l'air de la perfection, il le voulut rendre semblable a luy, et me semble qu'il dict : Faciamus eum ad imaginem nostram, c'est a dire, semblable a Jesus crucifié ; c'est pourquoy il luy dict : Sequere me.
Narcisse, disent les prophanes, estoit un enfant si [43] desdaigneux qu'il ne voulut jamais donner son amour a personne ; mays en fin se regardant dans une claire fontayne, il fut extremement espris de sa beauté. Quand nous nous regardons dans une fontayne, nous semblons y estre representés antipodalement, la teste en bas et les piedz en haut. Ne penses vous pas que Nostre Seigneur regardast saint Pierre en son martire, puysque oculi ejus in pauperem respiciunt ? Il le voyoit comme dans les eaux d'amertume et de tribulation, crucifié les piedz en haut, en sorte qu'il estoit comme son vray pourtrait. Et si Narcisse qui n'ayma jamais aucune personne, fut si espris voyant sa propre ressemblance, combien plus Nostre Seigneur qui ne fit jamais qu'aymer ? Aussi son cher Disciple disoit de luy : Cum dilexisset suos, in finem dilexit eos, Joan., 13 ; et en un autre lieu, il est dit : In charitate perpetua dilexi te ; Hierem., 31 . Combien plus, dis je, penses vous que ce divin Sauveur fust espris de l'amour de saint Pierre, qui estoit comme son image, plongé dans les eaux de la tribulation du martire ? Nonne oportuit, dict il aux disciples d'Emaüs, Christum pati, et ita intrare in gloriam suam ? Luc., 24 ; de mesme je diray : Nonne oportuit Petrum pati, et ita intrare in gloriam Domini sui ? Ouy sans doute, car Nostire Seigneur luy avoit dict : Sequere me ; viens a la gloire, mays comme moy.
Regardes en la Passion : vous trouveres que Nostre Seigneur ne pouvant porter sa croix, tant il estoit accablé de tourmens, on fit venir un certain homme pour luy ayder, lequel l'alloit suyvant, portant la croix sur ses espaules. L'Evangeliste ne nomme pas la pluspart des personnes qui se trouverent a la Passion ; mais cestuy ci, il le nomme, non sans mistere, et l'appelle Simon. Simon porte la croix apres Nostre Seigneur ; [44] la Croix est le sceptre royal de Nostre Seigneur : Et principatus ejus super humerum ejus (Is., 9 ), comme saint Hierosme l'interprete. Ce signe estoit comme un præsage pour saint Pierre, qu'il porteroit un jour la Croix et le sceptre de Nostre Seigneur, non solum patiendo, sed etiam regendo. Simon Cyreneen porte la croix pour monstrer que nostre Simon auroit en main la Croix de Nostre Seigneur, comme un sceptre, pour commander en l'Eglise militante et pour endurer.
D'icy je vous puys conduire a l'intelligence d'une autre difficulté, que je vous veux esclaircir : c'est que Nostre Seigneur voulant donner le gouvernement de sa bergerie a saint Pierre, il l'appelle tousjours Simon Joannis, non pas Pierre, encores que luy mesme luy eust changé de nom. D'où vient cela ? Un excellent docteur de nostre tems croit que c'estoit a fin que saint Pierre fust adverti de ne point s'enorgueillir, et qu'il se souvinst de ce qu'il estoit devant que Nostre Seigneur l'appellast Pierre ; mays il y a, comme j'estime, un plus profond mystere. Quand Nostre Seigneur voulut monstrer a saint Pierre qu'il le vouloit faire chef de l'Eglise, il luy dict : Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam ; en quoy, comme il luy communiquoit la charge de son troupeau, aussi luy donnoit il l'un de ses noms qui signifie puyssance ; car le nom de Pierre est un des noms que l'Escriture attribue a Nostre Seigneur : Petra autem erat Christus, I Cor., 10 ; Lapis quem reprobaverunt ædificantes, hic factus est in caput anguli Epist. I. B. Petri, cap. 2 ; donq, luy promettant sa lieutenance au gouvernement de son Eglise, il luy donne encores un de ses noms qui signifie puyssance. [45]
Mays d'autant qu'il ne le vouloit pas seulement faire son lieutenant, ains encores luy prædire qu'il endureroit la mort de la croix, il luy donne encores un nom de passion, de croix et de martyre, nom lequel estoit propre a Nostre Seigneur. Et quel nom de martyre, de passion et de souffrance avoit Nostre Seigneur ? Le nom que nous devrions tous avoir au cœur pour nous encourager a l'observation des commandemens divins : c'est le nom d'obeyssant. Escoutes ce que dict l'Apostre : Factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis ; Philip., 2 . Le nom de Simon en hebrieu veut dire obeyssant ; donques Nostre Seigneur qui luy communiqua le nom de puyssance quand il luy promit la puyssance, luy communique maintenant son nom de passion et de souffrance quand il luy prædit sa mort : si bien que l'on peut dire que Petrus factus est Simon usque ad mortem.
Saint Pierre une fois fit le courageux, disant a Nostre Seigneur : Etiam si oportuerit me mori tecum, non te negabo (Matt., 26 ) ; puys, a la voix d'une chambriere, il le renia troys foys, et ayant reconneu son peché, tout incontinent il se retira pour le pleurer amerement ; et non seulement alhors, mays il le pleura toute sa vie, ainsy que dict saint Clement, de sorte qu'il pouvoit bien dire : Seigneur, vous m'arrouseres de l'hyssope de la contrition, et je seray nettoyé de mon peché ; vous me laveres dans l'eau de mes larmes, et je seray plus blanc que la neige. Mays neantmoins les Centuriateurs de Magdebourg ne laissent pas de reprocher ce peché a saint Pierre, et l'appeller horrible et execrable. De vray, c'estoit un peché que la crainte de la mort luy fit commettre ; mays ilz feroyent mieux de se garder de pecher que d'exagerer ainsy la faute de saint Pierre. Or, il me semble que ce grand Saint estant sur la croix, disoit a telles gens ces parolles que saint [46] Pol disoit aux Galates : De cætero nemo mihi molestus sit ; ego enim stigmata Domini mei in corpore meo porto ; comme s'il vouloit dire : Que personne ne me vienne plus reprocher mon peché ; car, outre que je m'en suis lavé dans mes larmes, maintenant je fais preuve de ma fidelité, reparant par ma mort la faute que j'avois commise par la crainte de la mort.
Avant que de finir, je veux satisfaire a la curiosité de ceux qui pourroyent demander pourquoy saint Pierre voulut mourir la teste en bas. La premiere cause fut par humilité. La seconde, pource que Nostre Seigneur avoit les piedz contre la terre, pour monstrer qu'il estoit venu du Ciel en terre ; saint Pierre a les piedz contre le ciel, pour monstrer qu'il alloit de la terre au Ciel. De plus, Nostre Seigneur, quand il mourut, avoit tousjours la face et les yeux tournés contre la terre, pour monstrer qu'il n'auroit pas moins de soin de son Eglise apres sa mort qu'avant icelle, et qu'il vouloit tousjours en estre le Pasteur ; saint Pierre renversa la teste contre la terre, et les yeux contre le ciel, pour monstrer qu'en mourant il quittoit sa charge a son successeur. Ainsy Nostre Seigneur est tousjours chef de l'Eglise, mays non pas saint Pierre ; Nostre Seigneur a son vicaire, et saint Pierre a son successeur.
Saint Pierre en outre renversa la teste contre terre pour monstrer que, s'en allant au Ciel, il laissoit neantmoins sa succession en terre, de laquelle Nostre Seigneur luy dict : Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam. Imagines vous que saint Pierre est le premier fondement apres Jesus Christ ; puys ses successeurs se sont fondés successivement sur luy, comme pierres angulaires qui tiennent ensemble le bastiment de l'Eglise. C'est la pierre de touche avec laquelle l'on connoist tousjours le faux or de l'hæresie ; c'est la pierre quarrëe du temple de Salomon. Il est dict que ce [47] Roy fit chercher des pierres pour fonder son temple, et qu'on les fit esquarrer ; Nostre Seigneur ayant choysi nostre saint Apostre pour estre apres luy la premiere pierre du fondement de son Eglise, il la fit esquarrer en croix. Et de mesme que dessus une pierre fut escritte la loy mosaïque, aussi sur ceste pierre vivante fut escritte la loy evangelique. Si vous estes en doute comme il faut entendre ceste loy evangelique, alles a ceste pierre pour apprendre comme il faut croyre : sur quoy je ne m'arresteray pas beaucoup, pour le prouver amplement, ne m'estant proposé pour sujet de ceste exhortation que la mort de saint Pierre, me contentant de vous apporter pour le present une seule rayson, mais qui est fondamentale.
L'Eglise est une monarchie, et partant il luy faut un chef visible qui la gouverne comme le sauverain lieutenant de Nostre Seigneur ; car autrement, quand Nostre Seigneur dict : Die Ecclesiæ, a qui parlerions nous, ou comment conserverions nous l'unité de la foy ? Et quand une personne se voudroit emanciper, qui la pourroit reduire au bercail ? Comment pourroit on empescher qu'il n'y eust de la division dans l'Eglise ? Autrement, lhors que, comme dict saint Hierosme, « totus orbis se Arianum esse miratus est, » comment se fust il converty ? Omne regnum in se divisum desolabitur ; Luc., 11 .
C'est donq chose certaine que l'Eglise doit avoir un lieutenant general ; or voyons maintenant quel il peut estre. Non autre, certes, que saint Pierre et ses successeurs. Et laissant a part le consentement universel de tous les siecles, notamment des huict premiers, ainsy qu'il se voit clairement dans la Visible Monarchie de Sander, voyci une rayson puyssante : pource que jamais il n'y a eu Evesque qui ait pensé d'estre sauverain et [48] commun pasteur de toute l'Eglise, que les successeurs de saint Pierre, et jamais on n'a mis en doute ni proposé qu'aucun autre le fust ; sur tout maintenant il n'y a Evesque en tout le Christianisme qui s'attribue ceste qualité, et duquel on propose qu'il soit pasteur general, sinon le Pape. Les hæretiques ne veulent point de chef, et partant ilz ont esté divisés en tant de sectes ; les Catholiques reconnoissent le Pape pour le pere commun et le chef unique visible de toute l'Eglise ; les schismatiques n'en reconnoissent point. Que dirons nous donq ? Il n'y en a point qui ayent jamais pretendu de l'estre que les successeurs de saint Pierre ; il n'y en a point qui le pretendent, il n'y en a point de qui on aye jamais eu ceste pensëe que du Pape ; c'est une des verités que l'Eglise a tousjours creu : et d'autre part il faut qu'il y en aye un ; donques c'est luy sans doute. C'est luy duquel parle saint Hierosme en l'Epistre a saint Damase, ou il dict : « Non novi Vitalem, Meletium respuo, ignoro Paulinum. Quicumque tecum non colligit, spargit ; hoc est, qui Christi non est, antichristi est. »
Mays l'on me demandera pourquoy saint Pierre met le siege de la lieutenance de Nostre Seigneur a Romme, puysque Nostre Seigneur estoit mort en Hierusalem. La rayson en est bien aysëe a donner : c'est que Dieu avoit dessein de prendre les Gentilz pour son peuple, abandonnant l'ingrate nation des Juifz, non en la destituant des secours necessaires pour son salut, mays luy ostant les privileges qu'il luy avoit concedés, desquelz elle s'estoit rendue indigne. Ne sçaves vous pas ce que les Apostres saint Pol et saint Barnabé disent es Actes, parlant aux Juifz : Vobis primum oportebat loqui Mot Dei, sed quia repellitis illud, ecce convertimur ad Gentes ? Et ne sçaves vous pas ce que disoit [49] Osee en son second chapitre : Et dicam non populo meo : Populus meus es tu ; et ipse dicet : Deus meus es tu ? C'est dequoy parle saint Pol en son 9. chap. de l'Epistre aux Romains. Comme donques Nostre Seigneur mourut en Hierusalem, ut de Sion exiret lex et Mot Domini de Hierusalem (Mich., 4 ), pource qu'elle estoit le chef de la Judëe, ainsy voulut il transferer le siege de son Eglise a Romme, chef du Gentilisme, affin de dire populo non suo : Populus meus es tu. A Romme donques est mort saint Pierre, vraye pierre, non pas fondamentale premiere, mais deuxiesme ; car Nostre Seigneur est ceste grande premiere et angulaire pierre fondamentale, non seulement de l'Eglise militante, mays encores de la triomphante. Saint Pierre est pierre fondamentale fondëe sur la premiere, et seulement pour l'Eglise militante ; pierre ferme, rocher asseuré au milieu de la mer de ce monde, et lequel, plus il est battu, moins change-il de place.
C'est asses parlé sur la mort de saint Pierre ; que vous laisseray je pour prattique ? La premiere chose a quoy je vous exhorte est de remercier Dieu de ce qu'il nous a donné une telle pierre, sur laquelle nous appuyant, nous ne tomberons jamais. Et la seconde, pour la reformation de nostre entendement, je desirerois que nous fussions simples et fermes en la foy que la sainte Eglise nous enseigne, croyant fermement tout ce qui est escrit en ceste pierre, car je vous ay dict que la lo.y evangelique y estoit escritte. Croyons donques simplement, sous-mettons nostre entendement a la foy que Nostre Seigneur a fondé sur ceste pierre, car portæ inferi non prævalebunt adversus eam ; Matt., 16 ; Christus rogavit pro Petro ut non deficeret fides ejus ; Luc., 22 . C'est le chef de l'Eglise qui est la colomne [50] et le firmament de verité, comme dict saint Pol a son Timothee. Beatus qui allidet parvulos suos ad petram, dict le Psalmiste. Quand il survient quelquefois des fantasies es choses de la foy, certaynes petites suffisances, imaginations et pensëes d'infidelité, que feres vous ? Si vous les laisses entrer dans vostre esprit, elles vous troubleront et osteront la paix ; rompes et venes fracasser ces pensëes et imaginations contre ceste pierre de l'Eglise, et dites a vostre entendement : Ah, mon entendement, Dieu ne vous a pas commandé de vous repaistre vous mesme ; c'est a ceste pierre et a ses successeurs a qui cela appartient, donq : Beatus vir qui allidet parvulos suos ad petram.
Les autheurs qui ont traitté de la nature des animaux disent que l'aigle a le bec si vif et luy croist tellement, que souvent il l'empesche de prendre sa nourriture, et asseurent qu'elle ne meurt jamais sinon pour avoir le bec trop long et trop crochu. Ainsy me semble il que font plusieurs, lesquelz n'ayans que trop de vivacité en l'entendement, et pas asses de jugement, veulent neantmoins tout sçavoir, tout contreroller, et sur tout les matieres theologiques ; car la seule theologie, dict saint Hierosme, est celle dont un chacun se veut mesler. Ilz ont la pointe de l'esprit trop longue, et partant ilz ne peuvent prendre la viande de la foy en la maniere qu'il faut. Mais quel remede a cela ? Il faut qu'ilz fassent ce que dict saint Augustin que faict l'aigle, laquelle rompt et casse la pointe de son bec en le frappant contre la pierre ; apres quoy, estant delivrëe de cest empeschement, elle commence a mieux manger. Ainsy voudrois-je que ceux qui pensent sçavoir quelque chose, et, appuyés sur ceste imagination, laissent croistre la pointe et vivacité de leur esprit, par un certain raysonnement humain, si longue, que, par une certaine presomption d'eux mesmes, ilz ne veulent plus recevoir la saine doctrine de l'Eglise, qu'ilz viennent briser leur raysonnement [51] contre ceste pierre : Beatus qui allidet parvulos suos ad petram. Et notes que le Psalmiste ne dict pas simplement parvulos, mays parvulos suos. Pourquoy ? parce que les pensëes d'infidelité sont nostres, et les pensëes de fidelité sont de Dieu : Non sumus sufficientes cogitare aliquid ex nobis tanquam ex nobis, sed omnis sufficientia nostra ex Deo est ; 2. Cor., 3 . Ne regardons jamais les cogitations de la foy qui ne sont pas de Dieu ny fondëes sur la pierre de l'Eglise Catholique ; mays brisons les, et rompons leurs pointes contre ceste pierre, c'est a dire avec l'authorité apostolique de l'Eglise.
Mays outre ces pensëes qui sont les petitz de l'entendement dont parle le Psalmiste, il y a d'autres petitz de la volonté, qui sont nos pechés, desquelz encores je dis : Beatus qui allidet parvulos suos ad petram ; car Dieu a donné a ceste pierre la force et le pouvoir de remettre et oster les pechés. Et quand on vient aux pieds du prestre pour les confesser, qu'est ce autre chose sinon apporter les petitz de sa volonté a la pierre ? Et notes encores, mes chers auditeurs, qu'il dict parvulos suos, pour nous monstrer qu'il ne faut pas attendre que nos pechés soyent inveterés pour les confesser ; car quand ilz sont inveterés, il est tres difficile de les bien declairer et encores plus de s'en amender : Quoniam tacui, dict David, inveteraverunt ossa mea. Confessons nous donques souvent, puysque nous pechons souvent ; brisons nos pechés des leur commencement, contre ceste pierre.
Je sçay que vous desires tous extremement la paix, c'est pourquoy je vous diray avec le Prophete royal : Si vous la voules obtenir, addresses vous a Dieu par prieres et oraysons : Rogate quæ ad pacem sunt Hierusalem. Aymes le de tout vostre cœur, serves le [52] fidellement, evites soigneusement tout ce qui le peut offenser, et par ce moyen vous obtiendres la paix, car il dict : Pax multa diligentibus legem Dei, et non est illis scandalum. Or, puysqu'il n'y a personne si saint qui ne contrevienne quelquefois a la loy de Dieu, au moins tesmoignons que nous aymons ceste loy, en demandant pardon a Dieu, et venant briser nos pechés par la confession et pœnitence aux pieds du prestre, comme a une pierre fondëe sur la pierre de la foy : Beatus vir qui allidet parvulos suos ad petram.
En fin je desirerois que nous fussions tous crucifiés a l'exemple de saint Pierre. La guerre, la pauvreté et les autres miseres nous crucifient, il est vray, mais elles nous crucifient comme le mauvais larron et non comme saint Pierre ; c'est a dire qu'au lieu de prouffiter de ces maux, nous en empirons. Ha, saint Pierre est crucifié de la Croix de Jesus Christ. Il ne suffit pas de prendre sa croix, mays il faut encores suivre Nostre Seigneur, car apres qu'il a dict : Tollat crucem suam, il adjouste : Et sequatur me ; alhors la croix nous seroit douce, alhors nous trouverions la vie en la mort, et les consolations es adversités.
Quand Helie fuyant la persecution de Jezabel, eut fait une journëe de chemin, se trouvant sous un genevrier, il est dict que petivit animæ suæ ut moreretur, et ait : Sufficit mihi, Domine ; toile animam meam. Ainsy j'estime que saint Pierre se trouvant sous la croix, o qu'il fut content lhors qu'il vid le commandement que Nostre Seigneur luy avoit fait de le suivre, accomply ; lhors il vid ses desirs satisfaitz. Aussi, si tost que Nostre Seigneur le rencontrant luy eut dict qu'il seroit crucifié, il retourna tout incontinent dedans ceste ville, a cause du grand desir qu'il avoit d'estre a [53] l'ombre de ce saint arbre de la croix ; il ne dict rien a son divin Maistre et ne s'arresta point a s'entretenir davantage avec luy, ains s'en retourna au mesme instant. Mays ne penses vous pas qu'il dict alhors comme l'Espouse du Cantique : Sub umbra illius quem desideraveram, sedi, et fructus ejus dulcis ? Et quel est ce fruict ? C'est la vie æternelle. Donques, assouvi de tous ses desirs, je crois qu'il repeta encores comme Helie : Sufficit mihi, Domine ; tolle animam meam. On trouve que saint André son frere vesquit deux jours sur la croix, enseignant le peuple, monstrant bien que cest arbre estoit l'arbre de vie et que sur cest arbre la mort avoit esté vaincue ; de maniere que je pense qu'a l'exemple d'Helie, saint Pierre demanda a Nostre Seigneur qu'il retirast son ame : Petivit animæ suæ ut moreretur. Ainsy puissions nous tous mourir, mes chers auditeurs, crucifiés en la Croix de Nostre Seigneur, affin de suivre en la vie æternelle Celuy que nous suivrons en la mort. Quis dabit nobis pennas velut columbæ ?
O glorieux Apostre, impetres nous la grace d'appuyer tousjours nostre foy sur l'Eglise, laquelle estant fondëe sur vous apres Nostre Seigneur, comme sur une pierre ferme, est la vraye colomne et le firmament de verité. Je sousmetz tousjours a vos pieds ce que jamais je diray en la chaire et hors d'icelle ; car vous estes ceste pierre sur laquelle a esté fondëe l'Eglise de Jesus Christ, auquel soit honneur et gloire par tous les siecles des siecles. Amen. [54]
In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen.
O Domine, quia ego servus tuus ; ego
servus tuus, et filius ancillæ tuæ.
Dirupisti vincula mea : tibi sacrificabo
hostiam laudis, et nomen Domini invocabo.
Si l'ancienne Sinagogue, par le commandement de Dieu, celebroit si solemnellement le premier jour de chasque mois, qu'on appelloit neomenie, en reconnoissance du gouvernement et solicitude que Dieu a des hommes, il me semble, que nous avons tout'occasion a ce premier jour du mois d'aoust de solemniser la feste que nostre Mere l'Eglise nous y presente, puysque elle se faict en contemplation d'un miracle auquel reluit tres [55] clairement la faveur et assistence de Dieu aux prieres de son Eglise, sa providence sur le chef general d'icelle, et la misericorde que sa Majesté a usëe vers le paganisme (duquel nous sommes la race) en [la] translation de son Eglise d'entre les Hebreux aux Gentilz.
Et si les Romains anciens solemnisoyent ce premier jour a lhonneur de leur Empereur Auguste, duquel le nom mesme fut donné a ce mois, ne vous semble il pas raisonnable que changeant le corporel au spirituel et le mondain au Christianisme, au lieu de la feste de l'Empereur paien, nous faisions feste a lhonneur de Dieu, sous le nom de son lieutenant general, vray Empereur de l'Eglise militante, tres auguste, tressainct et tres grand Prince des Apostres, et par la grace de Dieu protecteur et patron de ceste nostre Eglise pastorale ?
Et puisque entre toutes les festes qu'on celebre de cest arch'Apostre, nos peres ont choisy pour leur particuliere celebrité ceste journëe neomenie et calende, je vous veux dire et vous diray ce qu'en cas pareil dict le Psalmiste roial : Buccinate in neomenia tuba, in insigni die solemnitatis vestræ ; Sonnes en ce premier jour du mois, de la trompe en grand liesse, puisque c'est le jour signalé que vous aves choisi pour honnorer vostre Patron solemnellement. Buccinate donques, etc.
Mais affin que je ne vous invite pas au son de la trompe sans trombe, me voicy tout tel que je suys, que je m'offre a vous tres affectionnement pour vous servir de trombe. Et a cest'intention ay je esté dedié par la benediction episcopale que je viens de recevoir, par laquelle, quand je l'ay ouÿe, il me sembloit entendre que Dieu me dict : Quasi tuba exalta vocem tuam . Serves vous donques de moy aujourdhuy comme d'une trombe, et quoy qu'elle soit rauque et foible et carcassëe, ne laisses pourtant de vous en servir, attendant mieux, pour sonner au moins en ceste vostre solemnité. [56] Buccinate in neomenia tuba, car pour cest'heure icy je suys commandé de cela, et vous aussy, quia præceptum in Israel est . Je suys tout prest, mais fournisses moy de souffle et d'haleyne, car ce n'est pas l'office de la trombe mays du sonneur. Soustenes moy, et inspires et soufles puyssamment, par les souspirs et devotions que vous jetteres aux pieds de la glorieuse Vierge pour impetrer la faveur du Saint Esprit, saluant ceste Dame, Mere de Dieu, du salut que le mesme Dieu luy fit fayre ; et par ainsy, non seulement, comme je vous disois, vous sonneres de la trombe en ce renouveau du mois, mays ce que vous dict le mesme Psalmiste : Laudate Deum in sono tubæ. Dites donques devotement Ave Maria.
Despuys n'ay je eu cest honneur de vous parler de la part de Dieu, que je vous rapportay ces paroles de nostre Maistre a son disciple saint Pierre : Cum esses junior, cingebas te et currebas ubi volebas ; cum autem senueris, alius cinget te, et ducet quo non vis ; et vous dis que ces dernieres paroles furent accomplies en la mort de ce glorieux Prince, lhors quil fut lié pour estre crucifié. Mays les parolles praecedentes, je ne vous dis poinct quand elles furent verifiëes ; ce que je fis affin de laisser toutes choses en leurs places. Je sçay bien que cela se peut entendre de la jeunesse et premieres annees de saint Pierre, esquelles il se ceignoit et se promenoit ou il vouloit ; si est ce neantmoins que les dernieres paroles estant misterieuses et s'entendant de la mort de saint Pierre, je crois encores que ces praecedentes couvrent quelque mistere. Et pour parler clairement, je crois que si les dernieres paroles, alius cinget te, s'entendent de la mort de saint Pierre, comm'il [57] n'en faut pas douter, les præcedentes s'entendent de l'emprisonnement du mesme, que l'Eglise celebre aujourdhuy. Ni vous ne deves pas vous arrester pour voir quil parle de cecy comme de chose passëe, car cela est coustumier en l'Escriture, notamment en paroles prophetiques, d'exprimer le futur par le præsent, a cause de l'egalité de la certitude, comme : Et super vestem meam miserunt sortem ; In omnem terram exivit ; Puer natus est ; Tu es sacerdos in æternum , et infinis autres. Mesmes qu'icy il y a bien de la consideration, car il met l'un au passé, l'autre au futur, quoy que et l'un et l'autre fusse futur, pour monstrer la notable distance quil y devoit avoir entre l'un et l'autre accident.
Nostre Seigneur donques ayant praedict a ses Apostres quilz devoyent estre persecutés pour son nom, Math, 10 : Ecce ego mitto vos in medio luporum, et en saint Jan, 16 : Venit hora ut omnis qui interficit vos arbitretur se obsequium præstare Deo, il veut encores en particulier [prédire] a saint Pierre les assaultz quil devoit recevoir pour son nom, par un particulier privilege quil faict au Prince des Apostres.
En saint Jan, 16 , Nostre Seigneur ayant praedict aux Apostres les persecutions quilz devoyent endurer, il leur donne la rayson pour laquelle il le leur praedict, laquelle servira a present a ceux qui me demanderont pourquoy j'apelle privilege du Prince des Apostres qu'on luy aye praedict sa mort et son emprisonnement : Ut, cum venerit hora eorum, reminiscamini quia ego dixi vobis.
Ce n'est pas peu de consolation quand on endure [58] quelque chose, de se resouvenir que celuy pour lequel on endure en sçait gré. Et partant, ut reminiscamini quia ego dixi vobis.
Le courage croit extremement a celuy qui endure, quand celuy pour lequel il endure a soufert beaucoup au præalable pour soy. Donques, ut reminiscamini quia ego, qui ay tant enduré pour vous, dixi vobis.
De plus, quand les Apostres voyoient estre advenu le tems de la tribulation prædicte par Nostre Seigneur ainsy infalliblement, ce leur estoit un'arre que le tems de la recompence prædict, Et gaudium vestrum nemo tollet a vobis, Gaudete et exultate, quoniam merces , viendroit aussy infalliblement. Et hæc locutus sum vobis, ut, cum venerit hora eorum, reminiscamini quia ego dixi vobis.
Mays outre tout cela, qui est pour monstrer que la praediction de Nostre Seigneur apportoit grande consolation a l'heure de la tribulation, ell'apportoit encores consolation tout le tems de la vie. Car n'est ce pas une grande consolation de sçavoir qu'on doit estre si grand aupres de son Maistre que de boire dedans sa couppe mesme ? La couppe de Nostre Seigneur c'est la tribulation : Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum ? Calice qui est si praetieux que le Pere æternel ne voulut jamais le changer pour son Filz, lequel, comme sil eut esté trop puyssant et fumeux pour la bouche de la partie inferieure de son humanité, il s'excusoit de le boire, se sousmettant neantmoins a la volonté du Pere. Calice et couppe pleyne de si prætieuse liqueur que Nostre Seigneur aillieurs, parlant non selon le goust de la partie inferieure, mays selon le goust de la partie superieure, il prend a poinct d'honneur [59] qu'on le veuille empescher de le boire : Calicem quem dedit mihi Pater, non vis ut bibam illum ?
Ce n'est donq pas peu de faveur que Nostre Seigneur faict a saint Pierre de luy praedire ainsy particulierement et sa mort et sa prison. Sa mort : Extendes manus tuas, et alius te cinget ; sa prison : Cum esses junior, cingebas te et ambulabas ubi volebas. Car si vous regardes l'histoire du mistere du jourdhuy, vous verres que saint Pierre estant commandé de l'Ange de se ceindre, præcingere, fecit sic , il se ceignit. N'est ce pas ce que Nostre Seigneur luy avoit prædict : Cum esses junior, cingebas te ? Et, ambulabas ubi volebas, lhors que les liens de saint Pierre estans rompus par l'Ange, exiens sequebatur ; et pouvoit bien dire partant de la prison : Dirupisti vincula, etc.
Les liens donques de saint Pierre, aussi bien que sa mort, furent praedicts. Mays non seulement ilz furent praedicts, mays encores sont tracés au modelle de la Passion de Nostre Seigneur, aussi bien que sa mort ; si que, encores quand aux liens, il semble que Nostre Seigneur dict a saint Pierre : Sequere me . Vous vous resouvenes bien du mistere de la Passion, duquel l'imagination ne doit jamais partir de vostre memoyre. Vous sçaves bien que Nostre Seigneur fut envoyé lié et garrouté par devant Herodes, et puys fut renvoyé a Pilate ; ainsy, affin que saint Pierre verifiast le sequere me de Nostre Seigneur, il fut prisonnier par devant Herodes, et puis de la, renvoyé a Pilate, c'est a dire au maistre de Pilate, l'Empereur romain.
Mes Freres, l'Eglise ne devoit pas demeurer en Judëe, et partant Nostre Seigneur ne meurt pas par les mains des Juifz ni des Rois de Judëe ; mays elle devoit venir entre les Gentilz, a Romme, et partant il meurt entre [60] les mains de Pilate et des Romains. Ce que saint Hierosme remarque avoir esté figuré en la mort de saint Jan, duquel on trancha la teste ; car il estoit figure de la Sinagogue, de laquelle le chef, Nostre Seigneur, a esté separé. La teste de saint Jan fut donnëe a ceste fille de la belle seur d'Herodes ; ainsy le chef de l'Eglise a esté donné a la Gentilité. La fille donna la teste de saint Jan a sa mere ; ainsy, avant la consommation, l'Evangile sera rapporté par nous autres aux Juifz. Ceste cy est l'occasion pour laquelle Nostre Seigneur delivra saint Pierre des liens, par un si grand miracle, affin quil ne mourut pas en Judëe mais a Romme, pour y fonder l'Eglise. Saint Jaques meurt en Judëe, mays saint Pierre est delivré ; pour ce que saint Jaques n'est pas la pierre sur laquelle Nostre Seigneur a fondé son Eglise. Et c'est ce qu'a la fin de l'histoire, note saint Luc : Et egressus abiit in alium locum.
Mays l'histoire me semble trop belle et pleyne d'excellens misteres pour ne pas, au moins de gros en gros, selon le tems, l'expliquer. Dict donques l'historiographe, qu'Herodes se prit a persecuter quelques uns de l'Eglise, et entr'autres, il fit mourir par l'espëe le glorieux saint Jaques, duquel nous celebrions la feste il y a huict jours. Voyant que cela plaisoit aux Juifz, il voulut mesmes prendre saint Pierre, lequel estant pris fut mis en prison. Or, toute l'Eglise prioit Dieu sans intermission pour iceluy. Et la nuict estant venue, apres laquelle Herodes le devoit livrer a mort, saint Pierre dormant entre deux soldatz, lié de deux chaines, voicy l'Ange qui luy assista et une grande lueur se fit en la prison ; lequel frappant saint Pierre au costé, l'esveilla disant : Leve toy vistement. Lhors, les cheynes luy tumbant des mains, l'Ange luy dict : Ceins toy et te chausse, mets tes vestemens et me suys. Saint Pierre suit, ne sachant [61] bonnement si c'estoit un songe ; et passans jusques a la porte de fer, elle s'ouvrit d'elle mesme, et ayant faict quelque chemin, l'Ange disparut, et saint Pierre, retourné a soy mesme, il dict : C'est maintenant que je sçay que Nostre Seigneur a envoyé son Ange, et m'a delivré de la main d'Herodes et de toute l'attente du peuple des Juifz.
Herodes eut une fois peur que Nostre Seigneur ne fut Roy pour le deposseder de son royaume, et ceste peur luy a tousjours duré et dure jusques a huy. Herodes prit en hayne la discipline ecclesiastique, tuant saint Jan. Herodes emprisonna une fois saint Pierre, et persecuta l'Eglise, et tua saint Jaques, etc.
Le grand philosophe chrestien, Justin le Martir, en l'Apologie a Antonin, rejette l'erreur d'aucuns qui se faisoient acroire que l'Eglise vouloit lever le magistrat seculier, et sous ce pretexte, la persecutoient. C'est ce qui la faict encor persecuter maintenant : certaine rayson d'Estat. Je m'en rapporte a la France : personne ne veut la grandeur [de] l'Eglise maintenant, on la mettroit volontier sub modio ; mais Nostre Seigneur ne le permettra jamais. Ah, ja Dieu ne playse que jamais ce malheur arrive en Savoÿe ; non, non. Qui me contemnunt erunt ignobiles : ja Dieu ne plaise que nous nous procurions les malheurs pour la mauvaise affection qu'on a a l'Eglise, que nos praedecesseurs ont fuis et evités, et surmontés et chassés par leur devotion. Il faut fayre ceste resolution, que non inveniet Deum in die judicii Patrem, qui in terra Ecclesiam non reveretur ut matrem . Chascun veut fayre a sa fantasie ; et la discipline ecclesiastique, chascun la mesprise, personne ne [62] la veut souffrir. Croyes que si en quelques uns est verifié : Erunt reges nutritii tui , en plusieurs il est verifié : Principes persecuti sunt me gratis . Saint Pierre est tousjours persecuté en ses successeurs.
Regardes un peu le premier Psalme, et vous y verres naifvement descrit saint Pierre ou le Pape. C'est ce vir qui doit confirmer et corroborer ses freres ; c'est ce beatus, car on l'appelle saint. C'est celuy qui non abiit in consilio impiorum, quia rogavit pro te ut non deficiat fides sua. C'est luy qui in via peccatorum non stetit, car il demeure en sa bergerie : Pasce oves meas. C'est luy qui in cathedra pestilentiæ non sedit, puysque in cathedra seniorum laudant eum. C'est luy qui est planté secus decursus aquarum, puysquil a la perpetuelle influence de la foy. C'est luy qui ne seche jamais et rend bon fruict en son tems, puysque de son fruict se repaissent les ouailles du Seigneur, et a l'abril de ses feuilles, elles sont gardees et du chaud et du froid ; car c'est d'elles que parle le Psalmiste : Sol non uret te per diem, neque luna per noctem.
Mais oyes comme incontinent apres avoir descrit ce grand Pasteur, il descrit les traverses qui luy doivent arriver. Quare fremuerunt gentes et populi meditati sunt ? Astiterunt reges terræ . Abel fut le premier pasteur et agreable sacrificateur, et Cain maistre de la terre, qui le tue, et puis respond : Nunquid custos sum fratris mei ? David incontinent est persecuté de Saul ; Joseph de ses freres, et Jacob d'Esau. [63]
Mays regardes un peu l'occasion pour laquelle Herodes emprisonne saint Pierre : Videns autem quia placeret Judæis, apposuit apprehendere et Petrum . Le desir de regner faict fayre tout : Herodes n'estoit pas de la race roiale, mays estranger ; pour establir son royaulme, il veut complaire aux Juifz en chose mesme meschante. Saint Pierre donques estant emprisonné et gardé a bon escient, l'Ange de Dieu vint avec une grande lumiere et le trouva dormant, et le frappant sur le costé, il l'esveilla et luy dict : Surge velociter, leve toy vistement.
Grand cas, qu'estant venu le jour auquel saint Pierre devoit estre executé, il dort. Quand on a quelque crainte on ne peut pas dormir, sinon qu'elle soit du tout grande, comme celle de Jonas lequel au milieu des tempestes s'en alla dormir. Ce sommeil estoit un sommeil de detresse, duquel parlant David, il dict : Dormitavit anima mea præ tædio. Mays je crois que saint Pierre a esté trop hardi ci devant pour dormir maintenant ; je crois quil dormoit d'asseurance, comme quand le mesme, Psalme 3 , apres avoir dict : Domine, quid multiplicati sunt qui tribulant me ? monstrant que pour tout cela il ne perdoit poinct courage, il dict : Ego dormivi et soporatus sum, et exurrexi.
Et d'abondant, il y a un autre mistere. Ne sçaves vous pas que Nostre Seigneur voulant former Eve de la coste d'Adam, il l'endormit et tira une de ses costes ? Ainsy Dieu voulant ce jourdhuy envoyer saint Pierre [64] a Romme fonder son Eglise, il le faict dormir et frapper au costé, comme sil vouloit dire : Leve toy vistement, et sache que comme sur la coste d'Adam je luy fonday son espouse, ainsy sur toy je fonderay et ædifieray mon Eglise a Romme. Ou bien, par un plus haut mistere, Nostre Seigneur dormant en croix entre deux larrons, fut frappé sur le costé, dont sortit sanc et eau, et forma son Eglise ; ainsy saint Pierre, affin quil suyvit Celuy qui luy avoit commandé : Sequere me. [65]
Beati oculi qui vident quæ vos videtis.
En ce delectable sejour que Dieu prepara pour nos premiers parens, et puys pour tous nous autres si le peché ne nous en eust chassés, il y avoit un fleuve pour arrouser ceste beniste contree, lequel sortant de la, se departoit en quattre diverses courses. Ainsy il me semble, Messieurs, que l'Evangile du jourd'huy soit un vray fleuve, arrousant en ceste journee toute l'Eglise, vray paradis terrestre, de celestes pensees, de considerations devotes et divines consolations ; duquel fleuve nous pouvons bien dire : Fluminis impetus lætificat civitatem Dei . Les quattre bras esquelz il se separe, sont quattre principaux documens qu'il contient : de bien croire : Beati oculi qui vident, etc. ; de bien esperer et desirer : Domine, quid faciendo ? etc. ; de bien aymer, et garder les commandemens : In lege quid scriptum est ? Diliges Dominum Deum tuum et finalement, de l'usage des Sacremens : Samaritanus [66] misericordia motus, alligavit vulnera ejus, infundens oleum et vinum . C'est de ces quattre fleuves que je voudrois bien vous faire boire maintenant ; mais ni je ne le puis faire, ni il ne vous prouffiteroit de rien, si Nostre Seigneur n'y apporte sa benediction, pour laquelle impetrer employons la faveur de la glorieuse Vierge, disant Ave Maria.
C'est une chose bien certaine et qui nous devroit bien consoler, que Jesus Christ Nostre Seigneur et Maistre, en toute rigueur de justice, avec un juste prix, a payé et satisfait a Dieu son Pere ce que nous avions merité de peyne pour tous nos pechés, et non seulement pour tous les nostres, mays pour tous ceux de tout le monde. C'est ce que le grand Docteur de nostre Gentilisme, aux Romains, 5 , proteste, disant : Ubi abundavit delictum, superabundavit et gratia. Il y avoit, veut il dire, des pechés en abondance, mais de grace, il y en a eu en surabondance, prenant la grace pour ceste satisfaction.
Le gentilhomme saysi de l'amour d'une damoyselle, voyant qu'elle desire extremement une bague rare, ou seule en toute la province, surpris d'affection, ne demandera pas de quel prix est ceste bague, mais de prime abord en presentera prodiguement plus qu'elle vaut, ne regardant aucunement au prix, pourveu qu'il aye ce dont il pense contenter sa chere dame. Ainsy nostre Sauveur voyant que la divine Majesté de son Pere avoit extremement a cœur ceste bague ou dragme, la nature humaine, sans s'informer ni du prix ni d'autre chose, de premier abord pour nous racheter, il presente, d'une tres pure et tres liberale affection, un prix que ni nous ni les Anges ne valons pas, une satisfaction beaucoup plus grande que tous les pechés du monde n'avoyent peu meriter ; d'ou saint Pol, en la 1. aux Cor., ch. 6 , dict : Empti estis pretio magno ; Vous aves esté [67] rachetés avec un grand prix. Le prix certes est grand, au respect de la valeur de la chose.
Ou bien disons que Nostre Seigneur a faict comme le bon mary, lequel voyant sa chere moitié atteinte de peste, sçachant quelque expert medecin qui en sceust guerir avec des tablettes, il va, et poussé d'une extreme affection de voir sa compaigne guerie, il offre cent beaux escuz de ces tablettes, sans s'amuser a considerer que les ingrediens d'icelles ne valent pas trois solz. Ainsy Nostre Seigneur voyant la nature humaine empestëe du peché, pour la delivrer, il debourse l'inestimable thresor de ses bontés, sans regarder que toute la nature humaine ne vaut pas la moindre piece d'iceluy. Mays en ceste similitude se rencontre une grande dissimilitude : c'est qu'encores que la tablette ne vaille pas les cent escuz, l'espouse neantmoins vaut cent mille fois et infiniment plus, au lieu que la nature humaine, laquelle doit estre guerie, ne vaut rien au prix du sang de Nostre Seigneur.
Disons donques plustost que Nostre Seigneur a faict comme le cavalier lequel ayant un cheval faict a sa façon et qu'il ayme fort, l'appellant son favori, ce cheval estant piqué ou foulé, ou bien ayant quelque aposteme, ce cavalier pour le guerir, sans regarder a la valeur du cheval, employe en drogues plus que le cheval ne valut jamais. N'aves vous jamais ouÿ dire : Je voudrois avoir racheté ce cheval de troys fois autant qu'il valoit ? N'aves vous jamais veu des dames tuer des moutons pour nourrir un petit chien couard et caignard, qui ne valoit pas l'un des pieds du pauvre mouton ? Qui faict cela ? l'affection, non la valeur et juste estimation. Ainsy, Nostre Seigneur avoit un cheval, qui estoit l'homme : Comparatus est jumentis insipientibus ; et ailleurs : Ut jumentum factus sum apud te, et ego semper tecum. Ce cheval estoit affollé par son [68] peché : que faict nostre Sauveur ? Sans regarder a la valeur de ce cheval, il donne un prix qui vaut infiniment plus, et pour nourrir ce chien caignardier, il tue l'aigneau qui est luy mesme.
Ou bien disons que Nostre Seigneur ressemble au pere qui ayant son filz saysi pour crime, sans regarder a autre chose, donne au prince pour delivrer son filz plus que toutes les amendes a toute rigueur ne pouvoyent monter. Ou bien plustost disons que le cavalier voit son cheval saysi par les mains de justice ; c'est son bon cheval, c'est son sauve-l'amy : il va, il consigne tout incontinent trois et quatre foys autant que le cheval vaut, affin qu'il n'amaigrisse. Grande consignation fut celle par laquelle Nostre Seigneur consigna es mains de la justice paternelle tout son prætieux sang, duquel la moindre goutte valoit plus que tous les mondes que tu te pourrois imaginer, o mon Frere, ne sçauroyent valoir. Ce n'est pas donques merveille si Nostre Seigneur ayant fait un tel payement, il a rompu le decret par lequel nous estions livrés es mains du diable : Delens, dict le grand vase d'élection, Col., 2 , quod adversus nos erat chirographum decreti.
Mais, s'il vous plaist, oyes un peu la rayson theologique de cecy. La satisfaction est d'autant plus grande et plus valable que la personne qui la faict est grande, signalëe et de plus de merite. Exemple : si j'ay receu une injure d'un prince, et il m'envoye un laquais pour se reconcilier a moy et me faire satisfaction, ce n'est pas un grand honneur. Mays s'il m'envoye son filz propre, lequel me faict satisfaction et me prie ne me plus tenir pour offencé, c'est un grand honneur ; ceste satisfaction est plus grande que l'injure ne pouvoit estre. Aristote, en ses Ethic., liv. 5, chap. 5, dict que « si quelque grand personnage frappe, il ne le faut pas frapper ; si on le frappe, il faut estre non seulement refrappé, mays encor griefvement chastié. » Pourquoy ? d'autant qu'injurier [69] un grand est plus de peché qu'injurier un petit, et la moindre satisfaction que faict un grand vaut mieux que toutes les injures qu'il peut faire : ainsy quand on auroit receu un soufflet d'un grand, s'il monstre d'en estre fasché, c'est asses. Et de vray, qu'est ce faire satisfaction d'honneur, sinon faire et exhiber honneur ? Or est-il que l'honneur est plus grand a proportion de celuy qui le rend ; car le moindre honneur que faict un prince vaut plus sans comparayson que tous les honneurs que sçauroit rendre un homme de basse condition, d'autant que « honor est in honorante » (I Ethic., chap. 3), l'honneur est dans celuy qui le rend.
Disons donques : si l'honneur est d'autant plus grand que celuy qui le faict est grand, si la satisfaction est d'autant plus grande que celuy qui la faict est grand, quelle devra estre la satisfaction, quel l'honneur de celuy qui est infiniment grand ? L'honneur rendu, la satisfaction faitte par un personnage infini ne peut estre sinon infinie. Voyons maintenant ou nous en sommes. Nostre Seigneur estoit une personne infinie, il a satisfait pour nous ; sa satisfaction donques estoit et est infinie. Et ne me dites pas que le Filz de Dieu a satisfait selon la nature humaine, car je vous l'accorde, pour parler a la scholastique, si vous dites ut quo ; si vous dites ut quod je vous le nie, « quia actiones, » dit le philosophe, « sunt suppositorum. » Ce n'est pas la nature qui a enduré, ç'a esté la personne en la nature ; ce n'est pas l'ame qui discourt, c'est la personne par l'ame. Je sçay bien que l'offence avoit quelque infinité a rayson de la personne offencëe, qui estoit infinie ; mais c'est une infinité qui n'est pas tant aprincipio intrinseco comme celle qui se prend de l'agent.
O donques que David pouvoit bien dire : Quia apud Dominum misericordia et copiosa apud eum [70] redemptio ; vers nostre Seigneur, il y a une grande misericorde et une satisfaction ample et excellente. Dieu, bien infiny, avoit esté offensé ; Jesus Christ, bien infiny, a satisfait : l'homme s'estoit eslevé par superbe contre Dieu mesme ; Nostre Seigneur s'est humilié sous toute creature. Philip., 2 : Non rapinam arbitratus est, esse se æqualem Deo ; sed semetipsum exinanivit, formam servi accipiens. Et puys : Humiliavit semetipsum, factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis ; propter quod et Deus exaltavit illum, et dedit illi nomen quod est super omne nomen, ut in nomine Jesu omne genu flectatur. Entendes bien ceci : estant esgal a son Pere, il s'abbaissa et aneantit jusques a la mort, qui est la moindre de toutes les creatures, n'estant que privation ; et partant, Dieu son Pere luy donne un nom qui est au dessus de tout nom, a sçavoir le nom de Jesus, qui signifie Sauveur, comme s'il disoit : Il est justement Sauveur, puysqu'estant infini, avec son infinie satisfaction, il a payé en toute rigueur.
Jamais vous ne vous trouvastes plus esbahis que si vous lises deux passages qui sont en Job. L'un est au chap. 6 , ou il dict : Utinam appenderentur peccata mea quibus iram merui, et calamitas quam patior, in statera ; quasi arena maris hæc gravior appareret. Quelle hardiesse ! L'autre passage est au 9. chap. , ou Job dict : Vere scio quod non justificetur homo compositus Deo. Accordes l'un avec l'autre. Mais au dernier chapitre c'est bien chose plus admirable de voir que Nostre Seigneur dict que Job a [71] parlé droittement et justement devant luy, et commande a ses amis qu'ilz le prennent pour intercesseur. Je ne sçaurois que vous dire, sinon que ces parolles sont dites en la personne de Nostre Seigneur (ainsy qu'estime saint Gregoire, au septiesme de ses Morales, chap. 2), lequel a rayson de son infinie dignité, pouvoit bien dire que la moindre de ses peynes estoit sans comparayson plus considerable que tous les pechés de ses membres, qu'il appelle siens. C'est ce qui faict dire a Hieremie que Nostre Seigneur sera appellé Dominus justus noster : il l'est bien justement, puysqu'il a payé si cherement nostre rançon. Voicy la belle et preignante rayson pour laquelle Nostre Seigneur dict : Beati oculi qui vident quæ vos videtis ; comme s'il disoit : Quel bonheur est ce a vous de voir le tresor duquel on doit prendre la rançon de tout le monde.
Huguenotz, que dites vous de nous autres ? vous semble il pas que nous reconnoissons comme il faut la grace de Nostre Seigneur, sa redemption et mediation ? A vostre advis, ceste façon de discourir de la redemption ressent elle pas de la vraye Espouse de Jesus Christ ? Nous parlons bien plus magnifiquement de ce mystere que vous, et vous faites les bons valetz. C'est ainsy que parlent les deux luminaires de la theologie, saint Thomas, Docteur angelique, et mon fervent et seraphique Pere saint Bonaventure, desquelz le premier dict que la redemption de Nostre Seigneur « a esté mesme surabondante et plus que suffisante. »
La 2. rayson pour laquelle Nostre Seigneur a dict : Beati oculi, etc., est prise encores de ce mesme Docteur seraphique : pource que la gloire principale des yeux corporelz sera de voir Jesus Christ, et de l'ouye, de l'ouyr ; en l'autre monde sera parfaitte pour lhors ceste gloire qui n'a esté ici que commencëe, dont Job a dict : Credo quod Redemptor meus vivit, et in carne mea videbo Deum Salvatorem meum : quem oculi mei [72] conspecturi sunt. Mais sur tout, c'est de la foy que se doit entendre Beati oculi, comme s'il vouloit dire : Bienheureux estes vous, car vous aves en presence le desiré et attendu Redempteur ; bienheureux de ce que vous aves l'object de vostre beatitude ou vous commences de regarder ; mais vous n'aures pas ceste beatitude si vous ne croyes ce que vous voyes. Qui void et ne croid n'est bienheureux que comme les Juifz ; qui croid et ne void est bienheureux comme il fut dit a saint Thomas : Beati qui non viderunt et crediderunt ; qui void et croid est bienheureux encores comme saint Thomas, qui vid premierement, et puys creut ; mais qui croid et void : Beati oculi, etc. Donq le fondement de toute beatitude c'est la satisfaction de Nostre Seigneur surabondante ; la veuë du cors de Nostre Seigneur est la beatitude de nos yeux corporelz praeparëe ; mais ny l'un ny l'autre ne nous profitera de rien, si nous ne l'appliquons a nous mesmes par la foy, esperance, charité et par les Sacremens.
Donques, pour venir au poinct Beati oculi qui vident quæ vos videtis, il y a quatre endroitz par lesquelz Dieu peut venir en nous : l'entendement, la memoyre, la volonté et les sens exterieurs. Dieu vient dans l'entendement par la foy, et voyci la premiere application du sang de Dieu a nos ames. Saint Jan dict bien que Nostre Seigneur dedit eis potestatem filios Dei fieri ; mais qu'adjouste-il ? His qui credunt in nomine ejus ; et ailleurs : Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum, etc., ut omnis qui credit in eum non pereat, sed habeat vitam æternam. Il ne faut donques pas dire : Ah, Nostre Seigneur est mort, il suffit. Il suffit [73] vrayement, mais ceste mort n'effectue ny n'opere rien si on ne l'applique. Comparayson du bain pour le ladre, etc. Il y faut nostre cooperation, de laquelle le premier fondement est la foy, suivant le dire apostolique : Accedentem ad Deum oportet credere quia est. Donques, quoy que le sang immaculé soit prest, nous ne serons jamais heureux si nous ne croyons : c'est le commencement de nostre bonheur. Dicite invitatis quia parata sunt omnia mais pour cela, ny plus ny moins, si on n'y va, etc.
Vous me dires : Si ceste parolle s'entend de la foy, comme vient a propos ce qui s'ensuit : Dico enim vobis, quod multi prophetæ et reges voluerunt videre quæ vos videtis ? car il n'y a point eu de Prophetes qui n'ayent creu. Je vous ay desja dit que ceste beatitude s'entend principalement de la foy favorisëe de la præsence et confirmëe par experience, et je vous dis davantage qu'il s'entend d'une foy distincte et bien expliquee. Et partant il ne dict pas omnes, mais multi, d'autant que quelques Prophetes ont eu si particuliere revelation des mysteres evangeliques, qu'ilz semblent plustost Evangelistes que Prophetes : David, Hieremie, Esaye, Moyse. Abraham exultavit ut videret diem meum, vidit et gavisus est . Les autres ont veu en general ; entre lesquelz et les Apostres il y a autant de difference qu'entre ceux qui voyent de bien loin et confusement, et ceux qui voyent de pres et distinctement.
O que c'est une grande benediction que de bien croire. Beati oculi, etc., dict Nostre Seigneur. Je vous en diray tout autant, Messieurs : Beati oculi qui vident. Combien penses vous qu'il y a de peuples qui voudroyent voir ce que vous voyes ? Combien de Catholiques es [74] Allemaignes et en Angleterre, qui voudroyent avoir les commodités de leur salut, voir et ouÿr ce que vous oyes les Caresmes ? Combien es Indes y a il de peuples lesquelz, ayans seulement senti quelque petite fumëe de l'Evangile, par le bon exemple des Chrestiens qui trafiquent avec eux, se sont convertis ? Ilz n'ont pas encores eu ce bien d'avoir ceste bonne nouvelle que Jesus Christ est nay et mort pour nostre salut et resuscité pour nostre glorification ; ilz n'ont point de Prælat qui aye soin d'eux, ilz n'ont personne qui les conduise au bien croire ni au bien faire, monstrant bien leur affection en ce qu'ilz se convertissent a milliers avec grande pœnitence.
Qui pourroit jamais lire sans larmes ce qu'on escrit du bon capitaine Anthoyne de Paive, qui convertit si tost les roys des Mazacariens, des Sianiens et Supaniens ? Et qui ne se trouvera le cœur saysi, considerant la premiere conversion si soudaine et si grande que firent trois Peres de l'Ordre de saint Dominique en Conge ? Qui ne dira avoir esté bienheureux les travaux de tant de prestres et Religieux qui sont allés prescher es Indes, puysqu'ilz ont trouvé la terre des cœurs humains si fertile et traittable, que, a une seule rosëe de la parolle de Dieu, elle germe et bourgeonne toutes sortes de fleurs chrestiennes ? Cela nous doit faire pleurer de consolation d'un costé, de voir Dieu receu en ces contrëes, et pleurer de detresse de l'autre costé, de nous voir recevoir si abondamment ses graces sans rendre aucun fruict. Gardons que ces gens ne s'eslevent contre nous au jour du jugement. Beati oculi qui vident, etc. ; Multi reges voluerunt, etc.
Je diray encores que c'est une grande honte d'avoir veu les Indiens si catholiques qu'ilz croyent tout sans douter a la simple parole des prestres, et nous, qui sommes nourris et nays en l'Eglise, voulons tout contreroller. Si nous voulons que pour nostre foy il nous soit dict : Beati oculi, il faut croire tout Jesus Christ, tout son Evangile. Nous sommes d'accord, dires vous ; aussi suis je, car en l'Evangile tout y est radicalement. Quant aux traditions ecclesiastiques, n'y a il pas en l'Evangile : [75] Qui vos audit me audit ? Si quis Ecclesiam non audierit, etc. ? Ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quce est columna et firmamentum veritatis ? Rogavi pro te, Petre ? Jamais je ne cesseray de vous prier, Messieurs, pour l'affection que j'ay au service de vos ames, que vous taschies a vous acquerir une grande simplicité en la foy, croyant et voulant inviolablement croire ce que l'Eglise croit ; ce sera vostre consolation en la mort.
Or, ce pendant que Nostre Seigneur dict ces paroles, tout a propos arriva un docteur de la loy, qui, pour le tenter, demanda : Maistre, qu'est ce qu'il faut faire pour avoir la vie eternelle ? Je dis tout a propos, non pour l'intention de cestuy cy, qui estoit mauvaise, mays pour les paroles qu'il dict : Domine, quid faciendo ? etc., lesquelles de soy estoyent tres bonnes et a propos ; car Nostre Seigneur ayant loué le bien croire des Apostres, cestuy cy l'interroge du bien faire : Domine, quid faciendo ? Laissons a part l'intention ; ces paroles sont pleines d'esperance. Si Caïn, quand il eut offencé, eust dict : Domine, quid faciendo ? au lieu de dire : Major est iniquitas mea quam ut veniam merear , il eust mieux fait. Si Judas, etc.
C'est le deuxiesme grade de la justification, de bien esperer, apres le bien croire. Notes que je dis bien esperer, pour ce qu'il y en a qui pensent que sans rien faire, on les portera en Paradis. Non, non, il ne le faut pas penser sans rien faire, mays en faysant : Domine, quid faciendo ? Et de vray, qui croit bien ce dont nous avons discouru au commencement, comme n'esperera il de Dieu toute sorte de biens ? Qui connoist combien Dieu a faict pour nous, et qui croit aux peynes que Nostre Seigneur a endurëes pour nous, il ne peut qu'il ne soit en bonne esperance : ainsy la Magdeleyne, [76] ut cognovit quod Jesus accubuisset, attulit alabastrum. Pourquoy s'appelle il Jesus, sinon affin que in nomine ejus levemus manus nostras ?
Ceste esperance est mere du desir, troisiesme grade de la justification, car ce qu'on espere, on le desire. Ainsy faict cestuy ci ; car esperant que Nostre Seigneur luy donneroit la vie eternelle, et la desirant, il dict : Domine, quid faciendo ? etc., ou au moins il dict une parolle laquelle de soy monstre l'un et l'autre. Et de vray, de quoy devrions nous avoir plus de desir que de la vie eternelle ? S'il se trouvoit un medecin si fortuné qui trouvast quelque herbe qui peust asseurer cinquante ans de vie, mon Dieu, comme chacun y courroit, on n'y espargneroit rien. Que si cinquante ans de vie seroyent tant recherchés et desirés, o combien devrions nous desirer la vie eternelle, vie sans mort, vie vrayement vie ! Combien de fois irions nous trouver ce medecin, luy demandant : Domine, quid faciendo, vitam quinquagenariam possidebo ? O que n'allons nous souvent a Nostre Seigneur, disant : Domine, pellem pro pelle, et omnia quæ habet homo dabit pro anima sua . Nous ne sommes donques pas hommes, de n'aymer pas la vie eternelle. Que veut dire que nous n'y pensons point ? Nous devrions tousjours avoir dies æternos devant nous, et il n'y a rien, qu'en contemplation d'iceux nous ne deussions faire. David, Psal. 16 , dict il pas : Propter verba labiorum tuorum, ego custodivi vias duras ? Et qui sont ces parolles des levres de Nostre Seigneur ? Saint Pierre : Domine, ad quem ibimus ? verba vitæ æternæ habes .
C'est ceste vie eternelle de laquelle Nostre Seigneur [77] en la Genese vouloit esmouvoir Caïn quand il luy dict : Nonne, si bene egeris, recipies ? C'est ceste vie eternelle, pour le desir de laquelle le bon homme Jacob s'appelle pelerin en la Genese, 47 : Les jours, respond-il au Roy, du pelerinage de ma vie, que bons que mauvais, sont de cent trente ans, qui n'approchent encores pas de ceux de mes prædecesseurs, esquelz ilz ont vescu sur la terre ; dont David dict : Memor fui dierum antiquorum, et annos æternos in mente habui. La vie eternelle, qui la considere bien, est suffisante pour esmouvoir les cœurs les plus endurcis.
Au commencement, en la ferveur de l'Ordre de saint Dominique, il y avoit un prædicateur nommé Reginaldus, qui preschoit a Bologne avec un fruict indicible. En ceste ville, il y avoit un homme docte et riche, qui, de peur d'estre converti par iceluy, ne le vouloit pas aller ouÿr, comme plusieurs font ; il arriva neantmoins que l'ayant ouÿ une fois sur ces parolles : Video cælos apertos , le jour de saint Estienne, il se convertit et se fit Religieux. Pour ceste vie eternelle, David inclinoit sa volonté et son cœur a garder les commandemens de Dieu ; saint Augustin a esté incliné a se retirer avec ses Religieux avant qu'il fust Evesque ; saint Jan Baptiste a se retirer es desers.
C'est avec ceste vie eternelle que je voudrois incliner vos courages, pour l'affection que j'ay et le service que je dois a vos ames, de vous ranger a une devote et vertueuse Confraternité, dressëe par plusieurs ecclesiastiques et personnes d'honneur, pour vostre edification et [78] reformation de vos consciences. C'est une Confraternité ou il n'y a rien a redire, car tous les articles d'icelle sont tressaintz, veuz et reveuz par Monseigneur nostre Reverendissime Pasteur ; il n'y a rien qui soit malaysé a faire. Elle vient le mieux a propos du monde au tems ou nous sommes, ou tant de miseres demandent bien un peu plus de frequentation de pieté.
Que si d'adventure quelqu'un de ces sçavans rafroidis au vent de la bise venoit en vostre ville, et en murmuroit ou la vouloit calomnier, gardes de luy prester consentement, Messieurs d'Annessy ; car nul n'en peut mesdire, personne n'en peut murmurer qu'il ne peche, pour ce que, quand bien ce seroit invention nouvelle, si est-ce qu'apres que vostre Prælat l'a authorizëe, vous la deves honnorer, non pas la mespriser pour cela. Ceste invention n'est pas nouvelle, mais ancienne ; ce n'est pas une fantasie de quelques cerveaux bigearres, c'est une devotion de tout un Christianisme. Respondes, âmes devotes et courageuses, a ceux qui en gausseront : Patres nostri annuntiaverunt nobis , non seulement parce que Monseigneur le Reverendissime et ceux qui l'ont dressëe sont peres qui ayment autant vos ames que vous le pouves souhaitter, mays pour ce que l'institution est ancienne, et y en a de toutes semblables a Paris, Lyon, Tholose, Avignon, par toute la France et l'Italie. Et comment ce que Paris, avec son œil clairvoyant de Sorbonne, a receu avec tant de contentement, une petite cervelle le voudra contreroller ? Mays pour coupper chemin a toutes murmurations, ce que son Altesse et nos Princes honnorent tant a Turin et par tout, le voudrions nous censurer ? Et s'il faut conclure en termes plus fortz, ce que le Saint Siege apostolique, regle infallible de bien faire, a confirmé de son authorité... [79]
Mihi alitem absit gloriari nisi in cruce
Domini nostri Jesu Christi, per
quem mundus mihi crucifixus est,
Si apres que ce grand Judas Maccabeus eut reædifié le Temple de cest'ancienne Sinagogue, comm'on trouve 1. Mac. 4 , le peuple hebreu sentit tant de consolation que tout le peuple tumbant sur sa face loua et benit Dieu qui les avoit ainsy prosperé, quelle joÿe, quelle consolation devrons nous recevoir aujourdhuy en la memoyre de l'Exaltation de la tressainte [Croix,] laquelle, ayant esté terrassëe et abbatue par les infidelles, [80] fut en semblable jour, par ce grand cappitayne Hæraclius, relevëe et redressëe ? D'autant plus grande pour vray, mes Freres, doit estre nostre consolation qu'en cest ancien Temple ne furent onques offerts que veaux, boucqs, aigneaux ; mays sur la Croix, le Filz aeternel de Dieu. Cest ancien Temple ne fut onques taint d'autre sanc que de bestes brutes, mays ceste Croix fut arrosëe du sanc de l'Autheur et Consommateur de tous sacrifices. O ceste Croix devance d'une grande traitte toute la magnificence de l'ancien Temple, d'autant que le sacrifice qui a esté offert sur icelle surpasse tous ceux qui furent faicts dans ce Temple.
C'est pourquoy, comme l'ancien [peuple] fit feste en commemoration de ce benefice, aussy l'Eglise la faict en commemoration de cestuy ci, ayant bien plus d'occasion de priser l'abjection de ceste Croix, que l'ancien, la magnificence de son Temple. Que si nous voulons considerer la convenance quil y a eu entre l'ædification du Temple de Salomon et l'Exaltation de ceste sainte Croix, je suys asseuré que les devotz y en trouveront plus de deux mays je me contenteray d'en dire une. Le Temple fut edifié troys [fois] : une foys sous Salomon, lautrefoys sous Darius, en Esd. 6, et la troisiesme, sous Maccabeus. Ainsy a esté exaltëe la Croix troys foys : Int sous Nostre Seigneur, puys sous Constantin, par la devote Heleyne, 3. sous Heraclius. Que si, comme les bons Juifz ont tousjours tasché a rebastir, ainsy les bons Chrestiens ont tousjours eu a cœur l'Exaltation. Absit mihi gloriari.
Et qui n'honorera la Croix que Nostre Seigneur a tant honorëe ? Multifariam multisque modis ; [81] novissime , Aman pres de Mardochëe : Hoc honore condignus quem rex voluerit honorare. Ce qui estoit prædit, Ez. 17 : Hæc dicit Dominus : Sumam de medulla cedri sublimis, et ponam ; de vertice ramorum ejus tenerum distringam, et plantabo super montent excelsum. In monte sublimi Israel plantabo illud, et erumpet germen et faciet fructum, et erit in cedrum magnant ; et habitabunt sub ea omnes volucres, et universum volatile sub umbra frondium ejus nidificabit. Et scient omnia ligna regionis, quia ego Dominus humiliavi lignum sublime et exaltavi lignum humile, et siccavi lignum viride et frondere feci lignum aridum. Nostre Seigneur en a faict son sceptre ; Is. : Principatus ejus super humerum ejus. Adorate scabellum pedum ejus. Adorabimus in loco ubi steterunt [pedes] ; quanto majus ubi caput, ubi latus. Mihi autem absit gloriari.
Les Hebreux faysoyent feste au renouveau de la lune pour la delivrance d'Isaac, et pour ce que on trouva le mouton arresté es espines ; les trombes estoient de corne, et les Juifz de præsent l'apellent la feste des cornes. Appliques : Absit mihi gloriari nisi in cruce.
Facent les huguenotz ce quilz voudront, comme les chiens qui s'attaquent a la pierre, que quand a nous, tousjours nous prædicamus Christum, etc. Nous ne sçavons autre : Absit mihi. [82]
Mays avises bien la condition comme on se peut glorifier : per quam mihi mundus crucifixus ; hoc est, mundus mihi mortuus est, et ego mundo ; ou bien, per quam mundus mihi ignominia est, et ego mundo. Qui autem Dei sunt, carnem suam crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis ; hoc est, ad normam crucis aptarunt. Ici est le point : estre de vrays Simons.
Je vis jamais chose qui se rapportat mieux a un'autre que le therebinthe qui estoit aupres de la ville de Sichem, rencontré par Jacob quand il alloit en Bethel, au pied duquel il enterra tous les idoles des siens. Mes Freres, nous allons en Bethel : Bethel veut dire mayson de Dieu ; nostre Jacob sera pour ceste heure saint Pol, qui crie : Hoc sentite in vobis, quod et in Christo ; comme s'il disoit : Abjicite deos alienos . Faysons, de grace, pœnitence et remettons a nos peres spirituelz le fardeau de nos pechés, affin qu'on les ensevelisse subter therebinthum, quæ est post Sichem, id est, humerum, Christi. Ainsi nous exalterons la Croix.
En la meditation de la mort de la croix : Ambr., 5 Exham., « de thure et mirrha ; » dont Tertullien, [83] au livre De la Resurrection, interprete le Psal. 91 : Justus ut palma florebit : thamar. Quam dilecta tabernacula ; cor meum ; Etenim passer invertit sibi domum : altaria tua, etc. [84]
Dixit Jesus paralytico : Confide, fili,
Puysque par l'absence juste, comme je crois, de celuy qui vous devoit presenter la collation spirituelle de la part du maistre de ceans qui est Jesus Christ, j'ay encores eu ceste charge de vous entretenir de quelque discours spirituel, j'ay choysi celuy que l'Evangile me met en main de prime face, c'est a dire de la paralysie spirituelle et de la guerison d'icelle. Car encores que l'Evangile semble avancer son histoire d'une paralysie corporelle, neantmoins Nostre Seigneur parle et guerit principalement la spirituelle, disant au paralytique : Confide, fili ; et semble que sa premiere visëe estoit sur la paralysie spirituelle, mays que, a l'occasion des murmures que faisoyent les Juifz, il aye jetté l'œil sur la corporelle. Or, ce discours de la paralysie spirituelle est bien l'un des plus necessaires que vous puissies ouÿr. [85] Plaise a Dieu que je le puysse aussi bien faire comme il est utile et prouffitable, quoy que peut estre il ne soit pas des plus aggreables qu'on puysse faire ; car il y a en cest aage une infinite de paralytiques spirituelz lesquelz ne pensent pas l'estre, et ne cherchent point la guerison d'une si estrange maladie, auxquelz je puys bien dire ce qui est porte par un Prophete : Ossa arida, audite Mot Domini ; oyes un peu que c'est de vostre mal.
La paralysie corporelle est une maladie causee d'une humeur peccante qui saysit les nerfz et muscles, empeschant la communication des espritz vitaux et animaux, et par consequent privant les parties occupees, de mouvement et sentiment ; et ceste humeur est ordinairement froide. Or, la paralysie spirituelle, parlant avec proportion, est une maladie causee par la saysie et occupation que le peche faict des nerfz spirituelz, c'est a dire des desirs de nostre ame, empeschant la communication et influence des inspirations divines en nos consciences, et par consequent le mouvement naturel de nostre ame et le sentiment des choses celestes. J'ay dict le mouvement naturel, parce que comme la paralysie corporelle n'empesche pas le mouvement exterieur du cors, mays seulement l'interieur et propre, ainsy la spirituelle n'empesche pas le mouvement de nostre ame a la creature ; mays il ne luy est pas naturel, car son mouvement est a Dieu : Ibunt de virtute in virtutem, donec videatur Deus deorum in Sion . Et de fait, nos theologiens disent que le peche est contre nature et contre rayson.
Le peche qui cause ceste paralysie est une certaine froidure et nonchalance spirituelle. En somme nous appellons, pour le dire en un mot, estre paralytiques [86] ceux lesquelz demeurent en leurs pechés ; car ilz ne sçauroyent garder en eux ce catharre, qu'ilz ne deviennent comme percluz, impotens et comme transis de ce froid, engourdis de tous leurs membres spirituelz, dont parlant le Prov., au 20 chap., il dict : Propter frigus, piger arare noluit ; comme s'il vouloit dire : Le paresseux estant engourdi du froid du peché, faute d'estre revestu des vertus et eschauffé du feu de charité, il n'a point voulu travailler. C'est le propre effect de ceste paralysie d'empescher de travailler ceux qu'elle a saysis, pour la sayson a venir ; dont tous nos maux arrivent, si que nous pouvons bien dire avec le Prophete : Ab aquilone omne malum panditur ; car ne nous pouvans mouvoir, nous ne pouvons chercher le bien ny fuir le mal. Vrayement nous sommes tous pecheurs ; nous pouvons dire que aquæ intraverunt usque ad animam meam . Mays quelques uns s'en remuent, taschant a se depetrer des eaux et se lever du peché, desquelz on peut dire : Benedicite omnia quæ moventur in aquis Domino ; mays ceux qui ne se remuent point ne peuvent pas tenir ce langage.
Et puys, ceste maladie a une tres mauvaise condition, c'est qu'elle est presque incurable, aussi bien que la paralysie corporelle ; non pas que le sauverain Medecin ne le sçache et ne le puisse faire, mais parce que ceux qui en sont atteintz ne sentant pas leur mal, pour la pluspart, ilz n'ont point de recours au medecin si quelqu'un ne les y porte, comme vous voyes aujourd'huy ; car, comme dict le Prov., 26, v. 16 : Sapientior sibi videtur piger, septem viris loquentibus sententias. Ilz ont les yeux ouvertz pour voir des vanités mondaynes, ilz ont la langue bien desployëe, mais c'est pour se repaistre d'un grand parler sans vouloir rien faire ; ilz [87] ne veulent recevoir correction de personne, ains c'est eux qui censurent tout le monde.
Maintenant, pour nous garder de ceste maladie et purger ceste humeur, si elle estoit par adventure en nous, il faut un peu voir ses causes particulieres ; et combien qu'elles soyent en grand nombre, si est-ce que celles qui sont mieux assaysonnëes au lieu et a l'aage ou nous sommes, sont ces deux icy : une flatteuse et trompeuse excuse qu'on se forge en ses pechés, et une grande lascheté de courage. Car les uns se font accroire de n'estre point malades, encores qu'ilz se sentent bien detraqués ; les autres ayment mieux demeurer malades que de gouster l'amertume de la medecine.
Que penses vous que faict l'artisan qui survend sa marchandise, et lequel a tout propos jure, se maudit, etc., affin de vendre troys foys autant, et dict que c'est un gain honneste qu'il faict en homme de bien ? Il cherche des excuses ad excusandas excusationes in peccatis , et c'est pour luy que David a adjousté : Qui jurat proximo suo, etc. ; et Dieu : Non furtum facies. Neantmoins, sous pretexte d'une juste vacation, il se pense estre homme de bien. Et le chicaneur qui sur un pied de mouche entretient un proces qui ruine l'ame, le cors et la mayson de deux miserables parties, il se flatte et s'excuse sur une petite et malotruë loy toute escorchëe, et par des tergiversations, faict perdre le droit a son prochain ; et neantmoins c'est bien a luy auquel Nostre Seigneur a faict dire : Si utique justitiam loquimini, recta judicate, filii hominum.
Væ vobis qui dicitis bonum malum, et malum bonum, et convertitis in absynthium judicium , car ce qui est establi pour le soulagement, il le rend la [88] ruine du païs. Ce juge qui la fait si longue, s'excuse sur dix mille raysons de coustume, de stile, de theorie, de prattique et de cautele ; c'est a luy auquel s'addresse la loy « Properandum, » De Judiciis. Beati qui faciunt justitiam in omni tempore .
L'usurier va il pas se trompant luy mesme, avec dix mille excuses pour faire mentir l'Escriture qui dict que telles sortes de gens n'iront point in tabernaculum Domini ? Les prestres se flattent ilz pas avec des dispenses, quoy que le nemo potest duobus dominis inservire soit escrit en grosse lettre ? Les dames se flattent elles pas, n'aymant point leurs maris, se playsant d'estre courtisees, s'excusant qu'elles ne font point d'actes contraires a leur honneur ? Se plaisent elles point de passionner cestuy ci et celuy la, s'excusant que nonobstant, elles ne voudroyent pour rien violer la loy de leur mariage ? C'est pour cela que Nostre Seigneur dict : Non concupisces. C'est pour cela que David a laissé par escrit : Exitus aquarum deduxerunt oculi mei, quia non custodierunt legem tuam. Et toutes ces sortes de gens sont paralytiques ; ne sentant point leur mal, ilz ne s'en confessent jamais. Bibunt sicut aquam iniquitatem ; ilz sont comme Esaü, parvipendens quod primogenita perdidisset ; se flattant, ilz sont semblables au Pharisien.
Mays mon intention est de vous descouvrir principalement l'autre cause de ceste paralysie, sçavoir la couardise et lascheté de courage. C'est le vice auquel vous voyes tant de gens qui ne se veulent mouvoir au bien ny retirer du mal, pource que cela leur semble malaysé. Prov. 22 : Dicit piger : Leo est foras, in medio [89] platearum occidendus sum. Ce sont ceux qui ayant esté pecheurs, sont du tout lasches a bien faire. S'il faut se confesser : O que cela est fascheux, o que c'est une chose mal savoureuse ! et ne considerent pas qu'il n'est pas des pechés comme des fruictz qui meurissent sur l'arbre et puys tombent d'eux mesmes, mais qu'au contraire, plus ilz demeurent en l'ame, tant plus malaysé est il de les arracher. Oyes l'Ecclesiast. : Fili, peccasti ? non adjicias iterum, sed de pristinis deprecare Dominum. Qui ne pleureroit lisant le chap. 5 du livre 8 des Confessions de saint Augustin, ou il se lamente d'avoir procrastiné sa conversion ? O Seigneur, comme te respondois je ? « Modo, ecce modo, sine paululum ; sed modo et modo non habebant modum, et sine paululum ibat in longum. » Tempus est nos de somno surgere. Ne dicas amico tuo Christo stanti ad ostium et pulsanti : Vade et cras revertere, cum statim possis . Si tu sçavois, aussi bien que tu ne penses pas, combien Nostre Seigneur t'attend en grande affection ! Tobie envoyant en Rages l'Ange a Gabel, luy dict : Scis quoniam numerat pater meus dies, et si tardavero una die plus, contristabitur anima ejus.
C'est faire comme l'enfant prodigue, ire in regionem longinquam. II faut beaucoup pour en revenir, quand une foys on est allé jusques la. Hé, quelle difficulté y a il tant a se convertir aussi tost qu'on se void en peché ? Induere fortitudine tua, Sion ; Quærite Dominum dum inveniri potest . Ne faites pas comme l'Espouse [90] es Cantiques, qui trouva des excuses quand son amy vint disant qu'elle estoit au lict ; elle le voulut par apres chercher et elle ne le retrouva plus. Ne faites pas de vostre ame comme Jonas faysoit de Ninive, qu'il ne pensoit pas devoir venir que malaysement a pœnitence ; et cependant, incontinent qu'elle ouyt : Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur , elle se convertit.
Que diray je ? Si on parle de frequenter les Sacremens, ilz confessent que cela est bon ; mays je ne sçaurois prendre la peyne, il faut cecy, il faut cela. Hé, mon frere, je te diray ce qu'il faut : il faut purger l'habitation du cœur, oster ce qui deplaist a Dieu, qui est le peché mortel, puys se preparer avec bonnes intentions et avoir ferme propos de s'amender. Cela te semble il chose si difficile qu'il ne la faille faire pour un si grand bien ? C'est chose toute arrestëe que nisi manducaveritis carnem Filii hominis, non habebitis vitam in vobis . Mais je mesnage ; au nom de Dieu, je ne sçaurois bonnement me tenir sans crier, sans me distraire. Je suys homme de conversation, et ne puys que je ne me trouve en des lieux ou il me faut faire le bon compaignon. Mon bon frere, prens peyne a ne point offencer Dieu, et du reste, vis joyeusement. Ouy, mays il y a de la peyne a se confesser, a se preparer. Certainement la peyne est legere ; mais si tu ne veux prendre peyne aucune, je te diray : Si quis non vult operari, non manducet , ny le pain du cors ny le pain de l'ame, comme indigne de vivre ; mais asseure toy que anima effeminata esuriet ; ainsy que dict David : Et aruit cor meum, quia oblitus sum comedere panem meum. Tellement, que de ces paralytiques [91] spirituelz on peut bien dire que trepidaverunt timore ubi non erat timor ; et avec ceste reprehension : Dereliquerunt me fontem aquæ vivæ, et foderunt sibi cisternas dissipatas, quæ continere non valent aquas .
Voyes vous les maux que faict ceste paralysie, qui nous garde de cheminer a Dieu ? vous aves veu ce que c'est. Maintenant mettons tous la main a la conscience, et demandons a nous mesmes si nous n'en sommes point detenus. Si nous ne voulons pas nous amender, si nous cheminons froidement en la voye spirituelle, il y a danger pour nous. Que si quelqu'un se doute d'y tomber, comme nous avons tous occasion de la craindre, je vous veux donner un remede, duquel pourront encores user ceux qui sont desja tombés paralytiques, pour se guerir. Ne sçaves vous pas que le froid est gueri et chassé par le chaud ? Or, toute sorte de chaleur ne guerit pas ce mal. Le feu de genevre est sain au catharre, non pas celuy de chesne. Le feu excité par la meditation de la Mort et Passion guerit, mays guerit ceux qui sont d'une nature souple ; c'est une medecine lenitive. Le feu des tribulations guerit, mays il n'est pas propre a tout le monde. Le feu de l'Eucharistie y sert pour consolider et conforter, mays il faut desja avoir evacué les mauvaises humeurs.
Quel feu donques nous guerira de ceste paralysie ? Le feu d'enfer, mes bons Freres, lequel je vous ordonne et a mon ame, propre pour nous guerir si nous nous en sçavons servir. Il faut descendre en enfer vivans, dict un Prophete ; et le bon roy Ezechias, converti et gueri, nous apprend comme il le faut appliquer : Ego dixi : In medio dierum meorum, vadam ad portas inferi. Il y a en ces parolles troys conditions. Ego dixi, car quand Jesus le dira, comme juge, [92] il ne sera plus medecine. In dimidio dierum meorum, au milieu de ma vie, en mon printems ; meorum, car veniet dies Domini . Ad portas, pour voir ce qui s'y faict ; et voyant les grandes peynes qu'on y endure, qui ne s'efforcera de les eviter, qui ne s'evertuera de n'estre point du nombre ?
O donques, consideres ce que vous faites, et vous achemines au bien : Contendite intrare per angustam portam . Ne vous imagines pas tant de peynes, car Nostre Seigneur dict : Ego cogito cogitationes pacis, et non afflictionis. Amen. [93]
Jam antea, præteritis Natalibus fastis, Patres Venerandi, cum ipsa dierum solemnitas animum ad sui ipsius solicitudinem revocaret, de reliquo mortalis hujus vitæ tempore Christiane ac beate transigendo cogitabundus, inter alia quæ mare istud naviganti difficilia occurrebant, illud fuit omnium et gravitate et vicinitate primum, me Præpositum Sancti Petri Gebennensis ex placito Summi Pontifïcis fuisse renunciatum. [94]
[Timendum enim summopere veniebat...] Novum ac immaturum ac periculosum videbatur, me rudem, inexpertum, ac nullius antea notæ militem Christianum, in ipso tirocinii limine Præpositura donatum ; ut antea fere sim præpositus quam positus, præfectus quam factus, et in magna indignitate, veluti carbunculus in cœno, magna dignitas illucescat. Quo loco subibat illud Bernardi mellitissimi Clarevallensis Præpositi : Væ juveni qui antea fit peritus quam novitius ; illudque simile, sed majoris momenti regis Davidis : Vanum est vobis ante lucem surgere ; surgite postquam sederitis, qui manducatis panem doloris. Quod licet ex littera aliter intelligatur, ex spiritu tamen qui vivificat, ad eos qui quærunt antea præsidere quam sedere traducendum relinquitur ; atque sane fructus præcoces et vernales non diu asservari possunt quin putrescant.
Ergo non immerito ea urgebat mentem meam increpatio : Siccine, o Francisce, qui omnibus, meritis, ingenio ac moribus postponendus eras, primoribus præponendum ducis ? An nescis honores periculis ac oneribus esse [95] plenissimos ? Hisce vocibus interius diu perterritus, illud Davidicum (sic) volvebam : Deus audivi auditiones tuas, et timui.
Cum interim ea mihi hodie illuxit dies in qua et terrori multum detrahit et recte in Deum fiduciæ multum addit mihi vestra omnium, Patres Venerandi, tam jucunda ac suavis præsentia, quæ me adeo reficit ac recreat ut si terrorem (sic) jam antea perceptum cum ea voluptate quam sentio conferatur, quid me magis afficiat difficile sit ad judicandum, ut in me etiam illud sentiam : Servias Domino cum timore, exultes ei cum tremore ; sic enim exultatio est ad lætitiam, timor autem ad anxietatem.
Anxietatem faciebant quæ jam jam desino recensere. At vero nunc video me trepidasse timore ubi non erat timor. Timendum enim erat illi Præposito qui iis præpositus est qui difficile intra caulas honestatis et in officio contineri possunt. Mihi vero qui iis sum præpositus qui ea pollent modestia, fortitudine, prudentia ac charitate quæ in quolibet Prælato desiderari potest, ut eorum quilibet Præpositus esse mereatur ; quid in hac causa metuendum est ? Quid enim me moretur infantia, imperitia ac mentis [96] imbecillitas, cum nec monitis, nec disciplina, nec correctione ullo in hoc munere mihi futurum sit opus ? Nisi quis velit, quod dixerunt veteres, « Minervam docere, » aut, ut more nostrorum dicam, « Sanctum Bernardum hortari, » vel inter Cordigeros, ut jam sumus, conceptum tegere latinitate. Non opus est præceptore cui nihil addiscendum est ; facile, flantibus ventis secundis, gubernacula a quolibet nauclero tenentur.
Illud quidem satis adverto, vos, Præpositis doctissimis, gravissimis, fœlicissimis hactenus assuetos, in tanta ejus quæ hujus consessus prima est dignitatis mutatione ac declinatione, non posse quin aliquod sentiatis fastidium ; illudque animo subibit quod dixit quispiam :
« Quis novus hic nostris successit sedibus hospes ? »
Inclyta quis Petri tecta superbus adit ?
Totique sodalitati illud merito quispiam objiciet : Pro patribus tuis nati sunt tibi filii ; id est : pro [97] amplissimis ac cumulatissimis hominibus quos habuisti patres ac Præpositos, jam iis orbata, juvenes ac pueros propemodum infausta vicissitudine suscepisti.
Merito sane, Patres, hæc omnia ; verum et illud in solatium animo mecum repetatis quæso : Deum eligere solitum infima hujus mundi ut confundat fortia, et ex ore plerumque infantium et lactentium perficere laudem suam, ut ei facilius accepta ferantur « bona quæ ab eo cuncta procedunt. » [98]
Naguère, en ces fêtes de Noël qui viennent de passer, vénérables Pères, la solennité même de ces jours me rappelait à la sollicitude que je dois avoir pour mon âme, et me faisait penser à la meilleure manière de passer chrétiennement et saintement ce qui me reste de cette vie mortelle. Entre plusieurs difficultés qu'offrait ma traversée sur cette mer, la première, par son importance comme par sa proximité, fut ma nomination, par le bon plaisir du Souverain Pontife, à la Prévôté de Saint-Pierre de Genève. [94]
[Ce qui me donnait grandement à craindre...] Il me semblait que c'était une chose bien nouvelle, hardie et périlleuse pour moi, soldat ignorant, inexpérimenté et inconnu dans la milice chrétienne, d'être honoré de la Prévôté à l'entrée même du noviciat ecclésiastique, de sorte que l'on peut presque dire que je suis préposé avant d'être posé, parfait avant d'être fait, et qu'une haute dignité reluit dans une grande indignité, comme une escarboucle dans la boue. Ce mot de saint Bernard, le melliflueux Prévôt de Clairvaux, me venait à l'esprit : Malheur au jeune homme qui devient profès avant d'être novice, et cette parole encore plus grave du roi David : C'est en vain que vous vous levez avant le jour ; levez-vous après vous être reposés, vous qui mangez le pain de la douleur. Bien que le sens littéral soit différent, ne pourrait-on pas facilement, grace à l'esprit qui vivifie, appliquer ces paroles à ceux qui cherchent à présider avant d'avoir siégé ? Les fruits précoces et printaniers ne peuvent être conservés longtemps sans se corrompre.
Ce n'est donc pas sans raison que je m'adressais ce reproche : Est-ce ainsi, ô François, que toi, le dernier de tous, par le mérite, le talent et la vertu tu prétends être préposé aux premiers ? Ne sais-tu pas que les honneurs sont extrêmement périlleux et onéreux ? Longtemps j'ai été effrayé par ces voix [95] intérieures, je méditais ces mots du Prophète : O Dieu, j'ai entendu vos paroles et j'ai craint.
Cependant, ce jour a lui ; ma terreur s'est presque dissipée, et ma confiance en Dieu s'est grandement accrue. Oui, votre aimable et douce présence, Pères vénérables, me ranime et me réconforte à tel point qu'il serait difficile de dire ce qui m'a le plus vivement impressionné, de la terreur que j'éprouvais ou du bonheur que je ressens. De sorte que se réalise en moi cette parole : Sers le Seigneur avec crainte et réjouis-toi en lui avec tremblement. C'est ainsi que mes transports proviennent de ma joie comme mes craintes venaient de mon anxiété.
Cette anxiété était causée par ce que j'achève maintenant de vous manifester ; mais je vois que j'ai tremblé où il n'y avait aucun sujet de crainte. Il aurait eu à craindre, le Prévôt qui eût été préposé à des hommes difficiles à contenir dans les bornes de l'honneur et du devoir. Mais moi qui suis préposé à ceux dont la modestie, la force, la prudence, la charité l'emportent sur celles qu'on pourrait désirer dans le Prélat le plus accompli, en sorte que chacun d'eux mériterait d'être Prévôt, quelle crainte puis-je avoir en cette occasion ? Pourquoi m'arrêter à mon jeune âge, à mon inexpérience, à mon manque de talents, puisque dans mes fonctions je n'aurai jamais à user d'admonitions, de [96] mesures de discipline ou de correction ? A moins que, comme disaient les anciens, on ne veuille « instruire Minerve, » ou, selon notre proverbe, « prêcher saint Bernard » ou parler latin parmi les Cordeliers, au milieu desquels nous sommes. Celui qui n'a rien à apprendre n'a pas besoin de précepteur, et quand les vents sont favorables, n'importe quel nocher peut tenir le gouvernail.
Je reconnais assez qu'habitués jusqu'à ce jour à des Prévôts si doctes, si distingués, si habiles, il ne se peut qu'en face d'un tel changement et déclin de cette première dignité de votre Chapitre, vous n'éprouviez quelque répugnance ; vous pourriez vous rappeler ce qu'a dit quelqu'un :
« Quel étranger ici s'installe sur nos sièges ? »
De Pierre, quel osé franchit l'auguste seuil ?
Et on serait en droit d'appliquer à toute notre société ce texte : Pour vos pères, des enfants vous sont nés ; c'est-à-dire : par une malheureuse vicissitude, [97] les hommes de premier ordre que vous avez eus pour pères et Prévôts ont été remplacés par des jeunes gens, presque des enfants.
Tout cela, mes Pères, n'est que trop vrai ; mais je vous supplie de répéter avec moi pour notre consolation : Dieu a coutume de choisir ce qu'il y a de plus infime en ce monde pour confondre ce qui est fort, et généralement, c'est de la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle qu'il tire sa plus parfaite louange. C'est ainsi que nous lui rapportons plus facilement « ces biens qui procèdent tous de lui. » [98]
« Deus qui ad principium hujus muneris me pervenire fecisti, tua me semper serva virtute, ut in hoc munere ad nullum declinem peccatum, sed semper ad tuam justitiam faciendam mea procedant eloquia, dirigantur cogitationes et opera. »
Ab hac præcatione, Patres Venerandi, quam pridem identidem repetitam deinceps sæpius repetendam propono, et ex jucundissimo hoc ac suavissimo conspectu vestro (ac tuo præsertim eo jucundiore quo inopinatior fuit adventu, Rev. Antistes), Patres Venerandi, amantissimi simul et amatissimi auditores, propinqui ac amici quos dilexi, etc., ea sedata est animi mei perturbatio, quæ si hodierna luce perseverasset, vel ad suscipiendam Præfecturam hanc vestram vel ad quicquam dicendum mens [99] nulla aut ingenium superfuissent, animumque quem etiam integrum erectumque sustineo, nullum profecto retinuissem. Quæ animi mei [perturbatio] passio, quoniam ab iis causis profecta est a quibus, ut temerarius non essem, proficisci debuerat, ea qualis sit si placet explicabo, ne aliqua de me hoc initio sinistra suspicio suboriatur.
Ac quia consueverunt præfecti provinciarum, initio administrationis suæ, magna statim ac præcelsa inire consilia, ut initium suæ præfecturæ alicujus rei celebritate commendarent, ego arduum illud quidem ac magnum, nobis tamen non impossibile nec indignum, proferam consilium ad deliberandum: de Geneva scilicet hujus vestri consessus avita sede recuperanda, ejusque consilii ad exitum perducendi modum certamque racionem declarabo. Quæ duo dicendorum capita, si aliqua vi ad dicendum essem instructus, vel in me spiritus facundos excitare maxime deberent, vel in vobis maximam parare attentionem. De Geneva enim recipienda, quod antea tantopere desideratum est consilium cujuscumque illud fuerit, quanta unquam in nobis fuit maxima alacritate excipi par est et excipiendum existimo. Quod ne aliqua [100] de me sinistra minuatur ac debilitetur suspicione, quanta mentis trepidatione ac animi reverentis demissione hunc ad supremum vestri Capituli locum accesserim vobis prius patienter audiendum est.
Hisce sane præteritis natalibus festis, cum ipsa dierum solemnitas animum ad sui ipsius recognitionem revocaret, de reliqua hujus temporis mortalitate cogitanti mihi, inter alia quæ mare istud naviganti difficilia occurrebant, illud fuit unum, gravitate quidem non infimum vicinitate vero proximum; me scilicet Præpositum [Ecclesiæ Cathedrali] Canonicis Sancti Petri Gebennensis, ex placito Summi Pontificis, nuper fuisse renunciatum.
Immaturum enim ac periculosum prorsus videbatur, me rudem, impolitum ac gregarium militem, in ipso tirocinii ecclesiastici limine, Præfectura tanta fuisse donatum, ut antea fere sim præpositus quam positus, præfectus quam factus. Illud enim subibat Davidicum : Vanum est vobis ante lucem surgere ; surgite postquam sederitis ; quod licet ex littera alio spectet, ex spiritu tamen qui vivificat, ad eos facile traduci potest qui quærunt antea præsidere quam sedere, quique, fructus vernalis et præcocis instar, non diu asservari possunt quin putrescant. [101]
Ac mihi veluti spectrum quoddam occurrere videbatur subinde venerandus hic Canonicorum consessus, cujus in capite sedebat Claviger ille cœlestis, graviter increpans: Quis te, miser Francisce, movet, ut qui omnibus doctrina, ingenio, moribus postponendus eras, primoribus præponendum ducas? An nescis honores oneribus esse plenissimos? Siccine times illud incerto, brevi tamen [tempore], futurum examen: Redde rationem villicationis tuæ ? Quibus vocibus quantus interius effectus sit animi mei motus, nec in mente revocare quicquam prodesset, nec si revocarem satis possem exprimere. Illud vero agitabam animo : Deus audivi auditiones tuas, et timui.
Cum interim ea jam mihi illuxit dies, in qua et terrori multum detrahit et rectæ in Deum fiduciæ multum addit mitissima illa ac amœna vestri hujus [consessus] conventus facies, V. P., quæ me adeo recreat ac reficit, ut si terrorem hactenus perceptum cum ea voluptate quam sentio conferam, quid me magis affecerit difficile sit ad judicandum.
Timendum enim illi fuerat Præposito qui iis præest qui in officio difficile contineri possunt. Mihi vero cum vos intueor, Patres, quid in hac causa metuendum est? [102] qui ea charitate ac prudentia præstatis quæ in quolibet Præposito desiderari possunt. Quid enim mea me moretur imperitia ac tenuitas, cum nec disciplina nec correctione ulla hoc in munere mihi futurum sit opus [necessarium]? Nisi si velit quis «Minervam docere,» « S. Bernardum hortari, » aut, ut more nostrorum loquar, inter Cordigeros peritiam simulare latinitate.
Conjicio quidem satis et adverto vos, Præpositis gravissimis hactenus assuetos, in tanta primæ hujus vestræ sedis mutatione, aut ut verum fateor declinatione, facere non posse quin aliquam sentiatis nauseam, illudque memoria repetatis:
« Quis novus hic nostris successit sedibus hospes ? »
Inclyta quis Petri tecta superbus adit ?
Merito, Patres, hæc omnia faustane sint an infausta vicissitudo nihil est quod dicam. Res ipsa satis loquitur, vosque ipsi satis sentitis.
Atenim sustinete animos. Recordamini, quæso, et considerate, Deum eligere solitum infima ac infirma hujus mundi ut confundat fortia, et ex ore plerumque [103] infantium et lactentium perficere laudem suam, illi scilicet ut accepta facilius feramus « bona quæ ab eo cuncta procedunt. » O Deus immortalis, quam distant viæ tuæ a viis nostris ! O supremum parvulorum præsidium, potens es nimirum ex lapidibus suscitare filios Abrahæ. Ille est, Patres, qui lætificabit juventutem meam cum introibo ad altare ejus. Ille est qui si fructus hosce nostros vernales, præcoces ac immaturos saccaro ac melle charitatis suæ condiverit, nihil verendum erit ne putrescant.
Dicam ergo et fatebor in dissita longeque inferiori conditione quod olim sapientissimus hominum dixit : Stultissimus sum virorum et sapientia hominum non est mecum ; non didici sapientiam et non novi scientiam sanctorum. Sed idem subinde cum Davide animum solabor : Quoniam non cognovi litteraturam, introibo in potentias Domini. Quoniam scilicet debilis sum ingenio et doctrina, omnem meam spem in eum conjiciam qui potens est ut linguas infantium faciat esse disertas et qui « facienti quod in se est nunquam denegat auxilium, » ut suavissime et verissime omnes boni theologi pronunciaverunt.
Sed ne quis dicat nihil esse quod tam magnifice de [104] Dei bonitate sperandum mihi sit, qui ipse ultro gradum conscendi ex quo tam facilis est casus et præcipitatio ; Deum quippe eos juvare in arduis qui sibi pericula non concitaverunt, qui vero periculum amant in eo perituros, tollam, si placet, hujusmodi de me sperandi impedimentum.
Meum de clericali vita suscipienda consilium nonnullis aperueram, quorum authoritas apud me ubique præcipua est. Ii, me inscio (vere dico et ingenue, Patres, nec est quod illis presentibus falso dicam), amicis per litteras commendarunt, ut si quo possint modo Præfecturam hanc vestram (quandoquidem vacabat) meo nomine impetrarent. Litteræ omnes aliorum similes litteras antevertunt; postulata impetrantur, impetrata ad nos deferuntur.
Quid vero tali loco constitutum velletis me fecisse, Patres? Prorsus rejicere, ingratitudinis, rusticitatis ac contemptus eorum qui hujus dignitatis authores mihi fuerant, nescio quid habere videbatur; admittere, multum periculi et anxietatis. Inter quæ positus, tale feci consilium, ut expectarem hodiernam diem, qua appetente et clarescente, si me tanquam indignum repelleretis, indignus, per sententiam quae transit in rem judicatam, [105] ultro libensque discederem. Sin ut non indignum probaretis, humeros oneri alacriter submitterem, tutum nimirum ratus vestrum sequi judicium.
Quare cum me tanta, ut quidem conspicio, ac communi quadam gratulatione excipiatis, si quid in me ob admissum honorem inerit culpæ, cum mea vestram quoque omnes credite ligatam conscientiam, ut agentes et consentientes pari pœna puniantur. Quam si liberam ac solutam facere volueritis, hoc unum vobis præstandum erit, ut monitis et exemplis imbecillitatem meam juvetis et sustentetis, ac quæ in me desunt (quæ quam multa sint satis ipse sentio) pro vestra charitate suggeratis et compensetis ; existimantes Deum vobis, tanquam Angelis suis, mandasse de me ut custodiretis me in omnibus viis meis, ac in manibus vestris portaretis me, ne forte offendam ad lapideam illam tabulam [in qua decem illa præcepta Domini scripta sunt] in qua scriptum : Dominum Deum tuum adorabis et illi soli servies ; ut alter alterius onera portantes, adimpleamus legem Christi. Ego namque credatis velim, me monita cujuslibet vestrum adeo reverenter semper excepturum in Domino, ut si omnes simul unum habeatis Præpositum, ego unus tot videar habere Præpositos quot agnoscam [106] Canonicos, nec tam sim dicendus præpositus Canonicis, quam Canonicorum.
Divus quidem Augustinus ad Hieronimum (duo Ecclesiæ luminaria magna commemoro) pro mutua consuetudine scripsit : « Quamquam secundum honoris vocabula episcopatus præsbyterio major sit, tamen in multis rebus Augustinus Hieronimo minor est. » Quod ego ita vobiscum usurpabo ut Præfecturam canonicatui semper præferam, Franciscum autem de Sales, sive quod idem est hunc vestrum Præpositum, cuilibet Canonico demississime postponam, memor opificis Antigoni qui quamlibet dignitatem, vel etiam regiam, honoratam appellavit servitutem. Quo fiet ut et qui major est sit sicut minor, et sint novissimi primi, et primi novissimi, in charitate non ficta. Charitas non ficta omnia potest, omnia superat, non excidit, non agit perperam. Charitate quatiendi sunt muri Gebenenses, charitate irruptio facienda est, charitate Geneva recuperanda. Sic enim sensim ac sponte in alteram dicendorum partem nostra tandem devenit oratio.
Non ferrum, non sulphureum pulverem qui caminum inferni sapit ac redolet propono ; non ea promoveo castra [107] quæ qui sequuntur nulla illis fides pietasque viris. Castra Dei sint hæc in quibus buccinarum instar audiuntur melitissimæ voces : Sanctus, Sanctus, Sanctus Dominus Deus exercituum. Huc, huc animos intendite, Comilitones optimi, et quam Deo, Ecclesiæ, Patriæ, aris denique ac focis fidem debetis, quando se dat occasio diligenter præstate, exhibite, porrigite. Videtis opinor eminus, omne meum tandem quo tendat de Geneva recipienda consilium.
Fame, siti, non tam aliorum quam nostri, pellendi sunt hostes ; oratione sunt abigendi, quandoquidem genus est dæmoniorum quod non nisi oratione et jejunio ejici potest. [Ab Holoferne discamus, quæso, expugnandarum civitatum methodum optimam...] Vultis brevem ac expeditam expugnandarum civitatum methodum ? ab Holoferne discamus, quæso ; nihil enim vetat in inimicos tela retorquere ac ex illis utilitatem capere, ut recte tractavit Plutarchus. Betuliam Holofernes obsidet ; præciso aquæductu, fontibus recte defensis, tanta siti inclusos torquet, ut miseri demum serio de deditione cogitare cogantur. Nos Betuliam jam vicissim, Holofernem Geneva inclusum, expugnemus quæso, eo quo ipse modo nos docuit obsidere. [108]
Aquæductus est qui universam propemodum hæreticorum gentem reficit ac recreat, pessima scilicet sacerdotum exempla, facta, dicta, iniquitas denique omnium, præcipue tamen ecclesiastici ordinis, ut propter nos blasphemari quotidie inter gentes nomen suum meritissime simul et amarissime conquæratur Dominus per Prophetas. Hæc est aqua contradictionis quæ hereticos æstus refrigerare videtur, dignus sane bibentibus potus ; iniquitas nostra iniquis hominibus pro potu est, sicut scriptum est : Bibunt sicut aquam iniquitatem.
Deberent illi quidem sua recognoscere vitia, et alienis non offenderentur ; ut sub eadem aquæ voce sapienter monuit Salomon : Bibe aquam de cisterna tua. At quando ita sunt animati, Commilitones, ut aliena non sua videant facta, præscindamus quæso hujus aquæ cursum ; unusquisque fontem proprium servet ne saltem ad hostes profluat. Avertamus retro unde venerant fluenta peccatorum nostrorum, ibique in proprio corde, ut Solis æterni exsiccata nullum aut hostibus aut nobis præbeant humorem offensionis. Ita sane Jordanis convertetur retrorsum et egredietur Israël de Ægypto. [109]
Orationum strepitu excutiendi sunt muri Gebennenses ; mutua charitate impetus faciendus est, hac, hac capita nostra ferenda sunt. Civitatem illam æternam de qua tam gloriosa dicta sunt, quæ tanta situs protegitur altitudine ac commoditate ut ne quidem oculis pateat, scimus, inquam, civitatem illam cœlestem orationibus ac justis operibus ita expugnari ut qui hujusmodi telis eam impetunt, eorum direptioni permissam esse dixerit summus illius arcis Præfectus Christus Dominus : Regnum nimirum cœlorum vim patitur et violenti rapiunt illud. Quæ si ita sint, ut sunt indubie, quanto magis civitatem unam exigui circuitus, abjectam et vilem, orationum ac operum machinis expugnare licebit. Pergamus alacriter, Fratres optimi, omnia cedunt charitati ; fortis ut mors dilectio, et amanti nihil difficile.
An nihil nos movet is quem sentire deberemus dolor de hoc nostro exilio, tanto sane graviore et indigniore quo nostris omnium peccatis longius protenditur ? Super flumina Babylonis sederunt Israelitæe, et fleverunt dum recordarentur Sionis. Quid ergo faciemus, Canonici Gebennenses ? Nonne exules sumus et peregrini in terra aliena ? ea super quæ sedemus conculcamus. [110] Super flumina ergo Babilonis, id est, confusionis, peccatorum sedearaus, et fleamus dum recordamur Sionis Gebennensis, quæ olim tot nobilitata Christi insigniis, nunc, tum majorum tum hujus tempestatis peccatis, sub fœdissima hæreticorum tirannide consternata perseverat.
Hunc mœrorem, quem ex amissa Christo et nobis Geneva percipere deberemus, nobis suo exemplo suadent iidem Israelitæ apud Hieremiam : Sederunt in terra senes filiæ Sion ; consperserunt cinere capita sua, accincti sunt ciliciis ; abjecerunt in terra capita sua virgines Juda. Quem locum ita accipiamus velim, ut quod senes Hebræi nos Canonici tanquam Ecclesiæ senatores aggrediamur, quod virgines Juda faciebant, id virginibus Sanctæ Claræ, quæ ut nos sunt ex reliquiis cleri Gebenensis, faciendum relinquamus. Sic enim fiet quod majores nostri justo Dei judicio perdiderunt, nos ipsius benignitate recuperemus.
Quonam consilio factum creditis, Viri religiosissimi, ut ecclesiasticæ disciplinæ contemptores pertinacissimi cives Gebenenses, ecclesiasticæ tamen disciplinæ nomina [111] omnia et monumenta retinuerint ? Episcopium, Pratum Episcopale, Vicum Canonicorum, Domum Cantoris, nostrum S. Petri Templum, Magdelenæ, Gervasii, ut olim ita nunc, innovatores, sui muneris immemores, appellare consueverunt. Templa passim quacumque versus eat hæresis destruit, evertit, imagines frangit ; Genevæ templa intacta, imagines non nisi paulisper oblitterata facie vastatæ sunt, subsellia Canonicorum adhuc extant. Bona signa, Socii, bona signa ; divinum istud est consilium, quo inimici recordentur se alienas tenere sedes, nos vero ad proprias fœlici postliminio repetendas excitemur, ibique sepeliri cupiamus ubi sepulti sunt majores nostri. Quod ut consequamur pœnitentia propitiandum est Numen ; et ut uno verbo dicam (modus enim orationi aliquis faciendus est), sic nobis ex regula Christiana vivendum est, ut Canonici, id est, regulares, et filii Dei vere nominemur et simus.
Utinam Patres (vel potius ut ad Deum a quo incœpit revertatur hæc locutio), utinam, Deus omnipotens, utinam tibi a nobis sit honor et gloria ; B. Virgini, SS. Angelis, BB. Petro et Paulo ac B. Francisco laus et gratiarum actio ; nobis autem a te gratia tua, [112] qui es superexaltatus in sæcula, Pater, Filius et Spiritus Sanctus.
In quam deliberationem cum vos, Socii optimi, videam sponte satis incitatos... tum enim sperandum erit ; est utique in solatium miserrimi temporis, quod boni plerique et prudentes viri præsagiunt nostro tempore futurum illud quod antea tantopere desideratum est, ut scilicet, receptis antiquis sedibus, in sanctitate et justitia, de manibus inimicorum nostrorum liberati, serviamus illi qui est Deus superexaltatus in sæcula.
At tu (sic) Illustrissime ac Reverendissime Antistes, quod me universumque hunc conventum majorum amicorum meorum quos dilexi super mel et favum, super aurum et topazion clarissima præsentiæ tuæ luce illustraveris, gratias ago immortales, ac eam tuam in me beneficentiam ut cumulatiorem reddas, pro ea quæ tibi desuper data est potestate, tua benedictione nos omnes sancitos munitosque facias, enixe præcor et obtestor. [113]
« O Dieu qui venez de m'élever à cette charge, que votre puissance me garde toujours, afin que j'évite tout péché dans l'exercice de mes fonctions, et que l'accomplissement de vos lois si justes soit le motif et la règle de mes pensées, de mes paroles et de mes œuvres. »
Vénérables Pères, je débute par cette prière que j'ai déjà répétée plusieurs fois, et que je me propose de répéter désormais plus souvent encore. Cette prière et votre si agréable et si douce présence (la vôtre surtout, Révérendissime Evêque, qui nous cause d'autant plus de bonheur qu'elle était moins attendue), Pères vénérables, mes auditeurs à la fois très aimants et très aimés, mes chers parents et amis, etc., cette prière, dis-je, et votre présence ont apaisé le trouble de mon âme. S'il eût persévéré aujourd'hui encore, le cœur et [99] l'esprit m'eussent fait défaut ; je n'aurais pu ni accepter votre Prévôté, ni vous adresser un seul mot ; mon courage, maintenant fortifié et relevé, aurait défailli. Et comme ces préoccupations provenaient de causes toutes légitimes, pour ne pas être téméraire, je vais, avec votre assentiment, vous les expliquer, afin qu'au début de mon ministère aucun mauvais soupçon ne s'élève dans vos âmes à mon sujet.
Les préfets des provinces avaient coutume, en entrant en charge, de former de grands, de magnifiques projets, pour signaler les débuts de leur administration par quelque action d'éclat. Voici l'entreprise que je propose à vos délibérations ; elle est aussi grande que difficile, elle n'est pourtant pas plus impossible qu'elle n'est indigne de nous : il s'agirait de recouvrer Genève, ce siège antique de votre assemblée. Pour mener ce projet à bonne fin, je vous exposerai mon plan et la ligne de conduite à tenir. Le développement de ces deux points devrait, si j'étais quelque peu orateur, merveilleusement enflammer mon éloquence et exciter en vous la plus grande attention. Ce projet de recouvrer Genève, dont l'accomplissement est si vivement désiré depuis longtemps, doit, quel qu'en soit l'auteur, être adopté par nous avec enthousiasme, et il le sera, je l'espère. Il pourrait toutefois être ébranlé et compromis par [100] suite de soupçons défavorables que je vous inspirerais. Aussi, vous prié-je d'abord d'apprendre en patience avec quelle anxiété, quel profond sentiment de mon indignité, je suis arrivé à occuper le premier siège de votre Chapitre.
Pendant les fêtes de Noël qui viennent de passer, la solennité même de ces jours me faisait rentrer en moi-même, et je pensais à ce qui me reste de cette vie mortelle. Entre plusieurs difficultés qu'offrait ma traversée sur cette mer, la première, non moins grave et plus proche que toutes les autres, fut ma nomination par le bon plaisir du Souverain Pontife, à la Prévôté du Chapitre de l'Eglise Cathédrale de Saint-Pierre de Genève.
Cette faveur me parut bien prématurée, pleine de périls. Ignorant, inexpérimenté, simple soldat, me voir à l'entrée même du noviciat ecclésiastique, honoré d'une telle dignité, être préposé avant d'avoir été posé, parfait avant d'être fait ! Et je me rappelai cette parole de David : C'est en vain que vous vous levez avant le jour ; levez-vous après vous être reposés. Bien que le sens littéral concerne un autre objet, ne pourrait-on pas facilement, grâce à l'esprit qui vivifie, appliquer ces paroles à ceux qui cherchent à présider avant d'avoir siégé, et qui, semblables à des fruits printaniers et hâtifs, ne peuvent être conservés longtemps sans se corrompre ? [101]
Et alors je voyais se dresser devant moi comme une apparition, votre vénérable Chapitre. A sa tête, siégeait l'Apôtre qui tient les clefs du Ciel, et il m'adressait ce grave reproche : Quel est donc, pauvre François, l'esprit qui t'anime ? Eh quoi, le dernier de tous par la science, les vertus et le talent, tu prétends être préposé aux premiers ! Ne sais-tu pas que les honneurs sont extrêmement onéreux ? Ne crains-tu pas cette sommation dont l'époque est incertaine, il est vrai, mais assurément prochaine : Rends compte de ton administration ? Ces paroles m'émurent à tel point dans l'intime de mon être, que, serait-il même utile de me remémorer cette émotion, je n'aurais pas de termes assez forts pour l'exprimer. Je répétais alors en moi-même : O Dieu, j'ai entendu vos paroles et j'ai craint.
Cependant, ce jour a lui ; ma terreur s'est presque évanouie, et ma confiance en Dieu s'est grandement accrue. Oui, la présence de votre tout aimable et bienveillante assemblée, Pères vénérables, me ranime et me réconforte à tel point qu'il serait difficile de dire ce qui m'a le plus vivement impressionné, de la terreur que j'éprouvais ou du bonheur que je ressens.
Ce Prévôt aurait à craindre, qui eût été préposé à des hommes difficiles à contenir dans le devoir ; mais moi, mes Pères, quelle appréhension puis-je avoir [102] en cette occasion, en face de vous dont la charité et la prudence l'emportent sur celles qu'on pourrait désirer du Prévôt le plus accompli ? Pourquoi rappeler mon inexpérience et ma faiblesse, puisque dans mes fonctions, je n'aurai jamais à user, de mesures de discipline ou de correction ? A moins qu'on ne veuille « instruire Minerve, » « prêcher saint Bernard, » ou, selon notre proverbe, poser pour la latinité parmi les Cordeliers.
Je suppose volontiers, je reconnais même, qu'habitués jusqu'à ce jour à des Prévôts si distingués, vous éprouviez nécessairement en face d'un tel changement, et, à mon avis, pour dire vrai, d'un tel déclin de la première dignité de votre Chapitre, une répugnance qui vous rappelle ces vers :
« Quel étranger ici s'installe sur nos sièges ? »
De Pierre, quel osé franchit l'auguste seuil ?
En réalité, mes Pères, cette conjoncture est-elle heureuse ou non, ce n'est pas à moi de le dire. La chose parle d'elle-même, et vos cœurs vous répondent assez.
Mais tranquillisez-vous. Rappelez-vous, je vous prie, et considérez que Dieu choisit ordinairement ce qu'il y a de plus infime et de plus infirme en ce monde pour confondre ce qui est fort, et que, généralement, c'est de la bouche des [103] enfants et de ceux qui sont à la mamelle qu'il tire sa plus parfaite louange. C'est ainsi que nous lui rapportons plus facilement « ces biens qui procèdent tous de lui. » O Dieu immortel, que vos voies sont éloignées de nos voies ! O suprême Protecteur des petits, vous pouvez, des pierres, susciter des enfants d'Abraham. C'est lui, mes Pères, qui réjouira ma jeunesse quand je monterai à son autel. Qu'il assaisonne du sucre et du miel de sa charité nos fruits printaniers, précoces et encore verts, et nous n'aurons pas à craindre qu'ils se gâtent.
Je répéterai donc sincèrement, quoique dans une condition différente et bien inférieure, ce que disait autrefois le plus sage des hommes : Je suis l'être le plus insensé et je ne possède pas la sagesse des hommes ; je n'ai pas appris la sagesse, je ne connais pas la science des saints. Mais aussitôt après, je relèverai mon âme avec David : Parce que je n'ai pas connu les lettres, j'entrerai dans les puissances du Seigneur. C'est-à-dire : par mes talents et mes connaissances, je suis bien faible, mais je fonderai toutes mes espérances en Celui qui est puissant pour rendre éloquentes les langues des enfants, et qui ne « refuse jamais son secours à celui qui fait ce qui est en son pouvoir, » comme nous l'enseignent avec tant de charme et de vérité tous les bons théologiens.
On me dira peut-être : rien ne vous autorise à présumer si grandement de [104] la bonté de Dieu, vous qui avez volontairement gravi un degré d'où il est si facile de déchoir et de se précipiter. Dieu, il est vrai, porte secours au besoin à ceux qui ne se sont pas jetés dans le danger ; quant à ceux qui aiment le péril, ils y périront. Si vous l'agréez, je lèverai cet obstacle aux espérances que vous pourriez concevoir de moi.
Je m'étais ouvert de mon intention d'embrasser la carrière ecclésiastique à plusieurs personnes dont l'autorité me fut toujours sacrée. A mon insu (je vous le déclare ingénument, mes Pères, et je ne saurais dissimuler en leur présence), elles pressèrent par écrit leurs amis de solliciter pour moi, s'il était possible, votre Prévôté alors vacante. Ces lettres précédèrent toutes les requêtes du même genre ; leurs prières furent accueillies, et la faveur demandée me fut accordée.
Que vouliez-vous, ô Pères, que je fisse en de telles conjonctures ? Rejeter absolument cette faveur ? je voyais dans cette conduite je ne sais quoi d'ingrat, de grossier, de méprisant pour ceux qui m'avaient obtenu cette dignité. L'accepter ? ce parti me paraissait plein de périls et d'angoisses. Dans cette perplexité, je résolus d'attendre jusqu'à ce jour, et ce jour venu, si vous me rejetiez comme indigne, votre sentence était pour moi arrêt de justice et [105] je me retirais très volontiers comme indigne. Si, au contraire, vous ne me trouviez pas indigne, j'inclinais promptement les épaules sous ma charge, assuré que votre décision m'indiquait la voie à suivre.
Mais, je le constate, vous me recevez tous avec les plus aimables félicitations. Si je suis coupable en acceptant cet honneur, vous engagez tous, croyez-m'en, votre conscience avec la mienne, et la peine de la faute commise devra s'étendre à ceux qui y ont consenti. Si vous voulez vous libérer de toute responsabilité, il ne vous reste qu'à aider et soutenir ma faiblesse par vos conseils et votre exemple, à suppléer par votre charité aux qualités qui me manquent, et je sens trop combien nombreuses elles sont ! Soyez persuadés que Dieu vous a ordonné, comme à ses Anges, de me garder en toutes mes voies, de me porter dans vos mains, afin que je ne me heurte pas à cette table de pierre [sur laquelle sont gravés les dix commandements du Seigneur] sur laquelle il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et le serviras lui seul ; et portant ainsi les fardeaux les uns des autres, nous accomplirons la loi du Christ. Veuillez croire que je recevrai toujours humblement, dans le Seigneur, les avis de chacun d'entre vous, de telle sorte que si vous n'avez tous qu'un seul Prévôt, moi seul je paraisse en avoir autant que je compte de [106] Chanoines, et que je sois moins appelé préposé aux Chanoines que Prévôt des Chanoines.
Dans une de leurs fréquentes communications épistolaires, le grand Augustin écrivait à Jérôme (je cite deux brillantes lumières de l'Eglise) : « Bien que, comme titre honorifique, l'épiscopat soit supérieur au simple sacerdoce, cependant, sous bien des rapports, Augustin est inférieur à Jérôme. » J'applique cette parole à notre situation. La Prévôté, sans doute, l'emportera toujours sur le canonicat ; toutefois, je placerai très humblement après tous les Chanoines François de Sales, ou, ce qui revient au même, votre Prévôt actuel, me souvenant de l'artiste Antigonus qui appelait toute dignité, fût-elle royale, une honorable servitude. Ainsi le plus grand se comportera comme le plus petit, ainsi, grâce à une sincère charité, les premiers seront les derniers et les derniers les premiers. La charité sincère peut tout, l'emporte sur tout, elle ne finira pas, elle n'agit pas précipitamment. C'est par la charité qu'il faut ébranler les murs de Genève, par la charité qu'il faut l'envahir, par la charité qu'il faut la recouvrer. Cette idée m'amène insensiblement et d'elle-même à la seconde partie de mon discours.
Je ne vous propose ni le fer, ni cette poudre dont l'odeur et la saveur rappellent la fournaise infernale ; je n'organise pas un de ces camps dont les soldats n'ont ni foi ni piété. Que notre camp soit le camp du Dieu dont les [107] trompettes font entendre, avec des accents pleins de douceur, ce chant : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu des armées. C'est sur ce camp, vaillants Compagnons d'armes, que vous devez fixer vos regards ; et ce que votre fidélité doit à Dieu, à l'Eglise, à la Patrie, à vos autels et à vos foyers, lorsque l'occasion s'en offrira, faites-le, montrez-le, accomplissez-le. Vous entrevoyez enfin, je pense, toute l'étendue du plan que je vous propose pour reconquérir Genève.
C'est par la faim et la soif, endurées non par nos adversaires mais par nous-mêmes, que nous devons repousser l'ennemi. C'est par la prière que nous le chasserons ; car ce genre de démons, vous le savez, ne peut être chassé que par la prière et le jeûne. [Que l'exemple d'Holopherne nous apprenne, je vous prie, la meilleure manière d'emporter une ville d'assaut...] Voulez-vous une méthode facile pour emporter rapidement une ville d'assaut ? Je vous prie de l'apprendre de l'exemple d'Holopherne : il est bien permis, en effet, de retourner contre l'ennemi ses propres armes et d'en tirer profit, comme l'a si bien démontré Plutarque. Holopherne assiégeant Béthulie, coupe l'aqueduc et fait garder soigneusement toutes les fontaines. La soif torture si cruellement les malheureux assiégés qu'ils sont forcés de penser sérieusement à se rendre. A notre tour, je vous en conjure, employons pour nous emparer de Béthulie et de cet Holopherne enfermé dans Genève la méthode dont lui-même nous a montré l'usage. [108]
Il est un aqueduc qui alimente et ranime pour ainsi dire toute la race des hérétiques : ce sont les exemples des prêtres pervers, les actions, les paroles, en un mot, l'iniquité de tous, mais surtout des ecclésiastiques. C'est à cause de nous que le nom de Dieu est blasphémé chaque jour parmi les nations, et c'est avec pleine raison que le Seigneur s'en plaint si amèrement par ses Prophètes. Voilà l'eau de contradiction qui me paraît étancher la soif brûlante des hérétiques, boisson vraiment digne de ceux qui la prennent ; c'est notre iniquité que boivent ces hommes iniques, ainsi qu'il est écrit : Ils boivent l'iniquité comme l'eau.
Ils devraient au moins reconnaître leurs vices, et ceux d'autrui ne les scandaliseraient plus. Salomon, dans l'Ecriture, sous cette même comparaison de l'eau, donne ce sage avertissement : Buvez l'eau de votre citerne. Mais puisqu'il en est ainsi, mes Compagnons d'armes, puisqu'ils regardent les actions d'autrui et non les leurs, arrêtons le cours de cette eau, je vous prie ; que chacun veille à ce que sa source privée ne coule pas jusqu'à l'ennemi. Faisons refluer à leur source les courants de nos péchés, et là, comme desséchés par le Soleil éternel dans notre propre cœur, que ces courants n'offrent plus de cette eau de scandale ni à nos ennemis ni à nous. Alors sûrement, le Jourdain retournera en arrière, et Israël sortira de l'Egypte. [109]
Il faut renverser les murs de Genève par des prières ardentes, et livrer l'assaut par la charité fraternelle. C'est par cette charité que doivent frapper nos têtes de ligne. Il est une éternelle cité dont on a dit tant de choses glorieuses, qui est défendue par une position si haute et si avantageuse, que la vue elle-même ne la peut découvrir ; or, nous savons que l'on peut s'emparer de cette cité céleste par la prière et les bonnes œuvres. Le Chef suprême de cette place forte, le Christ Notre-Seigneur, en cédera le butin à ceux qui l'auront enlevé avec ces armes. Le Royaume des cieux, en effet, souffre violence et ce sont les violents qui le ravissent. S'il en est ainsi, et c'est la vérité, combien sera-t-il plus facile d'enlever par les engins de la prière et des bonnes œuvres, une ville au modeste circuit, humble et méprisée ! En avant donc et courage, excellents Frères, tout cède à la charité ; l'amour est fort comme la mort, et à celui qui aime, rien n'est difficile.
Nous laisserait-elle donc insensibles cette douleur que nous devrions éprouver au sujet d'un exil d'autant plus lourd et moins honorable que nos péchés à tous en prolongent la durée ? Les Israëlites s'assirent sur les rives des fleuves de Babylone, et pleurèrent au souvenir de Sion. Que ferons-nous donc, Chanoines de Genève ? Ne sommes-nous pas exilés et pèlerins sur une terre étrangère, celle que nous habitons et foulons aux pieds ? Asseyons-nous [110] donc sur ces rivages des fleuves de Babylone, c'est-à-dire de la confusion, des péchés ; pleurons au souvenir de cette Sion genevoise, jadis si glorieuse des trophées du Christ, et aujourd'hui, pour les crimes de notre époque et de nos ancêtres, gisant accablée sous la plus honteuse servitude de l'hérésie.
L'exemple que Jérémie nous cite de ces mêmes Israëlites, nous montre la tristesse que Genève, perdue pour le Christ et pour nous, devrait nous inspirer : Ils se sont assis sur la terre, les vieillards de la fille de Sion ; ils ont couvert de cendre leurs têtes, ils se sont revêtus de cilices ; les vierges de Juda ont baissé leurs têtes vers la terre. Je voudrais que nous comprissions ainsi ce passage : nous, Chanoines, comme sénateurs de l'Eglise, nous imiterions les vieillards d'Israël, et nous réserverions aux vierges de Sainte Claire, survivantes aussi du clergé de Genève, le rôle des vierges de Juda. Ainsi, par la miséricorde de Dieu, nous recouvrerions les biens que nos ancêtres perdirent par son juste jugement.
A votre avis, Messieurs, pourquoi les citoyens de Genève, si obstinés contempteurs de la discipline ecclésiastique, ont-ils cependant conservé tous [111] les noms et tous les monuments qui rappellent cette discipline ? Evêché, Pré l'Evêque, Rue des Chanoines, Maison du Chantre, notre Temple de Saint-Pierre, ceux de la Madeleine, de Saint-Gervais : tous ces anciens noms, les novateurs, comme oublieux de leur rôle, continuent à les employer. L'hérésie, partout où elle passe, renverse, détruit les temples, brise les images des Saints. Genève conserve ses temples intacts, le visage seul de ses images a été récemment détérioré ; les stalles des Chanoines subsistent encore. Bons signes, mes Collègues, bons signes ! Conduite providentielle qui rappelle à nos ennemis l'usurpation de nos sièges, nous excite à recouvrer notre bien, par un heureux retour, et à choisir notre sépulture dans le même tombeau que nos ancêtres. Pour atteindre ce but, rendons-nous Dieu propice par la pénitence. En un mot, car il faut terminer ce discours, nous devons vivre d'après la règle chrétienne, de telle sorte que nous soyons Chanoines, c'est-à-dire réguliers, et enfants de Dieu, non seulement de nom mais encore d'effet.
Qu'il en soit ainsi, mes Pères, ou plutôt (pour ramener notre discours à la pensée de Dieu par laquelle il a commencé), puissions-nous vous rendre honneur et gloire, Dieu tout-puissant ! A la Bienheureuse Vierge, aux Saints Anges, aux Bienheureux Pierre et Paul, au Bienheureux François, louanges [112] et actions de grâces ! Et qu'en retour, ô Dieu, vous nous accordiez votre grâce, vous qui êtes souverainement exalté dans les siècles, Père, Fils et Saint-Esprit.
Qu'il en soit ainsi, Dieu immortel, qu'il en soit ainsi.
Excellents Collègues, je vous vois assez portés de vous-mêmes à cette entreprise... espérons donc. Nous avons en effet une consolation à notre époque si malheureuse : la plupart des hommes de bien et de jugement pensent qu'à cette époque est réservée la réalisation d'un vœu formé depuis si longtemps. Nous recouvrerons nos anciens sièges, et enfin délivrés des mains de nos ennemis, nous servirons dans la sainteté et la justice ce Dieu souverainement exalté dans les siècles.
Quant à vous, je vous rends d'immortelles actions de grâces, Illustrissime et Révérendissime Prélat, pour avoir, par votre très auguste présence, relevé l'éclat de cette assemblée où je compte mes plus chers amis, ceux que j'aime plus que le miel et le rayon de miel, plus que l'or et la topaze. Daignez combler la mesure de vos bienfaits envers moi, et, en vertu de la puissance qui vous a été donnée d'en haut, je vous supplie et conjure de nous fortifier tous par votre bénédiction. [113]
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Donques sont tout des moyens pour aller au Ciel. Mais neantmoins tousjours demeure la grace, tousjours la misericorde.
1. Par hæritage. Si filii, et hæredes ; Ro. 8 . Dedit illis potestatem filios Dei fieri ; Jo. I . Spiritum adoptionis Dei, in quo clamamus : Abba, Pater. Et ita, pueri , etc. Cecy n'a aucune part en nos œuvres.
2. Par droit de merite. Sap. 3 : Animæ justorum, etc. ; Deus tentavit eos et invenit eos dignos se. 2. ad [Thess.,] I , [l'Apôtre] remercie de la patience [114] des Thessaloniciens, et dict quil se comporte tellement, ut digni habeamini Regno Dei, pro quo et compatimini. Apoc. 3 : Ambulabunt mecum in albis, quoniam digni sunt. Æternum gloriæ pondus operatur ; notés.
En ceste 2e façon tout est de misericorde, car toutes ses bonnes œuvres sont de Dieu. Nemo potest venire ad me, etc. Quis te discernit ? Quid habes quod non accepisti ? Si autem, etc. Trahe me post te ; curremus in odorem . Et qui nous a procuré ceste misericorde ? Nostre Seigneur ; car sans luy, rien. Exemples de l'arbre, de la noblesse, de la vigne, du chef.
Mais outre tout cela, Nostre Seigneur nous a merité davantage de gloire. Gaudete et exultate, quoniam merces vestra copiosa est in cælis ; Mat. 5 . Mensuram bonam, et confertam, et coagitatam, et supereffluentem dabunt in sinus vestros . O sang, sang prætieux ! Qui prætendra donques ignorance de l'intention de l'Eglise ? Elle proteste que tout vient de Dieu. Sil y a en nous l'adoption, elle vient du merite de Nostre Seigneur ; si la foy, elle vient de Nostre Seigneur ; si de l'esperance, de Nostre Seigneur ; si de la charité, de Nostre Seigneur ; si des Sacremens, de Nostre Seigneur ; si des bonnes œuvres, de Nostre Seigneur. Car on sçait bien : Non sumus sufficientes cogitare aliquid ex nobis, tanquam ex nobis. Et de plenitudine ejus nos omnes accepimus . Qui gloriatur, [115] in Domino glorietur. « Sine gratia non curritur ad gratiam ; » Prosper. Dum Deus cælum donat, in nobis sua dona coronat . Voyla comment, en sa premiere effusion de sang, on l'apelle Jesus, par ce que par son sang, comme par la mer Rouge, il nous devoit sauver. Oleum, donques, effusum nomen tuum . O nom salutaire, nom d'esperance. Dedit illi nomen quod est super omne nomen ; ut in nomine Jesu omne genu, etc.
O Seigneur, Seigneur, mon Dieu, nous flechissons le genou a vostre sacré nom, nous reconnoissons qu'il n'y en a point d'autre in quo salvari nos opporteat . C'est le mot du guet pour entrer en Paradis.
Heb. 12 : Crie misericorde le sang de Nostre Seigneur, non comme celuy d'Abel. [116]
Je prie Dieu de tout mon cœur, auditoire devot, que comm'il luy a pleu de vous « fair'arriver au beau commencement de ce jour, » de ceste semayne, de ce mois et de cest'annëe, qu'il vous veuille « garder sain et sauve ; » affin que le servans et honorans tousjours renouvellés en vos consciences, vos « œuvres et pensëes commencent par » iceluy, qui est Dieu benit es siecles. Certes, l'Eglise propose au commencement le plus brief [Evangile], mais plein de substance ; je ne diray que ce qui faict a propos.
1. Consideres comm'il commence de bonn'heure : In capite libri scriptum est de me ; Psal. 39. Aussy disoit il : Baptismo habeo baptizari, et quomodo coarctor. Quelle charité !
2. Puys, consideres l'obeissance quil porte a l'Eglise. Il estoit sans necessité, neantmoins tousjours il s'est monstré prompt ; il devoit changer l'Eglise, neantmoins il ne la mesprise point mays observe, affin d'ensevelir honnorablement. [117]
3. Il s'apelle Jesus ; et on le blesse quand et quand : il faut pati, et ita intrare in gloriam . Benoni, Benjamin.
[1.] Aprenons a servir Dieu de bon cœur, a bonn'heure. In matutinis meditabor in te ; Bonum est viro, cum portaverit jugum ab adolescentia . Cain divise mal. Qui delicate vivit a puero, servus erit . On ne sçait quand on meurt.
[2.] N'estre lasches aux Sacremens. L'usage d'iceux necessaire. C'est la communication et application du sang de Nostre Seigneur : Lavit nos in sanguine suo ; Dealbaverunt stolas suas in sanguine Agni . Il ne faut ouÿr qui dict le contraire. Il ne faut mespriser l'Eglise ; Nostre Seigneur respecte l'Eglise charnelle, et on mesprise la spirituelle.
3. Il faut porter grand reverence au saint nom de Nostre Seigneur. Si on est fasché, le nom de Jesus resjouit ; si on est tenté, il ayde ; si on est blessé, il guerit. Nom de nostre esperance. La boutique est ouverte. [118]
Dixit Jesus discipulis suis parabolam
hanc : Simile est Regnum cœlorum
homini patrifamilias, qui exiit primo
mane conducere operarios in vineam
suam ; conventione autem facta cum
Cest ancien peuple d'Israël se monstra tousjours dur aux commandemens de Dieu ; mais sur tout il se monstra tres bigearre lhors qu'apres l'honnorable relation de Josué et Caleb de la fertilité de la terre promise, et l'exhortation qu'ilz firent pour les encourager d'y aller, ilz conclurent de n'y point aller : et par apres, Dieu ayant adverti qu'ilz n'avançassent, ilz voulurent a toute [119] force y aller, et monterent toute la montaigne, dont malheur en prit. Or, tout ce mal icy leur advint de ce qu'ilz presterent trop legerement l'oreille a quelques fauses relations des espions qui furent envoyés en la terre de promission, et ne voulurent pas croire Caleb et Josué qui les conseilloyent sainctement.
Ainsy une grande partie du mal qui est maintenant entre les Chrestiens vient de ce qu'ilz croyent ceux qu'ilz ne devroyent pas croire, et qu'ilz ne croyent pas ceux qu'ilz devroyent croire : Et dilexerunt homines magis tenebras quam lucem . C'est pourquoy voyant en l'Evangile une infallible marque de ceux auxquelz nous devons croire, et par mesme moyen de ceux auxquelz nous ne devons pas croire, de ceux qui sont vrays ouvriers et de ceux qui sont plustost dissipateurs, je me suis deliberé, estant envoyé pour ceste journëe au milieu de vous autres, comme ouvrier en la vigne de Dieu, de vous monstrer comme il faut fuir quelques uns de ceux qui font profession d'avoir espié la terre de l'Escriture, et faut se rendre obeyssant a la voix de ceux lesquelz sont marqués a bonnes enseignes.
Seigneur, arrouses de la douce pluÿe de vostre grace ceste vostre vigne, affin que la houë et la pesle y puyssent bien entrer ; rendes la traittable, et donnes a cest indigne vigneron la force et l'addresse d'oster les espines et superfluités des mauvaises opinions que le tems y pourroit avoir apporté, a celle fin qu'en son tems elle vous rende le fruict, et le vigneron en puysse avoir le denier promis, qui est ce jour perpetuel. Employons a ces fins l'ayde de la Vierge : Ave Maria.
Moyse, ce grand capitaine de probité, estant appellé de Dieu, lhors qu'il paissoit les brebis de son beau-pere Jetro en la montaigne Oreb, a la charge de la conduitte [120] et gouvernement general d'Israël pour le delivrer des mains de Pharao, la majesté de Dieu luy apparoissant en un buysson ardent, il prattiqua tous les vrays moyens, et demanda a Dieu toutes les vrayes qualités, marques et conditions avec lesquelles il faut entreprendre de parler de la part de Dieu et de gouverner un peuple.
Car tout premierement il reconnoist son indignité : Quis sum ego ut vadam ad Pharaonem, et educam Israel ex Egypto ?
2. Il demande le nom de Celuy qui l'envoye : Si dixerint mihi : Quod est nomen ejus ? quid dicam eis ?
3. Il demande signe : Non credent mihi, nec audient vocem meam, sed dicent : Non apparuit tibi Dominus .
O saint Prophete, o grand pasteur d'Israël, o advisé Moyse, o digne ambassadeur de Dieu, digne secretaire de Dieu, que tu sçavois bien les conditions requises et fondamentales a une telle charge ! Il se tient indigne, il demande le nom, il demande des signes.
Dites moy, comme se pouvoit il rendre digne, sinon se tenant indigne ? comme Marie se dispose a estre Mere de Dieu, en se reconnoissant sa petite servante. Et pour digne qu'il eust esté, comme l'eust on receu, s'il n'eust sceu nommer le Seigneur qui l'envoyoit ? Et encores qu'il eust esté digne, et qu'il eust peu nommer son Seigneur, comme l'eust on creu s'il n'eust faict paroistre de bonnes marques de sa mission ?
C'est icy, mes Freres, la pierre de touche a laquelle vous connoistres si ceux qui se vantent de la parole de Dieu sont vrays ou faux prophetes ; car il n'y a jamais eu secte qui n'aye tousjours dict qu'elle parloit de la part de Dieu, et que ses preschementeries estoyent les [121] vrayes paroles de Dieu, et ne se soit vantëe de l'Escriture : [ainsi] Luther, Calvin et tous les autres, a l'imitation du diable, lequel voulant tenter Jesus Christ luy allegue l'Escriture : Angelis suis mandavit de te. Ilz disent tous qu'ilz sont envoyés ; qu'ilz nomment qui les a envoyés. Si c'est Dieu, ou c'est mediatement ou immediatement : si mediatement, qu'ilz monstrent la succession ; si immediatement et extraordinairement, qu'ilz en produisent les preuves, qu'ilz fassent des miracles. Les Catholiques, envoyés par legitime succession, pouvans dire : Sicut locutus est ad patres nostros , monstrent l'origine de leur mission : Jesus misit Petrum ; Petrus, etc. Nous pouvons dire : Deus, auribus nostris audivimus ; patres nostri annuntiaverunt nobis .
Nostre Seigneur par Hieremie advertit : Nolite audire verba prophetarum qui prophetant vobis et decipiunt vos ; visionem cordis sui loquuntur, non de ore Domini ; et apres : Non mittebam prophetas, et ipsi currebant ; non loquebar ad eos, et ipsi prophetabant. David se trouvant en un tems auquel il y avoit plusieurs errans, dict au Psalme XI : Salvum me fac, Deus, quoniam defecit sanctus, quoniam diminutæ sunt veritates a filiis hominum. Vana loquuti sunt unusquisque ad proximum suum ; labia dolosa, in corde et corde loquuti sunt. Disperdat Deus universa labia dolosa. Qui dixerunt : Linguam nostram magnificabimus, labia nostra a nobis sunt, quis noster dominus est ? Et [122] en Hieremie, 14 : Vaticinantur ; non misi eos ; au 23 : Ecce ego ad prophetas, ait Dominus, qui assumunt linguas suas.
Mais affin que nous sçachions la volonté de Nostre Seigneur en cecy : Sicut misit me Pater, et ego mitto vos, subjungit : Accipite Spiritum Sanctum ; Joan., 20 , post Resur. Ante Ascens. : Omnis potestas data est mihi in cœlo et in terra, subjungit : Euntes docete omnes gentes ; Matth., 28 .
O mes Freres, tenes ceste preuve pour fondamentale, et demandes a, ceux qui vous veulent retirer du sein de l'Eglise : Quis te misit ? Saint Jan Baptiste fut un grand reformateur et envoyé de Dieu extraordinairement ; mays, encores qu'il ne dist rien contraire a l'eglise judaïque, pour ce qu'il venoit a un grand office, vous verres qu'il a des marques pour se faire connoistre ; sa vie miraculeuse, sa nativité, contraignoit de dire Quis, putas, puer iste erit ? Saint Pol, extraordinairement envoyé, voulut encor une marque visible par l'imposition des mains d'Ananie, Act., 9 : Ut videas, dict Ananie, et implearis Spiritu Sancto.
Que diray je ? Nostre Seigneur, apres avoir esté prædict avec tant de circonstances, encores veut il monstrer sa mission, et se targue tousjours d'icelle, disant tantost : Sicut misit me Pater (20. Jo. ), Doctrina mea non est mea, sed ejus qui misit me (7. Jo. ) ; et puys [123] il s'escrie : Et me scitis, et unde sim scitis, et a meipso non veni. Voyla donques comme il se targue de sa mission, de laquelle il n'avoit besoin de faire autre preuve que par l'Escriture ; car il avoit esté si formellement praedict, qu'on le pouvoit bien reconnoistre. Tous les Prophetes ne parlent que de luy, tellement qu'il pouvoit bien dire : Scrutamini Scripturas ; illæ testimonium perhibent de me . Mays nonobstant tout cela, non content de se dire estre envoyé, non content de prouver sa mission par l'Escriture, il veut un tesmoignage perceptible et clair de son Pere, au Baptesme, en sa Transfiguration : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi bene complacui ; ipsum audite ; et de rechef en saint Jan, 12 : Et clarificavi, et iterum clarificabo. Il atteste sa mission par miracles, et proteste que sans les miracles sa mission n'estoit pas justement prouvëe au peuple ; de maniere qu'il dict en saint Jan, 14 : Parole quæ loquor vobis, a meipso non loquor ; et incontinent : Alioquin propter ipsa opera credite ; et au 15 : Si opera non fecissem in eis, quæ nemo alius fecit, peccatum non haberent.
Tirons donques ceste conclusion tres certaine, [1.] que la mission est necessaire, comme dict saint Pol, Ro., 10 : Quomodo invocabunt in quem non crediderunt ? quomodo credent quem non audiverunt ? quomodo audient sine prædicante ? Quomodo prædicabunt nisi mittantur ? [124]
2. Qu'il ne suffit de dire qu'on est envoyé, car il faut justifier comment : si mediatement, comme Timothee par saint Pol, auquel il escrivit, 2 Timot., 1 : Admoneo te ut resuscites gratiam quæ est in te, quæ data est tibi per impositionem manuum mearum ; si immediatement, comme saint Pol et Barnabas, Act., 13 : Segregate, dict le Saint Esprit, mihi Saulum et Barnabam in opus ad quod assumpsi eos. Tunc jejunantes et orantes, imponentesque eis manus, dimiserunt eos. Ce que Calvin confesse, [Instit.,] l. 4, c. 3.
3. Quicomque allegue mission extraordinaire la doit prouver ; car quelle regle pourrions nous tenir, s'il ne falloit que dire ? Ainsy Moyse, saint Jan ; et Nostre Seigneur mesme le prouve.
4. Que jamais mission extraordinaire ne fut bonne qui ne soit approuvëe de l'ordinaire. Voyes vous saint Pol, de l'extraordinaire comme il va a l'ordinaire ? Et puys, qu'on m'en monstre un exemple. Saint Jan ne fut il pas approuvé par les scribes et prestres qui envoyerent ceste noble legation : Tu quis es ? et jamais ne trouverent que bonne sa doctrine. Quant a Nostre Seigneur, il n'avoit a prendre authorité de personne, pource qu'il luy suffisoit de prouver qu'il estoit le Filz du Maistre ; et neantmoins Simeon l'approuve, Zacharie, saint Jan, et Caïphe qui prophetize. Mais despuys Jesus Christ et la fondation de l'Eglise, quicomque n'est approuvé de l'Eglise, sit tibi tanquam ethnicus et publicanus. Die Ecclesiæ. Ecclesia est firmamentum et columna veritatis. Ego vobiseum sum usque ad consummationem sæculi . [125]
Mays escoutes si en l'ancienne Loy cela estoit vray. 2 Par., c. 19 : Pontifex vester in iis quæ ad Deum pertinent, præsidebit ; au Deut., 17 : Qui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur. Et ne faut point dire que l'ordinaire manque quelquefois, car regni ejus non erit finis. Regnum tuum, regnum omnium sæculorum . Ego vobiscum sum usque ad consummationem sæculi.
En fin, que recueillons nous ? Puysque nos hæretiques ne nous sçavent dire d'ou ilz viennent ny qui les a envoyés, il se faut garder de les ouÿr ; car assumunt linguas suas, et aiunt : Dicit Dominus . Et puysqu'ilz ne veulent ouÿr l'Eglise, sint nobis tanquam ethnici et publicani. Et pouvons bien dire d'eux ce que saint Pol prædict aux prestres Ephesiens, aux Act., 20 , les voulant laisser : Ego scio quoniam post discessionem meam intrabunt lupi rapaces in vos, non parcentes gregi ; et ex vobis ipsis exurgent viri loquentes perversa, ut abducant discipulos post se. 1. Intrabunt, non mittentur. 2. Lupi, non canes ; silvestres, non cogniti ; feri, non pastoribus parentes. 3. Ex vobis ipsis : Catholici non ex Calvinistis, sed contra ; quia prius Catholici quam hæretici. 4. Ut abducant discipulos : Catholici non abduxerunt discipulos Calvini, sed Calvinus Catholicorum. Voyes donques, [126] ilz ne sont pas vrays ouvriers, quia paterfamilias non conduxit, non misit, non dixit ite ; sed intraverunt, venerunt : Currebant, et ego non mittebam .
Mays cela s'entend quant a la vocation des prædicateurs, docteurs et pasteurs de l'Eglise, laquelle n'est commune a tous, car si chacun est pasteur, ou sont les brebis ? mays seulement de quelques uns qui sont envoyés, comme Moyse, Aaron, saint Jan, Isaye, Hieremie, Helie et David, etc. Or, il y a une autre vocation qui est commune, et comme chacun ne doit penser estre appellé a la premiere, aussi chacun se doit tenir pour appellé a la seconde. Et comme ce seroit grand peché que chacun se voulust mesler de la premiere, aussi ce seroit grand peché que chacun ne suivist la seconde. En somme, comme c'est grand peché de suivre la voix des faux pasteurs, aussi est-il péché de n'ouÿr la voix des vrays et ne leur obeir. Tota die, dict Nostre Seigneur, expandi manus meas ad populum non credentem et contradicentem mihi. Si quis sitit, veniat ad me. Ego sto ad ostium et pulso . Par les prædicateurs : Qui vos audit, me audit. Hodie si vocem ejus audieritis . Et quelle voix ? Ut quid statis tota die otiosi ? Ite et vos in vineam meam. Veniet nox in qua nemo potest operari ; Circumdederunt me gemitus mortis, pericula inferni circumdederunt me .
N'attendes pas caresme prenant, car que sçaves vous si vous le verres ? Ducunt in bonis dies suos ; in puncto in infernum descendunt . Circumdederunt me [127] dolores mortis. Il ne faut sinon qu'un pied nous faille. Usquequo, piger, dormies ? Paululum dormies, paululum dormitabis, et veniet tibi pauperies quasi vir armatus ; c'est a dire, laquelle tu ne pourras eviter. Nisi pænitentiam egeritis, omnes similiter peribitis. An nescis, dict saint Pol, quia patientia Dei ad pænitentiam te expectat ? Tu autem secundum impænitens cor tuum, etc. Commences des aujourd'huy, de peur d'estre surpris. Vocavi et renuistis ; ego quoque in interitu vestro ridebo. Ecce tempus acceptabile, ecce nunc dies salutis. Dum tempus habemus, operemur bonum . Abner demanda a Joab, cappitaine de David : Usquequo mucro tuus desæviet ? Vivit Dominus, dict Joab, si mane loquutus fuisses, recessisset populus persequens. Pharao se veut retirer du milieu de la mer, et ne peut. Pœnitentibus veniam promisit, tempus pœnitendi non promisit .
Quelles occasions n'avons nous point de sortir de nostre paresse ? tant de maux que nous voyons tous les jours, etc. Nostre Seigneur faict comme le pere qui, tenant les verges en main, dict a ses enfans lesquelz il chastie : Ne seres vous jamais sages ?
Prieres, contrition, confession, bonnes œuvres.
Mundus clamat : Deficio. Caro clamat : Inficio. Dæmon clamat : Decipio. Christus clamat : Reficio . [128]
Ite et vos in vineam Domini ; quod justum fuerit, dabit vobis . Il est juste que ceux qui estans appelles l'ont suivi en ce monde, le suivent en l'autre : Ut ubi ego sum, illic sit et minister meus, et accipiat mercedem ; Ego sum merces tua magna nimis . Courage, mes Freres : tous sont appellés, tous ne sont pas esleuz ; il ne tiendra qu'a nous si nous n'allons travailler en sa vigne. Il y a de la peyne, mais non sunt condignæ passiones hujus sæculi ad futuram gloriam . Pour un jour de travail, une recompense eternelle ; pour un jour de peyne, un repos eternel la haut en Paradis. Hæc requies nostra in sæculum sæculi ; hic habitabimus, si eligamus eam . La nous te loüerons a toute eternité, si nous te servons en ceste briefve journëe de ce monde : c'est, o Seigneur, dequoy nous vous prions nous faire la grace, puysque vous estes le Dieu de misericorde, Pere, Filz et Saint Esprit. [129]
Qui habet aures audiendi, audiat.
La prise de la ville de Hiericho par le vaillant capitaine general des Israëlites Josué, est bien l'une des remarquables qui furent onques faites, pour le stratageme avec lequel les murailles d'icelle furent du tout renversëes, et Hiericho demeura toute nue et demantelee devant l'armëe des Israëlites.
Or le stratageme fut tel, au rapport qu'en faict Josué mesme es sacrés memoyres qu'il escrivit des choses advenues sous sa conduitte, au sixiesme chapitre. Estant l'armëe en la campaigne de Hiericho, Josué levant les yeux en haut, vit un homme vis a vis qui tenoit son espëe nue en main, duquel s'approchant Josué, il luy dict : Es tu de nos gens ou de nos ennemys ? Ce gendarme respond : Non, ny l'un ny l'autre ; je suis prince de l'armëe du Seigneur ; me voicy venu tout maintenant. Josué se jette a terre, l'adore et luy demande ses commandemens. Or, le Seigneur luy dict par son Ange : Je vous veux livrer Hiericho. Environnes la une foys le jour durant six jours ; le septiesme, environnes la sept fois ; et en ces environnemens, mettes ordre que l'on porte l'Arche, et devant [130] icelle, aillent sept prestres avec des trompettes sonnant. Et au dernier environnement, Ihors que les prestres auront sonné plus longuement et puissamment, que tout le peuple crie tant qu'il pourra, et les murailles tomberont, et chacun entrera par l'endroit ou il se trouvera, par dessus les murailles. Qui ouÿt jamais raconter un tel siege ? Qui conneut jamais un ingenieur si subtil, qui, au son des trompettes, fit renverser des murailles entieres ? Qui vid jamais, semblable batterie ? Josué leve les yeux en haut ; d'en haut vient l'Ange, il l'adore ; l'Ange luy enseigne de la part de Dieu le stratageme, Josué croid et se fie en Dieu, il faict ce qui luy est commandé ; parmy son armëe l'Arche de Dieu y est, les prestres sonnent, les murailles tombent.
O les belles instructions pour nos capitaines, de lever leurs courages en haut vers Dieu, invoquer les Saintz et s'appuyer en Dieu, le croire, obeyr a ses commandemens. Ha, si l'intention estoit au Ciel, si la confiance estoit en Dieu, si l'honneur deu aux serviteurs de Dieu estoit rendu, si on croyoit et obeyssoit a Dieu, il n'y auroit rien d'imprenable, tout renverseroit devant les Chrestiens. Mays je ne suis pas icy pour apprendre la maniere comme il faut entrer et prendre a force les villes terrestres ; je voudrois plustost vous dire comme il faut prendre et subjuguer les villes et forteresses spirituelles, ennemies de Dieu et des Saintz, pour le service de la divine Majesté. Ave Maria.
L'ame de l'homme, mes Freres, est une belle ville, par nature sujette a Dieu ; mays bien souvent, par revolte et rebellion, et par les factions des affections et parties superieure et inferieure, elle est rendue sous l'obeyssance du peché ; car qui facit peccatum, servus est peccati . [131]
Qui trouvera mauvais que j'appelle l'ame de l'homme une ville, puysque les philosophes l'ont bien appellëe un petit monde, puysqu'elle est « l'abbregé » de toutes les perfections « du monde, » recueillant en soy tous les grades plus parfaitz d'iceluy, comme tout le plus beau d'une province se retrouve en la ville principale d'icelle ? En ceste ame encores, vous semble il pas qu'il y ayt un magazin qui vaut plus que tous ceux d'Anvers ou de Venise, puysque la memoyre retire toutes les idees de tant de varietés de choses ? Vous semble il pas qu'il y ayt un brave ouvrier, puysqu'en l'entendement possible, toutes choses s'y font en des especes incomparables ? Vous semble il pas qu'il y ayt un ouvrier, lequel avec cent millions d'yeux et de mains, comme un autre Argus, faict plus d'ouvrage que tous les ouvriers du monde, puysqu'il n'y a rien au monde qu'il ne represente ? qui est l'occasion qui a faict dire aux philosophes que l'ame estoit tout en puyssance. C'est ceste ville laquelle, plus que toute autre, se peut vanter que le sçavoir de son bastisseur a esté rendu admirable en son edification, selon le dire du Psalmiste : Mirabilis facta est scientia tua ex me ; c'est d'elle qu'on peut dire : Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei .
Or, ceste forteresse a esté vendue au diable lhors que le peché l'a environnëe ; dont le diable a esté appellé le prince de ce monde. Et Nostre Seigneur, parlant de luy comme d'un capitaine, a dict : Cum fortis armatus custodit atrium suum, etc. Les murailles d'icelle qui tiennent en la puissance du diable ceste ame, sont ses iniquités, desquelles parlant le Psalmiste, Psalme 54 : Die ac nocte circumdabit super muros ejus iniquitas. C'est le peché qui empesche que Dieu ne se rende maistre de nos ames, et ne peut entrer en nous, ains demeure a la porte : Ego sto ad ostium et [132] pulso . Isa., 59 : Peccata vestra diviserunt inter vos et Deum.
Or, ces murailles icy doivent tomber devant nostre Jesus, non plus filz de Navé mais Filz de Marie, a celle fin qu'il entre dans nostre ame et s'en rende possesseur. Que si celles de Hiericho tomberent au son des trompettes des prestres, celles-ci doivent tomber encores au son de la trompette evangelique et la prædication de la parolle de Dieu, suivant ce que sa Majesté dict a Hieremie : Ecce dedi Mot meum in ore tuo ; constitui te super gentes, ut evellas, et destruas, et disperdas, et dissipes, et ædifices, et plantes ; c. I. Ainsy David se fit maistre de Sion, suivant ce qu'il dict : Ego autem constitutus sum rex ab eo super Sion montent sanctum ejus, prædicans præceptum ejus. C'est de ces murailles que nous pouvons dire : Ascendite muros ejus, et dissipate, comme dict Nostre Seigneur de Hierusalem ; Hier., 5 .
Mais a cest effect, je trouve troys conditions requises : la premiere, c'est la bonne intention ; la seconde, l'attention ; la troysiesme, l'humilité. La bonne intention estoit bien aux Israëlites, puysqu'ilz faisoyent cela pour la terre de promission ; l'attention, car Josué leur avoit dict qu'ilz ne fissent point de bruit ; l'humilité, en leur obeyssance. Et avec ces troys conditions, au son de la trompette des prestres, ilz se rendirent maistres de Hiericho.
Quant a l'intention, mes Freres, je voudrois qu'elle fust a l'avenant de celle de Nostre Seigneur, lequel ne nous a pas voulu parler pour autre fin que pour nous [133] sauver : Ut fides sit ex auditu, et omnis qui credit in eum non pereat, sed habeat vitam æternam . Je voudrois qu'elle fust comme celle des bons prædicateurs, qui est, comme dict saint Pol : Prædicamus autem Jesum Christum crucifixum ; Judæis quidem scandalum, etc. ; et aussi que l'intention fust de recevoir en son cœur Jesus Christ. Ou sont ceux qui ne vont a la prædication par curiosité de voir les façons et les paroles ? Que diries vous de ce malade lequel sçachant qu'en un jardin il y a l'herbe qui le peut guerir, n'y va que pour voir quelques fleurettes ? Semblables a Herodes, qui ne desiroit de voir Nostre Seigneur que par curiosité, et le mesprisa ; aussi mesprisent-ilz les prædicateurs quand ilz en ont passé leur fantasie, comme les femmes grosses, qui non par faim, mais par fantasie, desirent des viandes. Ah non ; mays comme il faut desirer la viande pour [se] nourrir, ainsy faut il user de la parole de Dieu, qui est l'aliment de nos ames : Non in solo pane vivit homo, sed in omni verbo quod procedit de ore Dei. Euntes, dict Nostre Seigneur, prædicate Evangelium omni creaturæ ; qui crediderit, salvus erit. Voyla la fin : Ut cognoscant te, solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum . Qui, donques, habet aures audiendi, audiat.
Quand l'homme entend la parole de Dieu sans ceste intention, elle est en luy comme ceste semence qui tombe dans le chemin : Aliud cecidit secus viam ; la vayne gloire et la curiosité la perdent. C'est escouter la prædication comme un mottet de musique ; Ezech., 33 : Es eis quasi carmen musicum ; et audiunt [134] verba tua, et non faciunt ea. Comme le malade qui regarderoit la boëte contenant la medecine de sa guerison.
La seconde disposition qu'il faut avoir pour bien ouyr la parole de Dieu, c'est l'attention ; car il y en a plusieurs qui viennent au sermon pour faire leur proffit, mais y estant, ou en dormant ou en causant ou en pensant ailleurs, ilz ne sont pas attentifz ; auxquelz, quand ilz sont de retour, si l'on demande que c'est qu'ilz ont rapporté du sermon, ilz peuvent bien respondre qu'ilz en sont revenuz gens de bien, pour en avoir rapporté les oreilles ou leur chapeau. Et ceux-ci sont encores de ceux qui se doivent sentir piqués de ceste parolle de Nostre Seigneur : Qui habet aures audiendi, audiat ; car, aures habent et non audiunt .
Or, cecy n'est pas une petite incivilité, que Dieu parlant a nous, nous ne voulions l'escouter, ne plus ne moins que si nous parlions a Dieu sans y penser ; de maniere que de ceux la Nostre Seigneur dict : Populus hic auribus me honorat, cor autem eorum longe est a me. Ah, que le Psalmiste n'estoit pas de ceste façon : Audiam quid loquatur in me Dominus Deus. I Reg., 3 , Heli enseigne a Samuel la façon d'ouÿr Dieu. Dices : Loquere, Domine, quia audit servus tuus. Jonæ, 1 , Dieu fait un grand vent sur mer, si que chacun s'addresse a Dieu, et Jonas dort. Ainsy Dieu envoye le vent de sa parole et espouvante toute la barque, et l'auditeur dort. L'attention est si requise, que souvent l'intention defaillant, l'attention proffite. Saint Aug., l. 5, Confess. : « Veniebant in animum meum simul cum verbis quae diligebam, res etiam quas negligebam ; et dum cor aperiretur ad [135] excipiendum quam diserte diceret, pariter intrabat et quam vere diceret. »
La troisiesme condition est l'humble obeyssance a la parole ouÿe ; car ceux qui oyent, et pour cela ne s'amendent pas, non habent aures audiendi : Ego tanquam surdus non audiebam, et sicut mutus non aperiens os suum . Ce qui procede de plusieurs causes : l'une, qu'ilz ne reçoivent pas la parole de Dieu comme telle, ains comme la parole des prædicateurs ; et toutesfois Nostre Seigneur a dit une foys pour toutes : Qui vos audit me audit, qui vos spernit me spernit ; Et ego vobiscum sum usque ad consummationem sæculi ; et ailleurs : Non estis vos qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri, etc. Dequoy se plaignant Nostre Seigneur, il dict a Ezechiel : Nolunt audire te, quia nolunt audire me. Et saint Pol s'en vante, 2 Cor., 13 : An experimentum quæritis ejus qui in me loquitur Christus ? De la vient qu'ilz se moquent du pauvre prescheur, et prennent garde s'il crache, s'il luy eschappe une parole impropre.
L'autre cause, c'est qu'ilz rejettent tousjours sur autruy ce qui est dict par le praedicateur : O on a bien parlé contre cestuy-ci, etc. Quand on est invité au banquet on prend pour soy ; mays icy on est extremement courtois, car on ne cesse de donner aux autres. Vistes vous jamais un plus prompt jugement que celuy que fit David, lhors que Natan luy parla de sa faute en la personne d'un tiers ? Peut estre n'eust il pas esté si facile s'il eust parlé directement a luy mesme. [136]
La troisiesme [cause] d'ou il vient, c'est que la parolle de Dieu chasse le peché de l'ame, et l'homme qui se plaist au peché la trouve amere lhors qu'elle le sollicite : Ad tempus credunt, et in tempore tentationis recedunt . Ilz la trouvent bonne du premier abord, mais par apres, quand il faut venir a l'œuvre, ilz la trouvent amere. Ezech., 3 : Aperui os meum, et cibavit me volumine illo, et factum est sicut mel in ore meo ; in ore, mais non in stomacho, quand il est question de faire operation. La parole de Dieu est une medecine, une manne : Beati qui audiunt Mot Dei, en mangeant, et custodiunt illud , en digerant, etc. C'est pourquoy on voit si peu de fruict des prædications, et on rebat tant de fois une chose : Manda, remanda, etc.
Les uns oyent par mauvaise intention de coustume, de curiosité : Et volucres cœli comedunt illud ; apres qu'ilz ont dict leur opinion du prescheur, c'est tout. Les autres, avec si peu d'attention, que la parolle de Dieu ne va pas jusques au cœur : Et natum aruit, quia non habebat humorem . Les autres, avec tant de vices et mauvaises inclinations, si peu d'humilité et tant de superbe : Et simul exortæ spinæ suffocaverunt illud , si qu'elle n'est pas venue a son effect. O que Nostre Seigneur pourroit bien faire les lamentations de Job : Quis mihi tribuat auditorem ? Qui me donnera un auditeur de ceux que je desire, qui in corde bono et optimo audiens Mot retineat, et fructum afferat in patientia ? Qui habet aures audiendi, audiat. [137]
Ceux qui ne font prouffit de la parole, sont semblables a Urie, portant lettres a Joab sans sçavoir ce qu'elles contiennent. Fallentes vosmetipsos. Estote factores (Jac., I ) ; qui enim verbi auditor est, et non factor, hic comparabitur viro consideranti vultum nativitatis suæ in speculo : consideravit enim se et abiit, et statim oblitus est qualis fuerit. Mes Freres, soyes fervens a ouyr la parole, car Evangelium Dei virtus est in salutem omni credenti . Escoutes-la avec humilité : Statue servo tuo eloquium tuum in timore tuo . Les murailles de vostre Hiericho tomberont devant la parole : Emittet Mot suum, et liquefaciet ea . Nostre Josué entrera dedans avec tous ses dons, et y tuera toutes nos mauvaises habitudes, mortifiant toute nostre ame. Il n'y aura que Raab de sauvëe : Raab, nostre foy, laquelle ne faisoit point d'oeuvres que bastardes. Ainsy regnera Nostre Seigneur en nous. Amen. [138]
Pœnitentiam agite, appropinquavit
Ce sont les premieres ou plustost fondamentales paroles de la predication de Nostre Seigneur, lequel apres avoir jeusné quarante jours en la montaigne, descendant de la, commença a prescher aux Juifz, et puys a tout le monde, la sainte pœnitence pour la remission des pechez ; nous faysant connoistre qu'ayant faict ce saint jeune pour une pœnitence non ja necessayre (car qui ne pecha jamays et ne peut onques pecher n'avoit ja besoin de pœnitence), mays pour une pœnitence exemplayre, il demandoit de nous pareille pœnitence, et qu'avec semblable façon nous surmontassions [139] les tentations. Enseignement lequel a esté entendu de ceste façon de tous nos anciens Peres, du college mesmes des Apostres, et semini ejus in secula , et a esté ainsy interpreté per os sanctorum qui [a] Christo sunt prophetarum ; lhors que par « tradition de main en main, » ilz ont observé tres etroittement et commandé le sainct jeusne de Caresme, affin qu'en ce tems la on fit particulierement pœnitence, pour s'approcher dignement autant qu'on peut du Royaume des cieux, ou ne se rendre pas incapables d'iceluy, s'approchant de nous par la communication du præcieux Cors de Nostre Seigneur, vive memoyre de la mort de Nostre Seigneur et de sa Croix, par laquelle le Royaume de Dieu, qui n'estoit qu'a Dieu seul, a esté mesme communiqué aux hommes.
Qui est la rayson pour laquelle, devant choysir quelque proufitable discours avec lequel je peusse conduyre pas a pas, a journëes rompues, vos ames au pied de la Croix au mont Calvaire par affection, et au saint Cors et Sang de Nostre Seigneur par realité, et vous y faire aborder heureusement, j'ay choysi ces saintes paroles, par lesquelles nous sommes advisés que le Royaume de Dieu s'approchant, si nous voulons [y] avoyr part, il faut que de nostre costé nous nous approchions de luy. Et pour nous en approcher, estans en la mer de ce monde, entre les flotz et les bourrasques de nos propres pechés, esquelz nous sommes tumbés par le miserable naufrage que nous avons faict par nostre faute, de l'innocence baptismale, il faut que nous [empoignons] nous jettions dedans l'esquif de pœnitence, seul refuge, seule consolation en ces dangers ; sur lequel, quoy que [nous] ne soyons sans crainte, regret, souspirs, faim et autres telles peynes, si est que nous sommes seurs d'arriver, si nous [140] avons bon courage, au port desiré de la Croix, et par apres de la gloire. Nous sommes advisés que, si nous voulons, le Royaulme des cieux, vraÿe terre de promission, est pour nous ; il ne faut que sortir d'Egipte et fayre pœnitence, que bien tost nous y arriverons. Et c'est de ce voyage, c'est de ce pelerinage duquel je veux discourir, et quasi vous conduire de logis en logis, par la main de la consideration, jusques au lieu que vous deves desirer.
Mays pour ce que le chemin par lequel nous devons passer est un grand desert de pœnitence, avant toutes choses je vous veux dire un peu des conditions et qualités d'iceluy, affin que vous ne soyes pas si nouveaus par apres des choses que nous y verrons par le menu ; et puys, nous regarderons de nous acheminer. [141]
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Dilexi decorem domus tuæ et locum habitationis gloriæ tuæ ; Beati qui habitant in domo tua, Domine .
D'icy il propose ne plus offencer, et se desplaict avoir perdu son Paradis, et se lamente de sa perte. Puys, regardant en haut, et voyant le Ciel ouvert avec la clef de la Croix, il monte sur la colline d'esperance, toute fleurie et pleyne de l'odeur des olives de grace et des lauriers de gloire ; et c'est alors que l'ame souspire, c'est alors que les espris se resveillent pour aller en Paradis, pour sortir du peché. Et celluy qui estoit accoustumé aux playsirs du peché, commençant desja a fleurer, a ressentir et savourer les playsirs de la grace sur ceste colline d'esperance, regrettant infiniment le tems perdu et regardant les loyers æternelz de la vertu, elle peut bien dire : Defecerunt oculi mei in eloquium tuum, dicentes : Quando consolaberis me ? Defecerunt oculi mei, suspicientes in excelsum. Quis dabit mihi pennas sicut columbæ ? et volabo . [142]
Mays comme l'espervier affamé regardant contre la belle proye, se voulant jetter au vol pour s'en saysir et assovir son estomac et avidité, au premier elancement quil faict se trouvant attaché, tout colere, bat tant des aisles et des pieds quil romp son lien, ainsy l'ame qui est arrivëe sur ceste verdoyante et gaÿe colline d'esperance, regardant le Paradis qui luy est donné en proÿe, tasche de s'y eslancer ; et c'est lhors quil se sent estre lié par le peché, non pas au paravant. O quel regret ; les plumes ne luy manquent pas, ni le courage : Dirumpamus vincula eorum ; Dominus solvit compeditos . C'est alors quil se debat, voulant fuir l'enfer d'un costé et prendre la proye de l'autre ; c'est alhors quil entre es saints et justes courroux d'attrition. Mays imagines vous que l'espervier sceust parler et quil eust rayson, ou plustost que quelqu'un parlast pour luy ; ne diroit il pas au maistre : Laschez moy, je vous prie, je ne m'iray point esgarant, je retourneray tousjours a vous ? O l'ame devote ayant rayson, se sentant lier, n'est pas comme l'oyseau qui ne faict que battre, mays regardant son Maistre, elle s'addresse a luy : Seigneur, deslie moy ; Seigneur, filia mea male a demonio vexatur ; Ad te, Domine, levavi animam meam, Deus meus in te confido, non erubescam .
De la, l'ame s'en va sur la colline de l'amour ; car voyant son Maistre prest a la delivrer d'enfer et luy donner le Paradis, non obstant tous ses pechés, pourveu qu'elle recoure en ferme fiance a luy, elle commence a admirer la bonté d'icelluy : Quam bonus Israel Deus, iis qui recto sunt corde . O si j'eusse esté si sage que d'obeir a ses commandemens, que je jouyrois bien de ses faveurs. O quil est bon : Confitemini Domino [143] quoniam bonus . Et puys tout a coup, la voyla parmi les amœnités de charité : Diligam te, Domine, fortitudo mea ; Dilexi, quoniam exaudiet Dominus . Et de dessus ceste colline, elle considere encor ses pechés, lesquelz elle deteste : Peccavi in cœlum et coram te, jam non sum dignus, Domine, non sum dignus vocari filius tuus ; ut intres sub tectum meum. Non intres in judicium cum servo tuo, Domine; Miserere mihi, Domine, secundum magnam misericordiam tuam . Comment donques ay je bien eu le courage d'offencer une si grande bonté ? Ja n'advienne que desormais je retourne a une si grande iniquité.
Que si peut estre tu ne peux pas monter au Ciel pour aller contempler la bonté de Dieu, regarde la en son miroir : Miroir de la bonté de Dieu est la Passion du Sauveur Jesus. Regarde ce beau jeune gentilhomme, la beauté du monde, la bonté parfaitte, la douceur des Anges, venu en terre, et demande : Pourquoy est venu le Roy du Ciel en terre ? Et les Anges te respondront : Sic Deus dilexit mundum . Y est il venu volontairement ? Tres : Exultavit ut gigas ad currendam viam . Et pourquoy ? Sic Deus, etc. Mays sil vouloit venir, pourquoy n'est il venu triomphant, non pas passible ? Ut iniquitates omnium nostrum ipse portaret . Et cela, l'a il faict de bon cœur ? De si bon cœur que desiderio desideravit hoc Pascha . Pourquoy ? Sic Deus dilexit mundum. Pourquoy donques [144] en ce jardin d'Olives ou je suys venu avec luy, se contriste il ? Pour te monstrer quil endure reallement, et d'autre costé, voyant que tu mesprises ainsy sa redemption et quil y a si peu de gens qui en face conte. Pourquoy a il voulu tant endurer ? Sic Deus dilexit mundum.
Sus donques, debout, o mon ame : Si Dieu t'a tant aymé que pour te laver de tes pechés il a envoyé son Filz, regrette, lamente, pleure les pechés que tu as commis, et desormais n'abandonne jamais un si bon Maistre. Crie luy merci du passé, et pour l'avenir prometz qu'a la premiere commodité tu te confesseras, et pour n'estre ingrate feras une vraÿe vie de pœnitence, cheminant outre la journëe de contrition, encores par celle de pœnitence et satisfaction. O mes Freres, si vous aves cest'affection vous estes bien arrivés au mont d'Olivet, c'est a dire de paix et de grace. Si vous n'y estes encores, chemines toute cest'huitayne en ceste desplaysance de vos pechés, et je suys asseuré que, aydant Dieu, vous y arriveres, et entendres la douce voix du Sauveur : O anima, magna est fides tua ; fiat tibi sicut vis . [145]
FERIA 6 POST 3. DOMINICAM QUADRAGESIMÆ
Venit hora et nunc est, quando veri
in spiritu et veritate ; nam et Pater
Spiritus est Deus, et eos qui adorant
eum, in spiritu et veritate oportet adorare.
Ceste ci est l'une des plus notables et signalëes sentences de l'Evangile, en laquelle la maniere de bien et deüement servir Dieu est exprimee et declairee par Dieu mesme. Au reste, elle est tres difficile, et tirassëe ça et la par les adversaires de l'Eglise Catholique, pour renverser la foy des Anciens ; et neantmoins en icelle sont cachés plusieurs admirables secretz en confirmation [146] de la creance de l'Eglise et de la vérité d'icelle ; secretz et mysteres lesquelz jamais nous ne descouvrirons, si Celuy qui les y a mis pour nostre salut ne les nous faict voir par sa grace. Prions le donques par son sang, qu'il nous en fasse participans a son honneur et gloire, et prenons pour advocate sa Mere, a laquelle nous presenterons le salut angelique. Ave Maria.
Comme le chasseur ayant donné la chasse et le cours au cerf et a la biche, la va attendre aupres de quelque fontayne ou elle a accoustumé de s'abbreuver (car ceste sorte d'animal est sujette a la soif estrangement), pour la prendre apres que la froideur de l'eau l'aura engourdie, suivant le dire du Psalmiste : Comme le cerf crie vers la fontayne, ainsy mon ame vous souhaite, o mon Dieu, tout de mesme Nostre Seigneur, en l'histoire de l'Evangile du jourdhuy, s'en va aupres d'une fontayne attendre une pauvre pecheresse alterëe par son iniquité, affin de la prendre d'une tres glorieuse chasse, apres qu'avec ses saintz discours il l'a engourdie aux mouvemens de son peché et de sa concupiscence. Mais oyes briefvement l'histoire, puys nous nous arresterons sur nostre principal poinct quand nous l'aurons rencontré.
Les disciples de Nostre Seigneur baptizoyent une grande multitude de personnes en Judee, et beaucoup plus que saint Jan Baptiste n'avoit fait ; dequoy Nostre Seigneur s'appercevant les Scribes et Pharisiens estre irrités, pour l'envie qu'ilz avoyent sur luy, et n'estant encores venu le tems de sa Passion, voyant le peu de proffit qu'il faisoit en Judee, et pour donner commencement a sa sainte prædication, il s'en alla en Galilee et s'arresta en Capharnaum, qui estoit sur les limites de Zabulon et Nephtali, suivant la prophetie d'Isaye : Primo tempore alleviata est terra Zabulon, et terra Nephtali. [147]
Or, entre la Judee et la Galilee estoit la Samarie, en laquelle il y avoit une ville qui s'appelloit Sichar, ville situëe sur le mont Garisin, illustre pour avoir esté le chef du royaume d'Israël, establie par cest acariastre Hieroboam ; pource qu'Abraham, sortant de Mesopotamie, y ædifia un autel, y estant arrivé, ceste terre luy fut promise. Jacob, revenant de Mesopotamie, y dressa sa tente et y acheta une partie du champ d'Hemor. La fut corrompue Dina, et le filz du Roy tué et beaucoup d'hommes, par les enfans de Jacob. Ce fut une cité de refuge. Joseph y fut enseveli en un champ qui avoit esté donné a Joseph en prerogative, qui estoit celuy d'Hemor.
La estoit une fontaine de Jacob qu'il fit faire, et Joseph y estoit enseveli, ou Nostre Seigneur estant arrivé, lassé et recreu du chemin qu'il avoit faict, il s'assit ainsy sur la fontaine : Jesus autem fatigatus ex itinere sedit sic supra fontem. Sic, ainsy, comme il se trouva ; sic, parce qu'il estoit las ; sic, il estoit recreu, et par ainsy il s'assit ; sic, comme un autre homme. Consideres vous point la bonté de ce Seigneur, l'affection de ce Chasseur qui court pour prendre la proye de l'ame, tant qu'il est las et contraint, par maniere de dire, de se reposer ? Consideres vous point nostre lascheté, qui nous faschons de la moindre peyne du monde qu'il faut prendre pour nous sauver nous mesmes ? Or, Nostre Seigneur n'estoit pas las sans cause, car il avoit cheminé bien tard, et a pied sans doute, dont l'Evangeliste dict : Hora autem erat quasi sexta, il estoit ja quasi midy ; car les Juifz partagent le jour en douze heures et la nuict en douze.
Et ce pendant que ce celeste Chasseur se repose, voicy venir la pauvre miserable biche, mays bien tost heureuse et trois fois heureuse Samaritaine, qui venoit a l'eau : Venit autem mulier de Samaria haurire aquam. O bienheureuse Samaritaine, tu viens puiser l'eau mortelle, et tu as trouvé l'eau immortelle de la grace du Sauveur. Heureuse Rebecca, qui venant a la fontaine y trouvas le valet d'Abraham qui te rendit espouse d'Isaac ; mais [148] plus heureuse Samaritaine, qui venant a l'eau maintenant, y trouves Nostre Seigneur qui, de pecheresse que tu estois, te rend sa fille et son espouse.
Voicy l'occasion que Nostre Seigneur prend de sauver ceste ame ; car la, pres de la fontaine, il luy dict : Da mihi bibere, Donnes moy a boire. Nostre Seigneur, pour avoir occasion de nous faire du bien, nous demande les oeuvres de misericorde. Il ne demande pas a boire pour boire, mais pour faire boire ceste Samaritaine l'eau de grace. Or, il entre en propos avec elle, parce que ses disciples estoyent allés en la ville acheter des viandes ; Discipuli enim ejus abierant in civitatem ut cibos emerent. Parlant aussi seul avec elle, il avoit plus de commodité de luy faire confesser son peché, dont la femme luy dict, dixit ergo ei mulier Samaritana (parce qu'elle n'eust pas commencé ; Bern., 1. De Grat. et Lib. Arb. : « Conatus liberi nostri arbitrii cassi sunt si non adjuventur, et nulli si non excitentur ») : Quomodo tu, Judæus cum sis, bibere a me poscis, quæ sum mulier Samaritana ? non enim coutuntur Judæi Samaritanis. Les Samaritains estoyent en horreur aux Juifz, comme je diray ci apres. Ceste femme donques luy reproche cela, comme disant : Vous autres Juifz, tenes les Samaritains pour excommuniés ; et comme donques me demandes vous a boire ? Elle sçait bien que ce n'est pas commerce que de demander un peu d'eau, mais elle luy dict cela par reproche. [149]
Respondit Jesus, et dixit ei : Si scires donum Dei, et quis est qui dicit tibi, da mihi bibere, tu forsitan petiisses ab eo, et dedisset tibi aquam vivam. Voicy ou Nostre Seigneur commence a luy tirer les sagettes de son divin amour. Deux choses : 1. Si tu sçavois le don de Dieu que le Pere a donné au monde ; Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret, ut omnis qui credit, etc., habeat vitam æternam . 2. Et qui est Celuy qui te demande a boire ; car c'est Celuy qui est venu abbreuver toutes les ames, c'est Celuy qui est venu respandre son sang pour arrouser l'Eglise, c'est Celuy qui est venu non vocare justos, sed peccatores ad pœnitentiam . Si tu eusses conneu et l'un et l'autre, le don du Pere, et que c'est moy qui suis ce don la.
Deux autres choses : Tu forsitan petiisses ab eo. 1. Forsitan, le libre arbitre ; 2. petiisses ab eo, non expectasses. Deux autres choses : 1. Et dedisset tibi, non sicut tu quæ recusas ; 2. aquam vivam, multo excellentiorem ea quam a te peto.
Dicit ei mulier : Domine, neque in quo haurias habes, et puteus altus est ; unde ergo habes aquam vivam ? Comme elle va desvoyer l'intelligence de Nostre Seigneur, parlant d'un don de Dieu ; et elle va parler de la terre. 2. Nostre Seigneur parle de l'eau vive et elle, de la morte : Unde ergo ? Quomodo hic carnem suam ? etc. Numquid tu major es patre nostro Jacob, qui dedit nobis puteum, et ipse ex eo [150] bibit, et filii ejus, et pecora ejus ? Voyes la ruse, elle est desja esclairëe du Sauveur, elle n'ose dire : Non, tu n'es pas ; mais interroge : Numquid tu ? Ce pendant elle monstre qu'il y a bien de la peyne a croire. Mays voyes quelle honnorable memoyre elle fait de Jacob, et comme elle s'apprivoise peu a peu : patre nostro, de nostre pere Jacob ; nous tous venuz d'un mesme pere.
Respondit ei Jesus, et dixit ei : Omnis qui bibit ex aqua hac, sitiet iterum ; qui autem biberit ex aqua quam ego dabo, non sitiet in æternum. Consideres un peu la difference qu'il y a entre les deux eaux : l'une apaise la soif, mais ce n'est pas pour long tems ; l'autre, in æternum, etc. Il y a icy a considerer deux soifs, l'une du cors, l'autre de l'ame ; car les desirs sont une soif a l'ame, dont Nostre Seigneur dict : Non sitiet, et le Psalmiste : Sitivit anima mea ad Deum fontem vivum. Mais le Saint Esprit, a qui le reçoit par grace, il esteint la soif du cors et de l'ame, en ce monde et en l'autre. En ce monde : Omnia arbitratus sum ut stercora, ut Christum lucrifacerem ; mais imparfaitement, car il y a tousjours de l'homme : Sentio in membris meis legem repugnantem legi mentis meæ . En l'autre, parfaitement : Satiabor cum apparuerit gloria tua ; Psal. 16 . Les eaux du monde n'empeschent la soif seternelle, mais si font les eaux du Saint Esprit. Exemple du Lazare et du mauvais riche. Sed aqua quam ego dabo ei, fiet in eo fons aquæ salientis in vitam æternam. Autant [151] monte l'eau qu'elle descend. Rom. 8 : Suscitabit corpora vestra mortalia, propter inhabitantem Spiritum ejus in vobis, etc.
Dicit ei mulier : Domine, da mihi hanc aquam, ut non sitiam, nec veniam huc haurire. Elle croid que Nostre Seigneur est plus grand que Jacob et donne une meilleure eau, mais elle la demande pour le temporel, encores non esclairëe.
Dicit ei Jesus : Voca virum tuum. Respondit : Non habeo virum. Dicit ei Jesus : Bene dixisti, quia virum non habeo ; quinque enim viros habuisti, et nunc quem habes non est tuus vir : hoc vere dixisti. Dicit ei mulier : Domine, video quia propheta es tu. Confessio peccatorum. Dixi : Confitebor adversum me injustitiam meam Domino, et tu remisisti iniquitatem peccati mei . [152]
Spiritus est Deus, et eos qui adorant eum,
in spiritu et veritate oportet adorare.
Apres qu'Helie eut faict ceste grande vengeance et tuerie des prophetes de Baal vers le torrent de Cison, comme il est escrit 3. Reg., 18 , il prædict a Achab une grande pluye, et commanda a son garçon et serviteur de regarder contre la mer de la montaigne de Carmel sept fois. Et la septiesme fois, voicy venir une nuëe, petite comme le vestige d'un homme, et bien tost apres, vint une grosse nuëe, un vent et une grande pluÿe. S'il vous plaist de regarder les sept parolles que Nostre Seigneur dict a la Samaritaine, vous verres en icelles comme une petite nuëe, grosse d'une [153] sainte pœnitence, qui, puys apres, grossira et fera venir une grande trouppe de Samaritains. Vous estes desja a la cinquiesme, ou Nostre Seigneur faict confesser son peché a la Samaritaine.
Je crois que vous sçaves l'histoire de la resuscitation de l'enfant de la devote Sunamite, faite par Helisee. Comme il est escrit 4 dés Rois, 4 , Helisee avoit logé chez elle ; en contreschange, il luy obtint un enfant, mais il mourut jeune. Elle s'en va au mont de Carmel au mesme Prophete, affin qu'il obtinst vie pour son enfant. Helisee vint luy mesme chez la Sunamite, ferme l'huis sur soy et le petit enfant, prie Dieu, se couche sur le petit enfant par deux fois ; en fin la petite creature baille sept fois, et ouvre les yeux et resuscite. Ainsy Nostre Seigneur s'accommode tellement a la Samaritaine, estant seul avec elle, qu'elle, baillant sept fois, resuscite de la mort du peché a la vie de la grace. Ce sont les sept parolles qu'elle dict ; nous estions en la cinquiesme : Propheta es tu. Mais il vous faut resouvenir de deux choses que je disois vendredy : 1. que l'occasion fit reconnoistre Nostre Seigneur pour prophete a la Samaritaine ; 2. que les Juifz tenoyent les Samaritains pour hseretiques et payens ; mais je ne vous dis pas au long les raysons.
L'origine des Samaritains est, qu'apres la division du royaume d'Israël faite par Hieroboam (3. Reg., 12), comme Achias Silonite avoit prædict 3. Reg., 11 , qui seroit long a raconter, Hieroboam, de peur que les dix tribuz de son obeyssance ne reprinssent l'affection de leur roy naturel, Roboam, s'ilz alloyent reconnoistre le Temple et l'ordinaire succession des prestres en Hierusalem, il fit un temple des faux dieux en Samarie, et fit des prestres du vulgaire, qui n'estoyent pas de la succession legitime de Levi. De ce schisme, ne vint que mal en Israël. En fin, sous Osee, Salmanazar roy d'Assyrie rendit captifz tous ces schismatiques, comme le Turc a faict nos schismatiques, et pour les garder de rebellion les fit tous transmarcher en Assyrie, et en leur place envoya des Scythiens et Babyloniens ; c'estoyent [154] des meschans. Dieu envoya des lyons ; en remede dequoy on leur envoye un prestre de ceux qui estoyent captifz, qui leur enseignoit la loy de Dieu ; mays ces gens ne se sçavoyent resoudre a abandonner leur idolatrie, et partant adoroyent Dieu et tenoyent sa religion, et la religion des faux dieux. Or, il est croyable que tous n'abandonnerent pas, mays en demeura quelques uns, et autres retournerent, dont les Samaritains demeurerent ainsy. Puys, il vint un abuseur, un apostat, qui leur mit en teste plusieurs hseresies.
Or, cela præsupposé, les Juifz haïssoyent les Samaritains, I. parce qu'ilz tenoyent leurs possessions, car Samarie appartenoit aux Hebreux ; 2. parce qu'ilz estoyent de la race des Assyriens qui avoyent fort tourmenté les Juifz ; 3. parce que parmi eux regnoit le Gentilisme avec la vraye religion, et chascun se gouvernoit comme bon luy sembloit. 4. Les Samaritains empescherent les Juifz revenuz de la captivité, au tems d'Artaxerxes, de reædifier la ville et le Temple ; Esdr. I, c. 4, 5. [5.] C'estoyent des gens neutres, ce dict Josephe, l. 12, c. 7. [6.] Parce qu'ilz les scandalisoyent et retiroyent leurs criminelz, ce dict Josephe, 1. 11, c. 8 ; [7.] mais sur tout, c'est parce qu'ilz estoyent schismatiques, et avoyent dressé autel contre autel, ayant faict un temple au mont de Garisin, et des prestres autres que de la succession ordinaire, dont vint la dispute devant le roy d'Egypte, qui adjugea pour les Hebreux (Josephe, l. 11 et 13); et qu'ilz ne recevoyent que les cinq Livres de Moyse, le Pentateuche, du reste ilz s'en mocquoyent. Voyla la dispute principale.
Dont, a nostre propos, Nostre Seigneur avoit faict confesser a la Samaritaine son peché et le luy avoit descouvert, par ou elle conneut qu'il estoit prophete : Domine, video quia propheta es tu. Mais parce qu'il luy faschoit de s'arrester sur ce discours, elle le destourne sur une dispute de la religion ; car c'est l'ordinaire des religions vicieuses que de mettre force disputes en avant, et que les peuples s'en veulent aussi bien mesler que les autres. Voicy donques ceste femme qui faict de [155] la theologienne, et veut chercher son salut, et dict : Patres nostri in monte hoc adoraverunt, et vos dicitis quia Hierosolymis est locus ubi adorare oportet ; Jacob a adoré, retournant de Mesopotamie, en ce mont (Genes., 33 ), et Abraham (Genes., 12 ) ; si donques nos peres y ont adoré, pourquoy dites vous, etc.
Mais sçaches qu'adorer est pris ici pour sacrifier ; car quant a l'adoration privee, elle se pouvoit faire par tout, mays sacrifier, non, sinon au lieu choisi par le Seigneur ; Deuter., 12 . Et c'estoit la question qui estoit entre les Juifz et les Samaritains, que ceste femme propose. Et me semble voir une femme dans Geneve dire : Pourquoy ne manges vous de la chair ? les Apostres en ont bien mangé, etc. [156]
In crastinum autem turba milita, quæ
venerat ad diem festum, cum audissent
quod venit Jesus Hierosolymam,
Nostre Seigneur avoit receu ceste courtoise cene ou souper des Bethaniens six jours avant sa Passion, en laquelle se trouva Marie et Marthe, et mesme le glorieux Lazare resuscité, quand, le cinquiesme jour avant sa glorieuse et douloureuse mort, comme vray aigneau paschal, il se faict amener et l'asnon et l'asnesse pour se monstrer, affin de venir faire en cest humble equipage, l'incomparable et glorieux triomphe en Hierusalem, duquel l'Eglise celebre aujourd'huy la bienheureuse memoyre, triomphant ainsy humblement pour la victoire, laquelle ne se devoit rapporter qu'avec humilité. Le peuple ouyt dire la venue de Nostre Seigneur, et tout esmeu de joye et d'allegresse, luy vint au devant avec les branches de palmes, de fleurs et d'olives, en signe d'honneur et de victoire, jettant mesme leurs robbes [157] et vestemens au chemin comme pour luy tapisser le passage et luy faire une magnifique entrëe, pour le mettre en possession de son royaume, chantant : Hosanna filio David, comme un vive le Roy ; Benit soit qui vient Roy en Israël au nom du Seigneur.
Qui me donnera maintenant la grace de vous dire en si bonne façon la douce nouvelle de la venue que Nostre Seigneur doit bien tost faire en vos consciences par la sainte Communion, que vous luy allies au devant par desir et devotion, jettant les robbes de vos ames et les rameaux de vos affections, par mortification ? O que ce seroit bien faire la memoyre de ce glorieux triomphe, puysque nous triompherions nous mesmes de nostre plus grand ennemy, qui est nostre chair, comme vrays enfans et hæritiers de ceste auguste et triomphante Majesté du Sauveur. Mes Freres, c'est ce que je desire faire aujourd'huy, et que toutesfois je ne puys, si Nostre Seigneur mesme ne monte sur ma langue, comme sur l'asnesse, pour l'addresser et conduire dans la Hierusalem de vos consciences. Dequoy affin d'obtenir la grace, employons y la faveur de nostre glorieuse Dame, sa Mere, disans Ave Maria.
Cest incomparable miroir de patience, que Dieu appelle par honneur son serviteur, Job, en son septiesme chapitre, dict une sentence digne d'æternelle memoire : Militia est hominis vita super terram. Elle est guerre pour les malheurs qui l'accompaignent ; elle est guerre pour le peu ou point de repos qu'il y a ; elle est guerre pour l'incertitude de l'evenement d'icelle.
Ce seroit quelque chose de plus doux s'il eust dict : Vita hominis est in militia super terram, car encores se trouve-il des gens qui ont le repos et leur ayse en guerre ; dequoy font foy ceux qui s'y enrichissent [158] et engraissent, butinans paisiblement ores sur celuy cy, ores sur cestuy la. Ilz ne pensent pas autre chose, sinon que ceste horrible et affreuse Megere, la guerre, ceste ruine commune des republiques, ceste perte de l'Estat, soit une favorable occasion de s'accommoder, volant, pillant, saccageant, assassinant impunement, s'y jouant aux despens du pauvre homme, comme l'on feroit au roy despouillé, avec toute sorte de liberté, sans crainte de la justice, laquelle se ressentant fort de sa viellesse en nostre miserable aage, est fort foible en tout tems, mays principalement en tout tems de guerre. Si donques Job eust dict : In militia est vita hominis super terram, encores eust-on pensé d'y avoir quelque repos ; mays non, il dict que la mesme vie est une guerre. C'est bien nous oster toute esperance de paix : Militia est vita hominis super terram.
S'il eust dict que nostre vie a la guerre continuelle sur la terre, encores eust ce esté moins, car on peut bien avoir la guerre et avoir son ayse ; on peut faire tant de victoires, on peut estre si fort qu'on n'aÿe point d'occasion de craindre. Mais quand il dict : Militia est vita hominis, il veut dire non seulement que nous sommes en guerre, mays que nous mesmes nous sommes guerre : Militia, etc. Et de vray, qui regardera bien les diversités de mouvement, et les assaultz que faict l'esprit contre la chair, je suys asseuré qu'il dira que Militia, etc. ; puysque tousjours et en tout tems caro concupiscit, etc. . Et vrayement, c'est pitié que de ceste guerre ; car estant entre de si grans amis comme l'esprit et la chair, y a il rien de plus deplorable ? Saint Pol, Rom., 7, se lamentant de ceste guerre, apres avoir au long descrit les assaultz qu'il sentoit en soy mesme, il s'ecrie : Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus ? Qui me delivrera ? car je ne m'en peux deffaire. Que feray je ? dict l'ame combattante. [159] Ceste chair est ma chere moitié, c'est ma seur, c'est ma chere compaigne, nëe avec moy, nourrie avec moy, et toutefois elle me faict une si cruelle guerre. Comme ma seur, je la devrois suivre ; comme adversaire, je la dois fuir. Helas, mon Dieu, si je la caresse, elle me tue ; si je la tourmente, je me sens de l'affliction. Si je ne l'ayme, je suis mal ; si je l'ayme, c'est pis. Quis me liberabit ? etc. Michëe, parlant de ce combat, chap. 7 , il dict : Ab ea quæ dormit in sinu tuo, custodi claustra oris tui ; c'est a dire, ne te fie en elle. Pourquoy ? Inimici hominis domestici ejus .
C'est pour vray indubitablement que si l'esprit n'avoit affaire qu'avec la chair seulement, il en seroit bien tost le vainqueur ; car il est beaucoup plus fort et adroit : Spiritus quidem promptus est, caro autem infirma ; Marc., 14 . Mays quoy ? ceste chair est confederëe avec deux autres puyssans princes, le monde et le diable : Mundus, caro, dæmon diversa movent prælia. L'un de ces troys au Deut., est fort et puyssant ; que sera ce des troys ensemble ? Dict le divin Prescheur, Eccl., IV : Funiculus triplex difficile rumpitur.
Mais encores seroit ce peu si ceste chair n'avoit point d'intelligence dans nostre ame ; car c'est chose certaine que jamais nous ne serions vaincuz. Debilis est hostis qui non vincit nisi volentem, dict un de nos Peres. Mays quoy? Toute place, disoit un grand prince, ou le soleil peut aller, n'est pas imprenable ; et maintenant, par tout la ou quelqu'un peut aller a double, on y peut aller armé. Ceste chair prattique ores l'entendement, ores la volonté, ores l'imagination, lesquelz se bandans contre la rayson, livrent bien souvent la place, et font division et mauvais offices a la rayson. Mon Dieu, quelz [160] stratagemes font nos ennemis contre nous ! Domine, quid multiplicati sunt qui tribulant me ? multi insurgunt adversum me ; Ps. 3 . Ceste chair alleche la volonté, ores par des playsirs, ores par des richesses ; ores elle nous met des imaginations de pretentions, ores en l'entendement une grande curiosité, tout sous especes et prætexte de bien. Comme dans un cheval troyen, elle y fourre le mal et met sedition en nostre pauvre ame, au moyen dequoy elle la suppedite. Vistes vous comme le diable tenta Eve, comme il tenta Nostre Seigneur?
Ce mauvais enfant Absalon, 2. Reg. 15, se tenant a la porte du palais de son trop bon pere, la il flattoit et corrompoit le peuple ; et en fin fit si bien par ses secrettes menëes, qu'il fit la guerre et chassa son pere de son siege : ainsy le cors demeure tousjours a la porte, car « nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu , » et la, corrompt les objectz, prattique ores en ceste façon, ores en l'autre, et ainsy se rend le plus fort. Que diray je plus ? ceste chair a telle intelligence en nous mesmes, que pourveu qu'elle connoisse nos forces, incontinent elle nous ruine. Qui diroit jamais qu'elle nous ostast mesmes les saintes vertus, et les nous rendist ennemies ? Mais que penses vous? Si elle connoist qu'il y en aye en nous, elle sollicite tant, que nous nous en vantons, nous en prisons, et par ce moyen deviennent poison ; car estant comme le moust et le bon vin doux, si elles sont esventees elles s'aigrissent. Ainsy Dalila, aux Jug., c. 16 , fit dire a Samson, quoy qu'il fist le fin, en quoy estoit sa force, et tout incontinent la luy enleva.
O mes Freres, caro concupiscit adversus spiritum, etc. L'esprit engendre tant de bons desirs, la chair tant de mauvais, et les uns combattent si asprement les autres, que bien souvent, comme celuy qui a [161] la colique, on crie : Quis me liberabit a corpore mortis hujus ? Comme il est dict de Rebecca, Genes., 25 chap. Voyes vous la guerre dangereuse de nostre vie? Militia est vita hominis super terram.
Que si ainsy est, que ferons nous, mes Freres ? D'apaiser l'ennemy, il n'est pas possible, il est inexorable ; car qui plus le flatte, plus l'aigrit : Qui amat animam suam, perdet eam ; Cum loquebar illis, impugnabant me gratis ; Ps. 119 . Qui veut fuyr, ne peut, car on ne se peut fuyr soy mesme. Que ferons nous ? Courage, il faut combattre. Accingere gladio tuo super femur tuum, potentissime ; Nemo coronabitur, nisi qui legitime certaverit, dict saint Pol, 2. Timoth., 2 . Que si nous nous trouvons foibles a l'occasion de nos factions domestiques, il ne faut perdre courage pour cela, mays appeller quelque secours, faire quelque alliance.
Or, je ne sçache que quatre potentatz en tout l'univers : le monde avec toutes ses ambitions, honneurs, pompes, vanités ; l'enfer avec tous ses diables ; la chair avec toutes ses voluptés, delices, playsirs et passetems ; Nostre Seigneur avec tous ses Anges et les Saintz. A qui nous addresserons nous? Le diable et le monde sont confederés a la chair, et voyla leur mot du guet. Mundus clamat : Deficio ; dæmon clamat : Decipio ; caro clamat : Inficio ; Christus clamat : Reficio . Il faut se ranger au party de Nostre Seigneur, et ainsy nous aurons la victoire sur nous mesmes. Alhors l'homme peut dire : Dominus mihi adjutor ; non timebo quid faciat mihi homo .
Mais il faut avoir quatre conditions. Premierement, il [162] faut combattre nostre appetit sensuel et nos affections. Oui sent l'ennemy mettre l'escalade du costé de la luxure, il faut qu'il fuye les occasions et les compaignies, et qu'a la moindre pensëe il donne l'alarme a la garnison ; il faut recourir aux disciplines, jeusnes, haires. Oui sent l'assaut de l'avarice, il faut qu'il coure a l'aumosne, et a la consideration de la vanité des biens de ce monde. Qui se sent porter a la vengeance, il faut qu'il recoure a l'amitié et douceur. En fin il faut faire la ronde cent fois le jour en ceste petite citadelle, pour renforcer, ores deça, ores dela, mettre sentinelles aux yeux, bouche, oreilles, mains, odorat, pour ne laisser entrer chose qui ne sçache bien prononcer Scibbolleth ; suivant le dire de Job : Verebar omnia opera mea, sciens quoniam non parceres delinquenti. Vigilate, dict Nostre Seigneur. Non coronabitur nisi qui legitime certaverit.
Secondement, il faut avoir une grande defiance de soy mesme : Miserere mei, quoniam infirmus sum ; Non sumus sufficientes cogitare, etc. ; 2. Corinth., 3 . Tiercement, une grande confiance en Nostre Seigneur : Sed omnis sufficientia nostra ex Deo est ; 2. Cor., 3 . Osee, 13 : Perditio tua ex te, Israel ; tantummodo in me auxilium tuum. Nisi Deus ædificantes custodierit, etc.
Quatriesmement, une grande diligence a nous servir des moyens que Nostre Seigneur nous a mis en main, pour monstrer que nous nous fions en luy, non pas en nous. Or ilz sont deux principaux. 1. L'oraison. Aves vous besoin de force ? Petite, et accipietis . Aves [163] vous besoin de refuge ? Pulsate, et aperietur vobis. Vigilate et orate ; medites la Passion. 2. Les Sacremens ; car a fructu frumenti, vini et olei sui multiplicati sunt . Ces moyens corroborent l'ame.
Vous vous resouvenes bien, mes venerables Dames, de vostre glorieuse Mere sainte Claire : estant un jour sa ville d'Assise, ville illustre pour ses deux beaux fleurons, assiegëe, elle se fit porter aux murs, y fit apporter le Saint Sacrement, et fit ceste orayson a Dieu : Ne tradas bestiis animas confitentium tibi, et custodi famulas tuas, quas « pretioso sanguine redemisti . » Les Sarrazins s'enfuyrent ; ceux qui escaladoyent perdirent la veuë. Ah, la frequentation de ce Sacrement chasse les ennemis externes et internes ; c'est honte de voir le peu d'estat qu'on en faict. Il me semble que l'Eglise dict les paroles de Job, 29 : Quis mihi tribuat, ut sim juxta menses pristinos, secundum dies quibus Deus custodiebat me ? sicut fui in diebus adolescentiæ meæ, quando secreto Deus erat in tabernaculo meo ? Il faut que je vous die que cum sancto sanctus eris ; Psalm. 17 . Ah, celuy qui se munit souventesfois de ceste viande celeste, il peut bien dire : Dominus illuminatio, quem timebo ? Dominus protector vitæ meæ, a quo trepidabo ? Ps. 26 . Nam et si ambulavero in medio umbræ mortis, non timebit cor meum . Ainsy faut il faire pour bien combattre, ainsy faut il faire pour estre victorieux. [164]
Nostre vie n'est pas seulement en guerre, ni n'a pas seulement la guerre, mais est une guerre propre : Militia, etc., puisque la chair, moitié de nostre vie, nous guerroie par tant de menëes, excitant sedition en nostre ame ainsy qu'Absalon, trompe comme Dalila. Faire paix, nous ne pouvons ; reculer, encores moins : il faut donques combattre ; que si nous sommes foibles, regardons de prendre secours. Le mot du guet et la devise de la banniere monstrent le peuple de Hierusalem ; la cognëe avec les cousteaux monstrent qu'on est en guerre. Coupans les branches d'arbres, ilz monstrent qu'il faut combattre la concupiscence ; ce qu'ilz jettent leurs vestemens aux pieds de Nostre Seigneur, monstre qu'ilz n'ont nulle confiance en eux mesmes, comme s'ilz osoyent dire : Non nobis ; ce qu'ilz crient Hosanna, monstre qu'ilz se fient en la seule protection divine, et se veulent servir du premier moyen ; ce qu'ilz vont jusques au mont des Olives et qu'ilz le menent dans leur ville, monstre la reception que nous luy devons faire. En ceste façon, nous pourrons porter les palmes comme eux en signe de victoire, vainqueurs de nostre chair, que nous porterons comme trophëes aux pieds de l'Aigneau qui y regne, comme a Celuy pour qui et en qui nous aurons triomphé, qui est Jesus Christ qui vit et regne es siecles, et vous benie. Amen. [165]
[LUCÆ, ult., 36; JOAN., XX, 19, 21.]
La joye fut sans doute bien grande en l'arche de Noë, quand la colombe, peu auparavant sortie comme pour espier l'estat auquel estoit le monde, revint en fin portant en son bec le rameau d'olive, signal bien asseuré de la cessation des eaux, et que Dieu avoit redonné au monde le bonheur de sa paix. Mays, o Dieu, de quelle joye, de quelle feste, de quelle allegresse fut ravie la trouppe des Apostres, quand ilz virent revenir entr'eux la sainte humanité du Redempteur apres la resurrection, portant en sa bouche l'olive d'une sainte et aggreable paix : Pax vobis, et leur monstrant les marques et signes indubitables de la reconciliation des hommes avec Dieu : Et ostendit eis manus et pedes . Sans doute que leurs ames furent alhors pleinement trempëes de consolation : Gavisi sunt discipuli viso Domino . Mays ceste joye ne fut pas le principal fruict de ceste sainte veuë ; car leur foy vacillante fut [166] affermie, leur esperance espouvantee fut asseuree, et leur charité presque esteinte fut allumee. C'est le discours que j'ay entrepris, mays que je ne puys bien faire, ny vous, bien escouter, si le Saint Esprit ne nous assiste. Invoquons le donques, et pour mieux l'invoquer, employons y l'entremise de la Sainte Vierge. Ave Maria.
Nunc autem manent fides, spes, charitas, tria hæc; major autem horum est charitas : Maintenant demeurent ces troys choses, foy, esperance et charité ; mais la plus grande d'icelles est la charité ; I .Cor., 13 . La foy pour l'entendement, l'esperance pour la memoyre, la charité pour la volonté. La foy honnore le Pere, car elle s'appuye sur la toute puyssance ; l'esperance honnore le Filz, car elle est fondëe sur sa redemption ; la charité honnore le Saint Esprit, car elle embrasse et cherit la bonté. La foy nous monstre la felicité, l'esperance nous y faict aspirer, la charité nous met en possession. Elles sont necessaires, mais maintenant ; car au Ciel, il ne demeure que la charité. La foy n'y entre point, car on y void tout ; l'esperance encores moins, car on y possede tout ; mais la seule charité y a lieu, pour aymer en tout, par tout et du tout nostre Dieu. Helie laisse tomber son manteau (4. Reg., 2 ) : le manteau de la foy et le voyle d'esperance ne montent point au Ciel, mais ilz demeurent en terre, ou ilz sont necessaires. Nostre Seigneur ne faict autre chose que nous bien enseigner ces trois leçons : comme il faut croire, esperer et aymer ; mays sur tout en ces quarante jours esquelz il conversa apres sa resurrection avec ses Apostres, et plus particulierement en l'apparition recitëe aujourd'huy.
Et pour commencer, les disciples estoyent assemblés en un cenacle et avoyent fermé les portes sur eux, propter metum Judæorum ; le Sauveur entre, les salue et leur monstre [ses mains] et ses pieds. Pourquoy [167] cela ? [1.] Pour establir leur foy. Helas, que leur foy estoit esbranlëe ! La pauvre Magdeleine le va cherchant parmi les mortz pour l'embaumer, et croit qu'on l'aye desrobbé ; les Apostres sont telz, que visa sunt illis deliramenta, et non crediderunt illis, c'est a dire aux dames qui l'avoyent appris des Anges ; les deux pelerins disent : Sperabamus ; le grand saint Thomas crie : Non credam . Pour donques estayer ceste foy, laquelle menaçoit sa ruine, il vient et leur dict : Pax vobis, et leur monstre son cors. Mais comme se peut il faire qu'ilz croyent, puysqu'ilz ont veu et touché ? Le sens a faict comme le fourrier qui loge un autre et n'y demeure pas ; car il a logé la foy dans le cœur des Apostres et dans les nostres, et neantmoins n'y demeure plus en credit, car la foy estant arrivëe, le sens cesse, comme l'esguille introduit la soye, etc.
Mais quelz articles sont establis? [1.] De l'identité des cors en la resurrection : In carne mea videbo Deum Salvatorem meum ; rursum circumdabor pelle mea. Quia ego ipse sum . O article admirable, et lequel estant bien creu, nous sommes bons Chrestiens, car nous en tirerons aysement ces consequences : Donques je ne profaneray pas ce cors ; donques, in ictu oculi, in novissima tuba resurgemus . Pourquoy in prima tuba ne comparoistra le mesme cors? Si Christus non resurrexit, inanis est fides nostra . [2.] De la qualité des cors, qui suivront les mouvemens de l'ame comme les vestemens. Le cors aggrave l'ame, l'ame rendra le cors leger. Le bon David ne savoit se remuer dans [168] les armes de Saül ; pendant que nostre ame est chargëe du cors mondain, elle ne se peut bien mouvoir. Voyes : Existimabant se spiritum videre . Avec la Magdeleine, jardinier ; avec les pelerins, pelerin ; avec les pescheurs, pescheur. Tantost il est veu, tantost il entre les portes fermëes. Seminatur corpus animale, resurget spiritale ; I. Cor., 15 . Comme l'aigle quae volare non potest, sed ubi renovavit juventutem suam ; les rabbins, Genebrard, ad eum locum. Quid facient qui baptizantur pro mortuis ? ut quid baptizantur pro illis ? Ut quid et nos periclitamur omni hora ? Quotidie morior propter gloriam vestram, quam habeo in Christo Jesu Domino nostro. Si ad bestias pugnavi Ephesi, quid mihi prodest, si mortui non resurgunt ? Manducemus, bibamus, cras moriemur .
2. L'esperance. Helas, leur esperance estoit foible : Sperabamus. Ilz craignoyent ; l'esperance est contraire a la crainte : Lugentibus et flentibus, dict saint Marc. C'est grand cas que d'estre separé de Dieu ; on est timide, on perd la force : telz estoyent les Apostres, telle la Magdeleine. Comme un navire emmi l'orage et la tempeste, sans nocher ni pilote, s'en va au bris ou le vent le porte, telle estoit ceste pauvre barque sans esperance : Factus est Ephraim velut columba seducta non habens cor . O je ne voudrois pas que nous fussions sans esperance, mays je voudrois bien que nous pleurassions quand nous perdons Dieu. Le cerf, etc. Mays Nostre Seigneur vient apporter le secours en ceste [169] place assiegëe de crainte : Videte manus meas et latus meum . Aves vous besoin de force, voicy mes mains ; aves vous besoin de cœur, voicy le mien ; estes vous colombelle, voicy des trous ; estes vous des malades, voicy la medecine : Et absorpta est mors in victoria . Estis captivi, en redemptio ; estes vous captifz, voicy le rachapt. Ah, comme pourrions nous craindre ? Ecce iste venit, prospiciens per cancellos, respiciens per fenestras .
[3.] La charité. Si mulier oblivisci potest filii ventris sui ; sed etsi oblita fuerit, non obliviscar tui : ecce enim in manibus meis descripsi te ; Is., 49, v. 15, [16]. Fert nostras miserias et eas nobilitat ; apponit miseriam nostram cordi suo : ostendit latus. Sed eum redamemus ; alioquin qui præ amore ostendit vulnera, semel ostendet præ ira et indignatione : ut imagines quæ ad dextram fœminam, ad laevam mortem, ad dextram agnum, ad lævam leonem ; ut apes quæ mel faciunt, et acriter pungunt . En videte, illusores, moqueurs, gausseurs, impudens, videte manus, etc. Videbunt in quem transfixerunt, et plangent super se tribus ; Apocal., 1 .
Fac, o bone Jesu, ut pacem quam offers, accipiamus, videamusque vulnera tua ; ut quandoquidem manent fides, spes, charitas, fide radicati, spe gaudentes, et charitate ferventes, expectemus beatam spem et [170] adventum tuum ; ita ut in illo te agnum ad dextram, non leonem ad sinistram videamus, ac pro fide visionem, pro spe possessionem, et pro charitate imperfecta perfectam habeamus, in qua gaudebimus in sascula sæculorum. Amen. [171]
Absit mihi gloriari, nisi in cruce
Domini nostri Jesu Christi, per
quem mihi mundus crticifixus est,
Si le prophete Jonas se consola tant au lierre que Nostre Seigneur luy avoit præparé, que l'Escriture dict : Et lætatus est Jonas super hedera lætitia magna, quelle doit estre l'allegresse des Chrestiens en la tressainte Croix de Nostre Seigneur, sous laquelle ilz sont bien plus a l'ombre que Jonas n'estoit sous le lierre ; ilz sont mieux defendus et contregardés que Jonas ne fut par le lierre : Absit mihi, etc. Or, disons donques : Que Jonas se resjouisse au lierre ; qu'Abraham fasse festin aux Anges sous l'arbre (Gen., 18 ) ; qu'Ismaël soit exaucé sous l'arbre au desert (Gen., 21 ) ; qu'Helie soit nourry sous le genevre en la solitude (3. Reg., 19 ) : quant a nous, nous ne voulons autre ombre que celle de la Croix, autre festin que celuy qui nous y est praeparé. Nous y voulons addresser nos pleurs et nos cris, nous ne voulons autre nourriture que les fruictz de la Croix : Absit que nous nous glorifiions en aucune autre chose. [172]
Et de vray, qu'est ce se glorifier en une chose ? C'est se priser, estimer, tenir heureux et grand en icelle : In iis, dict doctement le docteur angelique saint Thomas, unusquisque gloriatur, in quibus se magnum existimat. Or, les biens esquelz nous nous estimons grans sont de trois sortes : de l'ame, du cors, de fortune. Qui se glorifie en son sçavoir ; qui en sa santé, force et beauté ; qui en sa qualité, degré, richesse. Mais quoy ? Vanitas vanitatum et omnia vanitas, Eccles., I ; In imagine pertransit homo . Quant au sçavoir, comparatus est jumentis insipientibus ; quant au cors, pulvis est ; quant aux richesses et aux biens de fortune, mundus transit, et concupiscentia ejus . Ja n'advienne donq qu'on s'y glorifie, et qu'on s'estime grand pour si peu de chose. Mais en la Croix de Nostre Seigneur, o quelle gloire ! Si Celuy la qui estoit si grand qu'il estoit Dieu, y constitue son exaltation, sa clarification, s'il l'appelle la porte de sa gloire, que vous reste il a faire et que me reste il a dire, sinon : Hoc sentite in vobis quod et in Christo Jesu, qui cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est se esse æqualem Deo, sed semetipsum exinanivit ; propter quod, etc. ?
Mais voyons un peu quelle sorte de gloire Nostre Seigneur a pris par la Croix. Lises de grace en ceste Croix, et vous y apprendres la gloire que Nostre Seigneur a pris en icelle. Et ne trouves pas estrange que je vous renvoye a ce livre pour y apprendre vostre leçon, car c'est le plus excellent livre de tous ceux qui jamais furent composés : et partant, qui desire la gloire de la [173] science, qu'il s'approche avec la sainte pensëe et qu'il lise ce saint livre ; il y apprendra la plus profonde doctrine qui fut onques. Car, que diray-je jamais de plus admirable que ce que je vay dire ? que Nostre Seigneur mesme a appris en ce livre une chose qu'il n'avoit jamais sceu, une leçon qu'il n'avoit jamais appris en toute son æternité. Et c'est ceste leçon dont parle Tapostre saint Pol aux Hebrieux, 5 : Didicit ex iis quæ passus est, obedientiam. Si donq on se veut glorifier en sçavoir, que ce soit en ce livre du Nouveau Testament.
Saint Pol, racontant aux Hebrieux, 9 , comme l'Ancien Testament fut dedié, il dict que Moyse ayant leu tous les commandemens de la Loy, prenant le sang des veaux et boucs, avec l'eau et la laine pourprine, et l'hyssope, ipsum quoque librum et omnem populum aspersit. Mais omnia in figura contingebant illis ; et ou est le livre que Nostre Seigneur a aspersé de son sang, au Nouveau Testament, sinon la Croix, en laquelle Nostre Seigneur ayant leu tous les commandemens de la Loy, qui n'est autre sinon : Diliges Dominum, etc., Mandatum novum do vobis, ut diligatis vos invicem , crie a haute voix : Pater, ignosce illis ; In manus tuas, etc. ? Il asperse tout le monde de son sang par l'institution des saintz Sacremens, particulierement de celuy de l'Autel.
La Croix est le vray livre du Chrestien, et je vous prens a tesmoin, o Bernard, tres doux et devot Docteur ; car ou aves vous repeu vostre entendement de la tres douce et tres souëfve doctrine dont vous nous aves laissé les saintes instructions, sinon en ce livre, quand vous disies : Fasciculus myrrhæ dilectus meus mihi ? [174] Je vous appelle a garant, o grand saint Augustin, qui, constitué entre les deux misteres de la Nativité et de la Passion, pouves dire : Hinc lactor ab ubere, hinc pascor a vulnere. Je vous prens a garant, o seraphique saint François, si jamais vous aves appris les saintz et admirables traitz de vos sermons et conversations, sinon en ce saint livre. Je m'en remetz a vostre tesmoignage, o angelique saint Thomas, qui n'escrivistes jamais avant qu'avoir eu recours au Crucifix. Et vous, o mon tressaint et seraphique docteur Bonaventure, qui me sembles n'avoir eu autre papier que la Croix, autre plume que la lance, autre encre que le sang de mon Sauveur, quand vous aves escrit vos divins Opuscules. O quel trait est le vostre quand vous vous escries : « O qu'il faict bon avec le Crucifix ! J'y veux faire troys tabernacles : l'un en ses mains, l'autre en ses piedz, et le troysiesme en la playe de son costé ; la je veux reposer, je veux veiller, je veux lire, je veux parler. » La a appris ses saintes leçons la devote Magdeleine, qui, puys apres, les annonça aux Provençaux ; la, la devote Catherine Siennoise, qui, puys apres, nous a laissé ses devotz memoyres.
Mais que nous sert il de produire tant de tesmoins en une chose si claire ? Nostre Seigneur ne veut que nous apprenions autre chose plus particulierement que la debonnaireté et l'humilité. Ou voules vous donques aller sinon a la Croix pour l'apprendre ? dont saint Pol, le plus savant des hommes qui furent onques, s'escrie : Arbitratus sum me nihil scire nisi Jesum Christium, et hunc crucifixum.
Je me suis estendu sur ceste premiere glorification que nous devons avoir en la Croix, pour vous conjurer d'y [175] penser et repenser tous les jours le plus souvent que pourres, et parmi la nuict toutes les fois que vous vous esveilleres. Lises donques ce livre divin qui vous enseigne la science de salut, et ou Jesus Christ luy mesme a appris l'obeyssance qui est deuë a Dieu. C'est la le premier sujet que nous avons de nous glorifier en la Croix.
Voicy maintenant la seconde glorification : c'est que nostre salut y est, c'est la ou Nostre Seigneur nous a sauvés ; car combien que toutes les actions de sa vie, jusques aux plus petites, ayent esté infiniment suffisantes pour operer nostre salut, neantmoins la volonté de Dieu son Pere et la sienne a esté de ne l'accomplir qu'en la Croix. O quel sujet a nous de nous y glorifier ; Absit mihi gloriari, etc. La encores nous avons esté renduz grans en la santé, force et beauté de l'ame et du cors, car nostre immortalité et resurrection en depend.
Derechef donques lises ce livre, et vous y trouveres le nom de Jesus, qui veut dire Sauveur, et Sauveur qui salvat populum suum a peccatis eorum . Continues a y lire, et vous y trouveres Nazarenus, qui signifie floridus, qui est encores un autre tres grand sujet de glorification ; car par la Croix, nostre ame a esté parëe des belles et saintes fleurs de tant de vertuz, de tant d'aureoles si odoriferantes. C'est la ou Nostre Seigneur s'est rendu rose de martire, violette de mortification, lys de pureté ; estant non seulement pur luy mesme, mays encores purifiant : Lectulus noster floridus . O bel aubespin, sur vos branches se perchent les oyseaux du ciel ecclesiastique, par meditation, et la, gazouillent doucement en saintes louanges. Absit mihi, etc. ; car si on se peut glorifier en beauté, o quelle beauté m'est acquise par la Croix ! O comme j'ay trouvé une eau qui me rend non seulement blanc et net, mais encores qui m'esclaire : « In quo est vita, salus et resurrectio nostra .» [176]
En fin vous y lires Rex Judæorum, Roy des Juifz. Tous les Chrestiens sont Juifz et enfans d'Abraham selon l'esprit: Qui filii sunt promissionis, æstimantur in semine ; Rom., 9 . Or, ce royaume luy est acquis naturellement et par merite sur l'arbre de la Croix : Propter quod et Deus exaltavit illum, etc. ; ut in nomine Jesu omne genu flectatur, etc. A cause de quoy, a sa mort tout l'univers se revest de deuil et proteste que son Roy est mort, etc. Qui fut prædict par David, Psal. 95 : Commoveatur a facie ejus universa terra ; dicite in gentibus quia Dominus regnavit a ligno. O saint royaume ! Ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum ; nunc princeps mundi hujus ejicietur foras ; Ecclesiam quam acquisivit sanguine suo ; Act., 20 .
Quelle gloire pour nous, auditoire chrestien, que par la Croix et en la Croix nous ayons esté transferés du royaume d'enfer en celuy du Ciel, que Nostre Seigneur, le meilleur Roy du monde, nous ayt esté donné ; mais quelle gloire que nous mesmes y soyons faitz roys et hæritiers du Royaume celeste. Luy est le Christ, mays nous sommes les Chrestiens : Hæredes quidem Dei, cohæredes autem Christi . O Chrestiens, si je vous avois jamais defendu de vous glorifier, je m'en desdis ; soyes desormais glorieux d'estre appellés a cest heritage. Vous sentes vous point adoucir le cœur quand on vous dict que vous estes roys ? S'il vous plaist, dites donques : O toutes les richesses du monde ne sont en rien comparables a ceste royauté, car elles perissent, on n'en peut jouir ; mais celles la sont purement nostres. Ja n'advienne donq que je me glorifie, etc. [177]
Ceste grande gloire de la Croix l'a rendue honnorable a un chacun ; et partant, Dieu la fit chercher par Helene, mere du grand Constantin, qui alla expres en Hierusalem pour la trouver, et l'ayant trouvëe, elle fut incontinent mise en grand honneur parmi toute l'Eglise. Et de fait, qui n'honnoreroit un si grand reliquaire, une si signalee marque de la charité du Filz de Dieu ? Je vous proposerois volontier une belle doctrine de saint Bonaventure touchant ceste veneration de la Croix ; mais je veux finir. Il suffit que nous n'adorons pas la Croix pour l'amour d'elle, mais pour l'amour de Celuy a qui elle appartient. Ceste estime qu'on faict de la Croix plaist infiniment au Crucifix ; et jamais nous ne l'honnorons qu'en intention d'honnorer le Crucifix, et vous conseille, pour vostre consolation, que quand vous verres la Croix, vous regardies tousjours le Crucifix en icelle. Ainsy cest arbre vous sera bien plus venerable quand vous y considereres son excellent fruict pendu ; ainsy ces espines, quand avec la rose; ainsy cest aubespin, quand avec ce rossignol qui y habite.
Au reste, laisses dire les adversaires : Multi ambulant, quos sæpe dicebam vobis, inimicos Crucis Christi . Tout ce qui me met en memoire Nostre Seigneur, je l'honnore ; tout signe de Croix se doit tenir en reverence. Disons donques que ce saint bois de la Croix est singulierement venerable ; car s'il est escrit, Psal. 131 : Adorabo in loco ubi steterunt pedes ejus, comme n'honnorerons nous pas ubi stetit totum corpus ? Et partant, il s'ensuit : Surge, Domine, in requiem, etc. Et si on faysoit, dict saint Hierosme, tant d'honneur au tabernacle, etc., combien plus au bois de la Croix, sur lequel a esté estendu le cors de Dieu incarné, qui a esté arrousé, teint et penetré de son sang [178] prætieux. Sainte donq est la coustume des Chrestiens : « Tanta veneratione lignum illud habetur, » dict saint Chrysostome, Homil. Quod Christus sit Deus, « ut qui partem ex illo habere possunt, auro includant et cervicibus imponant. »
Je reviens a Helene, l'honneur des princesses, qui a cherché et trouvé ce saint bois, avec tant de soin, de travaux et de peyne. Elle vint au mont Calvaire, ou les Gentilz avoyent mis la statue de Venus. Regardes la contrarieté : au lieu de la creche, ilz y avoyent mis Adonis ; au sepulchre, Jupiter ; mais Helene renversa tout cela et remit en honneur ces saintz memoyres. Regardons si en nostre mont Calvaire, c'est a dire en nostre cerveau et entendement, nous y avons laissé la foy fervente de la Croix qui nous y fut mise au Baptesme, ou si nous n'avons point eslevé une idole de Venus en nostre imagination ; si en nostre memoyre, ou la sainte esperance fut mise, nous n'y avons point remis Adonis ; en nostre volonté, ou Dieu avoit mis la charité, etc. Et a l'imitation d'Helene, ostons, ostons ces figures maudites du monde, ces impressions vaines, et y relevons la Croix, disant : Absit mihi gloriari, etc., car c'est la nostre secours. Quand Constantin alla a la guerre, il ouÿt de [Dieu] la voix : « In hoc signo vinces ; » ainsy veut il que nous vainquions : « Filii tui armis triumphare jussisti . » Le jour nous invite, le lieu nous appelle ; la sayson nous y porte, nos afflictions ne sont pas encores finies. [179]
Le tems : ce fut apres l'Ascension de Nostre Seigneur, pour vray tesmoignage de sa gloire ; car, comme les roys font largesse, etc. Mays non tout incontinent, affin de donner tems a la præparation : Ego sto ad ostium et pulso ; Fili, præbe mihi cor tuum . Comme si on doit recevoir un roy.
Item, veut venir en ceux qui sont privés d'autres consolations. Le man ne vient point aux enfans d'Israel pendant quilz avoyent de la farine d'Egipte. Ecce in pace amaritudo mea amarissima. Secundum multitudinem dolorum meorum in corde meo, consolationes tuæ lætificaverunt animam meam. Cadent a latere tuo mille, et decem millia a dextris tuis ; ad te autem non appropinquabit : tempore tribulationis, mille tantum tentationes ; tempore lætitiæ, decem millia. Dieu en l'Ancien Testament, comparut parmi [180] les desertz, et a Moise, en feu, au buysson et ronciers ; au Nouveau Testament, sur la croix, a la colomne, en la creche. Ne penses pas que le Saint Esprit soit d'autre nature. Nostre Seigneur n'a esté servi des Anges que deux fois, que je me souvienne, immediatement : au jardin d'Olivet, et au desert apres le jeusne. Le Saint Esprit ne vient pas es delices et consolations mondaines ou charnelles : Non permanebit Spiritus meus in homine, quia caro est . Es lieux bien ordonnés, les femmes obeissent et prennent le nom du mari ; ainsy faut il que la chair soit spirituelle, non l'esprit charnel.
Le lieu : ce fut en Hierusalem, vision de paix. Le Saint Esprit est amour ; il ne se trouve qu'en lieu de concorde, il fuit les noyses et se plaict es ames simples et debonnaires ; et c'est pourquoy il comparut une foys en forme de colombelle. L'Esprit de sapience effugiet fîctum . Ce fut encores en Sion, selon l'ancienne prophetie : De Sion exibit lex. Or, Sion veut dire sentinelle en nostre language, ou guarittes. Veiller, estre a l'aguet, prendre garde aux objectz ; l'ennemy surprent bien souvent ceste ville. Les Anges apparoyssent aux pasteurs qui veilloyent. Fratres, sobrii estote et vigilate, quia adversarius non dormit, sed circuit, etc. Vigilate et orate, ne intretis in tentationem . [181]
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bien tost comm'un grand ver et serpent : Ego autem vermis sum, et non homo .
Que si un si grand Seigneur nous eut invité sans autre, encores devrions nous y aller le prenant a honneur, nous devant sentir honnorer. Je sçay bien ce que dict le bon homme Urie, chap. XI , 2 Reg., a David. Ainsy trouve je que le pauvre Miphiboseth, au 2. des Rois, 19 , se confesse recevoir un grand honneur de David d'estr'en sa table : Tu autem posuisti me servum tuum inter convivas mensæ tuæ.
Mays outre ce, le banquet est excellent ; car la viande est la plus praetieuse : Caro mea vere est cibus . [182]
Le bon Abraham estant en la vallëe de Mambré, a l'entrëe de sa tente ou pavillion, au gros du jour, vit troys personnes qui estoyent Anges ; il les invita sous un arbre et leur dict : Ponam buccellam panis, ut confortetur cor vestrum ; postea transibitis. Ainsy leur dona il du pain cuit sous la cendre. Ainsy Nostre Seigneur voyant les hommes, il leur donne le pain confortatif.
Patres vestri manducaverunt manna, et mortui sunt ; qui manducat ex hoc pane vivet in æternum . Le man tumbe au desert, non en la terre de promission ; mais ce pain est par tout, et repaist par tout : in æternum.
Mays voyons un peu les proprietés singulieres de ce pain celeste. [1.] Le pain materiel entretient la vie, mays il y a bien a sçavoir comment ; car comment, estant une chose morte, il peut donner la vie ? L'homme l'altere peu a peu et le change en chair, alaquelle il donne la vie ; et ainsy le pain continue la vie quil a receu, comme matiere mieux disposëe. O le grand mistere, car ce celeste pain ne reçoit la vie de celuy qui le mange, mays la luy donne absolument et le change en luy. Ce pain icy, donques, donne la vie, conserve la vie de l'aine, laquelle perdant peu a peu sa chaleur vitale qui est la charité, et l'humide radical de sa vie qui est la grace, a besoin de restauration, qui se faict par ce celeste banquet.
2. Ce pain, et voyci un seul motif, nous transforme en luy, non ja quand a la substance mais quand aux qualités. Ce qui ne doit estre merveilles ; n'a on pas veu les gens vivans d'herbes, verds ? Vivo ego, jam non ego, vivit vero in me Christus .
3. Le pain renforce, si que en l'Escriture, il s'appelle [183] firmamentum ; au Psal. 104 : Et vocavit famem super terram, et omne firmamentum panis contrivit ; et ailleurs : Et panis cor hominis confirmet. Ainsy cestuyci corrobore extremement ; en figure dequoy respexit Helias . Dont parlant le Psalmiste : Erit, dict il, firmamentum in terra, in summis montium. Rabbi Jonathas, au rapport de Burgensis : Erit placenta tritici in capite sacerdotum.
2. Dissimilitudes. 1. Le pain jamais ne nous renforce, que par la reaction nous ne perdions. Mays cestuyci nous renforce et eschauffe, car c'est le Sacrement d'union. 2. Le pain nous corrobore interieurement, mais il ne nous rend formidable exterieurement ; il nous præserve dedans, mais dehors non. Ce pain nous corrobore mesmes contre les ennemis ; si que de ce pain, nous pouvons dire : Parasti in conspectu meo mensam, adversus eos qui tribulant me ; comme l'interprete Cyp., ad Cæcilium. Dont il est dict au paravant : Virga tua et baculus tuus, ipsa me consolata sunt. Il apelle virgam et baculum l'appuy, scipionem ; c'est a dire, ce celeste pain : ainsy au Levit. 26 , Nostre Seigneur apelle le pain baculum panis. C'est ce que dict saint Chrisostome, au rapport de saint Thomas, que « nous sommes terribles au diable, sortans de ceste cæleste Table. » [184]
Erant appropinquantes ad Jesum publicani
et peccatores ut audirent illum ;
et murmurabant Scribæ et Pharisæi
dicetites, quia hic peccatores recipit
On void souventesfois es bonnes et grosses villes, et peut estre l'aures vous bien remarqué, qu'arrivant quelque signalé operateur, il faict incontinent publier son arrivëe, et les maladies desquelles il faict profession de guerir plus particulierement, affin que ceux qui en sont travaillés viennent au secours vers luy. Nostre Seigneur, grand et excellent Medecin de toutes nos infirmités, avant qu'arriver en ce monde, faict entendre par tout et son arrivëe et les maladies desquelles il guerit. Tantost par ses Prophetes : Quod confractum fuerit, alligabo, et quod infirmum fuerit, consolidabo (Ezech., 34 ) ; Spiritus Domini super me, propter quod unxit me, ad annuntiandum pauperibus misit me, ut mederer contritis corde (Isa., 61 ) ; Mundabit eos [185] ab omnibus inquinamentis suis (Ezech., 36 ) ; Tu populum humilem salvum facies (Psal. 17 ). Tantost par sa propre bouche : Venite ad me, omnes qui laboratis, etc. ; Joan., 7 . Mais sur tout lhors qu'il se faict appeller Jesus, car les medecins ne guerissent pas tousjours, et partant il ne le faut pas qualifier medecin, mays Sauveur, d'autant que ses receptes sont infallibles.
Quelle merveille donques si en l'Evangile du jourdhuy nous le voyons environné de malades : pecheurs et publicains ? O vayne et sotte murmuration des Juifz : Hic peccatores recipit. Hé, qui voudries vous donques qui les receust ? N'est ce pas l'honneur au medecin d'estre recherché des malades, et d'autant plus que leurs maladies sont incurables ? Nostre Seigneur, non tant pour repousser la temerité de ces Pharisiens, que pour nous donner courage de nous approcher de luy, rejette bien loin par similitudes ceste consideration pharisaïque. Concluons donques pertinemment par tout son discours, que son playsir est de ramener les pecheurs a sa misericorde.
Les pecheurs sont donques esloignés de Nostre Seigneur ? Ouy, infiniment. Mays pensons y premierement un peu de pres, affin que le desir de nous approcher de Nostre Seigneur nous vienne d'autant plus grand ; et puys nous verrons les moyens de nous en approcher, et les consolations que nous aurons en ce saint approchement, affin que reconnoissant le bannissement auquel les pechés constituent l'ame, nous nous ostions au plus tost de peché si nous y sommes, nous nous gardions de jamais y retourner, et nous approchions tousjours de plus pres de Nostre Seigneur. Mais ces graces sont les [186] effectz propres et particuliers du Saint Esprit ; il nous faut donques demander sa benite assistance, et pour aysement l'obtenir, employons y la faveur de sa tres glorieuse Espouse, la saluant : Ave Maria.
Je trouve admirable et profonde la description que le saint personnage et langoureux prophete Job faict des pecheurs, quand il les qualifie en ceste façon : Qui dixerunt Deo : Recede a nobis, scientiam viarum tuarum nolumus (cap. 21 ) ; Retire toy, va t'en, destourne toy de nous, nous ne voulons point sçavoir tes chemins. O belle façon de parler, o description pleine de doctrine ! Pour dire les pecheurs, il dict ceux qui ont dict a Dieu : Retire toy de nous. C'est vrayement la proprieté des pecheurs que de s'esloigner de Dieu tant qu'il est possible. Psalm. 72 : Qui elongant se a te peribunt ; comme la brebiette qui s'esgare parmi les halliers, es montaignes et forestz, court fortune : qui elongant. Hier., 2 : Quid invenerunt in me patres vestri iniquitatis, quia elongaverunt a me ? et ambulaverunt post vanitatem suam, et vani facti sunt. Et le Prophete qui avoit dict, Ps. 26 : Dominus illuminatio mea et salus mea, parlant du mesme salut : Longe, dict il, a peccatoribus salus ; Ps. 118 . Mitto ego te ad filios Israel, ad gentes apostatas quœ recesserunt a me ; Ezech., 2 . Longe est Dominus ab impiis ; Proverb., 15 .
Obstupescite, cœli, super hoc, et portes ejus desolamini vehementer, dicit Dominus. Duo mala fecit populus meus : dereliquerunt me fontem aquæ vivæ, et foderunt sibi cisternas dissipatas, quæ continere non valent aquas ; Hier., 2 . Ce sont les deux maux [187] du peché, que disent les theologiens : Aversio a Deo, et conversio ad creaturam ; se separer, se retirer, s'esgarer, s'esloigner et fourvoyer de Dieu, et se joindre, accointer, s'allier et unir a la creature. Ne voyes vous pas le prodigue comme il s'en va in regionem longinquam ? Luc., 15 . C'est en cest esloignement que consiste le mal principal du peché, c'est a dire qu'il nous separe de Dieu ; de maniere qu'en l'escole l'on est d'accord que Ite , est le mot principal de la sentence de Nostre Seigneur : Ite. De maniere qu'en saint Luc, 13 , parlant des pecheurs obstinés, il dict qu'il leur sera dict : Discedite a me, omnes operarii iniquitatis, et tesmoigne que ibi erit fletus et stridor dentium.
Mais voicy le gros de la difficulté : comme se peut il faire que nous soyons esloignés de Dieu luy mesme qui est par tout, et ne sçaurions trouver un recoin, pour caché qu'il soit, que sa Majesté n'y soit ? Saint Pol aux Atheniens, Act., 17 : Non longe abest ab unoquoque nostrum ; in ipso enim vivimus, movemur et sumus.
L'ame se peut retirer et esloigner de Dieu en deux façons : Premierement, par affection et desir ; « non loco sed affectu, » dict saint Chrisostome. Anima enim non passibus, sed passionibus ambulat. Ilz voudroyent que jamais Dieu ne les vist, qu'il ne pensast point a eux, qu'il ne fust point parmi eux. Psal. 13 : Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus ; et si cela n'est, il ne tient pas a eux. Et en ceste façon ilz disent a Dieu : [188] Recede a nobis, viam mandatorum tuorum nolumus . La ou, remarques la façon, l'immobilité est propre a Dieu et la mobilité aux pecheurs, et ilz la veulent renverser : Recede a nobis, etc. Secondement, l'ame s'esloigne de Dieu fuyant ses graces et les moyens qu'il nous propose pour nostre salut ; comme l'on dict qu'un tel fuit les medecins, non pas pource qu'il laisse la personne des medecins, mays les remedes : Scientiam viarum tuarum nolumus.
Ainsy sont loin de Dieu les pecheurs ; ainsy sont-ilz esloignés de ses misericordes. Quelles douleurs, quelz regretz ! Car ce que dict le grand saint Augustin est tres vray : « Fecisti nos, Domine, ad te, et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te. » O quelle division de l'homme, au regard de son Dieu, au regard de luy mesme ! Mays il y a ceste seule consolation parmy ceste grande desolation ; c'est qu'encores que le pecheur soit loin de Dieu, il peut revenir a luy et estre bien receu. Isa., 55 : Derelinquat impius viam suam et vir iniquus cogitationes suas, et revertatur ad Dominum, et miserebitur ejus, et ad Deum nostrum, quoniam multus est ad ignoscendum. Ainsy le chetif prodigue et l'infortuné Absalon (2. Reg., 14 ), comme sont ilz receus de leurs peres ? Et sans cela, que deviendrions nous ? car omnes declinaverunt ; Omnis homo mendax ; Si dixerimus quoniam peccatum, etc. Eccli., 17 : Revertere ad Dominum, et avertere ab injustitia tua ; Quam magna misericordia Domini, et propitiatio illius convertentibus ad se. Pourquoy s'appelle il Sauveur, sinon pour [189] sauver ? Erant appropinquantes peccatores et publicani ad Jesum, ut audirent illum.
Il est raconté de David, au chap. 22 du I. des Roys, qu'estant dans la caverne de Odolla, les souffreteux et affligés s'en vindrent a luy, et il se rendit leur roy. C'estoit pour figurer que ce second et veritable David devoit laisser approcher de luy les pauvres et necessiteux, les affligés et les miserables, ceux qui gemissent sous le pesant fardeau des infirmités corporelles, et beaucoup plus ceux qui sont accablés sous l'espouvantable fardeau du peché.
Les Pharisiens murmurent quia hic peccatores recipit ; mais voyons un peu le progres, comme il les reçoit, et nous verrons grandes choses, Le pecheur se peut bien esloigner de Dieu, et de soy mesme, c'est chose certaine. Spiritus vadens et non rediens ; Ps. 77 . Perditio tua ex te, Israel (Os., 13 ), mais tantum ex me auxilium tuum. Et saint Pol : Non sumus sufficientes cogitare aliquid ex nobis tanquam ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est. Nous pouvons bien gaster, mais non pas refaire. Nostre Seigneur provient le pecheur et le va rechercher, l'appelle et l'invite a revenir, autrement il n'y penseroit jamais. Fortitudinem meam ad te custodiam, quia Deus susceptor meus es ; Deus meus, misericordia ejus præveniet me ; Ps. 58 . Operatur in nobis velle et perficere ; Trahe me post te, curremus . Qui va par vent en un païs, ne revient que par vent contraire. Jamais Absalon ne fut revenu si la femme Thecuite ne l'eut obtenu ; jamais le pecheur ne reviendroit, si la misericorde ne le prævenoit. Mays, Nostre Seigneur, o bonté infinie ! va cherchant la [190] brebis esgarëe, autrement elle ne reviendroit jamais ; ceste misericorde va cherchant la dragme perdue.
Ah, donques, si ceux cy murmurent, louons le, nous, quia peccatores recipit, quia quærit. Stabat Jesus in die magno solemnitatis, et clamabat, dicens : Si quis sitit, veniat ad me et bibat ; Joan., 7 . Venite ad me, omnes, etc. ; Matth., 11 . Venit Filius hominis quærere et salvum facere quod perierat ; Luc., 19 . Quoties volui vos congregare, sicut gallina congregat pullos suos . En quoy les prædicateurs sont advertis de faire ce que dict saint Pol de luy mesme : Omnibus omnia factus sum. O difficile condition des prædicateurs.
Mais, o miserables que nous sommes, bien souvent nous sommes appellés, et nous faisons la sourde oreille : Vocavi, et renuistis ; nous sommes attirés, et nous nous opiniastrons contre luy. Tota die expandi manus meas ad populum non credentem, et contradicentem mihi ; Rom., 10 .
O sainte, o fortunëe et heureuse la trouppe de ces pecheurs et publicains, lesquelz aujourd'huy s'approchent de Nostre Seigneur. Ilz ne font pas comme les conviés a ce grand festin, qui s'excusent ; ceux ci viennent et sont les bien venuz. O mon Sauveur, comme sont venuz a vous ces pecheurs, puysque vous estes juste ? Car David dict si absolument du juste : Non accedet ad te malum ; et : Declinate a me, maligni. Nemo potest venire ad me, nisi Pater meus traxerit eum . Ilz vous ont tant offencé ; Et eum qui venit [191] ad me, non ejiciam foras . Puysqu'ainsy est, donq, o Sauveur, o Redempteur, o bon Dieu, je peux bien dire a ce peuple, de vostre part : Accedite ad Dominum, et illuminamini, et faciès vestræ non confundentur ; quia hic peccatores recipit.
Mais voyes la maniere de s'approcher de Dieu : il faut abandonner le peché ; Recede a malo. Is., 48 : Egredimini a Babylone, fugite a Chaldæis ; non est pax impiis, dicit Dominus. Vous aves esté en peché de cœur, de bouche et d'œuvres ; il faut aussi trois choses contraires, sçavoir : contrition, confession et satisfaction.
Nostre Seigneur est comme le soleil qui va par tout : A summo cælo egressio ejus . Il va dardant ses rayons sur les justes et injustes, et des plus fangeux bourbiers, il tire les vapeurs en haut, lesquelles, arrivëes a certaine distance, sont converties en une douce pluÿe, laquelle descendant donne vie et faict germer les fruictz. Il tire des plus grans pecheurs les exhalaisons saintes, qui sont les considerations de leurs fautes, jusques a un certain degré de crainte et d'apprehension, jusques a la moyenne region de l'air, considerant qu'ilz sont entre le Paradis et l'enfer, entre la damnation et salvation. Flabit spiritus ejus, et fluent aquæ ; Ps. 147. Ce sont les eaux de contrition qui font germer ceste terre, produire des fruictz. Il faut donques nous laisser tirer, et il faut ressentir nostre miserable estat.
« Hic locus est partes ubi se via findit in ambas . »
Sortons, sortons de ceste Egypte ; approchons-nous de Nostre Seigneur ; faysons provision de bonnes œuvres ; [192] que les piedz de nos affections soyent nudz ; revestons nous d'innocence ; ne nous contentons pas de crier misericorde, sortons de l'Egypte : Egredimini de Babylone, fugite a Chaldæis. Quid est, Israel, quod in terra inimicorum inveterasti, in terra aliena ? Voulons nous estre ensevelis en Egypte ? Egredere, egredere in fortitudine tua, Sion . N'attendons plus : Hora est jam nos de somno surgere , puysque nous sçavons que peccatores recipit. Les Anges attendent nostre pœnitence, les Saintz prient pour icelle. [193]
Celuy que vous estes venuz adorer, Jesus Christ vostre Seigneur et le mien, vous doint si bien faire ce pour quoy vous estes venuz, que vous recevies abondamment grace, paix et benediction de sa part, et luy, tout honneur et gloire de la vostre es siecles des siecles. En quoy, affin de vous y ayder selon mon petit pouvoir, et vous donner quelques instructions pour vous faire benir Dieu, je vous ay apporté les parolles de David : Ecce nunc, etc., asseuré que je suis que si vous le benisses bien, il vous bénira de benedictions inestimables.
Souvenes vous donques, mes Freres, devant toutes choses, que Celuy en la præsence duquel vous estes est vostre naturel, absolu et sauverain Seigneur; car c'est a luy a qui est la terre et tout ce qui est en la terre. [194] Il est vostre Seigneur et Maistre, parce que c'est luy qui vous a faict et formé ; il n'y a point de plus juste tiltre pour posseder quelque chose que de l'avoir faite. C'est ainsy que vivent les manouvriers, et que les peres et meres demandent obeissance a leurs enfans et les appellent leurs ; et neantmoins, le pere et la mere ne font pas du tout les enfans, car l'ame n'est pas de leur facture, ni les ouvriers ne font entierement ce qu'ilz font, car si le drapier faict le drap, il ne faict pas la laine. Mays Dieu est Celuy la qui a faict nostre ame et nostre cors ; car tout ce qui est, est œuvre de ses mains. O comme nous sommes donques a Dieu, comme il est nostre Seigneur et nostre Maistre, puysque tout ce qui est en nous, il l'a faict : c'est luy qui en est l'ouvrier. Ipsius est mare, et ipse fecit illud ; comme s'il vouloit dire : La mer est a luy pource qu'il l'a faite.
Et non seulement nous sommes a luy et il est nostre Seigneur pource qu'il nous a produitz, mays encores pource qu'il nous a achetés bien cherement et cent mille fois davantage que nous ne valons. Le diable nous avoit osté a nostre naturel Seigneur, et encores qu'il n'eust nul droit, si est ce que Nostre Seigneur nous acheta, et acheta ce qui estoit sien affin de nous faire plus siens, si plus siens nous pouvions estre. Saint Pol dict : Empti enim estis pretio magno. Et quel prix ? Redemit nos in sanguine Agni ; Proprio Filio non pepercit, sed pro omnibus tradidit illum. « Datus ergo et redditus, me pro me debeo et bis debeo . » La moindre goutte du sang de Nostre Seigneur valoit plus que nous ; et neantmoins, affin de nous rendre plus siens, il le voulut tout donner : Copiosa apud eum redemptio . Dont, par la bouche d'Isaïe, Nostre Seigneur dict : [195] Redemi te, et vocavi te nomine tuo, meus es tu. Et saint Bernard va confessant : « Seigneur, tu as tout fait » et refait « pour toy, et qui ne veut estre a toy et pour toy, il commence d'estre un rien parmi toutes choses. »
Adjoustes que vous vous estes donnés a Nostre Seigneur au Baptesme, si qu'on peut bien dire que vous estes a luy : Sicut jurastis Domino, votum vovistis Deo Jacob . Ceste cy soit la premiere consideration et fondamentale que je propose.
De celle cy, faut faire deux conclusions. Premierement, que si vous estes devant vostre Seigneur par tant de raysons, vous deves estre en toute reverence et humilité, considerant que tout ce que vous aves vous le tenes de luy, et pensant que vous luy deves autant d'honneur comme il y a de distance du rien a l'infinité. Et d'autant plus deves vous estre humbles, qu'estans ses taillables a misericorde, vous l'aves si souvent offencé ; dont vous deves avoir si grande confusion, que d'humilité et de honte, vous retournies au neant auquel vous esties, en un nul estre, nulle vertu, nulle qualité, avant que Dieu vous tirast du miserable estat ou vous esties parmi le neant pour vous faire ses serviteurs. Si donques estant devant Nostre Seigneur, en reconnoissance que vous estes ses sujetz et serviteurs, vous vous baisses et inclines le cors jusques a la terre de laquelle vous aves esté pris, baisses vos ames par humilité devant vostre Dieu, jusques au rien duquel vous estes la race.
L'autre conclusion qu'il faut tirer, c'est qu'estant descendus au rien, remontant a l'estre que Dieu nous a baillé, et considerant de poinct en poinct combien nous sommes dependans de Dieu et combien nous sommes obligés a le servir, il nous faut faire une exclamation a nostre ame : Nonne Deo subjecta erit anima mea ? [196] Comment, si Dieu m'a creëe, et non seulement creëe, mays rachetëe d'entre les mains d'un si cruel et barbare tyran, avec tant de sang, si je luy ay voué et presté fidelité, qui me levera jamais de son service ? Escoutes comme David estoit en ceste resolution : Quasi jumentum factus sum apud te, et ego semper tecum. Il veut dire : Je le sers si humblement que je ressemble un cheval mené par la bride apres vous, o mon Dieu. Et de vray, comme dict saint Pol : Quis plantat vineam et de fructu ejus non edit ? Si Jesus Christ nous a planté, n'est ce pas la rayson que nous luy rapportions tout le service que nous pourrons ?
Mays outre, tout cela, il y a une autre rayson : c'est que nous nous servons de toutes les creatures, et icelles nous servent volontier, en intention que nous servions Dieu pour elles ; car elles, ne pouvant pas servir Dieu, lequel estant esprit ne peut estre servi que par esprit, elles nous servent a celle fin que nous servions Dieu tant en leur nom qu'au nostre. De maniere qu'encores a rayson de cecy, nous sommes obligés a servir Dieu, et ceux qui ne le serviront pas en recevront un terrible reproche au jour du jugement ; car c'est pour cela qu'il est dict que totus orbis pugnabit contra insensatos. Pour toutes ces raysons, il se faut resoudre de servir Dieu fidellement.
De ceste resolution, il nous faut passer a l'execution d'icelle, c'est a dire de servir Dieu le mieux qu'il nous sera possible. Or est-il qu'entre toutes les façons de servir Dieu, [la meilleure] c'est de le servir en la façon qu'il est servi en Paradis ; car c'est luy qui nous enseigne a demander que son service soit fait en la terre comme au Ciel ; car il n'y a pas difference entre servir Dieu et faire sa volonté. Que si nous voulons sçavoir comme [197] Dieu est servi au Ciel, escoutes David : Beati qui habitant in domo tua, Domine ; in sæcula sæculorum laudabunt te. La on ne sert plus Dieu visitant les malades, la on ne visite point les prisonniers, la on ne jeusne plus, la on ne faict plus l'aumosne, la on ne reschauffe plus les refroidis, la on ne vestit plus les nudz, pource que hyems transiit et recessit . On n'entend autre chose au Ciel que Alleluia. Alleluia est le langage de ce païs la, car on n'y dict autre ; et avec une seule parole, ilz disent tout ce qu'ilz veulent dire. O sainte parole, laquelle seule exprime tant de grandes conceptions ! C'est ce service auquel le Prophete vous invite maintenant : Ecce nunc benedicite Dominum.
Mais oyes comme cela va, car vous me pourries dire : Hé quoy, n'ayment-ilz pas Dieu ? Aymer, mes Freres, c'est vouloir et desirer du bien, et ne sçauroit-on dire quelle difference il y a entre la bienveuillance et l'amitié, ne plus ne moins qu'on ne sçauroit dire quelle difference il y a entre haïr et vouloir du mal a une personne. Dequoy j'entre en admiration comme il se peut faire que l'homme ou l'Ange ayment Dieu, et comme Dieu s'ayme soy mesme ; car si aymer est desirer du bien a une personne, comme voules vous qu'on ayme Dieu a qui on ne sçauroit desirer aucun bien ? Car, puysque Dieu est toute sorte de bien, on ne luy sçauroit desirer aucun bien qu'il ne l'aye plus parfaittement qu'on ne sçauroit desirer ; et si il l'a, pourquoy le desirera-on ? Et puys, au bout de tout cela, le bien en Dieu est essentiel ; de maniere que comme ce seroit chose hors de propos de s'amuser a desirer qu'un Ange soit Ange, puysque c'est sa nature d'estre Ange, et de desirer que les Maures soyent noirs, puysque c'est leur nature, aussi semble il hors de propos de desirer que Dieu ayt quelque bien, puysqu'il a tout bien par nature.
Quelqu'un me dira qu'on peut bien desirer a un Ange [198] qu'il soit Ange, c'est a dire la continuation en son estre : ainsy en Dieu, dites vous. La consequence n'en vaut rien ; la rayson est pource que la continuation de l'estre a l'Ange n'est pas naturelle et essentielle, et partant on la luy peut desirer, non celle qu'il a, ains celle qui est a venir ; mays a Dieu, son æternité luy est autant essentielle que sa bonté. Comment donq est ce qu'on peut aymer Dieu?
L'ame regardant en Dieu l'infiny merite de sa bonté, et que d'ailleurs en ce sauverain Estre rien ne manque, mays y est plus parfaittement quod factum est (in ipso vita erat ), elle ne desire pas qu'autre bien luy arrive, pource qu'il est impossible. Mays quoy, elle s'avise d'un autre moyen pour aymer Dieu. Un amy desireroit que son amy fust roy. Quand il l'est, encores qu'il cesse de desirer, il n'est pas moins amy ; mais au lieu du desir, il faict un acte de contentement, d'ayse et de resjouyssance du grade que l'amy possede. Ainsy, au lieu de desirer du bien a Dieu, on se complaist et on se resjouyt au bien qu'il possede et qu'il est luy mesme. Amor benevolentiæ, se change en complacentiæ. De cest amour parle David : Quam magna multitudo dulcedinis tuæ ; Omnia ossa mea dicent : Domine, quis similis tibi ? Isaye : Lætificabo eos in monte orationis meæ ? C'est a quoy nous invite David : Ecce nunc benedicite Dominum, etc. Il dict nunc ; comme vous voudries estre de ces beati qui habitant, commences donques maintenant, nunc.
L'homme qui est arrivé a ce signe, voyant que sa louange est petite, il va cherchant par tout : Benedicite omnia opera Domini ; et ne trouvant asses, Renuntiate quia amore langueo . Il se voudroit [199] volontier sacrifier, et va cherchant quel sacrifice de loüange il pourroit offrir. Mays quoy, il void que tous les sacrifices et holocaustes ne sont point aggreables sans la gace : Non delectaberis ; alioquin dedissem utique. La desplaysance, l'humilité et la pœnitence sont le sacrifice qui aggree a Dieu : Sacrificium Deo spiritus contribulatus et partant il l'offre. Peut estre encores que ce cœur n'estant asses brisé et contrit, il en offre un qui est si noble et si affligé, qu'on ne le sçauroit refuser. Iceluy seul rend de condigno l'honneur qui est deu a Dieu, et partant ne peut estre esconduit, ains impetre de Dieu tout ce qu'il veut : Quæcumque petieritis Patrem in nomine meo dabit vobis ; Exauditus est pro sua reverentia .
Seigneur, nous sommes vos serviteurs indignes, qui n'avons pas gardé les regles de vostre service. Desormais nous vous benirons ; mays affin de ce faire, assistes le magistrat ecclesiastique et seculier, delivres nous d'ennemis, donnes nous la paix, affin que vous demeuries avec nous, quia factus est in pace locus tuus, a fin que de manu inimicorum nostrorum liberati, serviamus tibi . Non par nos merites, mais, Protector, aspice Deus, et vous nous verres tant affligés spirituellement et temporellement ; et puys, in faciem Christi tui , qui a tant enduré pour nous, par la Passion duquel nous vous conjurons de nous faire misericorde. [200]
Quis sum ego, ut vadam ad Pharaonem
et educam Israel de Egypto ? Si dixerint :
Quod est nomen ejus ? quid dicam eis ?
Ce n'est asses pour estre tesmoin de verité d'alleguer l'Escriture ; car qui allegua jamais plus que les Arriens? Les Libertins mesmes, pour monstrer qu'il ne faut point d'Escriture, alleguent l'Escriture, contre lesquelz mesme Calvin escrit ; le diable mesme.
Rom. 10 : Quomodo invocabunt in quem non crediderunt ? quomodo credent, quem non audierunt ? quomodo audient sine prædicante? Quomodo [201] prædicabunt nisi mittantur ? Hier. 23 : Nolite audire verba prophetarum qui prophetant vobis, et decipiunt vos ; visionem cordis sui loquuntur, non de ore Domini. Non mittebam prophetas, et ipsi currebant ; non loquebar ad eos, et ipsi prophetabant. Hier. 14 : Falso prophetæ vaticinantur ; non misi eos. Voyons la volonté de Nostre Seigneur, Jo. 20 : Sicut misit me Pater, et ego mitto vos ; Accipite Spiritum Sanctum. Ante Ascensionem, Matt., 28 : Omnis potestas data est mihi in cælo et in terra ; euntes docete omnes gentes. Nostre Seigneur ne s'exempte de ceste condition, Jo. 20 : Sicut misit me Pater. Calvin, sicut misit te quis ? Jo. 7 : Doctrina mea non est mea, sed ejus qui misit me. Il s'escrie : Et me scitis, et unde sim scitis, et a meipso non veni. [202]
Ordinaire et extraordinaire. Toutes deux se doivent prouver ; car, comme Nostre Seigneur auroit il prouveu a son trouppeau ?
Nommant qui, et la succession d'iceluy, avec l'authorité du sauverain Pontife et de l'Eglise. 2. Par. 19 : Pontifex vester in iis quæ ad Deum pertinent, præsidebit. Deut. 17 : Si quis superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur. 1. Timot. 3 : Vide quomodo oporteat te conversari in Ecclesia Dei, quæ est columna et firmamentum veritatis. Si quis (Math. 18 ) Ecclesiam non audierit, sit tibi tanquam ethnicus et publicanus.
Par miracles : Hic est Filius meus dilectus. Clarificavi, et iterum clarificabo. Jo. 14 : Parole quæ loquor, a meipso non loquor ; Alioqui propter opera ipsa credite. Jo. 15 : Si opera non fecissem quæ nemo alius fecit, peccatum non haberent. Ainsy Moyse. 2. Corinth. 12 : Signa tamen apostolatus mei facta sunt super vos in omni patientia, in signis, et prodigiis, et virtutibus.
Saint Pol, extraordinaire, veut l'adveu d'Ananie (Act. 9 ), qui, luy imposant les mains, dict : Ut [203] videas, et implearis Spiritu Sancto. Act. 13 : Segregate, dict le Saint Esprit, mihi Saulum et Barnabam, in opus ad quod assumpsi eos. Tunc jejunantes et orantes, imponentesque eis manus, dimiserunt illos. Autrement, verité a verité contraire. Nostre Seigneur veut estre approuvé de l'ordinaire ; ainsy Simeon, Zacharie, saint Jan. Hæretiques de nostre aage ne sont envoyés, car ilz ne prouvent : voicy l'argument des argumens.
L'Evangeliste atteste qu'il estoit envoyé : Fuit homo missus. Les Prophetes l'avoyent prædict. Mal. 3 : Ecce mitto Angelum meum. Mais il ne se contente pas de cela. Dieu le prouve es miracles de sa nativité, en sa miraculeuse vie. Sa mission qui semble avoir de l'extraordinaire est advoüee par l'ordinaire. Il estoit de la race des prestres, et a luy appartenoit l'office. Ilz l'approuvent asses avec ceste honnorable legation : Tu quis es ? Vous ne trouveres point qu'ilz luy ayent contredict. Fuit homo donques missus a Deo. O tesmoignage solide duquel Nostre Seigneur se sert en saint Jan. 5 , l'appellant lucerna lucens et ardens. Il contient 3 : la foy, Ecce Agnus Dei ; les Sacremens, partant il baptize ; les commandemens, et il les garde tres estroittement : donques testimonium perhibuit de lumine . En 4 tems : au ventre de sa mere, exultavit, a la bonté ; naissant miraculeusement, a sa puissance ; preschant pœnitence, a sa misericorde ; mourant contre le peché, a sa justice. [204]
L'aube faict chanter les pouletz ; la belle estoille resjouit les malades, faict chanter les oyseaux. Beata quæ credidisti ; Magnificat ; Benedictus ; Quis, putas ? Il mit fin a la Loy ; Nostre Seigneur commence la sienne.
Mais y a il que douter qu'il ne nous faille pleurer ? Quid existis in desertum videre ? Erat lucerna lucens et ardens, et nous n'avons tenu le chemin. Oculos suos statuerunt declinare in terram. Noluit intelligere ut recte ageret . Les publicains venoyent a luy pour estre baptizés ; nous avons besoin de son baptesme de pœnitence : tant de pechés. Asperges me, Domine, hyssopo, et mundabor ; quod testatur : Et veniebat, atteste saint Marc, I, ad eum omnis Judeæ regio, et baptizabantur ab illo in Jordanis flumine, confitentes peccata sua. Tota die expandi manus meas ; vocavi et renuistis. Hodie si vocem Domini audieritis, nolite obdurare corda vestra . Avaritieux, paillardz. Soldatz. 4 voix. [205]
Ceux qui se sont departis jusques a present de l'Eglise, ont pris diverses excuses par les deux extremités pour couvrir la faute qu'ilz avoyent faite de n'y point demeurer et la mauvaise affection de n'y point retourner ; car les uns ont dict qu'elle estoit invisible ; les autres confessant l'Eglise visible, ont dict qu'elle pouvoit defaillir et manquer pour certain tems ; et partant, qu'encores que leur eglise semblast nouvelle pour n'avoir pris succession de personne, elle ne l'estoit toutesfois pas, ains estoit l'ancienne, morte et esteinte pour certain tems, puys par eux resuscitëe et ce sacré feu continuel, r'allumé : voulans les uns faire l'Eglise tellement parfaitte, qu'elle soit toute spirituelle et invisible ; les autres, la faire si imparfaitte, que non seulement elle soit visible, mays encores corruptible : semblables a leurs anciens devanciers hæretiques, desquelz les uns vouloyent tellement diviniser Nostre Seigneur qu'ilz nioyent son humanité, les autres tellement l'humaniser, qu'ilz en nioyent la divinité. Mays tout cecy ne sont qu'occasions recherchëes pour pallier et masquer l'abomination de la division qu'ilz ont faitte en l'Eglise, laquelle donnant des tesmoignages de sa visibilité et de son incorruption, pendant que les sectaires devisent ainsy d'elle, elle comparoist par tous les lieux de la [206] terre sur l'ancien et le nouveau monde, et par tout se faict voir et regarder en ses serviteurs et prædicateurs, pour tesmoignage tres asseuré de sa visibilité et pour attester de son incorruption. Quoy que vielle, elle faict paroistre qu'elle est aussi pleine de force, de fermeté et de vistesse que jamais, resistant vaillamment a tous ses ennemis, ne s'esbranlant pour aucun assaut pour impetueux qu'il soit, courant par tout le monde annoncer l'Evangile de son Espoux.
Or, ce qu'elle mesme faict voir par experience, je m'efforceray a vous le faire voir par discours, produisant les bons et indubitables tiltres qu'elle a pour sa visibilité et incorruption, qui est le gros du proces que nous avons avec nos adversaires. Prions Dieu qu'il nous fasse la grace que tout soit a son honneur, et Nostre Dame qu'il luy plaise nous favoriser de son intercession. Et partant saluons la, disant devotement Ave Maria.
L'Eglise donques, auditoire chrestien, faict asses paroistre par effect qu'elle est visible, incorruptible et immortelle, se faysant voir par tout, toute telle qu'elle avoit esté prædicte par Nostre Seigneur, ses Apostres et les Prophetes : et me semble bien que ceste preuve la seule pouvoit suffire a qui ne voudroit pas estre contentieux et opiniastre. Mays pour ne laisser aucune occasion en arriere pour faire reconnoistre l'Eglise, je vous apporteray maintenant des preuves tres certaines et tres claires comme elle est visible.
Et pour le premier point, je demande a nos adversaires ou ilz trouveront jamais en l'Escriture que l'Eglise soit invisible ; ou trouveront ilz que quand il est parlé d'Eglise, il s'entende une assemblëe ou convocation invisible ? Jamais cela ne fut, jamais ilz ne le trouveront.
Ilz trouveront bien, Num. 20, 4, que le peuple se plaignant de Moyse au desert Sin a faute d'eau, il dict : Cur eduxisti ecclesiam in solitudi nem ? Mais qui [207] ne void que ceste assemblæe estoit visible ? Ilz trouveront, Actes, 20 , que saint Pol allant de Chio en Hierusalem, ne voulant passer par Ephese de peur d'y arrester trop, voulant faire le jour de Pentecoste en Hierusalem, des Milette il envoya appeller les anciens de l'Eglise, et en une exhortation qu'il leur fit : Attendite vobis, et universo gregi, in quo vos Spiritus Sanctus posuit episcopos regere Ecclesiam Dei, quam acquisivit sanguine suo. Episcopos, id est, presbyteros . Chap. 18 , passant en Cesaree, il est dict que salutavit Ecclesiam. Aux Galates, 1 : Supra modum persequebar Ecclesiam Dei. N'est ce pas par tout une assemblëe visible ?
Je demande donques, mes Freres, si nos adversaires ne trouvent point de passage ou l'Eglise soit prise pour un cors invisible, n'est ce pas vouloir l'emporter sans l'Escriture ? Que si au contraire, il se trouve plusieurs passages ou il est parlé de l'Eglise, et que tous s'entendent d'une assemblëe visible, vouloir contester au contraire n'est ce pas aller contre l'Escriture ? Quand donq ilz vous allegueront ce fantosme, niant l'Eglise estre visible, demandes leur un passage de l'Escriture ou l'Eglise veuille dire chose invisible. Et que veulent ilz devenir ? Au commencement, pour prendre crédit, on n'oyoit autre parole, sinon : Mot Domini, Mot Domini ; et maintenant, sans aucune apparence de l'Escriture, ains contre la phrase ordinaire de l'Escriture, ilz veulent faire une chimere en l'Eglise.
Mais dites moy, de grace, si l'Eglise est invisible, pourquoy sera ce que Nostre Seigneur nous dira, Matt., 18 : Dic Ecclesiæ ; si Ecclesiam non audierit, sit [208] tibi tanquam ethnicus et publicanus ? Quelle sorte d'addresse seroit celle cy : Dis le a l'Eglise ? Comme voules vous qu'on s'addresse a l'Eglise si on ne la voit, si on ne la connoist ? 1. Timoth., 3 : Hæc tibi scribo, ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quæ est Ecclesia Dei vivi, columna et firmamentum veritatis. Comment pourroit il converser s'il ne voit ny ne connoist l'Eglise ? Math., 16 : Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam. Icy, quoy qu'ilz entendent, le fondateur sera visible ou sensible ; donques l'Eglise sera aussi visible et sensible. C'est donques chose certaine que l'Eglise est visible, par les tesmoignages de l'Escriture, d'autant que par tout ou l'Escriture nomme l'Eglise, elle entend une assemblëe visible.
Maintenant, voyons les qualités qui luy sont donnëes en l'Escriture. Au Psalme 18 , ou David dict : In sole posuit tabernaculum suum (August., in Epist. Joan., [Tract.] 2 : « In manifesta collocavit Ecclesiam suam ») ; au Psal. 47 : Sicut audivimus, sic vidimus in civitate Domini virtutum, in civitate Dei nostri; Deus fundavit eam in æternum. Voyes vous point qu'il dict : Sicut audivimus, sic vidimus ? Au Ps. 44, apres qu'il a descrit l'Espoux, beau sur tout, mesme visiblement, il descrit l'Espouse de mesme : Astitit regina a dextris tuis in vestitu deaurato, circumdata varietate ; et plus bas : Vultum tuum deprecabuntur omnes divites plebis. Comme va elle vestue d'or [209] si elle n'est visible ? comme peut on aller devant sa face, si elle ne se faict voir ? Isa., 61 : Et scietur in gentibus semen eorum, et germen eorum in medio populorum ; omnes qui viderint eos, cognoscent illos, quia isti sunt semen cui benedixit Dominus. Ce que Nostre Seigneur interprete de son tems : Spiritus Domini super me ; Luc., 4, v. 18 .
Mais sur tout les comparaysons et les noms que donne l'Escriture a l'Eglise doivent estre bien remarqués. Psaume 47 , il l'appelle montagne : Magnus Dominus et laudabilis nimis, in civitate Dei nostri, in monte sancto ejus. Daniel, au 2 chap., la pierre qui roule de la montagne et gaste ceste grande statue, replevit terrain, et factus est mons magnus. Au Ps. 88 : Semel juravi in Sancto meo, si David mentiar. In Sancto meo, id est, meipso, qui sum Sanctus sanctorum ; David mentiar ? non, si sim Deus. Et quoy ? Semen ejus in æternum manebit, et thronus ejus sicut sol in conspectu meo, et sicut luna perfecta, in æternum, et testis in cœlo fidelis.
En ce Psalme, se font deux choses. Jusques a ce verset 37 , Et thronus ejus, premierement, il chante les grandes promesses faites a David, qui se devoyent accomplir au tems de Nostre Seigneur. Secondement, despuis ce verset jusques a la fin, le Psalmiste se lamente que Dieu differe tant ceste execution, et ce pendant son peuple est tourmenté.
Donques en ce verset, il parle de ce que devoit estre [210] le Christianisme et l'Eglise, et la compare a troys des plus nobles et illustres choses du monde. Premierement, au soleil : Et thronus ejus sicut sol, qui ecclipse bien quelquefois, mays non jamais tout a fait, ains seulement en quelque partie du monde ; ainsy en est il de l'Eglise. Secondement, a la lune ; mays parce que la lune ecclipse quelquefois et tousjours tout a fait, il adjouste : Sicut luna perfecta in æternum. En troysiesme lieu, a l'arc en ciel, qu'il appelle testem in cœlo fidelem, parce qu'en la Genese, g, vers. 13, Dieu le donna pour tesmoignage a Noë de sa reconciliation faite avec le monde : ainsy l'Eglise est le vray tesmoin de la reconciliation nouvelle. Que comme l'arc en ciel, quoy qu'il ne soit qu'une nuë, si est ce que recevant les rayons du soleil il est rendu tres beau et apparent, ainsy l'Eglise, quoy que ce ne soit qu'une assemblëe d'hommes, si est ce que recevant l'assistance du Saint Esprit, elle est tres belle et tres remarquable, etc., en son unité, en sa pureté, en sa stabilité et perpetuité.
Mays ou est ce que nos adversaires ont leur esprit en cest endroit ? Ne voyent ilz pas qu'ilz mesprisent le merite de la Passion de Nostre Seigneur ? Isa., 53 : Pro eo quod laboravit anima ejus, ideo dispertiam ei plurimos, et fortium dividet spolia ; pro eo quod tradidit in mortem animam suam, et cum sceleratis reputatus est. Apud te laits mea in Ecclesia magna, dict Jesus Christ Nostre Seigneur a son Pere, au Pseau. 21 , comme disant : A te proficiscitur, de vous depend, la louange que je reçoy en la grande Eglise, ou la loüange qui vous est rendue par mon incarnation. In Ecclesia magna, id est, Catholica, ait August. . Au Psal. 2, apres que Dieu le Pere luy a dict ceste grande parolle : Ego hodie genui te, il [211] luy dict : Postula a me, et dabo tibi gentes hæreditatem tuam, possessionem tuam terminos terræ. Au Pseau. 71 : Et dominabitur a mari usque ad mare, et a flumine usque ad terminos orbis terrarum ; apres : Et adorabunt eum omnes reges terræ, et omnes gentes servient ei. Mays Nostre Seigneur mesme, Jan, 12 : Ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum.
De maniere que je puis bien dire a ceux qui font ceste Eglise ainsy cachëe et invisible, ce que saint Optatus escrivoit, lib. 2 contra Parmen. : « Si sic pro voluntate vestra in angustum coarctatis Ecclesiam, ubi erit quod Filius Dei meruit ? ubi erit quod libenter largitus est ei Pater, dicens : Dabo tibi gentes hæreditatem tuam ? Quare in carcere latitudo est regnorum ? Permittite Filium possidere concessa, permittite Patri promissa complere. » Et saint Hierosme, Dial. adversus Luciferianos : « Gratulor tibi quod animo bono a falsitatis ardore ad totius orbis te saporem contulisti, nec dicis more quorumdam : Domine, salvum me fac, quoniam defecit sanctus ; quorum vox impia Crucem Christi evacuat, Dei Filium subjugat diabolo, et illam complorationem quæ a Deo de peccatoribus prolata est, de universis hominibus dictam intelligit. Alloquutio Patris impleta est : Dabo tibi gentes. Ubi quæso [212] sunt isti nimium religiosi, immo nimium prophani, qui plures synagogas asserunt esse quam ecclesias ? »
Mais quoy, qu'appelles vous Eglise ? est ce pas une assemblëe de gens ? Ouy certes, non d'Anges. Dites moy ou est la vraye prædication sinon en l'Eglise ? et ou la chercheray je si je ne sçay ou est l'Eglise? Ou est la vraye administration des Sacremens sinon en l'Eglise ? et ou voules vous que je les cherche si ceste Eglise est invisible et cachëe ? Le jour de Pentecoste, le Saint Esprit vint il pas en l'Eglise, et toute ceste assemblëe estoit ce pas un cors visible ? Mesme le Saint Esprit tient l'Eglise visible a tel poinct que, pour s'accommoder a sa visibilité, luy mesme qui est invisible, s'apparut a elle en forme visible. Si elle est invisible, ou est ce qu'on la peut chercher ? ou l'ont ilz trouvee ? qui la leur a enseignee ?
Ah, mes Freres, c'est le dessein du diable de la rendre invisible, affin de nous soustraire de son obeyssance, affin de nous oster la liberté de nous refugier vers elle, et a elle le pouvoir de nous parler, nous instruire, nous monstrer nos fautes, de nous corriger et nous mettre dans nostre devoir.
Mays ilz disent, Hier., 31 : Dabo legem meam in cordibus eorum. Anciennement, la loy estoit escrite en pierre ; maintenant, au cœur : Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris . Saint Pierre, 1, c. 2 , appelle il pas l'Eglise domum spiritalem ? Aussi l'est elle, car elle n'est pas une mayson materielle, ains [213] ordonnëe a l'esprit ; comme les gens qui servent Dieu sont appellés spirituelz, mais ne laissent ilz pour cela d'estre visibles ?
Ilz objectent encores : « Credo sanctam Ecclesiam Catholicam ; » on croit sa sainteté qui est invisible, on croit qu'elle est l'Eglise de Nostre Seigneur lequel on ne void pas. Et ilz adjoustent : Novit Dominus qui sunt ejus (2. Timot., 2 ) ; Multi vocati, pauci vero electi (Matt., 20 ). Ce qui semble donner a entendre que l'Eglise ne comprend que les seulz esleuz, lesquelz ne sont conneuz que de Dieu. Mays combien que la sainteté et les esleuz ne soyent conneuz que de Dieu, combien qu'elle soit l'Eglise du Sauveur qu'on ne void pas, n'est il pas vray que l'Eglise est ce champ qui comprend la bonne semence et la zizanie ; qu'elle est ceste grange laquelle enferme le grain et la paille ; qu'elle est ceste grande mayson dont parle saint Pol, ou il y a des vaysseaux prætieux et des vaysseaux vilz et abjectz, et que la separation ne sera faite qu'a la fin du monde, lhors que de militante elle deviendra triomphante ?
Ces pauvres desvoyés sont semblables aux Apostres lhors qu'ilz se trompoyent en Nostre Seigneur, qui se trouvant au milieu d'eux et leur disant : Pax vobis, encores croyoient ilz que ce fust un fantosme. Ilz ressemblent a ceux dont est parlé en saint Math., 25 , qui diront a Nostre Seigneur : Domine, quando te vidimus esurientem ? etc.
Or sus, mes Freres, que retirerons nous de tout ce discours ? Premierement, une asseurance en la doctrine de l'Eglise, qu'elle est visible ; 2. combien nous avons d'obligation a Celuy qui a ædifié ceste cité de refuge pour nous, en laquelle nous puissions avoir nostre recours. [214]
Vidi civitatem sanctam, Hierusalem
novam descendentem de cœlo, a Deo
paratam sicut sponsam ornatam viro suo.
Le glorieux secretaire de Dieu dict en ce lieu que l'Eglise est une cité nouvelle, paree et ornee de Dieu comme une espouse pour son espoux. Or penses, mes Freres, quelle seroit une espouse, si elle estoit selon le souhait et selon le desir de son espoux. Si son espoux la façonnoit a sa volonté, je crois qu'il la feroit la plus belle, la plus vertueuse, la plus saine et de la plus longue vie qu'on se pourrait imaginer ; car il n'est telle affection que de l'espoux vers l'espouse, quoy que souvent au progres du mariage, on change de volonté par le malheur de nostre mauvaise nature. O quelle seroit ceste espouse accompaignëe d'autant de perfections que luy desireroit son espoux ! Penses donques, je vous prie, quelle doit estre ceste sainte cité que Dieu s'est præparëe luy mesme comme une espouse. Elle doit estre toute belle, elle doit estre toute sage, mays sur tout elle doit estre de tres longue durëe, comme c'est [215] l'ordinaire de souhaitter es alliances qu'elles soyent de longue durëe. C'est sans doute que Dieu qui a basti ceste Eglise, l'a bastie si bien et si fermement qu'elle doit estre perdurable ; ce que je prouveray maintenant avec de tres preignantes raysons, pour les occasions que je vous diray tost apres. Prions Dieu que ce soit a son honneur et gloire, employant a ceste intention l'intercession de la Vierge. Ave.
Je crois que vous sçaves, auditeurs chrestiens, que lhors qu'il pleut a Dieu creer le monde, voyant sa divine Majesté la terre et l'eau remplie d'animaux, il les benit tous, et leur donna force en leur nature, chacun en son espece, de continuer leur race jusques a la fin du monde ; [de] mesme quand il eut creé l'homme, il le benit, et luy donna la mesme perfection et condition : si que des lhors on ne trouvera pas que jamais aucune sorte d'animaux aye manqué de race ; et quant a nous autres, chacun sçait bien que par la ligne droitte et continuation perpetuelle, nous sommes tous descendus, de pere en filz sans interruption, de ce premier pere auquel Dieu donna la force et le commandement de multiplication. Et de vray, cela appartenoit a la Sagesse divine, de conserver le monde qu'il avoit une fois si solemnellement fondé.
Or, en cas pareil, mes Freres, quand il pleut a Dieu recreer le monde et fonder son Eglise, il la benit tellement que jamais ceste generation sienne ne devoit manquer ou faillir en aucune façon : de maniere que la vraÿe Eglise qui est maintenant, doit estre descendue de pere en filz par ceste generation spirituelle de ce second Adam, Nostre Seigneur et Maistre. Et qui diroit autrement, il feroit tort au sang de Jesus Christ, lequel n'a pas eu moins d'efficace pour fonder son Eglise a perpetuité, que le sang d'Adam a entretenir les generations des hommes ; car ne sçaves vous pas que comme Adam a laissé une generation perpetuelle en son sang, aussi Jesus Christ a laissé une generation au sien ? Que si le monde dure encores au sang d'Adam, pourquoy ne [216] durera aussi l'Eglise au sang de Jesus Christ ? C'est ce que vouloit dire le grand David : Deus fundavit eam in æternum (Pseau. 47) ; Magnus Dominus et laudabilis nimis, in civitate Dei nostri.
Et de vray, ce seroit bien chose indigne d'un tel fondateur, de fonder pour un peu de tems une Eglise, laquelle a esté fondëe avec tant de resjouyssance et un si grand appareil ; qu'en sa fondation Jesus Christ aÿe tant enduré, tant respandu de sang, et puys qu'elle fust corruptible. Fundatur exultatione universæ terræ mons Sion . Mays, je vous prie, seroit il bien seant que Nostre Seigneur eust respandu son sang pour reconcilier son Eglise a Dieu son Pere, et puys qu'en fin ceste Eglise fust tellement abandonnëe qu'elle vinst a estre du tout perdue ? Certes, un tel Mediateur merite une paix perpetuelle, une alliance tres estroitte, dont Isaye dict : Et fœdus perpetuum feriam eis, parlant du Christianisme.
Non, non, il ne faut pas dire que l'Eglise soit jamais morte ; son Espoux est mort pour elle affin qu'elle ne mourust point. C'est ce que veut dire saint Pol, Ephes., 4 : Et ipse dedit quosdam quidem apostolos, alios prophetas, alios evangelistas, alios pastores et doctores ; ad consummationem sanctorum, in opus ministerii, in ædificationem corporis Christi, donec occurramus omnes in unitatem fidei et agnitionis Filii Dei. A quoy est conforme ce qu'il dict I. Cor., 15 : Primitiæ Christus, deinde ii qui sunt Christi, deinde finis. Oportet illum regnare donec ponat inimicos suos sub pedibus ejus, novissima autem [217] inimica destruetur mors. Voyes vous ? il n'y a rien entre Christ et les siens, ny entre les siens et la fin : l'Eglise donques durera tousjours jusques a la fin, car aussi bien n'aura il jamais vaincu tous ses ennemis jusques a la fin. Et ce pendant Nostre Seigneur regnera et se dilatera en son Eglise, parmi et en despit de tous ses plus grans ennemis, suyvant ce qu'a ce propos atteste le Psalmiste au Ps. 109 : Dixit Dominus Domino meo : Sede a dextris meis, etc. ; Virgam virtutis tuæ emittet Dominus ex Sion ; dominare in medio, etc.
Ceste verge, c'est la Loy evangelique, de laquelle il est dict au Ps. 44 : Sedes tua, Deus, in sæculum sæculi ; virga directionis, virga regni tui. Elle sort de Sion, suyvant ce qui fut prophetisé en Isaye, 2 : Et de Sion exibit lex, et Mot Domini de Hierusalem. Elle commence par Jesus Christ. Luc., 24 : Oportebat Christum pati, etc., et prædicari in nomine ejus pœnitentiam et remissionem peccatorum in omnes gentes, incipientibus ab Hierosolyma. Donq, avec ceste verge de la sainte Loy, domine au milieu de tes ennemis, qu'est ce a dire sinon que tousjours ceste Eglise seroit stable et visible, en laquelle Nostre Seigneur regneroit et domineroit, voire parmi les plus grandes bourrasques et tempestes des afflictions ? Il n'y aura donq jamais tempeste qui empesche Nostre Seigneur de regner en l'Eglise ; car autrement il ne domineroit pas parmi ses ennemis, mays demeureroit sans seigneurie et domination en ce monde. Ce qui est davantage [218] confirmé par l'Ange, lhors qu'il annonçoit l'Incarnation a Nostre Dame, disant que Nostre Seigneur seroit grand, et seroit appellé Filz du Tres Haut ; et le Seigneur Dieu luy donnera le throsne de David son pere, et il regnera sur la mayson de Jacob æternellement, et son regne sera sans fin ; Luc., 1 . Qui est le siege de David et la mayson de Jacob, sinon ceste Eglise militante ? car sans doute ce n'est pas un siege temporel. Et comme regneroit Nostre Seigneur æternellement en la mayson de Jacob si elle manquoit une fois?
D'abondant, Nostre Seigneur donne il pas tesmoignage a ceste perpetuité de l'Eglise, en saint Jan, 14 : Ego rogabo Patrem, et alium Paracletum dabit vobis, ut maneat vobiscum in æternum, Spiritum veritatis. Quelle fermeté d'assistance ! Spiritum veritatis ; comme souffriroit il le mensonge ? Et en saint Matthieu, 28 : Ego vobiscum sum usque ad consummationem sæculi, ou ouvertement il promet son assistance particuliere a l'Eglise, passage lequel a esté entendu anciennement pour la presence de Nostre Seigneur au Saint Sacrement ; mais comme que ce soit, Nostre Seigneur monstre qu'il y aura tousjours une vraÿe Eglise, en laquelle il sera ; et s'il est avec elle, qui sera contre elle ?
Mays Isaye faict une solemnelle attestation a ceste verité, c. 59 : Cum venerit Redemptor Sion, hoc fœdus meum cum eis, dicit Dominus : Spiritus meus qui est in te, et verba mea quæ posui in ore tuo, non recedent de ore tuo, et de ore seminis tui, et de ore seminis seminis tui, dicit Dominus, amodo et usque in sempiternum. Hoc fœdus meum cum eis, id est, Christianis, car auparavant il dict : Et ceux qui sont en l'occident craindront le nom du Seigneur, et ceux [219] qui sont au soleil levant, sa gloire. Que voudroit on davantage pour la verification de ceste perpetuité ? Les Propheties et les Evangiles en sont tout pleins. Un seul passage suffira pour tous ; c'est en saint Matthieu, 16 : Tu es Petrus, etc. Il dict ædificabo ; quel architecte ! Il dict supra petram ; quel fondement ! Et portæ inferi, etc. ; quelle promesse ! L'enfer avec tous ses alliés n'y peuvent rien. Par les portes s'entendent les forces ; mays outre cela, je trouve trois portes d'enfer : la malice, l'ignorance, l'infirmité. Ni les infirmités es afflictions, ni l'ignorance es doutes, ni la malice es deliberations, peuvent prevaloir contre ceste Eglise.
Ceste verité est si claire et si puyssante, que Calvin mesme s'en est laissé eschapper la confession, Inst., liv. 4 , sur les parolles desja alleguëes, ou il confesse l'assistance perpetuelle avoir esté promise a l'Eglise, y adjoustant une bonne rayson : car, dict il, ce seroit peu que l'Evangile et le Saint Esprit nous eust esté une fois donné, s'il ne demeuroit tousjours avec nous. Voyes vous la force de la verité, comme il la confesse ? Mais voicy que vous me dires : Si Calvin confesse ceste verité, pourquoy la prouves vous si exactement ? Je vous respons que le mensonge est inconstant et la doctrine de Calvin aussi. Il confesse ceste verité icy sans y penser, mays il s'en oublie ailleurs grandement ; et la rayson pourquoy il faict l'Eglise invisible, mortelle et errante, c'est celle cy :
On demande a nos adversaires si quand ilz commencerent ceste nouvelle doctrine, il y avoit point d'Eglise de Nostre Seigneur, ou non : les uns respondent qu'ouy, les autres que non. A ceux qui disent qu'ouy, on replique : S'il y avoit une Eglise, ou vous esties avec [220] elle ou non. S'ilz disent que non, on leur dict : Vous esties donques damnés, car « non potest habere Deum patrem, » etc. ; et partant il ne vous faut pas suivre. Si vous esties avec elle, dites nous ou elle estoit. Alhors ilz disent qu'elle estoit invisible es cœurs de quelques uns, ça et la. Les autres donques voyant qu'il n'y avoit point d'honneur de dire, ou qu'il n'y avoit point d'Eglise, ou qu'elle estoit invisible, ont dict qu'au tems qu'ilz s'esleverent il n'y avoit plus aucune Eglise, mais que tout estoit apostasie, idolatrie et superstition ; qu'elle estoit morte et esteinte, pleine d'erreurs, et que par eux elle a esté resuscitëe : et contre ceux cy, j'ay monstré maintenant que ce feu est inextinguible, car voyes vous pas la consequence ?
L'Eglise donq est visible et perpetuelle ; mais celle de Calvin n'a point esté veuë ni conneuë devant Calvin ; donq l'eglise de Calvin n'est pas la vraye Eglise. Voyci qui les presse de pres, voyci qui ruine tout leur bastiment, voyci qui faict sauter, ruine et sappe la tour de Babel : c'est pourquoy ilz cherchent de tous costés ouverture pour s'eschapper, disant tantost que leur eglise a tousjours esté, et quand on demande ou elle estoit il y a cent ans, ilz disent qu'elle estoit invisible ; tantost ilz disent qu'elle n'estoit pas. Et quand on leur dict qu'elle n'estoit pas donques la vraye Eglise puisque la vraye Eglise doit estre perpetuelle, ilz nient cecy, et disent que quand Calvin commença il n'y avoit point d'Eglise, qu'elle estoit cheute en ruyne, et qu'ilz l'ont rebastie et reformëe. Et tout cecy se faict et se dict pource qu'alhors il n'y avoit point d'Eglise que Catholique Papiste qu'ilz nomment ; qui a faict dire a Du Bartas que l'Eglise estoit ceste grande paillarde de l'Antechrist. Calvin ne dict rien moins, livre 4, c. 2 et 5, et Beze en sa Confession de foy, c. 5, et Musculus, lib. De Locis communibus.
Voyla qui me faict arrester a prouver contre eux ces [221] verités, lesquelles estant bien certaynes et asseurees, il est bien certain et asseuré aussi que l'eglise des adversaires, qui n'a pas esté visible avant cinquante ou soixante ans, et qui n'a point esté tousjours, n'est pas la vraye Eglise et par consequent que tous ceux qui sont en icelle sont hors de leur salut æternel, s'ilz ne s'amendent. Davantage, je n'ay pas seulement prouvé que la leur n'est pas la vraye Eglise, mays aussi que c'est la nostre ; car il ne se trouve point d'Eglise, de toutes celles qui confessent Jesus Christ, qui aye continué sans interruption, sinon la nostre Catholique Romaine.
Mais qu'apprendrons nous icy en ceste verité ? Nous apprendrons a louer Dieu qui a laissé au monde une Eglise perpetuelle, a laquelle en tout tems on peut recourir pour y faire son salut ; puys, montant de ceste Eglise que nous voyons ça bas, a celle que nous ne voyons pas, la haut, nous exciterons en nous le desir de la vie eternelle, comme dict l'Apostre, 2 Cor., 4 : Non contemplantibus nobis quæ videntur, sed quæ non videntur. Et partant, comme celle-cy est perpetuelle selon la perpetuité de ce monde, l'autre l'est selon la perpetuité de l'autre, c'est a dire, eternelle. Donques de la consideration de la durëe de ceste Eglise nous devons nous eslever a la durëe de la triomphante, et penser que le Royaume du ciel est eternel ; puys, penser combien jusques a present nous avons esté mal advisés d'avoir quitté ce Royaume la auquel nous avons part, pour un rien, pour un petit peché, et qui sommes si lasches de ne point prendre peyne pour avoir ce Paradis qui dure eternellement. Tu prens tant de peyne pour un peu d'or, pour un peu d'argent qui te sera demain pillé, qu'il te faudra laisser demain, et pour ces richesses immortelles tu ne veux pas te faire tant soit peu de violence et vaincre ta lascheté. [222]
Deux principales difficultés qui sont aujourd'huy touchant la Cene sont :
1. A sçavoir mon, si en icelle est le vray et naturel cors de Nostre Seigneur reellement. 2. Si on faict un sacrifice ou oblation a Dieu le Pere en icelle, propre et reel.
Quant au premier, je vous advise tout du commencement, qu'un cors vray et naturel peut estre reellement en un lieu en deux façons. Premierement : surnaturellement et spirituellement, selon une condition spirituelle, mais neantmoins reellement. Exemple : quand Nostre Seigneur entra en la salle ou les disciples estoyent, les portes fermëes, son cors entra et passa reellement au milieu d'eux ; mais non pas naturellement mais surnaturellement et spirituellement, neantmoins tres reellement.
Secondement, je vous advise qu'un cors peut estre spirituellement en un lieu en deux sortes : Premierement, spirituellement reellement, comme quand saint [223] Pol parle de la resurrection, I Corinth. 15 , il dict : Seminatur corpus animale, surget corpus spiritale. Comment donques ? ne sera ce pas le vray et reel cors ? Ouy sans doute, in carne mea videbo Deum Salvatorem meum . Comment donques surget spiritale ? si c'est un cors, comme spiritale ? C'est a dire non plus grossier, corruptible, pesant, sujet aux dimensions. Secondement, spirituellement intelligiblement. Exemple (I Corinth. 10 ) : Tous les anciens mangeoyent une mesme viande spirituelle et beuvoyent un breuvage spirituel; or, ilz beuvoyent de la pierre spirituelle qui les suivoit, et la pierre estoit Jesus Christ. Beuvoyent ilz reellement Nostre Seigneur ? Non certes, mays seulement par foy, apprehension, intelligence. Nostre cors resuscitera spirituel, mays reellement vray cors. Les anciens beuvoyent Nostre Seigneur spirituel, mays non reellement, ains par foy, etc.
Cecy estant proposé, voicy le gros de nostre difficulté ; car nos adversaires veulent dire que nous prenons en la Cene le prætieux Cors de Nostre Seigneur, spirituel, c'est a dire par foy, et en apprehension ou volonté ou intelligence ; comme qui diroit : j'ay tousjours mon espoux en mon cœur, l'y auroit spirituellement mays non reellement. Et quand a l'Eglise Catholique, elle tient que Nostre Seigneur est receu reellement et spirituellement, et que comme reellement il entra en la salle les portes fermëes, ainsy entre il dans nostre cors ; mays comme il entra en la salle en façon d'esprit, sans ouverture des portes, sans estre veu ni apperceu jusques a tant qu'il fut au milieu des Apostres, ainsy il entre en nous en façon d'esprit sans occuper place, estre veu ni apperceu.
Troisiesmement, je vous advise que Dieu peut faire qu'un vray cors soit en un lieu ou y vienne (car l'un vaut l'autre) sans estre veu ni apperceu, et sans autres [224] conditions corporelles, et ne lairra pas le cors d'estre reellement et d'effect, vray et reel cors. Premierement, parce que Dieu peut tout. Secondement, parce que le cors de Nostre Seigneur entrant en la salle estoit vray cors, et entra sans estre veu ni apperceu, sans ouvrir les portes, sans occuper place ; ainsy sortit il du sepulchre, ainsy monta il au Ciel, tout sur la nature des cors, ainsy chemina il sur les ondes.
Quatriesmement, je vous advise qu'encores que j'use de ce mot de Cene, ce n'est pas pourtant que j'approuve ceste appellation ; non pas parce qu'elle n'est pas en l'Escriture, car on se sert de plusieurs motz qui ne sont pas en l'Escriture, mays parce qu'elle est presque contraire, ou præsupposant chose contraire a l'Escriture. Car saint Pol expressement tesmoigne que ce saint Sacrement ne fut pas ni la cene ou souper, ni une partie de la cene : Similiter et calicem, postquam cœnavit (1 Corinth. 11 ) ; ainsy saint Luc, 22 . J'en use seulement pour me laisser entendre. A plus proprement parler, il faudrait appeller Eucharistie, Sacrement de benediction, Calix benedictionis ; 1 Cor. 10 .
Or, tout cela dict par maniere de præparatoire, je vous diray les tres preignans et inevitables motifz que nous devons avoir pour nous arrester fermement en ladicte creance de la realité.
Premierement, les tres expresses, tres pures et tres claires parolles de Nostre Seigneur, en saint Jan, 6, ou sont les promesses : Ego sum panis vivus ; Qui manducat me ; Panis quem ego dabo, caro mea est ; Caro mea vere est cibus ; Nisi manducaveritis . Et saint Marc, 14 , Math. 26 , Luc, 22 , saint Pol, 1 Corinth. 11 , recitent les parolles de l'institution.
Secondement, que s'il estoit loysible d'interpreter ainsy les passages de l'Escriture, elle seroit comme une giroëtte. [225]
Troisiesmement, que nos adversaires n'ont pas une seule negation pour eux. Ilz alleguent : Caro non prodest quidquam , mais la consequence n'en vaut rien. Caro Christi in sepulchro quid proderat in triduo ? et tamen erat ; et puys la matiere en est fause, si on l'entend de la chair de Nostre Seigneur : car, si sa robbe guerissoit, que devoit faire sa chair ? En fin, il n'y a pas Caro mea non prodest, comme en l'affirmative : Caro mea est pro mundi vita.
Quatriesmement, ilz n'ont pas un seul passage affirmatif, car Spiritus est qui vivificat , donq la chair n'y est pas ; comme qui diroit : c'est mon entendement qui discourt ce sermon, donq mon cors n'y est pas. Parole quæ ego loquor . Mais notés qu'il dict : Ego sum panis vivus ; qui manducat me ; or, en Nostre Seigneur y est l'esprit, la vie, la chair. L'esprit de la Divinité : Spiritus est Deus ; Joannis, 4 . La vie, pour l'ame : Factus est in animam viventem . Estant homme, la chair : Mot caro factum est . « Ascendit ad cœlos » n'est point contraire, car supposé la toute puissance, il ne laisse pas d'estre au Ciel : Dominus noster est in cœlo ; omnia quæcumque voluit fecit . Saint Pol l'apelle pain, mais c'est a dire viande ; Ex. 16 ; Panis iste, et il est vrayement viande. Ex. 7 : Sed devoravit virga Aaron [226] virgas eorum, id est, serpens qui fuerat virga. Sic nominantur conversa.
5ment. Puys l'adversaire n'a rien. Certaines circonstances racontëes par les Evangelistes sont un grand motif. 1nt. Deux calices, desquelz saint Luc, et de l'aigneau : Desiderio desideravi hoc, etc. ; dico enim vobis quia ex hoc non manducabo illud donec impleatur in Regno Dei ; Et accepto calice, gratias egit et dixit : Accipite et dividite inter vos ; dico enim vobis quod non bibam de generatione vitis donec Regnum Dei veniat. Saint Luc racont'au long et faict clairement distinction de deux calices. 2. Quod pro vobis tradetur . 3. Comparayson avec la manne : Et mortui sunt ; ouy, quand a la force de la manne, qui ne servoit a autre qu'a la corporelle, de son estouffe. Il praefere ceste viande a la manne : or, la manne de soy estoit eccellente et signifioit ; que si ce pain n'a autre que signifier il est moins que la manne, car de soy il n'est si excellent. O mays en ce pain on mange par foy. Si faysoit on en la manne : Omnes eumdem cibum spiritalem, etc. ; petra autem erat Christus . 4. Les saintes ceremonies et paroles des Evangelistes : Sciens Jesus quia venit hora ejus ut transeat ad Patrem, cum dilexisset suos qui erant in mundo, in finem dilexit eos ; cæna facta, etc., surgit a cæna et posuit vestimenta sua, et cum accepisset linteum præcinxit se ; deinde misit aquam in pelvim, etc. [227] La benediction, etc.; action de graces ; la menace de saint Pol : Non dijudicans Corpus Domini.
6ment. La rayson : Un amy laisse son image le plus au vif, et sil pouvoit encores plus, etc. Sic Deus dilexit mundum . Sciens Jesus quia venit hora ejus ut transeat ex hoc mundo, etc. Hoc facite in meam commemorationem . (Col. I. v. 15 : Qui est imago Dei. Philip. 2 : In similitudinem hominum factus, et habitu inventus ut homo. Calvin tourne, « et trouvé de figure comm'homme. » Heb. 1 : Figura substantiæ ejus. Figure, similitude, image, signe, commemoration sont noms de mesme ligne, et importent repraesentation ; mais ilz n'excluent point la realité de ce quilz representent, comme on peut voir en ces exemples. Ilz n'importent point diversité de substance, mais seulement quelque diversité quelle qu'elle soit, ou d'accident ou de substance.)
7nt. La convenance. Si Adam par la communication reale de sa chair nous faict mourir, etc. Et c'est la plus grande gloire de Dieu.
9. L'authorité de tous les Peres ; car il ni en a pas un. Il s'en trouve bien qui parlent de l'esprit, mays on ne le nie pas.
10. Le consentement de l'Eglis'universelle ; et la dissention de partie adverse.
Et pnt, le mot est hebreu, Deut. 16 : Missah nedaha ; oblationem spontaneam, et qui estoit de froment. Les [228] Grecz : liturgie, litourgonton, Act., 13 : Ministrantibus illis Domino et jejunantibus, dixit Spiritus Sanctus : Segregate mihi Saulum et Barnabam ; sacrifice, dont Erasme a mis sacrificantibus .
2nt. En la Messe il y a 5 parties : prieres, ceremonies, et consecration, oblation et communication. Les deux premieres sont pour reverence, et dont nous n'avons pas expres commandement en particulier.
3. Quand on demande si Nostre Seigneur et les Apostres ont dict Messe, il ne faut pas chercher le mot, non plus que celuy de Sacrement, de Trinité, de Cene, mais la chose. 4. Ni la ceremonie et forme ; nom plus que celle des advérsaires, qui font le matin, ou on dict l'Epistre aux Chorinth., ou on ne lave point les pieds ; mays a sçavoir si en la Cene Nostre Seigneur fit le sacrifice. Et c'est cela que je maintiens :
1. Par les paroles : datur, Luc. 22 ; et effunditur pro vobis et pro multis .
2nt. In mei commemorationem ; mortem Domini annunciabitis . C'est un memorial de sacrifice, et comme les anciens qui figuroyent estoyent vrais sacrifices.
3nt. Actes des Apostres, 13 : sacrificantibus.
4. Psal. 109 : Prestre selon l'ordre de Melchisedech ; or Melchisedech panem et vinum obtulit ; Gen. 14 . Heb. 5 : De quo grandis nobis est sermo.
5. Malachiae, 1 : oblatio munda.
6. Ratione ; nam in omni lege est sacrificium, etiam in simplicissima lege naturæ.
7. Parce que cela est plus a la gloire de Dieu. [229]
9. Le consentement de l'Eglise, comme Luther le confesse.
10. Le beau commencement de ceste reformation, apris du diable, comme Luther confesse ; De Missa privata.
11. N'est contrair'a la Croix, ains son application ; ni les prestres au sacerdoce de Nostre Seigneur, ains ministres, serviteurs, applicateurs.
Malachiae, 1 : Non est mihi voluntas in vobis, dicit Dominus exercituum, et munus non suscipiam de manu vestra ; ab ortu enim solis usque ad occasum magnum est nomen meum in gentibus, et in omni loco sacrificatur, et offertur nomini meo oblatio munda, quia magnum est nomen meum, etc. Heb. 13 : Habemus altare de quo edere non valuerunt qui tabernaculo deserviunt.
Os. 6 : Misericordiam volui et non sacrificium. 1 Reg. 15 : Melior est obedientia quam victimæ. [230]
Ecce ascendimus Hierosolymam, et
consummabuntur omnia quæ dicta
sunt per Prophetas de Filio hominis :
tradetur enim Gentibus, et illudetur,
et flagellabitur, et conspuetur ; et
postquam flagellaverint, occident
Quand un prince tient la prise de quelque ville ou quelque notable victoire asseurëe, vous le voyes a tous propos parler de la bataille, et ne cessons jamais de parler de ce que nous attendons et desirons ; ce que sçauroyent bien dire les voyageurs qui, desirans leur arrivëe en quelque ville, ne trouvent personne a qui ilz ne demandent combien le chemin est loin. Ainsy Nostre Seigneur desirant extremement de parachever l'œuvre de nostre redemption, s'avoisinant le tems de sa Passion, il en faict des discours et prædictions a ses Apostres en plusieurs lieux, et particulierement en la portion evangelique que [231] l'Eglise nostre Mere nous propose aujourd'huy pour l'entretien de nos ames, ou Nostre Seigneur, comme grand Cappitaine, traitte avec ses Apostres de la victoire qu'il devoit remporter sur le peché et ses complices ; mays auparavant il discourt de l'aspre bataille de sa Passion, ce que les Apostres ne comprirent pas pour l'heure. Affin donques que nous le puyssions entendre, invoquons l'assistance du Saint Esprit, etc. Ave Maria.
L'Espouse celeste au Cantique, 1 , parlant de son bien aymé Sauveur, disoit : Fasciculus myrrhæ dilectus meus mihi, inter ubera mea commorabitur. Ceste Espouse, ames chrestiennes, ou c'est l'Eglise, ou c'est l'ame devote qui est en l'Eglise ; et comment que ce soit, par ces paroles qu'elle dict par le sage Salomon, elle monstre que Nostre Seigneur, vray Espoux et de l'ame et de l'Eglise, luy estoit perpetuellement en memoyre, comme le plus aymé de tous les aymés et le plus aymable de tous les aymables. Vous sçaves que l'amitié est ennemie mortelle de l'oubly, dont les Anciens quand ilz la peignoyent, luy mettoyent pour devise sur ses habitz : « Æstas et hyems, procul et prope, mors et vita ; » comme si elle n'oublioit ni en prosperité ni en adversité, ni près ni loin, ni en la vie ni en la mort.
Mays ceste Espouse ne dict pas seulement qu'elle l'aura tousjours en sa memoyre, entre ses mammelles, en son sein, en son cœur, ains comme un bouquet odoriferant, pour monstrer qu'elle prendroit une grande consolation en ceste souvenance ; et non seulement comme un bouquet, mais comme un bouquet de myrrhe. La myrrhe est tres soüefve a l'odeur, mais son suc est tres amer. La chere Espouse donques dict que son Amy luy sera comme un faisceau de myrrhe sur son cœur, pour monstrer qu'elle se resouviendroit [232] a jamais des amertumes de sa Passion douloureuse : Fasciculus myrrhæ, etc. Ce qui est encores dict avec extreme elegance par le prophete royal David, Psal. 44 : Myrrha et gutta, et cassia a vestimentis tuis ; ex quibus delectaverunt te filiæ regum in honore tuo ; car le Prophete parlant au Messie, il luy dict : La myrrhe et la goutte d'icelle, et la casse, c'est a dire l'odeur de ces prætieuses liqueurs, vient de tes vestemens. Qui sont vestemens du Sauveur, sinon son cors et son ame, comme dict l'Apostre, Philipp., 2 : Formam servi accipiens, in similitudinem hominum factus, et habitu inventus ut homo ? Et ce cors icy et l'ame mesme ne respirent que l'odeur de myrrhe, c'est a dire de grandes consolations provenantes d'un fondement douloureux, qui est la Passion, lesquelz vestemens viennent des maysons d'ivoire tres pures du Ciel et de la glorieuse Vierge.
C'est donq la continuelle odeur que sentent les Saintz et l'Eglise, que la consolation de la Passion. Et c'est ce qu'enseigne saint Pol, Heb., 12 : Recogitate eum qui talem sustinuit a peccatoribus adversus semetipsum contradictionem, ut ne fatigemini, animis vestris deficientes ; et a quoy luy mesme nous excite : O vos omnes qui transitis per viam, attendite et videte si est dolor sicut dolor meus ; ce qui a esmeu l'Eglise, vraye Espouse de Nostre Seigneur, a tascher par tous moyens de maintenir en la memoyre de ses enfans et disciples la Passion de nostre Sauveur et Maistre ; et partant, entr'autres, aujourd'huy elle met cest Evangile en avant. Elle dedie a ceste commemoration tout le Caresme, elle la represente au Sacrifice de [233] la Messe, a tous coups elle en parle, et pour briefvement a toutes les heures rafraischir ceste souvenance, elle enseigne a chacun de faire le signe de la Croix a tous propos. En ses eglises elle propose incontinent le Crucifix, en ses processions, le Crucifix, sur les eglises, aux chemins; et en tous ses exercices elle met tousjours le signe de la Croix. Et de vray, comment pourroit elle plus proprement et briefvement representer a nostre entendement la Passion de Nostre Seigneur ?
Mays parce que sur ce fait on a voulu censurer l'Eglise, et nos adversaires ont voulu dire qu'il y avoit de la superstition, il nous faut un peu arrester pour voir leurs raysons, et ne penser pas que ce soit hors de propos ; car les raysons que les adversaires tiennent estre les principales contre l'usage du signe de la Croix sont sans aucune force. Allons par ordre en ce fait, car il y a plusieurs difficultés entre l'Eglise et l'adversaire.
La premiere est que l'adversaire soustient qu'il n'en faut point faire, et s'il y en a de faites, les rompre et les gaster. L'Eglise dict le contraire ; et voicy nos raysons.
1. La memoyre de la Passion est utile, comme j'ay dict et diray. Dites moy, au nom de Dieu, pourquoy ne sera elle aussi utile en signe comme en parole ? Et qui ne voit que s'il est utile aux fidelles de leur ramentevoir la Passion de Jesus Christ par paroles, il le sera aussi de la leur representer par signes ?
2. Nostre Seigneur mesme honnorera sa Croix ; pourquoy non nous ? Or, qu'il soit vray, en saint Matthieu, 24 , il est dict entre les autres signes et prodiges qui arriveront au jour du jugement, que signum apparebit Filii hominis in cœlo. Quel signe ? La Croix sans doute, mes Freres ; car quel autre signe, je vous prie ? L'estendart de ce Prince paroistra, mays il n'en faut pas douter, car tous les Peres interpretent ainsy l'Escriture. Je sçay bien que Calvin et les autres cités chez Marlorat [234] interpretent : « Signum, id est, Filius ipse hominis, » qui tam manifeste parebit ac si edito signo omnium in se oculos convertisset. Voyes un peu comme on manie l'Escriture : quand il y a signum, ilz interpretent rem ipsam ; quand il y a corpus, ilz interpretent signum.
Mais outre ceste apparition, nous en avons d'autres, lesquelles, quoy que non si authentiques, sont neantmoins dignes de foy. Car Eusebe raconte que Constantin le Grand la vit, comme luy mesme recite, avec ces motz : « In hoc signo vinces ; » Euseb., l. 1. Vitæ Const. Puys, du tems de Constance, sur le mont d'Olivet ; Cyrill. Hier., Epist. hac de re. Au tems de Julien l'Apostat, voulant iceluy faire redresser le temple judaïque en desdain des Catholiques, il apparut un cercle argentin au ciel, avec la Croix ; Nazian., Orat. 2 in Jul. Au tems d'Arcadius, quand il alloit contre les Persans ; Prosp. in lib. De Promiss, divinis. Du tems d'Alfonce Albuquerque de Bargua, en l'une des contrëes des Indes il en apparut une.
3. Par ce que l'Eglise en a prattiqué des les premiers siecles : tesmoin saint Denis, 4, 5, 6 de sa Hier. ecclesiastique, ou il dict qu'en toutes choses on usoit du signe de la Croix. Justinus ad Gentiles respondet, cur ad orientem orent Christiani, cur dextera se signent et aliis benedicant cum signo Crucis : Quia, ait, meliora sunt danda Deo. Tertul., lib. De Cor. mil., dict, que les fidelles faisoyent le signe de la Croix « a chaque pas, » « ad omnem progressum, » etc.
Vous semble il pas que nous avons rayson de suivre [235] plustost la prattique de l'ancienne Eglise que les difficultés de ces nouveaux venuz ? Or, quelles raysons, je vous prie, proposent ilz ?
1. Que la Croix fut dommageable a Nostre Seigneur, donques elle est detestable. Mais si le signe et l'instrument de la douleur que Nostre Seigneur souffrit est detestable, la douleur mesme et la Passion de Nostre Seigneur le seroit bien davantage. La croix n'avoit point de mal en soy, et fut embrassëe volontairement de Nostre Seigneur, et par icelle il est arrivé a sa gloire et exaltation, comme dict saint Pol, aux Philipp., 2 : Humiliavit semetipsum ; propter quod, etc.
2. Parce que l'enfant seroit fol, qui se plairoit a voir le gibet ou son pere auroit esté pendu ; ne pensons donques plus a la Passion. Response : Mays si la Passion de Jesus Christ n'est pas seulement un supplice mays un sacrifice, certainement la Croix est non seulement un gibet, mays un autel sur lequel a esté consommé l'œuvre de nostre redemption ; et en ceste qualité elle doit estre en veneration a tous les fidelles, sa memoyre leur doit estre recommandable et son signe prætieux. Et miserables sont ceux qui le rejettent avec tant de mespris et d'horreur, car par cela ilz donnent a connoistre qu'ilz n'ont point part a ce qui a esté operé en la Croix, etc. Et comment peut on accorder ceux qui estiment se rendre ignominieux par la Croix, avec saint Pol qui dict : Absit mihi gloriari nisi in Cruce Domini nostri, etc. ? 1 Cor., 1 : Prædicamus Christum crucifixum, Judæis quidem scandalum, Gentibus autem stultitiam ; ipsis autem vocatis Judæis atque Græcis Christum, Dei virtutem et Dei sapientiam. Arbitratus sum me nihil scire nisi Jesum, et hunc crucifixum . Ad [236] Philip., c. 3 : Multi ambulant, quos sæpe dicebam vobis, inimicos Crucis Christi.
De plus, nos adversaires disent qu'il ne faut pas luy porter l'honneur qu'on luy porte ; l'Eglise, au contraire. Voyci le pourquoy.
Premierement, tout ce qui est consacré a Dieu est digne d'estre honnoré. Or, ceste sainte figure est dediëe a Dieu, donques, etc.
[2.] Que tout ce qui est dedié a Dieu soit digne d'estre honnoré, on le prouve parce que l'Escriture l'appelle quasi par tout saint. Pourquoy appelle on le Dimanche saint ? Pourquoy l'escabeau des pieds ? Exod., 3 : Solve calceamenta pedum, locus enim in quo stas, terra sancta est. Le Psalmiste : In noctibus extollite manus vestras in sancta, id est, Deo dicata ; et au Psalme 98 : Adorate scabellum pedum ejus, quoniam sanctum est. Cest escabeau est le Temple, comme disent les Chaldeens ; c'est l'Arche de l'alliance, comme disent les Hebrieux : et comme que ce soit, c'est tousjours pour nous, et on infere de la efficacement, que ceste sainte figure est digne d'estre honnorëe, puysqu'elle est consacrëe a Dieu.
3. A rayson de tout ce qui est dict cy devant ; car si Nostre Seigneur l'a colloquee au ciel, s'il l'a monstree avec de si signalés effectz, n'est ce pas nous la rendre honnorable ?
4. Parce que la Croix nous a esté comme le sceptre et siege royal de Nostre Seigneur. Is., 9 : Et principatus ejus super humerum ejus. Au Psalm. 95 : Commoveatur a facie ejus universa terra ; dicite in [237] gentibus quia Dominus regnavit. Selon la version des septante interpretes, il y avoit a ligno, mais, au recit de Justin, in Dialogo cum Tryphone, les Juifz osterent ce mot. Si donq la Croix est le signe du pouvoir et royaume de Nostre Seigneur, pourquoy, etc. Que si le buysson ou Dieu comparut meritoit ce respect, etc. Si l'Arche d'alliance, comme il est dict Psalm. 131 : Introibo in tabernaculum ejus, adorabo in loco ubi steterunt pedes ejus, etc. (il se peut proprement tourner : Adorabo locum vel scabellum pedum ejus ), pourquoy non ce siege royal? Jo., 12 : Ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum, tanquam omnium Princeps et Dominus.
5. Pour les grans effectz qu'il plaist a Dieu de faire par ce ceremonial, et particulierement contre les demons qui le haïssent ; dequoy Lactance rend tesmoignage, [Divin. Instit.,] lib. 4, c. 27, et Greg. Naz., Orat. 1 et 2 in Jul. : Il vit parmy les sacrifices et augures les diables, comme il desiroit ; il se signe, ilz disparoissent. A quoy tendent toutes ces visions?
6. Parce qu'en sa figure, qui estoit le serpent d'airain (Nu., 21 ), elle fut honnorëe avant que d'estre; pourquoy non en sa memoyre apres avoir esté ? Jo., 3 : Et sicut exaltavit Moyses serpentem, ita exaltari oportet Filium hominis.
7. Parce que ceste veneration est tres ancienne en l'Eglise. Tertullien respond aux Gentilz qui tançoyent l'honneur de la Croix. Constantin defendit qu'on n'y pendist plus : Ut honori esset, non horrori ; Aug., [238] Sermo 18 De Verbis. Theodose defend qu'on ne la peigne en terre. Tibere (Paul Diacre, lib. 18 Rerum Rom. ), cum vidisset humi crucem, erigi jussit, dicens : « Cruce Domini frontem et pectus munire debemus, et pedibus eam terimus ! »
8. Nos Anciens portoyent la Croix au col, comme tesmoigne saint Gregoire Nissene de sa sœur Macrine. Amen. [239]
Toute l'ancienne Eglise, par tous les lieux du monde, en un parfait consentement d'espritz, avoit tousjours salué la Mere de Dieu de ceste façon angelique : Ave Maria, gratia plena. Et nos plus proches devanciers, suyvant le sacré ton de leurs ayeulz en une devotieuse harmonie, chantoyent a tous coups, en tous lieux Ave Maria, pensans se rendre tres aggreables au Roy celeste, honnorans reveremment sa Mere, et ne sçachans ou rencontrer maniere plus propre pour l'honnorer qu'en imitant les honneurs et respectz que Dieu mesme luy avoit decreté et accommodé selon son bon playsir, pour l'en faire honnorer, le jour que sa divine Majesté voulut tant honnorer en ceste Vierge tout le reste des hommes, que de se faire homme luy mesme. O sainte Salutation, o louanges bien authentiques, o riches et discretz honneurs ! Le grand Dieu les a dictés, un grand Ange les a prononcés, un grand Evangeliste les a enregistrés, toute l'antiquité les a prattiqués, nos ayeulz nous les ont enseignés.
Mays voicy un cas estrange. Vous resouvenes vous pas que quand David sonnoit de sa harpe, le malin esprit se retiroit de Saul, comme vaincu de la douce [240] melodie ? Ainsy ce malin esprit, ennemy conjuré de tout accord et union, estant entré en possession de certains cerveaux leg'ers, discordans et sans harmonie, parlant par leurs bouches, il dict mille injures et blasphemes contre l'usage de ceste sainte Salutation.
Calvin, en son Harmonie Evangelique, nous appelle superstitieux, tant pour saluer une absente que pour nous mesler du mestier d'autruy ; nous accusant au surplus en cest endroit d'enchantement, disant que nous sommes mal appris, nous servans de ceste Salutation comme de priere, ores que ce ne soit qu'une simple congratulation. En fin, toute leur reprehension contient trois poinctz : premierement, que c'est un attentat du ministere des Anges de dire la Salutation angelique, puysque nous n'en avons pas charge ; secondement, que c'est superstition de saluer une absente ; tiercement, que c'est une lourdise de penser prier avec ceste sainte Salutation. O les terribles gens que voyla ! ilz gaigneroyent mieux de dire tout en un mot que c'est mal faict pource que l'Eglise le commande, laquelle ne faict rien a leur gré.
Or, je dis avec l'Eglise que c'est saintement faict d'honnorer et saluer ceste sainte Vierge, de la saluer du Salut angelique, et que le Salut angelique contient une tres belle et devote orayson. Je ne m'amuseray pas a vous dire que c'est que salutation, ni moins a vous dire que c'est un office chrestien que de s'entresaluer l'un l'autre. Toute l'Escriture est pleyne de beaux exemples et salutations des Patriarches aux Anges et entr'eux ; et par tout, a tous rencontres, la salutation y est cottëe. Mays je vous diray bien que ne pas saluer une personne quand on la connoist, est une protestation de mespris, d'indignation et abomination. Je laisse a part Aman qui prit a mespris ce que Mardochee ne le saluoit pas ; car encores qu'au commencement il voulut estre adoré, si est ce qu'apres il ne se plaint que de ce qu'il ne le saluoit. Voyes le chap. 3 et 5 d'Esther. Mais oyes le bien aymé saint Jan, [Ep.] 2, c. 1 : Si quis venit ad vos et doctrinam hanc non adfert, nolite eum [241] recipere in domum, nec Ave ei dixeritis. Il met pour execration de ne point saluer et ne point dire Ave ; la ou que dirons nous de ceux qui ne veulent point saluer Marie, sinon qu'ilz l'haïssent ? De mesme saint Pol a ses Philip., 4 : Salutate omnem sanctum in Christo Jesu ; comme s'il vouloit que cela fust deu aux saintz et vertueux, que d'estre salués.
Si donques Marie n'apporte point que de bonne doctrine, n'ayant jamais rien dict en l'Evangile que saintement, pourquoy nous defendra on de la saluer ? Si elle est sainte et la plus sainte, pourquoy ne la saluerons nous ? Est ce la doctrine que Nostre Seigneur nous a appris, disant tant de fois : Pax vobis, pax vobis ? Et en saint Matthieu, 28 , rencontrant les Maries : Avete, leur dict il.
Mays, disent les hæretiques, vous salues les absens. Response : Quel danger y a il ? Saint Pol, en toutes ses Epistres, salue il pas ores cestuy ci, ores cestuy la, quoy qu'absent ? Et aux Philip., 4 : Salutant vos omnes sancti ; salutant vos omnes qui mecum sunt fratres ; et nostre saint Pierre en son Epist. : Salutat vos Ecclesia in Babylone coelecta ? Ilz diront qu'ilz estoyent præsens par lettre et par messager ; mays Nostre Dame est præsente aux Chrestiens, principalement par l'attention. Comme saint Pol, 1. Corint., 5 , parlant de cest inceste : Ego quidem absens corpore, præsens spiritu, jam judicavi ut, etc. 4. Reg., 5 , Giezi dixit Heliseus : Nonne cor meum in præsenti erat quando reversus est homo de curru suo in occursum tui ? [242] Et y a du playsir au chap. suivant, de voir comme Helisee dict au roy d'Israël tout ce que le roy de Syrie arrestoit en son cabinet secret. Que dites vous du Psalmiste quand il dict : Me expectant sancti, donec retribuas mihi ? Quomodo expectant retributionem nisi sciant opera ?
Or, estant ainsy arresté que c'est chose sainte de saluer la Vierge, je vous demande quelle salutation pourroit on trouver plus sainte que celle cy ? l'Autheur saint, les parolles saintes. Aves vous donques desir de l'honnorer, dites Ave. Estes vous en doute de la maniere particuliere avec laquelle il la faut honnorer, dites Ave.
Mais qui diroit jamais les saintz mouvemens que reçoit le cœur devot en ceste sainte Salutation? Ceste Salutation repræsente le tressaint mistere de l'incarnation, et partant l'Eglise adjouste aux paroles de l'Ange, qui portent desja ce mistere gravé, celles de sainte Elizabeth : Benedictus fructus ventris tui, pour le repræsenter encores plus expressement. [243]
Adhuc multa habeo vobis dicere, sed
non potestis portare modo ; cum
autem venerit Spiritus ille veritatis,
docebit vos omnem veritatem ; non
enim loquetur a semetipso, sed quæcumque
audiet loquetur, et quæ ventura
sunt annuntiabit vobis. Ille me clarificabit,
quia de meo accipiet et annuntiabit vobis.
C'est un viel axiome entre les philosophes que tout homme desire de sçavoir : « Omnis homo natura scire desiderat, » dict Aristote ; en quoy l'esprit humain est si ardent, que l'ennemy ne sceut trouver tentation plus grande pour decevoir nostre premier pere que de luy proposer : Eritis sicut dii, scientes bonum et malum, Vous seres comme des dieux, sçachans le bien et le mal ; Genes., 3 . C'est ce grand desir qui apprivoisa l'homme avec son ennemy capital par les [244] artz divinatoires, et qui baille credit a tant de pronostiqueurs Ce fut ce desir qui fit sortir d'Athenes et tant courir ce grand Platon, comme dict saint Hierosme, Epist. ad Paulinum Presbyterum ; qui fit aller des le bout de France et d'Espagne a Rome vers Tite Live. Ce fut ce desir qui fit renoncer ces anciens philosophes a leurs commodités corporelles, etc. Et c'est a ce desir naturel de l'homme auquel Nostre Seigneur a esgard aujourd'huy, quand pour consoler ses Apostres de son absence, il leur promet le tressaint Esprit pour leur apprendre toute verité. Et affin de leur aiguiser ce desir, il leur dict : Adhuc multa, etc. ; puys, pour les combler d'une certaine, et magnifique esperance et consolation, il leur dict : Cum autem venerit ille Spiritus veritatis, etc. ; puys, parce que la science peut nuire a qui l'a s'il ne la rapporte a bonne fin, il leur adjouste : Ille me clarificabit, quia de meo accipiet. Mays ce pendant Nostre Seigneur monstre par ces paroles que personne ne peut estre capable de la celeste doctrine sinon par la faveur du Saint Esprit. Ainsy le faut il croire sans doute ; et partant, voulant aujourd'huy vous monstrer avec ces paroles un des premiers et plus importans fondemens de la doctrine chrestienne, je vous supplie, demandons a ce celeste Consolateur son ayde, laquelle pour mieux obtenir, il nous y faut employer l'intercession de tous les Saintz, particulierement de la glorieuse Vierge, a laquelle partant nous presenterons l'Ave Maria.
L'histoire escrite au 6. chap. du 3. des Roys, de l'admirable fabrique du Temple de Salomon, raconte qu'il n'y avoit qu'une entrëe en l'oracle qui estoit dans iceluy ; mays ceste entrëe avoit deux huis de bois d'olive, il y avoit cinq posteaux, et sur les huis estoyent peintz des cherubins, des palmes, entaillé et relevé d'ouvrages ; au parsus tout y estoit doré. Certes, c'estoit une riche et bien magnifique entrëe. Ainsy le second peuple ou la seconde mayson, qui est l'Eglise evangelique, n'a qu'une entrëe en son oracle ; mays ceste [245] entrëe a deux portes non moins riches que ces anciennes. J'appelleray pour ce coup icy l'oracle du Christianisme la sainte doctrine evangelique ou l'Evangile ; car de fait, l'oracle n'estoit autre sinon le lieu d'ou Dieu monstroit ses volontés au peuple. Et comme sommes nous enseignés sinon par la foy, laquelle peut estre appellee oracle, parce qu'en icelle on oyt Dieu ? Fides ex auditu ; Rom., 10 . Mais l'unique entrëe de cest oracle c'est la parolle de Dieu ; car nous ne pouvons pas entrer en cest auditoire de Dieu, que ce ne soit per Mot Dei .
Mais ceste entrëe a deux portes, a sçavoir, l'Escriture et la Tradition ; elles sont encores de bois d'olive, parce qu'elles portent la grace de Dieu. En icelles sont les cherubins, c'est a dire la plenitude de sçavoir ; les palmes, la victoire et la force contre les tentations : Virtus enim Dei est ad salutem omni credenti, Rom., 1 ; Assumite gladium spiritus, quodest Mot Dei, Ephes. 6 . Il y a de beaux ouvrages qui s'advancent, parce que ceste parole tend aux saintes œuvres. Tout y est couvert d'or ; ceste couverture sont les œuvres de charité, parce que la foy sans la charité est morte, 1. Cor., 13 : Si linguis hominum loquar, etc., charitatem autem non habuero, nihil sum, etc. Voyla donq le moyen d'entrer en l'oracle de la foy chrestienne, c'est d'entendre la parole escrite et la Tradition ; et c'est ce que Nostre Seigneur vouloit dire en ces paroles que j'ay prises a interpreter, car il dict : Adhuc habeo. C'est signe qu'il avoit beaucoup dict de choses quand il dict qu'il en a encor beaucoup a leur dire ; et puisque nous n'avons point ces choses-la en escrit, c'est signe qu'il y a beaucoup plus de paroles dites que d'escrites. [246]
Mais parce qu'en ceste doctrine nous ne sommes pas d'accord avec les adversaires, j'en diray sommairement quelque chose qui confirmera l'interpretation et la foy catholique, en cest ordre : premierement, qu'il y a des saintes Traditions en l'Eglise ; 2. qu'elles y sont necessaires ; 3. l'authorité qu'elles ont sur les Chrestiens ; 4. comme il les faut connoistre ; 5. une briefve resolution contre toutes les objections des adversaires.
Quant au premier, j'auray bien tost faict ; car comme les Traditions donnent authorité a l'Escriture, ainsy que je monstreray bien tost, de mesme les Escritures donnent authorité aux Traditions, comme deux huis qui s'entrejoignent, comme les deux cherubins qui s'entreregardoyent au propitiatoire.
Multa habeo vobis dicere, etc.; or, de cela nous n'avons que bien peu. Joan., ult. : Tout le monde ne pourroit comprendre ce que Nostre Seigneur a faict. Act., 1 : Per dies quadraginta apparens eis, et loquens de regno Dei. On me dira qu'il n'est pas necessaire ; il suffit qu'il soit utile, comme l'Epistre ad Philemonem. Puys, ou Nostre Seigneur le leur devoit dire pour eux ou pour l'Eglise : si pour l'Eglise, donq nous l'avons encores ; si pour eux seulement, donq en l'Evangile tout ce qui est necessaire a un chacun n'y est pas.
1. Cor., 11 : Laudo autem vos. quod per omnia mei memores estis, et sicut tradidi vobis, præcepta mea tenetis. De modo orandi, etc. Si quis autem videtur contentiosus esse, nos talem consuetudinem non habemus, nec Ecclesia Dei. Puys : Ego enim accepi a Domino ; Cætera cum venero disponam. [247] 2. Thess., 2 : Itaque, fratres, tenete Traditiones quas accepistis, sive per sermonem, sive per Epistolam nostram : autant l'un que l'autre. 2. Timoth., 1 ; Formam habe sanorum verborum quæ a me audisti, in fide ut in dilectione in Christo Jesu ; bonum depositum custodi, per Spiritum Sanctum qui habitat in nobis. Cap. 2 : Tu ergo, fili mi, confortare in gratia quæ est in Christo Jesu ; et quæ audisti a me per multos testes, hæc commenda fidelibus hominibus qui idonei erunt et alios docere. 2. Joan. : Plura habens vobis scribere, nolui per chartam et atramentum ; spero enim me futurum apud vos, et os ad os loqui.
Eusebius, l. 3, c. 36 Historiæ. Dion. Areopag., cap. 1 Eccl. Hier. Hegesippus (l. 4, c. 8 ; Eus.) « quinque libris comprehendit Traditiones Apostolicas. » [Euseb.,] l. 5, c. 20 : « Polycarpus referebat verba Domini, quæ ab Apostolis audierat ; » Irenæus ea scribebat « in corde. »
Irenee, [Contra Hær.], l. 5, c. 1, 2 , parle de la commixtion de l'eau avec le vin. Mais l. 3, c. 2, 3 et 4, il en parle tout au long. Entre autres choses, il dict qu'en « l'Eglise, comme en un riche depositaire, les Apostres ont conferé tout ce qui est de la verité, ut omnis quicumque velit, sumat ex ea aquam vitæ. Hœc est vitœ introitus ; omnes autem reliqui fures sunt et latrones : [oportet devitare illos,] quæ autem sunt Ecclesiæ cum magna diligentia diligere. » Et post : « Quod [248] autem si neque Apostoli scripta quidem reliquissent, nonne oportebat sequi ordinem Traditionis quem tradiderunt iis quibus committebant Ecclesias ? » etc. Il dict que « plusieurs nations sans escrit gardent l'ancienne Tradition escritte dans leur cœur. »
Tert., l. De Corona militis. Il parle des ceremonies du Baptesme, du signe de la Croix, du sacrifice anniversel pro defunctis, et dict : « Si legem expostules Scripturarum, nullam invenies ; Traditio tibi prætendetur auctrix, consuetudo confirmatrix, fides observatrix. »
Cyp., l. 2, Epist. 3 : « Admonitos nos scias, ut in calice offerendo Dominica Traditio servetur, nec aliud fiat a nobis quam quod pro nobis Dominus prior fecerit ; ut calix qui in ejus commemorationem offertur, mixtus vino offeratur. » Saint Augustin ne dispute quasi autrement, De Baptismo, contra Donatistas.
Que diray je des adversaires ? Combien ont ilz de Traditions ? Le Dimanche, par tout l'observation d'iceluy ; Pasques, l'Ascension en quelques lieux ; le Baptesme des petitz enfans, les parrains, l'imposition des noms, donner la cene le matin, se marier devant le ministre. Voyla quant au premier poinct.
Quant au IIe, je dis les Traditions estre necessaires : [1.] pour authentiquer l'Escriture ; car qui nous a dict qu'il y a des Livres canoniques ? L'Alcoran dict bien qu'il a esté envoyé du ciel, mais qui le croit ? Qui nous a dict l'Evangile de saint Marc, etc., plustost que celuy de [249] saint Thomas et de saint Bartholomé ? Pourquoy ne reçoit on l'Epistre qui porte le tiltre ad Laodicenses puysque saint Pol aux Coloss., c. ult., atteste leur avoir escrit, plustost que celle aux Hebrieux ? Pourquoy croiray je que l'Evangile de saint Marc est celuy de saint Marc qu'on monstre maintenant ?
Calvin, livre premier de son Institution, chap. septiesme, dict que « le Saint Esprit [rend un témoignage secret ; »] mais quelle folie ! C'est pourquoy saint Basile a eu rayson de dire, lib. De Spiritu Sancto, cap. 27 ; Si Traditiones negligantur, fore ut Evangelium detrimentum patiatur ; et saint Augustin, Contra epistolam Fundamenti, se Evangelio non crediturum nisi Ecclesia præciperet.
2. Pour le sens de l'Escriture : Putasne intelligis quæ legis ? Act., 8 . On peut s'opiniastrer par tout.
3. Pour le nombre des Sacremens ; car qui m'a dict que le lavement des piedz que fit Nostre Seigneur ne fut pas Sacrement et le Baptesme le fut ? et qui m'a dict qu'il falloit mettre du vin au calice ? etc.
4. Nous avons plusieurs articles de foy par la, comme : [1.] que le Baptesme des hæretiques est bon ; 2. la descente de Nostre Seigneur aux enfers ; 3. la virginité de Nostre Dame.
Ce n'est donques pas merveille si Irenee a dict : « Qui successionem habent ab Apostolis, cum Episcopatus successione charisma veritatis certum secundum placitum Patris acceperunt », [lib.] 4, c. 43 ; et Nostre Seigneur : Cum autem venerit Spiritus Sanctus, docebit vos omnem veritatem, dequoy l'Eglise a besoin, contra novas hæreses exorientes. In Graeco, il y a deducet in omnem. [250]
III. Auctoritatem habent a Christo et ab Ecclesia, bon gré mal gré tous les adversaires. (In omni scripto ut recipiatur, debet constare de veritate testificantis et testificationis.) A Christo immediate, ut Sacramentorum forma et quod vino aqua sit admiscenda, ut Justinus testatur, Apol. 1 , mediate, per Spiritum Sanctum in Ecclesia præsidentem ; per Apostolos, ut jejunium Quadragesimæ et alia multa, vel per Ecclesiam, comme il y en a beaucoup, et ont la mesme authorité que les loix escrittes. Lex « Diuturna consuetudo pro jure in his quæ non ex scripto, » etc. ; [Corpus Juris Civ.,] Digest., l. 1 .
IV. Modus cognoscendi petendus est ab Ecclesia generaliter ; quae quoniam decrevit aliqua quae in Scripturis explicite non sunt, signum, est esse tradita : 2 ad Tim., 3 ; Matt., 16 . Sic Mariæ virginitas, numerus Librorum canonicorum.
1. Quando Ecclesia universa aliquid agit quod non posset agere nisi mandata Christi, ut baptizare parvulos, et non rebaptizare hsereticos. Dont saint Augustin a bien dict, Epist. 118 : Non recte fieri quod universa Ecclesia facit, « insolentissimæ est insaniæ [disputare]. »
2. Quando Ecclesia aliquid semper egit, et si ipsa [251] potuerit instituere, ut Quadragesima, quæ usque ad tempus Ignatii (ad Philipp. ), producitur. Sic minores Ordines, in Epistola ad Antiochenses .
3. Quando in Concilio, vel seorsim, omnes doctores idem dicunt ; ut in Concil. Nicæn. 2, Act. ultima, imagines venerari. Sic ceremoniæ in Baptismo, Basil., Tert., Dionys.
V. Pour resoudre briefvement tous les argumens, voicy les regles. Premierement, se souvenir que les Traditions sont paroles de Dieu comme l'Evangile, etc. ; non jamais contraires a l'Escriture. Et par ce moyen s'en vont a neant tous ces passages que nos adversaires ont accoustumé de nous objecter : Non addetis ad Mot quod ego præcipio vobis, Deut., 4 et 12 ; Gal., 1 : Sed licet nos, aut Angelus de cœlo evangelizet vobis præter quam quod evangelizavimus vobis, etc.
2. Que tout ce qui est necessaire a l'Eglise, est contenu en l'Escriture, non explicite, mays bien radicaliter. Ce qui est explicite est suffisant pour sauver les particuliers, mays non pour l'instruction de tout le cors ; ainsy est refuté ce passage qu'on objecte : Hæc scripta sunt ut credatis, etc., et ut credentes vitam habeatis.
3. Que nos Traditions ne sont pas humaines, mais divines. Ainsy est refuté ce passage, Isa., 29 : In vanum colunt me, docentes mandata et doctrinas [252] hominum, et tous les livres qu'on a faict adversus humanas Traditiones.
Quant aux Peres, il y a deux regles : l'une, qu'on se garde de la fallace, a particulari affirmativa ad negativam simpliciter, et qu'on se souvienne de la regle : Ex puris particularibus nihil sequitur. Comme Irenæus ait : « Evangelium prædicaverunt, postea scripserunt ; » ergo nihil de Evangelio prædicaverunt, quod non scripserint. Ainsy : Scriptura est fundamentum et columna fidei ; donques, etc.
La 2, c'est de les lire. [253]
Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto ;
sicut erat in principio, et nunc, et semper,
Entre les signalëes faveurs que la bonté de Dieu fit a son bon serviteur Abraham nostre grand pere, l'une fut a mon advis, des plus grandes, lhors qu'en la vallee de Mambré, sa divine Majesté le vint visiter en son tabernacle visiblement, ainsy que raconte le Genese, chap. 18 ; car quel homme estoit ce qu'Abraham, affin que vous le visities ? Apparuit ei Dominus in convalle Mambre. Ce fut le Saint des saintz, ce fut Dieu mesme qui luy apparut, mays en quelle forme ? Cumque levasset oculos, apparuerunt ei tres viri ; sous l'apparence de troys, Celuy qui est unique Seigneur vint visiter son serviteur. O mistere des misteres ! Le Seigneur unique apparoist en troys personnes a Abraham. Il est bien dict au commencement du Genese, que Dieu dict : Faciamus hominem ad imaginem et [254] similitudinem nostram, par lesquelles paroles la Trinité de ce Facteur estoit monstrëe ; mays jamais l'apparition n'en avoit esté faitte devant Abraham, dont avec merite on a appellé justement Abraham pere des croyans, comme ayant eu une si signalëe revelation de ce mistere fondamental de nostre foy : Apparuit Dominus ; « tres vidit, et unum adoravit. » Et affin que nous n'ignorions pas que ce fut une apparition d'un Dieu en Trinité, apres qu'Abraham eut veu ces troys, il en adore l'unité : « Tres vidit, et unum adoravit, » dict la Glose ; et Abraham leur parlant : Domine, si inveni gratiam in oculis tuis, ne transeas servum tuum, sed afferam pauxillum aquæ, ut laventur pedes vestri, et requiescite sub arbore. Tantost a tous trois il parle en singulier et tantost en plurier, pour monstrer l'unité en trinité.
C'est ainsy que va et l'histoire et le mystere. Et maintenant, auditoire devot, le mesme Seigneur se presente a nous pour nous visiter, un par essence en trinité de personnes, non plus par une exterieure apparition, mais [par] une interne illumination de la foy, en ceste bonne vallëe de l'Eglise, puysqu'aujourd'huy l'Eglise celebre une grande solemnité a la gloire de la toute puyssante, toute bonne et infinie Trinité, Pere, Filz et Saint Esprit, affin de graver en nostre courage l'honneur et l'hommage supreme que nous luy devons. Gloria Patri, etc. Nous luy rendons la gloire si nous croyons, esperons et aymons ceste supreme essence en sa tres glorieuse Trinité, si nous prions les troys Personnes de demeurer avec nous, si nous lavons leurs pieds, si nous les invitons sous l'arbre, ce que comme on le doive faire, je prætens vous le monstrer briefvement. Mays pour cest effect il nous faut faire tous ensemble comme Abraham, [255] lequel leva les yeux en haut, et autrement n'eust pas eu cest honneur. Ainsy levons les yeux vers ceste lumiere æternelle, a celle fin qu'elle daigne nous illuminer de son Esprit, et qu'en sa clairté nous puissions voir de ce saint mistere ce que nous en devons connoistre et ce qu'il luy plaira nous en faire voir, affin de le croire, le croyant y esperer, y esperant l'aymer, et qu'ainsy vrayement « gloire soit au Pere et au Filz et au Saint Esprit. » Ce que pour obtenir avec plus d'abondance, employons y le credit de la Fille du Pere, de la Mere du Filz et de l'Espouse du Saint Esprit. Ave Maria.
C'est l'article fondamental de toute nostre foy chrestienne, que celuy pour la celebration duquel l'Eglise solemnise ceste journëe, a sçavoir la sainte Trinité des Personnes divines. Car encores qu'il semble que ceste sainte Trinité se doive reduire a l'unité de l'essence, d'autant que selon nostre façon d'entendre l'un soit premier que l'autre, si est ce que l'article de l'unité d'un Dieu n'est pas si propre aux Chrestiens que celuy de la Trinité, d'autant que plusieurs ont conneu Dieu et son unité, qui n'estoyent pas Chrestiens. Sur quoy se fondant saint Pol, il atteste aux Romains, 1 : Invisibilia Dei per ea quæ facta sunt a creatura mundi intellecta conspiciuntur ; ita ut sint inexcusabiles, quia cum Deum cognovissent, non tanquam Deum glorificaverunt. Mays quant a l'article de la tressainte Trinité, il est tellement particulier aux Chrestiens, que mesme le peuple Hebrieu n'en avoit pas pour la pluspart connoissance expresse, [et] que jamais les payens n'y estoyent arrivés : qui occasionne saint Hierosme a s'escrier en l'epistre ad Paulinum « Hoc doctus Plato nescivit, [256] hoc eloquens Demosthenes ignoravit. » Sur cest rticle de la Trinité est fondee l'Incarnation, et sur l'Incarnation toute nostre salvation ; sur cest article est fondee la mission du Saint Esprit, et sur icelle toute nostre justification. Voicy donques l'article des articles : « Fides ergo Catholica hæc est, ut unum Deum , » etc.
A ceste occasion, Nostre Seigneur premierement, puys son Eglise, en l'administration du Sacrement fondamental qui est le Baptesme, nous met en avant ce saint mystere : In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. C'est pourquoy l'Eglise, sous le Pape Damase, par l'exhortation de saint Hierosme, institua qu'a la fin de chaque Pseaume on chantast : Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, etc. C'est pourquoy du tems de Charlemagne, s'eslevant plusieurs hæresies contre la sainte Trinité, on dressa ceste sainte feste particuliere pour la protestation de nostre foy. O comme nous devrions donques encores en ce tems miserable celebrer ceste sainte feste et dire : Gloria Patri, etc. Penses vous pas que nos adversaires se soyent contentés de renverser l'Eglise ? Superbia eorum qui te oderunt ascendit semper ; Psalm. 73 . « Sunt gradus ad impietatem, et nemo repente fit pessimus.» Les Trinitaires, sortis de l'escole calvinienne, sont ilz pas encores en la Transylvanie ? n'ont ilz pas escrit, les uns avec Arrius, les autres avec Sabellius ? Superbia eorum qui te oderunt, etc. Un Valentin Gentil, un Servet, un Farel, un Viret ont du tout infecté ceste sainte doctrine, la ou Calvin et Beze, faysans les fins, s'entremettent parmi. Si donques ceste feste a esté instituëe pour tant et de si justes raysons, avec combien de devotion la devons nous [257] celebrer, maintenant que les causes de son institution sont renouvellees.
Gloria Patri, etc. Je trouve que nous pouvons souhaitter la gloire au Pere, au Filz et au Saint Esprit en deux façons : ou la gloire qui leur est naturelle et essentielle, ou l'exterieure et denominative. Premierement, Dieu le Pere, en l'abisme inexcogitable de toute son seternité, plein de son infinie essence, bonté, beauté et perfection, se regardant soy mesme avec son entendement tres fecond, entendit et comprit si bien sa nature, qu'en une seule conception et apprehension il exprima toute sa grandeur ; et ceste conception, ceste parolle, ce Verbe, ceste diction de son cœur fut un autre luy mesme. Desja de soy il estoit glorieux, c'estoit toute la perfection divine ; mais quoy ? Voyci sa gloire : c'est qu'il se voit, il prend connoissance de soy mesme, et s'entendant, engendre son Filz tout esgal a luy mesme : Ex utero ante luciferum genui te (Psalm. 109 ) ; Hebraice : Ex utero ante auroram tibi ros adolescentiæ tuæ. Isa., ult. : Numquid ego, qui facio parere alios, non pariam ? et qui generationem cæteris tribuo, sterilis ero ? Ce Filz est la gloire du Pere, dont il est appellé par saint Pol splendor gloriæ et figura substantiæ ejus.
O quelle gloire au Pere d'avoir un tel Filz, o quelle gloire au Filz d'avoir un tel Pere ! Le Filz a toute la mesme substance du Pere ; le Pere luy communique toutes ses perfections. Penses quelle gloire a un tres bon pere d'avoir un filz qui luy ressemble parfaittement ; mais s'il le ressembloit tant que ce fust un autre luy mesme, ah quelle consolation ! J'ay veu des peres qui avoyent quelque vertu, o combien ilz estoyent consolés d'avoir des enfans vertueux, etc. C'est ceste gloire qui [258] merite d'estre celebrëe a jamais : Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, etc. Mays, outre cela, le Pere voyant son Filz, et le Filz voyant par soy mesme son Pere, quelle exuberance de joye ! Le Pere et le Filz voyent qu'ilz sont reciproquement dignes d'un amour infini ; ilz voyent qu'ilz ont la volonté proportionnëe a l'object, ilz s'ayment l'un l'autre autant qu'ilz le meritent, ilz s'ayment sauverainement, infiniment et divinement. Et cest amour supreme qui les lie ainsy l'un a l'autre, procedant du regard qu'ilz ont l'un a l'autre, est une troysiesme Personne divine esgale a eux, consubstantielle a eux, infinie, æternelle et independante comme eux, qui est le Saint Esprit, l'amour et l'unité du Pere et du Filz, et le terme sans terme de leur mutuelle complaysance et des emanations æternelles.
Chantons donques : Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, etc. Je sçay bien que vous n'entendes pas ce mistere, ni moy aussi, mays il me suffit que nous le croyions tant mieux ; et ce que j'en ay dict n'est pour autre fin que pour vous le representer davantage, et vous ayder a le croire plus distinctement. Il y a certains exemples qui nous pourroyent ayder a en concevoir quelque chose ; mais il y a tant a redire, que, sans nous amuser a autre, nous nous contenterons de sçavoir que c'est la foy catholique « ut unum Deum in Trinitate, et Trinitatem in unitate veneremur . »
Nous chanterons tousjours Gloria Patri, d'autant plus encores que Calvin et Beze et leurs hæresies, veulent que toutes les trois Personnes ayent leur divinité de soy et non par communication ; qui est un blaspheme estrange, car ainsy il n'y auroit ni Filz ni Saint Esprit. Superbia eorum qui te oderunt ascendit semper. Au contraire, les Catholiques persistent a dire : « Deum de Deo, lumen de lumine , » et Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Gloria, en singulier, en [259] parlant des troys, pource que ces troys Personnes ont la mesme gloire ; Patri et Filio, pource que, combien que ces deux Personnes soyent un seul et mesme Dieu, et que le Pere regarde son Filz comme un autre luy mesme, il y a neantmoins ceste distinction, que le Pere a la divinité par luy mesme, et le Filz, par la communication du Pere : et sans cela, ni l'un ne seroit Pere, ni l'autre ne seroit Filz, ains ces deux noms seroyent des noms faintz et sans fondement. Et tout de mesme, Spiritui Sancto, qui signifie un respir d'amour reciproque et mutuel, pour signifier que le Pere et le Filz se regardans et s'aymans mutuellement, produisent ceste troisiesme Personne par ce regard et cest amour reciproque.
L'autre blaspheme, c'est qu'ilz ne veulent recevoir le nom de Trinité ; et leur rayson est, d'autant que Trinité ne veut dire que les Personnes ; la personne ne veut dire que residence et proprieté ; residence et proprieté n'est pas Dieu. Outre plus, disent ilz, ce n'est pas bien parler latin. O malheur de nostre aage, o vanité, o arrogance de l'esprit humain, qui entreprend de disputer des verités si eslevees par de si foibles raysons ! Ce mot de personne, o Calvinistes, signifie bien plus que vous ne dites, et les docteurs sçavent que personne est le suppost d'une nature intelligente, que c'en est le proprietaire et le possesseur ; tellement qu'une Personne divine, c'est celuy qui possede et a en propre la nature divine.
Et quant a ceste belle objection que ce mot n'est pas latin, ignores vous encores que quand il a pleu a Dieu, en l'exces de son amour, nous descouvrir de nouvelles verités, il a fallu chercher de nouveaux motz pour les exprimer ? Ignores vous que les motz sont faictz pour les choses, et non les choses pour les motz, et qu'il se faut bien garder d'assujettir les choses aux parolles, et beaucoup plus de renoncer aux choses les plus saintes et les plus divines pour ne pas rencontrer dans le langage usité parmi les Romains des dictions qui les signifient ? Suyvant ceste maxime de vostre eschole, il faudroit encores rejetter le mistere fondamental de nostre salut, [260] l'Incarnation du Verbe æternel, pource que ce mot d'incarnation ne se trouve point dans la pure latinité. O malheureux et infortunés docteurs, qui ayment mieux estre latins que chrestiens ! C'est une des ruses du diable, qui, sous couleur de quelque plus grande pureté de latin, tend a nous enlever la creance des premiers et plus importans misteres de nostre sainte religion. Les Arriens firent semblable trait, au rapport d'Epiphane, en leurs hæresies, dont les uns ne demandoyent qu'un iota, les autres, comme l'evesque Ancyritin, demandoyent qu'on rayast tous les motz qui n'estoyent de l'Escriture. C'est chose digne de deploration de voir leurs blasphemes : Vana loquuti sunt unusquisque ad proximum suum ; Linguis suis dolose agebant, judica illos Deus .
Saint Jan Damascene, livre troisieme de la theologie, raconte une histoire pour authoriser l'invocation de la sainte Trinité. Il dict qu'a Constantinople, « sous Proclus Archevesque, advindrent plusieurs signes de la juste colere de Dieu ; et comme le peuple estoit en priere, un enfant fut ravi, et dans son ravissement, les Anges luy enseignerent ce cantique : Sanctus Deus, sanctus fortis, sanctus immortalis, miserere nobis. Cest enfant revenu a soy, et ayant raconté ce qu'il venoit d'apprendre, tout le peuple se print a chanter ce mesme cantique, et par ce moyen appaisa l'ire de Dieu et destourna les malheurs dont il estoit menacé. » Ne laissons pas donques de chanter : « Pater de cœlis Deus, miserere nobis ; » ne laissons pas de dire que les trois Personnes sont adorables et suradorables, pour la gloire essentielle et interieure, et pour la gloire exterieure et attribuee.
On appelle la gloire appropriee celle qui vient a Dieu, non de ses ouvrages interieurs mays exterieurs, ainsy [261] que David dict : Cœli enarrant gloriam Dei, etc.; et comme dict saint Pol, I. Cor., 10 : Omnia in gloriam Dei facite. C'est lhors que nous procurons que Dieu soit glorifié : Ut videant opera vestra bona et glorificent Patrem vestrum .
Quant a la gloire essentielle, il n'y a personne qui la puisse alterer, pource que Ego sum qui sum ; gloriam meam alteri non dabo . Et c'est principalement de ceste gloire que nous entendons Gloria Patri, etc., non la luy desirans comme chose absente, mays nous resjouyssans en icelle. Mays quant a l'exterieure, elle peut estre augmentëe par nos bonnes actions. Glorificate et portate Deum in corpore vestro, dict saint Pol, I. Cor., 6 ; et en ceste façon, lhors que nous disons Gloria Patri, etc., nous disons tout autant comme : Fiat voluntas tua sicut in cœlo et in terra. Afferte Domino gloriam et honorem, afferte Domino gloriam nomini ejus ; adorate Dominum in atrio sancto ejus . Saint Pol se plaint des philosophes gentilz, Rom., I , quia cum Deum cognovissent, non tanquam Deum glorificaverunt, aut gratias egerunt ; sed evanuerunt in cogitationibus suis, et obscuratum est insipiens cor eorum. Dicentes se esse sapientes, stulti facti sunt ; et mutaverunt gloriam incorruptibilis Dei in similitudinem imaginis corruptibilis hominis. Helas, il y en a plusieurs parmi les Chrestiens, qui ressemblent a ces philosophes, sont froidz, [262] lasches, n'affectionnent l'honneur deu a Dieu et a ses amis Or, qui est ainsy disposé ne peut dire Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, etc.
Ceste gloire est exterieure et se peut entendre de deux sortes ; car pour tous les biens nous devons rendre gloire au Pere, au Filz et au Saint Esprit, mays particulierement pour la mort de Nostre Seigneur et le benefice de la Redemption, pource que Deus sic dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret . Sic Deus, voyla le Pere ; dilexit, voyla le Saint Esprit ; ut Filium suum unigenitum, voyla le Filz. Donques Gloria Patri qui dedit, et Filio qui datus est, et Spiritui Sancto per quem datus est.
Nous devons glorifier toutes les trois Personnes, et nous les devons glorifier par la Personne du Verbe incarné, et particulierement par sa Passion, laquelle il appelle sa gloire en saint Jan, 7 : Nondum enim erat Spiritus datus, quia nondum erat Jesus glorificatus. Car ainsy l'interpretent saint Jan Chrisostome et Euthymius, et formellement saint Hierosme in epist. ad Hedibiam, quæst. 9, la ou il monstre pourquoy il l'appelle sa glorification, et en fin conclud : « Gloria Salvatoris est patibulum triumphantis. » Qui gloriatur, in Domino glorietur ; I. Cor., 1 . Il l'explique ad Gal., 6 : Absit mihi gloriari, nisi in cruce Domini Jesu Christi.
Maintenant, permettes moy que j'use familierement de vostre auditoire. Nous devons glorifier Dieu par la Passion de son Filz ; or, ceste Passion n'est plus præsente pour rendre gloire a Dieu par icelle, il faut donq [263] recourir a sa memoire. Nous trouvons deux sortes de memoire de la Passion de Jesus Christ en l'Eglise : l'une vivante, l'autre morte. La memoire vivante de la Passion de Jesus Christ est l'Eucharistie : Glorificate, et portate Deum in corpore vestro ; Manducaverunt et adoraverunt . La memoire morte est le saint signe de la Croix ; ce sont les prætieuses reliques des Saintz qui ont souffert en leurs cors, comme dict l'Apostre saint Pol, ce qui reste des souffrances de Jesus Christ. [264]
Danielis lapis, deprimens statuant, Christus est et Petrus. Gamaliel : Si ex hominibus est hoc opus, dissolvetur. Quos Deus conjunxit, homo non separet. Caput tuum ut Carmelus, in Cant. Applica ad montem ex quo excisus est lapis : mons enim Christus est, caput Ecclesiæ ; lapis, Petrus.
Rationes monarchias in Ecclesia ; Friderici Nauseæ Cent. I. Homil., homil. 89 :
1. Ut lites de fide facilius compesci possint.
2. Ut Concilium convocari possit.
3. Ad episcopos dissidentes et contumaces puniendos. [265]
Aug., in Psal. 132 : « Merito displicet nomen monachorum, quia illi nolunt habitare in unum cura fratribus. »
Rupella imitatio est diaboli, rupis nimirum Petrinæ ; Sanderus.
Portæ inferi non prævalebunt ; idcirco, non obstante clausura, egressus evasit Petrus.
Confirma fratres tuos (non est merum præceptum, sed institutio confirmatoris ; ut, Crescite et multiplicamini piscibus, etc.) ; ne diffiderent et pastor et oves, rogavi ut non deficeret.
Historia de Claudio, anno 1559, Jacobus navarchus Endiscotanus. Proprium hæreticorum est quæ Sedes Romana acquisivit perdere, quæ congregavit dissipare : exempla in Germania.
Ecclesia se ad Petrum convertere debet ut uxor ad virum. Pro Petro enim rogavit Dominus propter Ecclesiam, cujus virum eum constituebat ; vir enim caput mulieris est. Propter hoc relinquet homo patrem et matrem, et adhærebit uxori suæ. [266]
Capite nobis vulpes parvulas quæ demoliuntur vineas.
Deus Abrahæ : In semine tuo benedicentur omnes gentes ; fideles fuere certi expectandum Messiam ex semine Abrahæ. Item postea, tempore Mosis ; domum David, imo Bethleem, etc. Sic domum Petri tempore Evangelii, in qua expectandus est Christus glorificator, in qua Christus percipiendus. Achaz, Amon, etc., impies, non turbarunt fideles ; sed firmi in promissione, non respexerunt in præsentem impietatem. Joannis Hesselz : differentia inter sedem Mosis et Petri ; hæc auferenda, illa non.
Dormitavit ; [Ps.] 118 . Percutiam, et ego sanabo ; Deut. 32 . [267]
La pierre de Daniel qui renverse la statue, c'est le Christ et Pierre. Gamaliel : Si cette œuvre est des hommes, elle se dissipera. Ceux que Dieu a unis, que l'homme ne les sépare point. Ta tête est comme le Carmel. L'appliquer à la montagne d'où fut détachée la pierre : la montagne est le Christ, chef de l'Eglise ; la pierre, saint Pierre.
Raisons pour une monarchie dans l'Eglise ; Ire Centurie d'Homélies de Frédéric Nausea, hom. LXXXIX :
1. Pour apaiser plus facilement les conflits sur la foi.
2. Pour faciliter la convocation d'un Concile.
3. Pour punir les évêques dissidents et contumaces. [265]
Saint Augustin, sur le Ps. CXXXII : « Le nom de moines leur déplaît avec raison, parce qu'ils ne veulent pas habiter en union avec leurs frères. »
La Rochelle est une contrefaçon faite par le diable, du rocher de Pierre ; Sanders.
Les portes de l'enfer ne prévaudront point ; c'est pourquoi, malgré la porte fermée, Pierre sortit et se sauva.
Confirme tes frères (ce n'est pas un simple précepte, c'est l'institution d'un confirmateur, comme le : Croissez et multipliez-vous dit aux poissons, etc.) ; pour enlever toute défiance aux pasteurs et aux brebis, j'ai prié afin que ta foi ne défaille pas.
Histoire de Claude, en 1559, Jacques, capitaine de vaisseau, endiscotanus. Le propre des hérétiques est de perdre ce que le Siège Romain avait acquis, de dissiper ce qu'il avait amassé : exemples en Allemagne.
L'Eglise doit se retourner vers Pierre, comme l'épouse vers l'époux ; car le Seigneur a prié pour Pierre en faveur de l'Eglise dont il le constituait l'époux ; or, l'époux est le chef de l'épouse. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme. [266]
Prenez-nous les petits renards qui ravagent les vignes.
Dieu dit à Abraham : En ta postérité seront bénies toutes les nations. Les fidèles furent donc certains que le Messie devait naître d'Abraham. De même plus tard, au temps de Moïse ; la maison de David, Bethléem même, etc. Ainsi, au tems de l'Evangile, c'est de la maison de Pierre que l'on doit attendre le Christ glorificateur ; c'est en elle qu'on recevra le Christ. Achaz, Amon, etc., impies, ne troublèrent pas les fidèles ; comptant sur la promesse, ceux-ci ne regardèrent même pas l'impiété présente. Jean Hesselz : différence entre le siège de Moïse et celui de Pierre ; le premier doit disparaître, le second demeure.
[Mon âme] s'est assoupie. Je frapperai et je guérirai. [267]
Calix benedictionis cui benedicimus, nonne
communicatio sanguinis Christi est ? et
participatio corporis Domini est ?
Sur ceste quæstion prise et faite en tout autre sens et façon qu'elle ne fut faicte par ce bienheureux Apostre, s'est fondëe ceste grande Babilone que nous voyons en ce miserable siecle. Pendant que tantost l'un tantost l'autre a respondu selon son propre sens et advis, quoy [268] que saint Pol aÿe faict ceste quæstion comm'un'exclamation d'une verité indubitable, bonté de Dieu ! quelle dissipation s'est ensuyvie, quelle grande confusion de langages s'est faite parmi le monde. Mays en tout on trouve deux responses generales, toutes contrayres l'un'a l'autre, en la contrarieté desquelles consiste le principal point du different qui est entre l'Eglise Catholique et ceux qui s'en sont separés. Car si on demande : Panis quem frangimus ? les separés respondent : Non est, sed figura. Et l'Eglise Catholique, par advis tout contraire, respond : Est ; Ego enim accepi a Domino . Et pour autant que la principale rayson que les adversaires praetendent avoir pour abandonner l'Eglise gist en ce different, je me suys proposé de vous remonstrer le mieux quil me sera possible les raysons de l'Eglise ; ce que je feray avec tel ordre que vostre esprit ne sera pas beaucoup empesché a les retenir, et la probation en demeurera tres manifeste et tres claire.
Car, 1. je le preuveray par les figures et par les prædictions ; 2. par la promesse qu'en a faict Nostre Seigneur en saint Jan, 6 ; 3. par l'institution du Saint Sacrement; 4. par des autres passages, par l'antiquité et les miracles et les raysons, et toute sorte de tesmoins. Cinquiesmement, je monstreray que ce Sacrement est non seulement Sacrement, mays Sacrifice ; sixiesmement, je monstreray la convenance, et respondray aux raysons contrayres, et iray poursuyvant selon que Dieu me donnera les moyens.
Mays je ne voudroys pas que vous pensassies qu'en ces sermons je veuille alleguer ce que j'en pourrois dire ; non, je ne diray que ce qui me semblera de plus singulier [269] et pregnant. Que qui voudra me demander des doutes, soit par escrit ou autrement, il m'obligera infiniment a luy, et le prendray a singuliere faveur, et tascheray a luy fayre en contrechange toute bonne satisfaction avec toute charité et respect. Au reste, je vous adjure, Catholiques, par Celuy auquel vous esperes, que vous oÿes attentivement et devotement ces miens sermons, pour rendre tesmoignage a la foy en laquelle vos ayeulz et devanciers sont morts. Et vous autres, Messieurs, qui suyves le parti contraire, je vous adjure par vostre salut et le sang du Sauveur, que vous venies ouir les raysons de l'Eglise Catholique, affin qu'on ne puysse dire de vous que vous l'aves condamnee sans l'avoir ouÿe. Et laysses en arriere toute sorte de passion humayne en cecy ; ne regardes a la familiarité que vous aves en l'un parti ou en l'autre, mays seulement ou l'Escriture, la rayson et la vraÿe theologie battra. Et selon que vous verres, resoulves vous, toutes choses layssees, a vous declairer pour le bon parti.
Ah Seigneur, je suys icy pour vostre service, da mihi intellectum ut sciam testimonia tua .
Je trouve la difference de la Loy ancienne et de la nouvelle faite par saint Pol, Ro. 13, belle et tres elegante sur toutes les autres, quand ayant dict que la perfection et plenitude de la loy est la dilection, il rend ceste rayson de son [dire] : Et hoc scientes tempus, quia hora est jam nos de somno surgere ; propior est enim nunc salus, quam cum credidimus. Nox præcessit, dies autem appropinquavit : abjiciamus ergo opera tenebrarum, et induamur arma lucis ; sicut in die honeste ambulemus. Car je trouve en [270] cecy 3 comparaysons, par lesquelles saint Pol exprime tres proprement ceste grande difference.
La 1. il compare les Juifz a des hommes dormans et les autres aux veillans : Il est tems, dict il, que nous levions du sommeil. On se leve, pour ce que la Loy ancienne estoit toute couchëe sur la terre, et le peuple y estoit merveilleusement attaché a terre ; dont les promesses sont : Bona terræ comedetis . Ell'estoit, en comparayson de l'Eglise, comm'un homme endormi, qui ne voit point sinon quelque songe et idëe ; signifiëe par Lia toute chassieuse. 2. Entr'un qui croit, et qui tient : Multifariam 1. ad Hebræos. 3. Entre la nuict et le jour. Ainsy ailleur : Umbram enim habens lex ; Heb. 10. Col. 2, ayant parlé des ceremonies anciennes, il les apelle quæ sunt umbra futurorum. Et 1. Cor. 10 : Omnia in figura contingebant illis, ayant parlé du pain quil donna aux Hebreux, et de l'eau.
De tout cecy je tire consequence que les figures de l'Ancien Testament ne doyvent rien approcher de l'excellence de ce qui nous est donné en leur lieu au Nouveau, nomplus que l'homme dormant au pris du veillant, croire et jouir, la nuict et le jour, l'ombre et le cors, la figure et la chose figurëe. Considerons donques maintenant qu'est ce que doit estre le Sacrement de l'Eucharistie, la Cene, en l'Eglise de Jesuchrist. Regardons un peu les figures d'icelle ; et si elles ont eu quelque chose d'excellent, considerons que doit avoir ce qu'elles repræsentoyent. Il y en a certes a milliasses, mays allons en choysissant quelques unes.
La 1. c'est l'aigneau paschal ; Mat. 26, Luc. 22 : Ubi vis paremus tibi Pascha ? Post Pascha figurativum, [271] fecit Pascha verum. Paul, I. Cor. 5 : Etenim Pascha nostrum immolatus est Christus. Paschalis non modo immolabatur, sed etiam manducabatur ; Ex. 12. Et saint Jan l'apelle Agnus Dei. Maintenant voyons son excellence avec celle du pain, si le pain seul y est. 1. Substantia ; ut clarum est. 2. Significatione ; caro carne melius repræsentater quam pane, mors morte quam fractione, Christi innocentia agno immaculato .
Mays je demande : l'appareil si grand observé en la manducation de l'aigneau, ou sera il repræsenté chez Calvin ? Se ceindre les reins, tenir le baston, chaussés, le reste donné au feu. Sans doute que l'aigneau en ceste façon repraesentoit je ne sçay quoy mieux que le pain. Et quoy donq, feres vous les misteres plus grans de l'Ancien que du Nouveau ? Si la Cene n'est qu'une signification, ell'est beaucoup moindre que ceste figure. Non, il faut la realité. On mangeoit le pain sans levain, avec des lettues sauvages, pour monstrer qu'au lieu de l'aigneau succederoit le banquet Eucharistique du saint Pain avec contrition.
La 2. figure est celle du man ou de la manne ; Ex. 16. Ell'est figure de l'Eucharistie ; Jo. 6 : Patres vestri manducaverunt manna. Et saint Pol, 1 Cor. 10, apres quil a parlé de la mer, de l'eau sortie, etc., il dict : Panis quem frangimus. Manna fiebat manibus Angelorum ; Psal. 77 : panis Cænæ, pistorum. Manna e cœlo, hic e furno ; Sap. 16. Ibidem : Sine labore, ut corpus Christi. Omnem dulcedinem et saporem habebat. Ou [272] l'Eucharistie donq est plus qu'une repræsentation, etc. Mays regardons un peu de plus pres. La manne estoit si admirable, que le peuple demandoit : Manhu ? Manhu ? mays quelle merveille seroit ce en ce pain ? etc. Calvin mesme, 1. 4, c. 17, § 7 : « Nihil restat nisi ut ejus misterii admiratione prorumpam. » Mays outre cela, ne sçaves vous pas que le man fut mis sur l'autel, au tabernacle ? ad Heb. 9, ou il faict deux tabernacles : l'un, de mensa propositions, l'autre ou estoit l'Arche et le man. Or, monstres moy quand ce pain a esté sur la croix sil n'est que figure.
La 3. sera pour ceste fois celle de laquelle Levit. 8 ; ou il est dict que Dieu ordonna deux sortes de sacrifices : l'un, veau, se bruloit hors la ville, hors les tentes, et cestuy ci est accompli en la Passion ; l'autre, aigneau, se mangeoit en la ville. Ou est il accompli sinon en l'Eucharistie ? Il se mangeoit avec le pain sans levain.
Il faut conclure par la similitude de l'hiver et de l'æsté, celle du printens et de l'autumne, celle du petit enfant et de l'homme grand.
Mays si les figures avoyent si magnifiquement parlé de ce Sacrement, oyes un peu les Profetes. Psal. 21 : Manducaverunt et adoraverunt omnes pingues terræ ; Deus, Deus meus, respice in me. Saint Remy, il y a plus de 700 ans, l'a interpreté : « Id quod manducabunt adorabunt. » [273]
Psal. 71 : Erit firmamentum in terris in summis montium, superextolletur super Libanum fructus ejus. Rabbi Salomon de Chuscaoth. Rabbi Jonathan, e Burgensi, vertit : Erit placenta tritici in capitibus sacerdotum.
Proverb. 9 : Sapientia ædificavit sibi domum ; immolavit victimas suas, miscuit vinum et posuit mensam suam. Cyp. l. 2. epistola 3. [274]
Les saintes reliques des Martirs, que Nostre Seigneur a voulu estre recommandables et honnorables par beaucoup de tesmoignages.
Int, Nostre Seigneur a tesmoigné en l'Escriture Sainte combien il veut que les reliques soyent honnorables :
Ex. 13 : Ossa Joseph transferuntur per Moysen, comm'il avoit prié luy mesme, mourant : Asportate ossa mea vobiscum de loco isto ; Genes. ult. Et Jacob encores ne voulut que son cors demeurast en Egipte (la mesme) ; dont Joseph le porta ensevelir avec honneur. Et les os de Joseph, transferés par Moise, furent ensevelis par les enfans d'Israel en Sichem ; Josue, ult.
Item, Moise monté sur le mont Nebo au coupeau de Phasga, ayant veu la terre, mourut par le commandement de Dieu, lequel mesme daigna le sevelir, dict l'Escriture, Deut. ult. ; que saint Hierosme produict contre Vigilance ad Riparium.
Item, 4 Reg. 13 , les larrons de Moab courans, des gens qui portoyent un mort les virent et le jetterent au sepulcre d'Helisëe ; ayant touché il resuscita. Cap. 23 , Josias renversant les idoles et les sepulcres, [275] en Bethel, voyant un sepulcre, il demanda que c'estoit ; auquel estant respondu que c'estoyt un sepulchre d'un prophete, il dict : Nemo commoveat. Et intacta manserunt, cum ossibus alterius prophetæ qui venerat a Samaria. Sil eut eu quelque reformateur on les eut levé et bruslé.
Is., 11 : In eum gentes sperabunt, et erit sepulcrum ejus gloriosum. Aux Rom. 15 , est cité une partie de ce passage, comme appartenant a Nostre Seigneur. Il ne tient pas aux reformeurs que ceste prophetie ne soit rendue menteuse. Saint Hierosme, epistola ad Marcellam ut commigret Bethleem, au nom de Paula et Eustochium, interprete ce passage pour ce tems mesme. Mat. 3 : Non sum dignus portare calceamenta ejus.
Act. 5 : La seul'ombre de saint Pierre guerisoit, car on y venoit pour estre gueris. Act. 19 : Les mouchoirs et ceintures de saint Pol.
Au Concile de Nicëe 2 , il y a 800 ; au Concile Gangrense, il y en [a] plus de 1200, canone ult., qui commence : « Si quis, superbiæ usus affectu. » Au Concile de Cartage, il y en a 1100, can. penult. Au grand Concile de Latran sous Innocent, il y a environ 350 ; ou on prouvoit aux abus qui pourroyent survenir.
Le grand saint Anthoyne port'a Pasques et Pentecoste la roubbe de feuilles de palmes de saint Pol premier hermite ; saint Hierosme, in Vita Pauli. Saint Athanase, in Vita Anthonii, idem de pallio Sancti Anthonii, cujus « legatarius ; Anthonium in Anthonii muneribus amplexatus. » Saint Hierosme ad [276] Marcellam ut commigret Bethleem, l'invite d'aller en Samarie parce quil dict y estre les cendres de saint Jan Baptiste, d'Helisëe et d'Abdias.
Miracles. Basil., oratione in Sanctam Julittam. Greg , in Cyp. : « Omnia potest pulvis Cypriani cum fide ut sciunt qui experti sunt. » Chrisost., 1. contra Gentiles, de reliquiis Sancti Babilæ martiris. Ambros., sermone de Sanctis Gervasio et Protasio, de cæco Severo.
Miracles en la conservation. Le cors de saint Hilarion, ex Hieronimo, apres dix mois, « illaesa cuculla, tunica et palliolo, et toto corpore quasi adhuc viveret integro, tantisque fragrante odoribus, ut delibutum unguentis putaretur. » « In utrisque locis quotidie magna signa fiunt, sed magis in hortulo Cypri » qu'en Palestine, ou on l'avoit transporté de Cypre. Sancto Gervasio et Protasio ; Aug., l. 9 Conf., c. 7.
Tousjours mauvays Chrestiens : Eunomius ; postea Vigilantius (Hieron., in Vigilantium) ; Constantinus Copronimus (Suidas, in ejus Vita) ; Wiclef. L'an mil cinq cens 62, corpora Sanctorum Irenæi, Martini, Hilarii, cremata. Ethnici ante annos 1400 : in Rodanum Martirum corpora projecta sunt a Gentilibus ; Euseb., 5. Hist., c. 3 . [277]
Ambrosius, supra, sermone de Sanctis Gervas. et Protas., epistola ad Sororem, ait Arrianos negare ausos miracula quæ coram toto populo fiebant. Mat. 23 : Væ vobis, Scribæ et Pharisæi hipocritæ, qui ædificatis sepulcra Prophetarum et ornatis monumenta justorum ; ilz le disoyent par hipochrisie. Ruffin, l. 1. c. 35, en la translation de saint Babilas. Mutaverunt gloriam incorruptibilis Dei in similitudinem imaginis corruptibilis hominis ; et servierunt creaturæ potius quam Creatori .
Euseb., l. 7. c. 24 , in civitate Phœnicæ. Hist. tripart., l. 6. c. 41, de statua ab Hemorroissa erecta, et a Juliano dejecta. [278]
Mat. 24 : Tunc parebit signum Filii hominis in cœlo, et tunc plangent omnes tribus terræ ; et videbunt Filium hominis venientem cum virtute magna et potestate. Tonitru prius quam fulmen.
Genes. 6 , Noë prædicavit pœnitentiam et irridebant eum, comedentes et bibentes (Matt. 24 ), ainsy que signifie saint Pierre en 2 can.
Genes. 45 : Ego sum Joseph ; neque respondere [279] poterant, nimio terrore perterriti. Apoc. 1 : Ecce venit in nubibus, et videbit eum omnis oculus, et qui eum pupugerunt. Et plangent se super eum omnes tribus terræ. Es. 42 : Tacui semper, silui, patiens fui ; sicut parturiens loquar. Lucæ, 21 : Arescent homines præ timore.
Ezec. 7 : Finis venit, venit finis ; evigilavit adversum te ; ecce venit ; vias tuas ponam super te et scies quia ego Dominus percutiens. Dies illa, dies iræ, dies tribulationis et angustiæ ; Soph. 1 . Is. 13 : Ecce dies Domini veniet, crudelis, et indignatione plenus. Mal. 3 : Ecce venit ; et quis sustinebit adventum ejus ? Mat. 12 : Omne Mot otiosum, etc. Psal. 10 : Inquinatæ sunt vice illius ; auferuntur judicia tua a facie ejus.
Alors le signe du Fils de l'homme apparaîtra dans le ciel, et alors toutes les tribus de la terre pleureront ; et ils verront le Fils de l'homme venant avec une grande puissance et une grande majesté. Le tonnerre précède la foudre.
Noé prêcha la pénitence, et ils se moquaient de lui, mangeant et buvant...
Je suis Joseph ; et ils ne pouvaient lui répondre, étant frappés d'une grande [279] frayeur. Le voici qu'il vient sur les nuees, et tout œil le verra, et même ceux qui l'ont percé. Et toutes les tribus de la terre pleureront sur lui. Je me suis toujours tu, j'ai gardé le silence, j'ai été patient; je parlerai comme la femme qui enfante. Les hommes sécheront de frayeur.
La fin vient, elle vient la fin ; elle s'est avancée contre toi ; voici qu'elle vient ; je te châtierai selon l'iniquité de tes voies, et tu sauras que je suis le Seigneur qui frappe. Ce jour, jour de colère, jour de tribulation et d'angoisse. Voici que le jour du Seigneur viendra, cruel et plein d'indignation. Voici qu'il vient, et qui soutiendra son avènement ? Toute parole oiseuse, etc. Ses voies sont souillées ; vos jugements sont ôtés de devant sa face.
Je ne crois pas que jamais plus chaud'alarme fut donnee que celle que les Prophetes donnent aux hommes pour le jour du jugement, ce pendant que l'un crie, Is. 13 : Ecce dies Domini veniet, crudelis et indignatione plenus. Ezec. 7 : Finis venit, venit finis ; evigilavit adversum te ; vias tuas ponam super te, et scies quia ego Dominus percutiens. Soph. 1 : Dies illa, dies iræ, tribulationis et miseriæ. Mal. 3 : Ecce venit ; et quis sustinebit adventum ejus ? [280]
Nunc ergo, filii, audite me : Beati qui vigilant ad fores meas ; Sapientia, de Maria, quæ est porta clausa. Nos fratres uterini sumus Christi, veri Benjamini, qui prius Benoni.
Deut. 5 : Memento quod servieris in Egipto, et eduxerit te Dominus in manu forti et brachio extento.
Mat. 16 , Nostre Seigneur declaire sa future Passion ; saint Pierre respond : Absit, Domine, non erit tibi hoc. Nostre Seigneur dict a Pierre : Vade post me, Satana ; non sapis ea quæ Dei sunt. Et puys saint Pierre couppe l'oreille et renie son Maistre. Au premier, il y a une indiscrete affection, provenante de ce quil avoit confessé, et en ce mesme quil couppe l'oreille ; au reniment un tres grand peché, mays non infidelité. Leur argument prouve que saint Pierre n'estoit pas Apostre. Ce n'est l'exhibition, Mat. 16. Saint Dorothee, doctrina 2, De Humilitate : au commencement un seul, Zozimas, puys Macharius, puys Basile et Gregoire Nazianzene, puys Pierre et Pol, puys la seule Trinité, puys le Pere. [281]
Mays, soli Petro dictum est : Pasce oves meas. 1. Simon Joannis, diligis me plus his ? Etiam, Domine, tu scis quia amo te. Pasce agnosmeos. 2. Simon Joannis, diligis me ? Etiam, etc. Pasce agnos meos. 3. Simon Joannis, amas me ? Contristatus est Petrus quia dixit ei tertio : Amas me ? Et dixit et : Domine, tu omnia scis, tu scis quia amo te. Pasce oves meas. Per oves Apostolos intelligit. Amen, amen dico tibi : cum esses junior, cingebas te, et ambulabas, etc. ; cum autem senueris, etc.
Soli Petro dicitur. 1. Ex nomine : Simon Joannis. 2. Ex comparatione facta intelligimus distinctionem : plus iis ? Tomas, Natanael, Jacobus et Joannes filii Zebedei. 3. Ex terna interrogatione, quae ex Cirillo et Augustino respondet « trinse negationi. » 4. Contristatus est Petrus, ex Chrysostomo, quia metuebat ne id accideret quod accidit cum dixit : Etiamsi opportuerit, etc. 5. Ex verbis cum autem senueris, etc. : crucifixio soli Petro prædicitur.
Pasce, id est, rege ; patet. Pastores vocamus rectores. Jo. 10 : Ego sum Pastor bonus.
Oves meas. Agnos meos bis dictum est, ob duplicem [282] populum ; oves meas ob pastores, vel, ut Bern., l. 2 de Consid., ob cæteros Apostolos. Oves meas ; ergo, quas non pavit Petrus, Christi non sunt. Jo. 10 : Cognosco oves meas, etc.
Objectiones : Christus Pastorem se dicit, Jo. 10. Christus Pastor et Dominus, Petrus pastor ; Christus Pastor et pascua, Petrus pastor.
Petrus, ait Calv., 1. Pet. 5 : Pascite gregem qui in vobis est ; ergo transtulit authoritatem. Unum est ; pascendi sub se et peculiares populi.
Luth., 1. de potestate Papæ : Non præcipitur cæteris ut obediant Petro. Qui præcipit actionem, praecipit passionem.
Datur diligenti ; at non diligunt. Non tollitur non dilectione quod datur pro dilectione. David, 16 du premier [des Rois] : Deus intuitur cor, et le faict roy ex intuitu cordis ; et tamen, il peche.
Non pavit. Pavit per cæteros, ut dux occidit per subditos. [283]
I Thess. 2 : Gratias agimus Deo sine intermissione, quoniam cum accepissetis a nobis Mot auditus Dei, accepistis illud, non ut Mot hominum, sed sicuti est vere, Mot Dei qui operatur in vobis qui credidistis. Es eis quasi carmen musicum quod suavi dulcique sono canitur ; et audiunt verba tua et non faciunt ea. Convertimini a viis vestris pessimis ; et quare moriemini domus Israel ?
Psal. 67 : Dominus dabit Mot evangelizantibus, virtute multa. Saint Augustin : « Fortasse virtutem hic dicit illam qua evangelizantes mirabilia [285] signa fecerunt. » 2 Thimot. 4 : Prædica Mot. Eph 6 : Gladium spiritus, quod est Mot Dei. 2 Cor 13 : An experimentum quæritis ejus qui loquitur in me Christus ?
Putasne intelligis quæ legis ? Act. 8 . Is. 53 : Sicut ovis ad occisionem ductus est. Labia sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent de ore ejus ; quia angelus Domini exercituum est ; Mal. 2 . « Sola Scripturarum ars est, quam sibi passim omnes vendicant :
« Scribimus indocti doctique. »
Qui vos audit me audit ; Luc. 10 . Alios autem pastores et doctores, ad consummationem sanctorum, in opus ministerii, in ædificationem corporis Christi, donec occurramus omnes in agnitionem fidei, in virum perfectum. Ergo fides ex auditu, auditus autem per Mot Dei ; Ro. 10 .
Quomodo prædicabunt nisi mittantur ? 2. Cor. 5 : Legatione fungimur pro Christo, tanquam Deo [285] exhortante per nos. Pro patribus tuis ; Psal. 44 . Nemo assumit sibi honorem, nisi qui vocatur a Deo sicut Aaron ; Heb. 5 . Moyse consecra Aaron (Levit, 8 et Ex. 28 , qui estoit prestre ; Psal. 98 . Ex. 28 : Adjoins a toy ton frere Aaron, pour m’exercer l’estat sacerdotal.
« Qui estis vos, aut unde venistis ? » Tert., de Præscript. Si opera non fecissem quæ nemo ; Jo. 15 .
Relictis omnibus secuti sunt eum . Antoyne, saint François. [286]
Calix befiedictionis eut benedicimus, nonne communicatio sanguinis Christi est ? et panis quem frangimus, nonne participatio corporis Christi est ? 1. Cor. 10 . Non dicit nos fide participare, cum panis nihil sit ex se, sed dicit panem id esse.
Huic quæstioni ex adverso respondent Ubiquiditæ et Calvinitæ ; unus enim esurit, alius autem ebrius est. Ecclesia autem, ut Christus, per medium illorum ibat. Illius ratio una est, quia Christus ita dixit.
Ubiquiditæ similes sunt rebelli populo Israel, qui dicebat : Anima nostra arida est, nihil aliud respiciunt oculi nostri nisi man ; Nu. 11 . Ita isti nihil aliud sibi videre videntur nisi Christum. Ebrii sunt, atque adeo omnia sibi videntur in magno numero. Calvinitæ. Michol, 1. Reg. 19 , erat illudens omnibus : [287] Quare, inquit Saul, illusisti mihi ? Similes arboribus quæ vicinæ sunt Mari Mortuo, quæ poma proferant quæ ubi tangas pereunt.
At Catholici omnino Christum præsentem ; non ubique, ut homo, sed in Sacramento hic, et in Cælo, et sicubi esse velit. Et in Sacramento quidem re vera, sed modo spiritali. Sic crastina die egredietur sepulchrum re vera, sed invisibiliter ; ut e contra Angelus erit in albis et visibiliter. Mira mutatio : spiritus videbitur, corpus non videbitur. Sic die lunæ, videbitis Christum peregrinum, per totum iter non cognitum.
Ergo caro est in Eucharistia ; sed non sola, sed cum sanguine, cum anima viva et vivifica, et cum Divinitate. O quale « convivium, in quo Christus sumitur. »
Dixit Deus Evae et Adamo : Non comedas ; diabolus dicit : Comede. Hic, Deus dicit : Comede ; dicit diabolus : Ne comedas.
Commendatur porro hoc Sacramento fides, spes, charitas ; et omnia Sacramenta.
Caro non prodest quicquam, non sane ; ita nec ferrum adurit, sed candens adurit. [288]
Le calice de bénédiction que nous bénissons, n'est-il pas la communication du sang du Christ ? et le pain que nous rompons, n'est-il pas la participation au corps du Christ ? Saint Paul ne parle pas de participation par la foi, car en soi le pain n'est rien, mais il dit que le pain est la participation.
A cette question les Ubiquitaires et les Calvinistes répondent d'une manière opposée ; car l'un a faim, et l'autre est ivre. Mais, comme Jésus-Christ, l'Eglise passe au milieu d'eux. Elle donne une seule raison : Jésus-Christ l'a dit.
Les Ubiquitaires ressemblent au peuple d'Israël révolté qui disait : Notre âme est languissante, nos yeux ne voient plus que la manne. De même, les Ubiquitaires semblent ne plus voir autre chose que le Christ. Ils sont ivres, aussi leurs yeux multiplient-ils tous les objets. Les Calvinistes. Michol se [287] moquait de tout : Pourquoi, lui dit Saül, te moques-tu de moi ? Semblables à ces arbres qui avoisinent la mer Morte, dont les fruits tombent en poussière au simple toucher.
Pour les Catholiques, le Christ comme homme est réellement présent, non pas partout, mais dans son Sacrement, dans le Ciel et où il lui plaît. Et d'abord, il est réellement présent dans l'Eucharistie, mais d'une manière spirituelle. Ainsi, il sortira demain du sépulcre, réellement, mais d'une manière invisible ; comme l'Ange, au contraire, sera vêtu de blanc visiblement. Merveilleux échange ! On verra un esprit, on ne pourra voir un corps. De même, lundi, vous verrez le Christ pèlerin, faire tout un voyage sans être connu.
Le corps de Jésus-Christ est donc dans l'Eucharistie, et non seulement son corps, mais encore son sang, son âme vivante et vivifiante et sa divinité. Oh quel « festin, dans lequel on reçoit Jésus-Christ ! »
Dieu dit à Eve et à Adam : Tu ne mangeras pas ; le démon dit : Mange. Ici, Dieu dit : Mange ; le démon dit : Garde-toi de manger.
De plus, la foi, l'espérance, la charité et tous les Sacrements sont glorifiés par l'Eucharistie.
La chair ne sert de rien, c'est vrai ; le fer non plus ne brûle pas, néanmoins quand il est incandescent, il brûle. [288]
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3°. Expeto sententiam clare proponi ; mos enim diaboli est uti ambagibus. Belle Rupertus, 1. 3. De Trinit., c. 7 et 8 : « Derisor est serpens et dubia respondet, ut cum Dei veritas impleta fuerit nihilominus ipse veracem se esse confirmet. » Nequaquam moriemini, vel ad subitam mortem, vel ad necessariam refertur. Aperientur oculi vestri, vel ad rerum omnium cognitionem, vel ad dedecus et pudorem. Eritis sicut dii, scilicet, vel boni vel mali. Scientes bonum et malum, scilicet, aut per notitiam aut per experientiam. Qui autem [289] sophistice loquitur, odibilis est Deo. Addit Rupertus notabile dictum : « Voluit dæmon similis esse Deo, » id ei non successit ; « nunc vult Deum sibi similem fieri, id est, mendacem. » Sic hæretici volunt tantum nosse quantum Deus : id non succedit ; volunt Deum non plura posse quam norint.
Porro adversarii sophistice omnino et semper loquuntur de hoc misterio. Est præsens per fidem, per figuram, etc. : et cum urgeas præsentem esse, illorum opinione non præsentem esse comperies. Nos candide corpus Dominicum ipsissimum quod fuit in ara Crucis, in hoc Sacramento esse profitemur. De modo nunc non ago.
Hoc ergo ego probo : 1°. disertis Scripturæ verbis : Hoc est corpus meum quod pro vobis traditur. Caro mea vere est cibus. Qui manducat me, ipse vivet propter. Quibus omnibus affirmationibus sensum alium affingere nemo debet, nisi contrariis Scripturæ locis urgeatur. At nullibi negari invenient. Nam illud Caro non prodest quicquam nihil urget, ut neque hæc, Caro et sanguis regnum Dei non possidebunt. Hæc autem, Spiritus est qui vivificat, verba quæ ego [290] loquor, etc,, non repugnant ; nam non sunt contradictoria nec contraria. Et si contraria essent, non sequeretur unam propositionem aliam destruere ; nam intelligi posset utraque realiter secundum diversas partes. Sed spiritus, spirituale, vita, vitale, Sacramentum, sacramentale realitati corporum non repugnant, imo cohærent : ex quo vita erat lux hominum, et spiritus, qui est Deus Mot, caro factum est. Mirum ergo homines qui Scripturas semper urgent, errare, nescientes Scripturas neque virtutem Dei.
Confirmatur hic sensus noster [1°], quia a quatuor Evangelistis ita explicatur, nihil addito quo aliter intelligere compellamur ; et tamen id soient : Solvite templum hoc ; hoc autem dicebat de templo corporis sui ; Jo. 2 . Si exaltatus fuero a terra ; significans qua morte esset moriturus ; Jo. 12 . Mat. 16 : Cavete a fermento Pharisæorum, quod est hipochrisis. Jo. 15 : Ego sum vitis vera ; sicut palmes, etc. Col. 1 : Adimpleo quæ desunt passionum Christi pro corpore ejus, quod est Ecclesia : quod est Ecclesia determinat hic ; non aliter determinat quam quod pro vobis datur. [291]
Confirmatur 2º, quia ter Christus hac de re locutus legitur : promittendo disertis verbis (sed ea verba expendemus die Dominico) ; dando in ultima Cæna ; cathechizando Paulum : Novissime autem et mihi tanquam abortivo ; non tamen id temporis eum Dominus docuit, sed cum raptus est usque ad tertium cœlum. Unde et emphatica est illa propositio Pauli : Ego enim accepi a Domino.
Confirmatur 3º, quia ita semper credidit Ecclesia, quod ex Concilio Niceno patet, ex commotione Ecclesiæ contra Berengar., et ex confessione adversariorum.
Confirmatur 4º, quia magnificat potentiam, sapientiam et bonitatem Christi, et nos beatiores efficit.
Sed multa melius videbitis ex verbis contextus et ex argumentis ex ipsis depromptis.
Solet Christus pedetentim ire. In Virgine præmittit exemplum sterilis, quo ostendat non esse impossibile apud Deum omne Mot ; ut peccatorum remissionem se facere posse ostendat, solvit morbos corporales ; sic de cæteris. Volebat Eucharistiæ fidem prædicare : præmittit miraculum multiplicationis panum ; postea urget fidem : Amen, amen dico vobis, qui credit in [292] me habet vitam æternam ; ego sum partis vitæ. Rem difficilem propositurus, prius facto, deinde exhortatione, fidem eorum sibi conciliare vult. Quo facto, optimum sermonem instituit, ex quo hæc sumo argumenta :
Primum. Ex comparatione quam facit inter manna et carnem suam : Patres vestri manducaverunt manna in deserto, et mortui sunt ; hic est panis de cœlo descendens, ut si quis ex ipso manducaverit, non moriatur. Quis est hic panis ? Ego sum panis vivus, qui de cœlo descendi. Si quis, etc. Sed, quis hic panis ? Panis quem ego dabo, caro mea est, etc. Bis hanc comparationem repetit.
In hac autem comparatione ostendit diversitatem in similitudine. Similitudo, quod utrumque cibus erat. Dissimilitudo : 1°. Quia Hic panis est de cœlo descendens ; non autem Moises dedit vobis panem de cœlo verum : panem cœli dedit eis, sed non de cœlo verum, apparenter tantum de cœlo ; hic de cœlo verum. 2°. Manna cibus mortuus, non vitalis ; unde et moriebantur ; hic vitalis, vivus.
Porro, si manna consideretur ut apparet, multo excellentior erit Sacramento Eucharistiæ nisi in Eucharistia [293] sit corpus Domini. In Eucharistia enim duo sunt : forma, et quod sub forma. Forma longe inferior ; substantia nihilo major, nisi sit verum corpus Christi. Nam corpus Christi in figura et fide, et quoad effectum, sumebant antiqui, quantum satis erat ad vitam æternam comparandam : Omnes eandem escam spiritalem manducabant, etc.; bibebant autem de consequente, etc.
2°. Ex alia comparatione : Sicut misit me vivens Pater, et ego vivo propter Patrem, et qui manducat me, et ipse vivet propter. Ego vivo propter Patrem quia ejus substantiam habeo ; ergo, eodem modo, etc. Comparatio est inter misterium Trinitatis, et Incarnationis et Eucharistiæ.
3°. Ex jurejurando : Amen, amen dico vobis. Omnis controversiæ finis est juramentum ; Heb. 6 . Idem Deus qui juravit Abrahse, David, etc. Porro, clara esse debent verba jurantis, et ad mentem ejus qui interrogat, si jus habet interrogandi ; jus autem habebant interrogandi discipuli. Murmurabant Judæi, etc. ; non aliter scandalum tollit quam jurejurando.
4°. Caro mea vere est cibus, et sanguis meus vere [294] est potus. Surrexit Dominus vere. Hic est vere propheta. Vere hic homo Filius Dei erat. Vere languores nostros. Quare risit Sara, dicens : Num vere paritura sum anus ? Gen. 18 . Vere autem non esset cibus, et cætera.
Hæc omnia argumenta, si jungas simul, quadratam turrim inexpugnabilem efficient.
Sed objiciunt : Spiritus, etc. Huic objectioni ut respondeamus, breviter declarandus modus quo Christus est in Eucharistia et sumitur. Scio me jam alias dixisse ; nunc tamen quae dixi brevius dicam, et alia addam scitu digna.
Tripliciter corpus unum esse in aliquo loco potest : [1°.] spiritaliter, ut Is. 29 ; Cant. : Dilectus meus inter ubera mea commorabitur ; et id per actionem intellectus et memoriam ; nam amor facit extasim et egreditur, fertur ; anima magis est ubi amat, etc. ; et hoc modo Christus adest omnibus credentibus, ubicumque credant et quicquid comedant. 2°. Realiter tantum et carnaliter ; ita Jonas in ventre ceti. 3°. Realiter spiritaliter ; sic Christus sæpe.
Ecclesia semper medium iter tenet in iis misteriis. [295] Vide supra ex Sanctesio. Sanctesius, Repetit. 2. c. 10 : Sabellius etiam personaliter unum in Trinitate ; Arius, consensione ; Ecclesia, media via. In Incarnatione, Mot in carnem versum quidam existimarunt ; contra quos Athanasius : « Non confusione substantiæ, sed unitate personæ. » Alii non nisi similitudine, ut Valentiniani. In Resurrectione, Sadducæi intelligebant carnaliter, et irridebant ; Marcionitæ nimis spiritaliter, etc.
Veritatem dico in Christo Jesu, non mentior, testimonium mihi perhibente conscientia mea in Spiritu Sancto, quoniam tristitia mihi magna est, et continuus dolor cordi meo. Optabam enim, etc., pro fratribus meis, qui sunt cognati secundum carnem ; qui sunt Israelitæ, quorum adoptio est filiorum, et gloria, [et] testamentum. [296]
3. Je réclame [de nos adversaires] un exposé net de leur opinion ; c'est la coutume du démon de se servir d'ambages. Rupert dit très bien (liv. III de la Trinité, chap. VII et VIII) : « Le serpent est moqueur : ses réponses sont vagues, ce qui lui permet de soutenir qu'il a dit vrai alors même que la parole de Dieu s'est accomplie. » Vous ne mourrez point, peut se rapporter ou à la mort subite ou à la mort inévitable. Vos yeux seront ouverts, c'est-à-dire : vous connaîtrez toutes choses, ou simplement votre honte et la pudeur. Vous serez comme des dieux, ou bons ou mauvais. Sachant le bien et le mal, par science infuse ou par expérience. Or, Dieu hait celui qui parle d'une manière [289] sophistique. Rupert ajoute ces remarquables paroles : « Le démon a voulu être semblable à Dieu, » il n'y a pas réussi ; « maintenant, il veut rendre Dieu semblable à lui, c'est-à-dire menteur. » Ainsi les hérétiques veulent en savoir autant que Dieu : ils n'y réussissent pas, et ils prétendent que la puissance divine ne saurait dépasser leur intelligence.
Or, c'est toujours par de purs sophismes que nos adversaires traitent de ce mystère. Il est présent par la foi, en figure, etc. : et pendant que vous insistez sur sa présence, vous vous apercevez qu'ils nient positivement cette présence. Quant à nous, voici notre foi sans détour : l'Eucharistie contient le corps du Seigneur, le même absolument qui reposa sur l'autel de la Croix. De quelle manière il y réside, je n'en dis rien maintenant.
Je prouve donc ainsi cette vérité : 1. par les paroles expresses de l'Ecriture : Ceci est mon corps qui est livré pour vous. Ma chair est vraiment nourriture. Celui qui me mange vit lui-même par [moi]. Nul ne peut s'écarter du sens propre de toutes ces affirmations, à moins que l'Ecriture ne l'y force par des textes contraires. Mais on n'en trouvera aucun qui infirme ceux-ci. Ce passage : La chair ne sert de rien, ne prouve rien, pas plus que cet autre : Ni la chair, ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu. Quant à ces mots : C'est l'esprit qui vivifie, les paroles que je dis, etc., ils ne répugnent pas au [290] sens des textes cités, car ils ne leur sont ni contradictoires ni contraires. Leur fussent-ils même contraires, il ne s'en suivrait pas qu'une proposition détruisît l'autre, car chacune d'elles pourrait être comprise littéralement, à des points de vue divers. Ainsi les mots : esprit, spirituel, vie, vital, Sacrement, sacramentel, ne nient point la réalité des corps, ils la supposent au contraire. Ainsi : La vie était la lumière des hommes, et cet esprit, qui est Dieu le Verbe, s'est fait chair. Il est étrange de voir des hommes qui en appellent constamment aux Ecritures se tromper parce qu'ils ne connaissent ni les Ecritures ni la puissance de Dieu.
Notre interprétation est confirmée : [1.] par le fait que les quatre Evangélistes exposent ce dogme de la même manière, sans rien ajouter qui nous oblige à le comprendre autrement, ce qu'ils ne manquent pas de faire lorsqu'il y a lieu : Détruisez ce temple ; mais il disait cela du temple de son corps. Si je suis élevé de terre ; pour marquer de quelle mort il devait mourir. Gardez-vous du levain des Pharisiens, qui est l'hypocrisie. Je suis la vraie vigne ; comme le sarment, etc. J'accomplis ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l'Eglise ; qui est l'Eglise est une incidente déterminative employée dans un sens identique à : qui est donné pour vous. [291]
2. Par le fait que Jésus-Christ a parlé trois fois de ce Sacrement : quand il l'a promis en termes précis (nous exposerons ces paroles Dimanche) ; quand il l'a donné à la dernière Cène ; quand il en a instruit Paul : En dernier lieu, il m'a parlé à moi, qui ne suis qu'un avorton ; ce ne fut pourtant pas alors que le Seigneur l'instruisit, ce fut lors de son ravissement au troisième ciel. De là vient ce ton solennel de Paul : Car j'ai reçu moi-même du Seigneur.
3. Par le fait que l'Eglise l'a toujours cru ainsi, comme le prouvent le Concile de Nicée, le soulèvement de l'Eglise contre Bérenger et l'aveu même des adversaires.
4. Par le fait que cette interprétation exalte la puissance, la sagesse, la bonté de Jésus-Christ, et augmente notre bonheur.
Mais les paroles mêmes du texte et les arguments que nous en tirerons vous feront mieux saisir beaucoup de points.
Jésus-Christ marche habituellement pas à pas, Pour montrer à la Vierge que rien n'est impossible à Dieu, il lai donne l'exemple de la femme stérile ; pour prouver son pouvoir de remettre les péchés, il guérit les maladies du corps ; et ainsi des autres. Il voulait prêcher la foi à l'Eucharistie ; il commence par multiplier miraculeusement les pains. Il réveille ensuite la foi : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie [292] éternelle ; je suis le pain de vie. Il va leur proposer une vérité difficile à accepter, il veut se concilier leur foi d'abord par un miracle, ensuite par une exhortation. Cela fait, il aborde cet admirable discours, dont je tirerai les preuves suivantes :
Premièrement. De la comparaison qu'il établit entre la manne et sa chair : Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts ; voici le pain qui descend du ciel, afin que si quelqu'un en mange il ne meure point. Quel est ce pain ? Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel. Si quelqu'un, etc. Mais quel est ce pain ? Le pain que je donnerai c'est ma chair, etc. Deux fois il revient à cette comparaison.
Or, dans cette comparaison, il part d'une similitude pour montrer la différence. Similitude : la manne et l'Eucharistie sont une nourriture. Différence : 1. Ce pain dont je parle descend du ciel. Quant à Moïse, il ne vous a pas donné le vrai pain du ciel : c'était un pain céleste, mais non le vrai pain du ciel ; il semblait venir du ciel, celui-ci seul vient vraiment du ciel. 2. La manne était une nourriture sans vie, elle ne la donnait donc pas ; aussi mouraient-ils ; cette nourriture-ci est vivante et donne la vie.
Ensuite, à considérer la manne selon les apparences, elle serait bien [293] supérieure au Sacrement de l'Eucharistie, si celui-ci ne contenait pas le corps du Seigneur. L'Eucharistie en effet renferme deux éléments : la forme et ce qu'elle voile. Or la forme est bien inférieure ; quant à la substance, elle n'est en rien supérieure si elle n'est pas le vrai corps de Jésus-Christ ; car le corps du Christ en figure, par la foi et dans ses effets, les anciens le recevaient autant qu'il était nécessaire pour obtenir la vie éternelle : Tous mangeaient la même nourriture spirituelle, etc. Or, ils buvaient l'eau [de la pierre] qui les suivait, etc.
2. D'une autre comparaison : Comme le Père qui m'a envoyé vit et que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra lui-même par moi. Je vis par mon Père, parce que j'ai sa substance ; donc, de la même manière, etc. C'est une comparaison entre les mystères de la Trinité, de l'Incarnation et de l'Eucharistie.
3. Du serment : En vérité, en vérité, je vous le dis. Le serment est la conclusion de toute la discussion. C'est le même Dieu qui fit serment à Abraham, à David, etc. Or, les paroles que l'on confirme par un serment doivent être claires et conformes au sens qu'y attachent ceux qui interrogent, s'ils ont le droit d'interroger ; et les disciples avaient ce droit. Les Juifs murmuraient, etc. ; pour lever tout scandale, Jésus ne fait autre chose que de prononcer un serment.
4. Ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment breuvage. [294] Le Seigneur est vraiment ressuscité. Celui-ci est vraiment prophète. Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. Il a vraiment [porté] nos langueurs. Pourquoi Sara a-t-elle ri, disant : Enfanterais-je vraiment malgré ma vieillesse ? Et ce ne serait pas vraiment nourriture, etc.
Tous ces arguments réunis formeront une tour carrée inexpugnable.
Mais on objecte : L'esprit, etc. Pour répondre à cette objection nous devons, en peu de mots, déclarer de quelle manière le Christ est présent dans l'Eucharistie et se donne à nous. J'en ai parlé ailleurs, je le sais ; je résumerai cependant ici ce que j'ai dit, et j'y ajouterai quelques points dignes d'être connus.
Un corps peut se trouver en un lieu de trois manières : [1.] spirituellement, comme on lit en Isaïe, chap. XXIX ; Cant. : Mon bien-aimé demeurera entre mes mamelles. Cette présence est produite par l'action de l'intellect et de la mémoire ; car l'amour fait l'extase, il sort de soi-même, il est transporté : l'âme est plutôt où elle aime, etc. Et c'est le mode de présence de Jésus-Christ chez tous les croyants, en quelque lieu qu'ils croient, quelle que soit leur nourriture. 2. Par sa présence seulement réelle et corporelle, comme Jonas dans le ventre de la baleine. 3. Par sa présence à la fois réelle et spirituelle, comme le Christ souvent.
L'Eglise, dans ces mystères, tient toujours le milieu. Voyez plus haut la [295] citation de Claude de Saintes. De Saintes, Répétition II, chap. X. : Sabellius soutenait l'unité de personne dans la Trinité ; Arius, qu'il n'y avait d'unité que par l'accord mutuel des trois Personnes. L'Eglise a gardé le milieu. Dans l'Incarnation, quelques-uns prétendaient que le Verbe s'était changé en chair ; Athanase les condamna par ces mots : « [Le Christ] est un, non par une confusion de substances, mais par une unité de personne. » D'autres, comme les Valentiniens, soutenaient que le Verbe n'avait pris que l'apparence de notre chair. Quant à la Résurrection, les Sadducéens ne l'entendaient que d'une manière charnelle, et s'en moquaient. Les Marcionites la concevaient d'une façon trop spirituelle.
De là, une mesure [est nécessaire].
Je dis la vérité dans le Christ Jésus, je ne mens point, ma conscience me rendant ce témoignage dans l'Esprit-Saint, que je ressens une grande tristesse et une continuelle douleur dans mon cœur. Car je désirais, etc., pour mes frères qui sont mes proches selon la chair ; qui sont les Israélites, auxquels appartiennent l'adoption des enfants, et la gloire, [et] l'alliance. [296]
Exordium sumetur ex Evangelio. Invitantur ad Cænam Christianam, quia parata sunt omnia, et quia cibus exquisitus. Ego sum unus ex servis quibus invitandi onus commissum, etc.
Non possumus in Eucharistiæ Sacramento quicquam scire, nisi ex verbo Dei. Nulla difficultate absterreri debemus a sententia Domini ; neque ambages quærendæ sunt. Quæstio nostra erat, utrum in Eucharistia sit verum ac naturale corpus Christi, vera et reali præsentia. Respondimus esse ; quia Christus id expresse dicit, nullamque affirmationi negationem opponere queunt adversarii. [297] Porro dixeramus tripliciter Christum de suo Sacramento locutum : promissione, exhibitione, cathechismo. Videamus de promissione.
[1º.] Memini Isaac cum esset in Gerare regno Abimelech, inter Philistæos. Eo in loco habitaverat Abraham, puteosque fecerat, quibus dum uti vult Isaac, Philistini eos opplent terra ; Gen. 26 . Christus puteos doctrinæ nobis fodit. in Scriptura, sed eos terrenis sensibus opplent Philistiim. Usquequo peccatores, Domine, usquequo peccatores gloriabuntur ? Disertissimis verbis Christus promiserat, Jo. 6 , se in Eucharistia carnem suam dandum. Inimici nostri replent terra ; et quia capere nequeunt, dicunt hic non agi de Eucharistia, sed de manducatione per fidem.
Quos tribus obiter convinco rationibus. [1º.] Nonne in Eucharistia peculiari quodam modo manducatur corpus Christi, caro Christi ? Omnes dicunt. Qua ergo melius de re intelligi possunt verba Jo. 6 ? Dicant mihi. Si Christus promittere voluisset esum carnis in Eucharistia, quomodo appellasset, quomodo dixisset ? Non aliter sane. Bona ergo fide. 2°. Si hic non agitur de manducatione Sacramentali, male Christus de fide ; nam nec ejus caro [298] nec sanguis illis qui eum videbant erat non cognita. [3º.] Alius et alius. Insiliet in te Spiritus Domini, et mutaberis in virum alium ; 1. Reg. 10 . Rex Gallorum non ulciscitur injurias illatas Duci Aurelianensi. Ergo prima dubitatio ex rei difficultate, alia ex modi perversa cogitatione. Cogitabant carnaliter. Ferrum candens, ferrum motum, non bombix. Anima neque flet, neque net, tamen anima, etc. Spiritus est qui vivificat, sed non vivificat nisi carne. Mirum ex omnibus interprætationibus plenam blasphemiis invenerunt. Confirmatur expositio dum dicit : Sed sunt ex vobis qui non credunt ; nimirum carnem hanc plenam spiritu.
2°. Objiciunt vocari panem, et maxime a Paulo, etc. Respondeo : [1°.] Paulum appellare panem quia ita Christus appellaverat panem. Qua ergo ratione appellaverat panem ? Respondeo panem significare res specie differentes et substantia omnino, itaque nomen est genericum apud omnes ; et potius significare res convenientes forma et fine, quam materia. Unde : hic vere est panis, quia in pane duo sunt, materia et forma ; materia nihil est necesse esse eadem, ut qui dicit sirop, collire, potage, [299] medecine. Hebreis vero nomen generale est, ut : Non in solo pane vivit homo, etc. Sic manna panis dicitur. 2°. Res dicitur id quod fuit : Pulvis es, et in terram reverteris ; Gen. 3 . Sic aquam vinum factam. Hoc nunc os ex ossibus. Cæci vident. 30. Ut Angeli vocantur homines sæpissime. Itaque omnibus de causis verissime panis est.
Cervis sunt similes Christiani, si comedant vetera. Expurgate vetus fermentum ; epulemur. Nam cervi dum comedunt dura abjiciunt cornua, et coacti sunt de se receler. [300]
Tirer l'exorde de l'Evangile. On est invité à la Cène chrétienne parce que tout est prêt et que la nourriture est exquise. Je suis un des serviteurs auxquels a été confiée la charge d'inviter, etc.
Nous ne pouvons rien apprendre au sujet du Sacrement de l'Eucharistie, si ce n'est de la parole de Dieu. Aucune difficulté ne doit nous faire repousser l'oracle du Seigneur ; ne recherchons aucune ambiguité. Notre question était : l'Eucharistie contient-elle le corps vrai, naturel de Jésus-Christ, vraiment et réellement présent ? Nous avons répondu : oui, parce que Jésus-Christ l'a dit expressément, et que nos adversaires ne peuvent rien opposer à notre [297] affirmation. De plus, nous avions dit que le Christ avait parlé trois fois de son Sacrement : lorsqu'il le promit, lorsqu'il l'institua, lorsqu'il en instruisit saint Paul. Voyons la promesse.
[1.] Je me rappelle Isaac, quand il était à Gérare, dans le royaume d'Abimélech, parmi les Philistins. Abraham avait habité ce lieu et y avait creusé des puits. Isaac voulut s'en servir, mais les Philistins les remplirent de terre. Jésus-Christ nous a creusé des puits de doctrine dans l'Ecriture, mais les Philistins les remplissent de leurs interprétations terre-à-terre. Jusqu'à quand, Seigneur, jusqu'à quand les pécheurs se glorifieront-ils ? En termes très précis, le Christ avait promis qu'il donnerait sa chair dans l'Eucharistie. Nos ennemis remplissent [ce puits] de terre ; et parce qu'ils ne peuvent y puiser, ils disent qu'il ne s'agit pas ici de l'Eucharistie, mais de la manducation par la foi.
Je les confonds, en passant, par trois preuves. [1.] N'est-ce pas d'une manière toute spéciale que, dans l'Eucharistie, nous mangeons le corps du Christ, la chair du Christ ? Tous l'avouent. Comment donc peut-on mieux interpréter les paroles de saint Jean, chap. VI ? Qu'ils me répondent. Si le Christ avait voulu promettre sa chair en nourriture, dans l'Eucharistie, comment l'aurait-il appelée, comment se serait-il exprimé ? Pas autrement, à coup sûr ; soyons donc de bonne foi. 2. S'il ne s'agit pas ici d'une manducation sacramentelle, le Christ a mal expliqué la manducation par la foi ; car ceux qui le voyaient [298] connaissaient très bien et sa chair et son sang. [3.] Le mot autre ne s'emploie pas toujours dans le même sens. L'Esprit du Seigneur s'emparera, de toi et tu seras changé en un autre homme. Le roi de France ne venge pas les injures faites au duc d'Orléans. Donc, le premier doute venait de l'obscurité du mystère, le second, de l'idée fausse qu'ils se formaient de la manière dont il s'opère. Ils pensaient selon la chair. Fer incandescent, fer agité, non ver à soie. L'âme ne pleure pas, ne file pas, c'est pourtant l'âme, etc. C'est l'esprit qui vivifie, mais il ne vivifie que par la chair. Il est étonnant que de toutes les interprétations, ils n'aient trouvé que celle qui est un tissu de blasphèmes. Jésus confirme son assertion lorsqu'il dit : Mais il y en a parmi vous qui ne croient point, c'est-à-dire qui ne croient pas que cette chair est pleine d'esprit.
2. Nos adversaires objectent que l'Eucharistie est appelée pain, et surtout par saint Paul, etc. Je réponds, 1. que Paul emploie ce terme de pain, parce que Jésus-Christ l'avait aussi employé. Mais pourquoi Jésus l'avait-il employé ? Je réponds que le mot pain peut signifier des aliments d'espèces et de substances absolument différentes. C'est donc, d'après l'usage universel, un mot générique ; il indique des choses qui se ressemblent par leur forme et leur destination plutôt que par la matière. De là : ceci est vraiment du pain. Dans le pain, en effet, il y a deux éléments : la matière et la forme ; il n'est nullement nécessaire que la matière soit toujours la même ; c'est comme [299] si on disait : sirop, collyre, potage, médecine. Chez les Hébreux, d'ailleurs, pain est un terme générique ; ainsi : L'homme ne vit pas seulement de pain, etc. De même, la manne est appelée pain. 2. Une chose transformée garde souvent son premier nom : Tu es poussière et tu retourneras en terre. Ainsi l’eau changée en vin. Voici maintenant l'os de mes os. Les aveugles voient. 3. De même, très souvent, les Anges sont appelés hommes. Donc, pour toutes ces causes, le mot pain est très exact.
Les Chrétiens sont, semblables aux cerfs, quand leur nourriture n'est pas fraîche. Purifiez le vieux levain ; mangeons. Car les cerfs qui se nourrissent d'aliments trop durs perdent leurs bois et sont forcés de se recéler. [300]
Exordium sumetur ab Abraham qui excipit Deum sub persona Angelorum, dicens in valle Mambre : Domine, si inveni gratiam, etc. ne transeas servum tuum ; sed afferam pauxillum aquæ, et laventur pedes vestri, et requiescite sub arbore ; ponamque buccellam panis, et confortetur cor vestrum, postea transibitis ; idcirco enim declinastis ad servum vestrum. Qui dixerunt : Fac ut locutus es. Accelera ; tria sata similæ commisce, et fac subcineritios panes. Ipse tulit vitulum tenerrimum et optimum, butirum et lac, etc.
Quam mire hoc convivium exprimat Eucharistiæ, in qua, viceversa, Dominus hominibus dat, etc. Sed quomodo nos dicemus ? [301]
Assuerus, ut ostenderet divitias gloriæ suæ, sed Christus, ut ostenderet divitias bonitatis. Cum dilexisset suos, in finem dilexit eos. Jam in cruce ostendit amorem suum, duoque fecit ; nam Patri spiritum seque totum obtulit, nobis præcipue corpus suum seque totum. Recordamini Heliæ in curru illo igneo : et ascendit ad Deum, et pallium cum duplici spiritu relinquit discipulo. Sed proprius ad rem agnus paschalis Deo immolatur, et a patrefamilias et aliis comeditur ; sic et in Eucharistia verus Agnus paschalis, verusque Helias idemque crucifixus, Patri sese offert et nobis sese profert. Hinc Sacramentum, illinc Sacrificium.
Atque ut ordine procedamus, confirmemus iterum verum esse Christum qui continetur sub speciebus panis et vini. Probavimus ultima concione ex promissis ; clarissime, ni fallor. Nunc ex institutionis verbis, ut nobis proponuntur. Bis Christus docuit institutionis ritum, ut ego observare soleo : primo, instituendo, quod Evangelistæ narrant ; 2°, instruendo Paulum postquam assumptus est in Coelum : Ego enim accepi a Domino. [302]
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Tirer l'exorde de la réception faite à Dieu en la personne des Anges, par Abraham qui lui dit dans la vallée de Mambré : Seigneur, si j'ai trouvé grâce, etc. ne poursuis pas ta route sans t'arrêter auprès de ton serviteur ; j'apporterai un peu d'eau pour laver vos pieds, et vous vous reposerez sous l'arbre ; je vous servirai aussi un peu de pain, et vous reprendrez vos forces, puis vous poursuivrez votre route ; car c'est pour cela que vous êtes venus vers votre serviteur. Ils lui dirent : Fais ce que tu as dit. Pétris vite trois mesures de fleur de farine, et fais des pains cuits sous la cendre. Lui-même prit un veau tendre et excellent, du beurre et du lait, etc.
Cette scène est une admirable figure du banquet Eucharistique. Ici, les rôles sont changés, et c'est le Seigneur qui sert les hommes, etc. Mais comment nous exprimerons-nous ? [301]
Assuérus voulait montrer les richesses de sa gloire, le Christ, lui, veut montrer celles, de sa bonté. Comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu'à la fin. Déjà sur la croix, il a montré son amour par deux actes : à son Père, il offre son esprit et s'offre tout entier ; à nous, il offre surtout son corps et s'offre tout entier. Souvenez-vous d'Elie sur son char de feu : il monte vers Dieu et en même temps abandonne à son disciple, avec son double esprit, son manteau. Mais la figure la plus exacte est. l'agneau pascal : immolé à Dieu, il est mangé par le père de famille et les autres convives. De même, dans l'Eucharistie, le véritable Agneau pascal, le vrai Elie, le même Crucifié s'offre à son Père et se donne à nous. Ici, le Sacrement ; là, le Sacrifice.
Et pour procéder avec ordre, nous établirons de nouveau que Jésus-Christ est bien réellement présent sous les espèces du pain et du vin. Dans la dernière instruction, nous l'avons prouvé par les paroles de la promesse ; et cela très clairement, si je ne me trompe. Nous le prouverons aujourd'hui par les paroles mêmes de l'institution, telles qu'elles nous sont proposées. Je fais habituellement observer que Jésus-Christ a par deux fois enseigné sa doctrine sur ce point : d'abord en instituant le Sacrement, comme le rapportent les Evangélistes ; 2. après son Ascension, en instruisant saint Paul : Car j'ai reçu moi-même du Seigneur. [302]
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Hoc est. Exempli gratia : agnus est phase, petra est Christus, septem boves sunt septem anni ; non autem dicitur : Panis est corpus meum, sed : Hoc est corpus meum. Rich. c. 20. Illa autem propositio : Panis quem ego dabo, caro mea est, resolvitur in hanc : Caro mea est panis ille quem ego dabo ; id enim exigit Mot est, præsentis temporis, collatum cum verbo dabo, futuri.
Hoc quid significabat ? Non corpus, nondum enim erat in Sacramento ; ergo panem, ergo panis est corpus Christi. Parole non significant nisi completa propositione, maxime vaga et indeterminata, et etiam generalia præcise sumpta. Cæci vident : cæci quid significat ? non [303] cæcos, nam non vident ; non videntes, nam non sunt cæci. Ergo expecta finem, et noveris eos qui cæci fuerant videre. Hoc est corpus ; hoc demonstrat corpus. Atque ut Christus non quievit in dicendo ad Mot (hoc), ita nec nos quiescere debemus in intelligendo ; c. 22.
Vulpes Samsonis caudas colligatas capita divisa habebant. Sic hæretici fine coeunt, nimirum ut regnum carnis statuant, dogmatibus sunt divisi ; c. 24.
Ignat., ad Eph. : « Festinate frequenter accedere ad Eucharistiam et gloriam Dei. Frangite panem qui est medicamentum immortalitatis, antidotum non moriendi sed vivendi per Jesum Christum in Deo. »
Cyp., De Cæna : « Panem Angelorum sub Sacramento manducamus in terra, eumdem sine Sacramento manifestius edemus in Cælis, non ministerio corporis. »
Amb., l. 1. Off., c. 48 : « Umbra in Lege, imago in Evangelio, veritas in cælestibus. » [304]
Bern., in Cæna Domini, ser. 1 : « Gloriosa et amabilis sponsa, in terra Sponsum habes in Sacramento, in Cælis habitura es sine velamento. Et hic et ibi veritas, sed hic palliata, ibi manifesta. »
Chrisost., hom. 83 in Mat. et 60 ad Pop. Antiochenum : « Si incorporeus esses, » etc.
Cypr. : Fidem inde nutriri. Idem : « Nec carnalis sensus ad intellectum tantæ profunditatis penetrat nisi fides accedat. »
Ne esset horrori ; Amb., l. 6. de Sacr., c. 1.
Mat. 22 : Erunt sicut Angeli, etc. « In solemnibus Angeli et carnis ; » Tert., De Resur. [305]
Ceci est. Par exemple : l'agneau est le passage ; la pierre est le Christ ; les sept bœufs ce sont les sept années ; il n'est pas dit : le pain est mon corps, mais : Ceci est mon corps. Or, cette proposition : Le pain que je donnerai c'est ma chair, peut se retourner en celle-ci : Ma chair est ce pain que je donnerai, le présent est, rapproché du futur je donnerai, réclame ce sens.
Que signifiait ceci ? Non pas le corps, il n'était pas encore dans le Sacrement, il indiquait donc le pain ; donc, le pain est le corps du Christ. Les termes n’ont un sens que lorsque la proposition est achevée, surtout s'ils sont vagues et indéterminés ; de même, lorsqu'ils sont généraux, si on leur attribue une signification particulière. Les aveugles voient : que signifie le mot aveugles ? [303] Non pas les aveugles, car eux ne voient pas ; non pas ceux qui voient, car ils ne sont pas aveugles. Attendez donc la fin et vous comprendrez que ceux qui étaient aveugles ont recouvré la vue. Ceci est le corps ; ceci indique le corps. De même que Jésus-Christ en parlant, ne s'est pas arrêté au mot ceci, ainsi, pour comprendre, nous ne devons pas nous arrêter à ce mot.
Les renards de Samson avaient les queues liées ensemble et les têtes séparées ; ainsi les hérétiques convergent tous au même but, l'établissement du règne de la chair, mais ils sont divisés dans leurs dogmes.
Saint Ignace, aux Ephésiens : « Approchez-vous souvent avec empressement de l'Eucharistie, cette gloire de Dieu. Rompez ce pain, vrai gage d'immortalité, antidote qui, préservant de la mort, fait vivre par Jésus-Christ en Dieu. »
Saint Cyprien, De la Cène : « Ce même pain des Anges que nous mangeons ici-bas sous les voiles sacramentels, au Ciel, nous nous en nourrirons plus véritablement, sans l'entremise du corps, sans Sacrement. »
Saint Ambroise, liv. I des Devoirs, chap. XLVIII : « Ombre dans la Loi, vérité voilée dans l'Evangile, vérité sans voile au Ciel. » [304]
Saint Bernard, Ier sermon pour le Jeudi-Saint : « O glorieuse et aimable épouse, sur la terre vous possédez l'Epoux sous les espèces sacramentelles, au Ciel vous le posséderez sans voile ! La réalité dans les deux cas, mais voilée ici-bas, à découvert aux Cieux. »
Saint Chrysostôme, hom. LXXXIII sur saint Matthieu et LX au Peuple d'Antioche : « Si vous n'aviez pas de corps, » etc.
Saint Cyprien : C'est un aliment pour la foi. Idem : « Notre esprit tout charnel ne peut arriver à la connaissance d'un si haut mystère, qu'avec le secours de la foi. »
Afin que nous n'ayons pas horreur ; saint Ambroise, liv. VI des Sacrements, chap. 1.
Matt., XXII : Ils seront comme les Anges, etc. « Dans les choses qui sont propres aux Anges, dans celles qui sont propres à la chair ; » Tertullien, De la Résurrection. [305]
O rare et admirable semence, semence tirëe du Ciel, jettëe en terre, montant au Ciel ; semence laquelle d'elle mesme produit le fruict æternel, mays semence delicate, laquelle si elle n'est receuë en une bonne terre, ne fructifie en aucune façon, mays [laisse] d'autant plus abominable le terroir, qu'elle est admirable et prætieuse. Semen est Mot Dei. Comme le mesme soleil faict voir au printems la beauté des jardins, des champs, des prés, des boscages et riantes campaignes, et descouvre la laideur des esgoustz et cloaques, ainsy la mesme semence qui met en prix la fertilité d'un bon champ, faict cognoistre la sterilité de l'autre et le met en mespris. Combien donques est il important que la terre soit bien disposëe a recevoir ceste sainte semence.
La semence est la parole de Dieu ; le fruict c'est la foy, l'esperance, la charité et le salut ; la terre c'est nostre cœur. O comment est ce que se disposeroit ce cœur, ceste terre, s'il consideroit qui est celuy qui seme, exit qui seminat. Il verroit que c'est Nostre Seigneur : [306] Exit qui seminat seminare semen suum. S'il consideroit a quelle intention, il verroit que c'est affin que fructum afferamus in patientia . S'il consideroit qui est celuy qui reçoit ceste semence, il verroit que c'est un cœur qui n'est que terra, pulvis, cinis ; le semeur le mettroit en attention, la terre en humilité l'intention du semeur en action. Je m'efforceray de traitter de cecy ; mays il faut que ce soit Dieu, parce que c'est semen suum, etc.
Semen est Mot Dei. Ainsy donques la terre ne va pas prendre la semence en la grange ou metairie, mays le laboureur la porte au champ, et de sa main l'espand a certaine proportion et mesure. Ainsy vous diray-je au commencement, que semen est Mot Dei. La parole de Dieu, selon sa nature, doit estre preschee, semee et annoncee. Que si elle est escritte, ce n'a pas esté pour abolir la prædication, mais plustost pour l'accommoder et enrichir ; contre ceste sotte façon de parler de plusieurs qui disent qu'il ne faut rien croire qui ne soit escrit, et que l'Escriture suffit sans autre parole de Dieu ; que chacun la peut entendre et y doit chercher la resolution de sa foy. Car si cela estoit, semen non esset Mot Dei, puysque quand Nostre Seigneur disoit ceste parole, l'Evangile n'estoit pas encor escrit, et neantmoins le semeur estoit desja sortir seminare semen suum. Ce n'estoit donques pas de l'Escriture de laquelle il dict Semen est Mot Dei. Si donques ce n'estoit pas de l'Escriture, et il n'y a point d'autre parole de Dieu que l'Escriture, semen non esset Mot Dei. Outre ce, ne confesseront ilz pas que le semeur en ceste parabole est Nostre Seigneur ? Mays ou trouveront ilz que Nostre Seigneur aÿe jamais escrit [307] l'Evangile ? Quand donques il dict Semen est Mot Dei, il entend de la parole non escritte, mais preschëe.
Que si vous voules voir plus clairement, voyes premierement en quelle façon se reçoit ceste semence : Hi sunt, dict il, qui in corde bono audientes Mot retinent. Si ceux sur lesquelz on seme sont audientes, ceux qui sement sont loquentes. L'ouÿe ne reçoit la parole sinon dite ; l'œil, escritte. Aussi verres vous en saint Pol : Fides ex auditu, auditus autem per Mot Dei. Ad Cor. 1, c. 1 : Prædicamus Christum crucifixum. 1 ad Thess., 2 : Mot auditus Dei. 1 ad Tim., 2 : Unus Deus, et unus Mediator Dei et hominum, homo Christus Jesus, qui dedit redemptionem semetipsum pro omnibus, etc. In quo positus sum ego prædicator et Apostolus, etc. 2 ad Tim., 4 : Prædica Mot, insta opportune, etc. Marc., 16 : Prædicate Evangelium omni creaturæ. Saint Philippe s'en va par l'inspiration de l'Ange sur le chemin qui descendoit de Hiericho en Gaza ; et ecce vir Æthiops, potens, etc. Dixit autem Philippo : Accede, et adjunge te ad currum istum, etc.; Act., 8 .
Et de fait, pourquoy auroit laissé Nostre Seigneur (ad Ephes., 4 ) alios, pastores et doctores, si nous n'avions besoin que sa parole fut annoncëe par ceux qui parlent de sa part et en son esprit ?
Que si on ne peut entendre sans ouyr, et que cest ouyr soit necessaire au salut, avec combien d'attention [308] faut il escouter la parole qui n'est pas parole humaine, mais parole de Dieu. Car Celuy qui parle aux hommes heurs leur dict : Non estis vos qui loquimini, sed Sfiiritus Patris vestri qui loquitur in vobis ; Matt 10 . Qui vos audit me audit, qui vos spernit me spernit ; Luc., 10 . Sic nos existimet homo, ut ministros Christi, et dispensatores mysteriorum ; 1 Cor., 4 . Et partant, Nostre Seigneur, apres la similitude, clamabat : Qui habet aures audiendi, audiat ; Luc., 8 .
Je trouve dans l'Evangile que Nostre Seigneur a crié six fois. 1. Clamabat in templo, dicens : Et me scitis, et unde sim scitis. 2. Si quis sitit, veniat ad me et bibat. 3. Lazare, veni foras. 4. Qui credit in me non credit in me, sed in eum qui misit me. 5. Eli, Eli, lamasabacthani ? Deus meus, etc. 6. Clamans voce magna emisit spiritum . Et maintenant, pour la septiesme fois, clamabat, dicens : Qui habet aures audiendi, audiat, pour rendre ses auditeurs attentifz a la comparayson de la parole de Dieu a la semence. Semen est Mot Dei ; et comme la semence entre en la terre et ne demeure pas sur terre, ainsy faut il que la parole de Dieu, etc. Audiam quid loquatur in me Dominus Deus ; Ps. 84 . Ori tuo facito ostia, et seras auribus tuis ; Eccli., 28 . Heli ad Samuelem : Loquere, Domine, quia audit servus tuus ; 1 Reg., 3 . Telle doit estre l'attention et la reverence. [309]
Humilité et reverence laquelle croistra infiniment quand nous considererons a qui ceste parole s'addresse. A l'homme. Quid est homo quia reputas eum ? etc. Et cum hominibus conversatus est. Multifariam multisque modis olim Deus loquens patribus in Prophetis, novissime diebus istis loquutus est nobis hominibus peccatoribus in Filio .
Luc., 10 : Maria etiam sedens secus pedes Domini audiebat Mot illius, parce que semen est Mot Dei. La semence fructifie plus es vallëes qu’es montaignes ; ainsy est elle comparëe a la pluÿe, laquelle se ramasse et descend es vallëes. Moyse, Deut., 32, en ce dernier cantique : Audite cæli quæ loquor, audiat terra verba oris mei. Concrescat ut pluvia doctrina mea, fluat ut ros eloquium meum.
Eccl., 1 : Fons sapientiæ Mot Dei ; at qui de fonte vult haurire, inclinet se necesse est. [310]
Zachæe, festinans descende, quia hodie
in domo tua oportet me manere ; et
festinans descendit, et excepit illum gaudens.
Comme le soleil environnant toute la terre vivifie tout ce qui se descouvre et presente a ses rayons, ainsy Nostre Seigneur se promenant au travers la ville de Hiericho, se presentant a ses yeux lumineux Zachee mort de la mort de plusieurs pechés, il le revivifie, et faict en luy l'une des admirables conversions qui fut onques faite ; de laquelle conversion je ne puys rien dire qui soit utile et prouffitable a vos ames, si Nostre Seigneur ne m'esclaire encores et remplit ma bouche des parolles de vie. Et affin qu'il nous en fasse la [311] grace, presentons nous a la Sainte Vierge, et pour impetrer son regard sur nous, disons Ave Maria.
Encores que tant au ciel qu'en la terre Dieu soit tousjours par une parfaitte præsence en tous lieux comme il dict par Hierem., 23 : Cœlum et terrain ego impleo, et ce que saint Pol dict, Act., 17 : Non longe abest ab unoquoque nostrum ; in ipso enim vivimus movemur et sumus, si est-ce neantmoins qu'il y a certains lieux lesquelz luy estant consacrés, sont appellés mayson de Dieu, habitation, lieu, temple, tabernacle, non pas pour ce qu'il soit plus la qu'ailleurs (parlant de Dieu en sa divinité), mays pour ce que la il confere particulierement ses graces et benedictions, et la il faict plus de demonstration de sa gloire.
Ce que nos adversaires ne voulant entendre, pour trouver occasion de se separer d'avec l'Eglise leur douce Mere et faire mesnage a part, affin de mieux seconder les impressions de leurs cervelles, ilz ont dict a ceux qui leur ont voulu prester l'oreille, que nous disions Dieu n'estre pas par tout et n'ouÿr pas nos oraysons par tout, ains qu'en l'eglise il avoit « l'oreille plus pres de nous, » pour user des termes de leur maistre. Mays ce sont pures impostures, et en cest endroit comme par tout, ilz voudroyent faire accroire que leur Mere est folle, affin de se soustraire de son obeyssance. C'est l'Eglise qui chante tous les jours : « Pleni sunt cœli et terra majestatis gloriæ tuæ. » C'est l'Eglise qui nous faict dire : « Deus qui invisibiliter omnia contines. » C'est elle qui chante : Si ascendero in cœlum, tu illic es ; si descendero in infernum, actes ; Ps. 138 . [312] C'est de l'Eglise que vous aves appris, huguenotz, ce que vous sçaves, si vous en sçaves quelque chose, de l'incomprehensibilité et immensité de Dieu. Nous sçavons bien que Dieu est par tout, et que prope est invocantibus eum ou que ce soit ; neantmoins nous sçavons bien aussi qu'il assiste particulierement aux lieux qui luy sont dediés, y respandant plus liberalement ses graces, estant de son bon playsir que la il soit adoré.
C'est pourquoy il l'appelle sa mayson : Domus mea, domus orationis, etc.; Matt., 21 . Il l'appelle son habitation, son repos : Donec inveniam locum Domino, tabernaculum Deo Jacob ; Ps. 131 . Mons Sion, in quo habitasti in eo . En fin il faut bien que sa divine Majesté assiste plus la qu'ailleurs, puysque Salomon demande, ut exaudias preces servi tui in loco isto. Voyes-vous comme le lieu est determiné ; car si c'estoit tout un, pourquoy diroit on in loco isto ? Et en Exode, 25 : Loquar inde tecum in medio cherubim. Mays je ne veux pas m'entretenir en cecy, car je ne pense pas qu'il y ayt icy personne tant ennemy de l'antiquité, qui ne porte honneur particulier aux eglises, comme maysons de Dieu ; seulement je vous mettray un argument en main a ce propos, lequel vous pouves porter en face de tous les plus esveillés de nos adversaires.
Si pour ce que Dieu est en tous lieux il n'a point de lieu qui luy soit plus sacré l'un que l'autre, dites moy, pourquoy ferons nous aucunes festes ? car s'il est en tous lieux, aussi est il en tous tems. Et pourquoy donques y a il des jours qui sont appellés saintz, consacrés, dediés, et qui s'appellent jours de Dieu, jours du Seigneur ? Dieu est il plus en ces jours la qu'es autres ? Non [313] veritablement. Pourquoy donques sont ilz plustost appelés jours de Dieu que les autres ? Ah, me dires vous, parce que Dieu se les est reservés. Aussi a il les lieux. Domus mea, domus orationis ; Matt., 21 . Domum tuam, Domine, decet sanctitudo ; Ps. 92 . Vere locus iste sanctus est, et ego nesciebam ; terra sancta est . Vous me dires : Pour ce qu'en ces jours Dieu nous a favorisés de la creation et autres benefices. Aussi en certains lieux nous faict il des benefices plus qu'es autres, Dieu est en tous lieux, Dieu est en tous tems ; il y a certains tems qui luy sont sacrés et esquelz il veut estre particulierement honnoré ; pourquoy n'y aura il aussi certains lieux ? C'est comme nostre ame, qui estant par tout le cors, neantmoins est dite estre au cœur ou au cerveau ; ainsy Nostre Seigneur est particulierement aux cieux pour ce qu'il y descouvre sa gloire, et es eglises pour ce qu'il y communique particulierement ses graces. Je sçay bien que quelque fois saint Pol a dict que Dieu n'habitoit aux temples ; mays c'estoit aux Atheniens qui croyoient aux idoles, pour leur monstrer qu'il n'y avoit qu'un Dieu qui remplissoit le ciel et la terre, sans avoir necessité de temples. Saint Estienne en dict bien autant une fois, mais c'estoit contre les Juifz qui pensoyent qu'hors leur Temple jamais ne deust estre lieu sacré, et pensoyent qu'hors iceluy, Dieu ne deust jamais estre invoqué çelebrement.
Mais c'est une regle generale que voyant l'Escriture affermer une chose d'un costé et la nier de l'autre, on ne doit pas entendre la negation absolument, mays seulement avec quelque condition ; ainsy quand il nie estre au temple, cela s'entend y estre comme des choses creëes, lesquelles sont tellement en un lieu qu'elles ne sont pas en l'autre. Quand il afferme qu'il est en certains lieux, cela s'entend par communication de ses graces. [314] En fin, est in templo non inclusus, extra templum non exclusus . D'icy est venue la reverence grande que de tout tems les fidelles ont porté aux eglises, et que Nostre Seigneur a enseignëe, disant : Domus mea, etc. David : Dilexi decorem domus tuæ. Mays sur tout les Chrestiens y doivent avoir une plus grande reverence que les autres ; car si les Juifz portoyent tant d'honneur a leur Temple dans lequel on ne sacrifioit que des animaux, quelle reverence doivent avoir les Chrestiens lesquelz sçavent que l'eglise est le lieu auquel est sacrifié Jesus Christ, ou le cors de Nostre Seigneur est reservé, si que nous pouvons bien dire ce que le bon homme Jacob disoit quand Dieu luy eut faict part de ses merveilles : Vere Dominus est in loco isto ; Gen., 28 .
Et c'est ce de quoy il me semble que nostre Mere l'Eglise nous veuille principalement donner advis, lhors qu'en l'Evangile elle nous propose un grand effect de la præsence de Nostre Seigneur en quelque lieu, par l'exemple de ce qui se fit en la personne de Zachee. En quoy encores elle nous instruit de ce que nous devons faire affin que Jesus Christ fasse son habitation chez nous ; car nous sommes les temples de Dieu, pour lesquelz les autres temples ont esté faictz : Nescitis quia templum Dei estis, et Spiritus Dei habitat in vobis ? Saint Luc dict donques que Nostre Seigneur traversant la ville de Hiericho, voicy qu'un homme appellé Zachee, prince des publicains, fort riche, vouloit voir Nostre Seigneur quel homme c'estoit. Voyes vous comme il faut que Nostre Seigneur vienne le premier a nous ? S'il n'eust entré en Hiericho, jamais Zachee ne le seroit allé trouver, dont il dict bien [315] par, apres : Venit enim Filius hominis quærere et salvum facere quod perierat.
Zachee donques s'appercevant que Nostre Seigneur estoit entré en la ville, a cause du grand peuple qu'il voyoit se presser pour rapprocher, voyant qu'il ne le pouvoit voir parmi la presse, estant petit homme, il s'encourt devant, et monte sur un arbre de figue folle. Il n'est pas comme plusieurs qui pour les choses de Dieu ne remueroyent pas les pieds ; mays il est ardent de ne pas laisser perdre ceste commodité. Et comme l'homme fut trompé dessous un arbre, cestuy cy monte sur un arbre pour se desabuser et voir Nostre Seigneur. Attendant donq Nostre Seigneur sur l'arbre, comme il vint a passer, il regarde cest homme d'un regard d'amour et de misericorde, et voyant l'affection qu'il avoit de le voir, il luy donne une occasion non seulement de le voir mais de jouir de sa præsence, et luy dict : Zachæe, festinans descend e; Zachee, descens en diligence, parce qu'il faut qu'aujourd'huy je demeure en ta mayson. Et il descendit vistement, et le receut joyeusement en sa mayson. Icy Zachee fait diligence et se haste, mays il sera bon, a mon advis, que nous y arrestions un peu.
Il appelle Zachee par son nom, luy faysant paroistre que c'estoit luy qui nomme toutes choses par leur nom et qui connoist toutes choses, et qu'il estoit Dieu ; car Zachee ne l'avoit jamais veu, ni Nostre Seigneur Zachee, et en le voyant il l'appelle par son nom, Zachee. Et quant et quant, apres s'estre descouvert a luy, il luy demande d'estre receu en sa mayson ; et non seulement d'estre receu, mais qu'il se depesche, et Zachee obeit incontinent. C'est icy ou il nous faut apprendre nostre leçon ; car il y en a plusieurs qui voudroyent bien se ranger a servir Dieu, mays ilz y vont si laschement, que pour cela seul ilz sont reprehensibles. Qui est ce qui ne juge devoir servir Dieu, et qui est ce d'entre les Chrestiens qui, [316] sçachant les grandes recompenses que Dieu donne a ses serviteurs, ne desire le servir ? Mais quoy, ilz perdent tout le merite en ce qu'ilz retardent trop, et font comme l'Espouse es Cantiques, laquelle sentant son Espoux a la porte, fit difficulté de se lever pour luy ouvrir ; apres, elle voulut luy ouvrir, mays il ne s'y trouva plus ; elle le chercha, et ne le trouva plus. Ainsy plusieurs estans couchés parmi leur meschanceté, sentent que Dieu frappe a la porte, ilz font des sourds ; apres, ilz voudroyent se confesser, qu'il faut passer outre, et sçachans la beauté de la vertu, ilz font comme le paresseux : Vult et non vult piger ; 13 Proverbes. Ilz font comme ces gens des Proverbes, 1 : Pedes eorum ad malum currunt ; mais a bien faire, ilz font comme ces invités, avec un monde d'excuses ; ilz font comme ces vierges folles : Date nobis de oleo vestro , quand ilz sentent venir l'Espoux ; mays, helas, c'est trop tard.
Ne sçaves vous pas que Joab respondit a Abner (2 des Rois, 2 ) ? Il l'avoit poursuivi si vivement, qu'Abner voyant le soleil couché, et que neantmoins Joab poursuivoit tousjours a les battre, il s'escria : Num usque ad internecionem tuus mucro desæviet ? Et ait Joab : Vivit Dominus, si locutus fuisses mane, recessisset populus persequens. Ainsy trop tard est il de penser bien faire quand le tems de la mort est venu, quand le soleil est couché pour nous sans jamais se relever. C'est bien ce que dict le Sage aux Proverbes, 28 : Viri mali non cogitant judicium. Pharao entra diligemment en mer, poursuivant les Israëlites, et pensant s'en retourner, il ne fut asses tost. S'il s'en fust retiré au commencement, il eust eschappé ; il voulut tant poursuivre qu'il [317] y demeura, et trop tard reconneut et dict : Fugiamus Israelem, Dominus enim pugnat pro eis contra nos ; Exod., 14 . Trop tard va on au medecin quand on est mort. Advisé donques est Zachee qui tout inconti nent vient pour recevoir Nostre Seigneur, qui luy donne une si grande contrition, qu'il rend quattre fois autant qu'il a desrobbé et donne la moitié de ses biens aux pauvres ; dont Nostre Seigneur l'appelle filz d'Abraham pour sa foy et pour sa salvation future, et prononce qu'il a faict la salvation de ceste mayson.
Mes Freres, vous voudries bien que vous fussies sauvés, mays recevoir Nostre Seigneur quand il vous appelle, rien moins ; faire restitution et pœnitence, abandonner l'occasion de pecher, rien moins. Nostre Seigneur a beau crier : Superbe, descens de ta hauteur ; paresseux, depesche de te convertir ; luxurieux, laisse ta paillardise, car je veux venir chez toy ; avaricieux, laisse l'usure, ne prens pas tant sur le pauvre laboureur, ne ronge pas tant ces pauvres os martirisés sous tant de travaux. Ne vous flattes pas de ce qu'on n'entend rien, on n'en sçait rien, car ces choses vous seront un jour rudement reprochëes, et Jesus Christ se plaindra qu'il vous a advertis de vous en deporter. Vous demanderes quand, et il vous dira : Quod unus de minimis meis dixit, ego dixi ; Qui vos audit me audit, qui vos spernit me spernit .
Voules vous le salut ? faites comme Zachee, festinans ; commences des maintenant, ce ne peut jamais estre trop tost, mais bien trop tard : Deus pœnitentibus veniam promisit, tempus pœnitendi non promisit . David oyant la remonstrance du Prophete, dict : Peccavi ; faites comme luy. Marie Magdeleyne, ut cognovit, [318] attulit alabastrum . O que je pourrois bien dire a plusieurs ce que le bon Moïse mourant reprochoit aux Israëlites, Deuteronome, 31 : A die quo egressus es de Ægypto, semper adversus Dominum contendisti. Qu'on cesse. Desinite perverse agere, incipite bene facere . Ne soyes pas comme ceux ci desquelz il est dict : Furor eorum secundum similitudinem serpentis, sicut aspidis surdæ et obturantis aures suas ; Psal. 57 . Et comme Is., 28 : Erit eis Mot Dei : Manda et remanda, etc. Psal. 75 : Dormierunt somnum suum omnes viri divitiarum, et nihil invenerunt in manibus suis, si 'est peut estre (Thren., 1 ) sordes ejus in pedibus ejus, nec recordata est finis sui. [319]
La verité est si belle et si excellente en elle mesme, qu'estant clairement et naïfvement mise a la veuë de nostre entendement, il n'est pas possible qu'il ne l'embrasse avec un amour et playsir extreme. C'est son object, disent les peripateticiens ; c'est sa viande, disent les platoniciens ; c'est sa perfection, disent ilz tous ensemble, avec nos sacrés theologiens. « Toute la terre invoque et souhaitte la verité ; le ciel la benit. Toutes choses sont esbranlëes par sa force, » disoit le sage Zorobabel, qui pour cest apophthegme fut reputé le [320] plus judicieux de tous les Persans et Medois. Que si cela se peut dire de toute sorte de verité, combien plus, je vous supplie, mes chers Freres, de la verité qui est la premiere et la plus excellente de toutes, je dis de la verité chrestienne, au prix de laquelle toutes les autres verités ne sont presque pas tant verités que vanités ; « verité plus belle que ne fut onques ceste fameuse Helene, » pour la beauté de laquelle moururent tant de Grecz et de Troyens, dict saint Augustin, puysque pour l'amour d'icelle sont mortz infiniment plus de gens d'honneur et de Martirs tressaintz. Elle est plus desirable que l'or et le topaze, plus douce que le sucre et le miel, elle resjouït l'esprit et esclaire les yeux, comme chante David.
C'est pour ceste rayson que desirant, en ces sermons suivans, prouver la verité du tressaint Sacrement de l'autel, j'ay creu que je ne pouvois mieux commencer, o mes tres chers Freres, que vous faisant voir clairement et distinctement la veritable doctrine de l'Eglise ; doctrine si claire et si souëfve, que vos entendemens, au premier regard de sa beauté, la recevront, je m'en asseure, avec un amour et playsir incroyable, et la reconnoistront asses a son propre maintien et a sa grace pour estre fille de Dieu, sortie de sa bouche et conceuë au sein de son infinie sagesse. Mais aussi, si aupres d'icelle je vous fais voir la face du mensonge contraire, je ne doute nullement que la laydeur incroyable de celuy cy ne vous face beaucoup plus admirer et cherir la beauté de celle-la. C'est en somme ce que je pretens faire en ce premier sermon : proposer la verité fort clairement, et pour la mieux faire paroistre, poser aupres d'elle les mensonges qui luy sont opposés. Tenes vos yeux ouvertz, o Chrestiens ; voyes ceste belle verité autant desirable que nulle autre qui soit en l'Evangile, mays si grande et relevëe que ni vous ni moy n'en sçaurions soustenir l'esclat si Celuy qui l'a revelëe ne nous est propice. Implorons donques premierement son assistance par l'entremise de sa tressainte Mere, que nous saluerons a l'accoustumee, disant Ave. [321]
Un cors ne peut estre mangé s'il n'est en quelque façon present a celuy qui le mange, et ne peut estre mangé sinon en la façon de laquelle il est present a celuy qui le mange. Nul, comme je pense, ne peut nier ceste verité, puysque la manducation est une application et union de la viande a celuy qui la mange, extremement intime et tres estroitte, jusques a faire qu'en fin la viande se convertit en celuy qui la mange ou le convertit en soy. Il faut bien donques qu'elle luy soit presente, et ne se peut entendre qu'une viande soit mangee qu'autant qu'elle entre et s'unit a celuy qui la mange. Or je trouve que, parlant generalement, un cors ne peut estre present ni estre appliqué ou conjoinct a un autre, ni par consequent estre mangé, qu'en troys sortes : reellement et non spirituellement, spirituellement et non reellement, reellement et spirituellement tout ensemble. La premiere sorte est reelle, mays grossiere, naturelle et charnelle ; la seconde est spirituelle, metaphorique et peu veritable ; la troisiesme est autant reelle que la premiere, autant spirituelle que la seconde, elle est plus admirable que la premiere et plus admirable que la seconde. Considerons cecy plus particulierement, et voyons quelle des troys façons est plus convenable a la presence et manducation du cors de Nostre Seigneur au tressaint Sacrement.
Je dis donques premierement qu'un cors peut estre præsent a un autre, et par consequent estre mangé, reellement et non spirituellement, mays naturellement et charnellement. Cecy est sans difficulté : ainsy mon cors est præsent a ceste chaire, et les vostres a vos sieges. O mes Freres, c'est reellement, car c'est la propre essence et substance de nos cors qui y est ; mays c'est charnellement, car c'est avec toutes les qualités naturelles de nostre chair, la pesanteur, espaisseur, mortalité, obscurité, et semblables marques de nostre misere et propre nature : c'est la façon ordinaire et naturelle de la presence de nos cors et de tous les cors de ce bas monde, selon laquelle aussi peuvent ilz estre mangés. Ainsy le fut le cors de Jezabel par les chiens, [322] ilz le mangerent reellement et de fait, et charnellement aussi, car ilz le deschirerent comme estant corruptibile, ilz le traisnerent ça et la comme estant pesant, ilz le mordirent comme estant espais, et en fin, ne plus ne moins qu'une chair de cheval ou de bœuf. Ainsy furent mangés par les lyons reellement et charnellement les gens que le Roy d'Assyrie avoit amené pour peupler la Samarie, et les enfans qui injurierent Helisëe, par les ours. Ainsy les antropophages des Indes s'entremangent les uns les autres reellement et de fait, et quant et quant charnellement, comme s'ilz mangeoyent la chair des moutons et des veaux. Et de mesme, les deux femmes samaritaines, pressees de la famine par le siege, mangerent reellement et charnellement l'un de leurs enfans, le deschirans a belles dens, et remplissans leur estomach et leur ventre de la chair qui en estoit sortie. C'est bien asses pour ce point ; je crois que vous m'aves entendu, puysque je ne vous parle que d'une façon de presence et de manducation ordinaire, naturelle et charnelle.
Maintenant, mes Freres, il faut que je vous dise que les Capharnaïtes ayans ouÿ que nostre Redempteur avoit si souvent inculqué et repliqué en un sermon qu'il leur faisoit, qu'il failloit manger sa chair et boire son sang, que sa chair estoit vrayement viande, que le pain qu'il donneroit estoit sa chair pour la vie du monde, ilz creurent qu'il voulust donner sa chair en ceste premiere sorte, c'est a dire reellement (car ses parolles estoyent si preignantes qu'ilz n'en pouvoyent douter), mays charnellement ; car ilz pensoyent qu'il la voulust donner morte, par pieces et morceaux, grossiere, obscure, espaisse, corruptible, pesante, palpable, visible, et que par consequent il failloit qu'ilz la deschirassent et maschassent comme les antropophages ou mangegens, cannibales et margajas, qui s'entremangent les uns les autres comme l'on mange la chair des moutons et brebis. Et partant, tout estonnés de ceste promesse, ilz disoyent entre eux : Comme peut celuy cy nous donner sa chair a manger ? Et voyans qu'il persistoit [323] a les en asseurer, mesme avec son plus grand serment ilz adjousterent : Ce propos est bien dur, et qui le peut ouÿr ?
Ilz appellent les parolles de Nostre Seigneur dures, c'est a dire aspres, rudes, estranges, cruës, par ce qu'entendans que Nostre Seigneur leur voulust faire manger sa chair et boire son sang charnellement et selon l'estre naturel et ordinaire de la chair et du sang, a la verité cela leur sembloit fort crud, barbare et extravagant. Et a qui est ce que les cheveux ne dresseroyent d'horreur et que la chair ne frissonneroit s'il luy failloit manger un cors humain et boire le sang d'un homme ? Mais d'autant plus cela pouvoit sembler fort cruel aux auditeurs de Nostre Seigneur, que et luy et eux aussi estoyent Juifz de nation et de religion. Or, entre les Juifz, la chair humaine estoit tellement hors d'usage, que mesme en touchant un cors mort on estoit contaminé et souillé devant le monde ; et quant au sang il estoit tellement prohibé, que mesme il n'estoit pas loysible, selon la Loy, de manger de celuy des bestes. Quelle merveille donques si ces pauvres gens, oyans que Nostre Seigneur vouloit donner sa chair et son sang pour viande et breuvage, s'en estonnerent si fort, estimans qu'il la voulust donner toute morte, et en sa propre forme et condition naturelle et charnelle? Intelligence trop grossiere a la verité, et qui procedoit d'une grande lourdise.
De ceste mesme sorte de manducation grossiere et charnelle furent accusés les anciens Chrestiens par les payens atheïstes ; et je vous supplie, mes chers Freres, de remarquer cecy. La primitive Eglise esparse sur toute la face de la terre, faisoit une profession si ouverte parmy ses enfans de manger reellement le cors du Filz de Dieu et de boire son sang, que les parolles avec lesquelles elle le declairoit estans venues aux oreilles des payens et autres ennemis du Sauveur, ilz en prenoyent occasion de calomnier les Chrestiens et les accuser de l'antropophagie, c'est a dire de manger les petitz enfans, les esgorger et deschirer a belles dens, et [324] disoyent qu'en leur Sacrement et mistere ilz faisoyent leur festin de chair humaine a la cyclopique : « Dicimur, » dict Tertullien en son Apologet., « sceleratissimi de sacramento infanticidii, et pabulo inde ; On nous appelle tres criminelz, » dict il, « du sacrement de l'homicide des enfans et du repas qui s'en faict. » Et de fait, Pline second en l'epistre qu'il escrit a Trajan et qui est citëe par Tertullien, monstre bien que les Chrestiens avoyent esté accusés de ce crime ; car il les en descharge, s'il est bien consideré.
Ceste calomnie dura jusques au tems de Minutius Fœlix, qui recite les paroles d'un certain Cecilius, lequel en accusoit encor les Chrestiens : accusation fort vilaine a la verité, mays de laquelle la fauseté est aucunement excusable en ces anciens ennemis de l'Eglise ; car nos anciens peres confessoyent ouvertement qu'ilz mangeoyent le cors de Nostre Seigneur, et les sacrëes Escritures le declairent si ouvertement, que les payens, ou entr'escoutans les Chrestiens parler, ou entrevoyans les Escritures, ne pouvoyent ignorer que l'Eglise n'eust ceste croyance. Mais d'ailleurs, d'atteindre a la connoissance de ceste manducation reelle, cela estoit hors de leur pouvoir, car c'est la seule foy qui l'enseigne. Et, outre cela, nos Chrestiens se tenoyent si serrés et couvertz en la celebration de ce mistere, que mesme ilz ne permettoyent pas aux catechumenes de le voir ; si que les payens oyans dire absolument que les Chrestiens mangeoyent la chair du Filz de Dieu, et ne sçachans ni pouvans deviner que ce fust autrement qu'avec une façon charnelle, ilz accusoyent les Chrestiens d'un crime d'antropophagie.
Mais qui peut trouver [excusable] ceste accusation en ce tems, auquel l'impudence a bien osé passer si avant que de reprendre ceste mesme calomnie pour en deshonnorer les Catholiques ? Et qui ont esté ces impudens ? me dires vous. O peuple, des personnes baptizëes, nourries et instruites en l'Eglise de Dieu, qui ont mille fois ouÿ et veu la celebration de la sainte Eucharistie et cent fois peut estre y ont participé ; et apres tout cela, s'estant [325] separés de la sainte compaignie des fidelles pour faire des sectes a part, ne laissent pas de nous faire des argumens sur ceste calomnie aussi asseurement comme s'ilz estoyent tout a fait ignorans de nostre creance. Combien de fois nous objectent ilz que si nous mangeons reellement le cors de Nostre Seigneur, donques il faut que nous le deschirions, maschions et rongions ; et de la, ilz passent a des argumens si insolens et extravagans, qu'il n'est pas possible de plus. Mais y a il jamais eu en l'hæresie effronterie plus arrogante que celle la ?
Or en fin, tout cela n'est que calomnie, vous le sçaves bien, mes tres chers Freres. Non, jamais cela ne fut dict ni pensé par Nostre Seigneur, que l'on mangeroit sa chair charnellement, grossierement et comme l'on mange les chairs mortes et perissables. Et les Capharnaïtes, qui l'entendirent comme cela, estoyent des pauvres gens et qui n'avoyent pas bien consideré les parolles de Nostre Seigneur, lesquelles ne peuvent nullement estre tirëes a ce sens. Car oyes Nostre Seigneur. Il dict : Ma chair est vrayement viande, mays qui mange ma chair il a la vie eternelle ; que s'il n'avoit dict que cela, l'interpretation des Capharnaïtes eust eu quelque apparence, puysqu'il ne parloit que de la chair simplement. Mais quoy, n'exprime il pas asses son intention quand il dict en ce mesme discours : Je suys le pain vivant qui suys descendu du ciel ? Voyes vous pas qu'il ne parle pas d'une viande morte, mays vivante ? Or, elle ne seroit pas vivante, si elle estoit deschirëe, rompue et mise en morceaux. Qui me mange, dict il, vivra pour l'amour de moy ; il ne veut donq pas donner sa chair morte ni seule, mays se veut donner tout entierement. Or il ne se donneroit pas soy mesme tout entierement, s'il ne donnoit que sa chair seule et morte.
Mays sur tout Nostre Seigneur avoit rejetté disertement ceste intelligence grossiere et toute charnelle par ces parolles : Spiritus est qui vivificat, caro non prodest quidquam ; verba quæ locutus sum vobis spiritus et vita sunt ; C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne prouffite de rien ; les paroles que je vous [326] ay dites sont esprit et vie. Paroles saintes, paroles divines, paroles infiniment excellentes et propres a desraciner ceste lourde et grossiere intelligence de la manducation charnelle du cors de Nostre Seigneur, et ce, par deux beaux moyens que nos anciens Peres en ont doctement tiré et deduit. « Et comment donques, » dict saint Chrisostome, « la chair ne prouffite de rien ? ne parle il pas de sa chair mesme ? Ja n'advienne, mays il parle des personnes qui entendent charnellement. » « En ces pensëes, » dict saint Cyprien, « la chair et le sang ne prouffitent de rien, ni le sens charnel ne peut penetrer l'intelligence d'une si grande profondité, si la foy n'y survient : Nec carnalis sensus ad intellectum tantæ profunditatis penetrat nisi fides accedat, » etc. [327]
Je vous disois Dimanche, mes tres chers auditeurs, que toutes les difficultés que nos adversaires mettent en la creance de la realité du cors et sang de Nostre Seigneur au tressaint Sacrement se peuvent reduire a ces deux doutes que firent les Juifz et les Disciples a Jesus Christ Nostre Seigneur, quand il leur enseignoit la verité de cest article (en saint Jan, 6). L'un estoit : Quomodo potest hic nobis carnem suam dare ad manducandum ? L'autre estoit : Durus est hic sermo, et quis potest eum audire ? Car toutes les oppositions qu'on nous faict tendent la, ou que ceste realité n'a peu estre instituëe et faitte, ou qu'il n'a pas esté convenable ; et semble que tous les lieux qu'ilz sont allés recherchans en l'Escriture ne leur servent que d'une confirmation pour ces deux doutes. Or, je commençay a prouver que Dieu le pouvoit, tant par la commune regle de sa toute puyssance, que par des preuves particulieres touchant la pluralité des lieux d'un mesme cors. Puys je commençay a vous monstrer que la façon en laquelle Nostre Seigneur estoit en ce Sacrement, n'estoit aucunement dure ni horrible, ains tres suave et gratieuse.
Maintenant, en la poursuite de ce mesme discours, je monstreray : [1.] qu'il n'y a nulle impossibilité en ce saint Sacrement, qu'un cors soit en un lieu sans y occuper place et garder ceste extension exterieure que nous voyons estre naturellement es autres cors ; 2. que [328] la transsubstantiation n'est aucunement impossible, ains tres veritable en ce Sacrement ; 3. je deduiray de tout ce que j'ay dict l'adoration de ce saint Sacrement.
O Seigneur, je loüeray de tout mon cœur vostre toute puyssance pourveu que vous ouvries mes levres a vos loüanges ; j'adoreray vostre Majesté au saint Sacrement, pourveu que vous ternes tousjours vos paroles en mon cœur : car vos paroles m'instruiront que vous y estes Homme Dieu, reellement et veritablement, et que ceste vostre praesence n'est non plus impossible a vostre volonté, quoy qu'incomprehensible a nos foibles entendemens, que le reste de vos œuvres admirables. Affin que ceste priere soit receuë de sa divine Bonté, joignons y l'intercession de Nostre Dame. Ave.
[1.] Nous demeurasmes donques bien asseurés qu'un cors peut estre en plusieurs lieux par l'obeissance qu'il faict au commandement de son Dieu tout puyssant, auquel il n'y a rien d'impossible. Je dis maintenant qu'un cors peut estre en un lieu sans y occuper aucune place, sans y estre veu, sans y estre touché ni apperceu. Vous aves peut estre besoin d'entendre pour la pluspart le fonds de ceste difficulté ; escoutes un peu attentivement, et je me declaireray bien ouvertement.
Quand une chose est en un lieu nous avons accoustumé de concevoir en icelle deux choses, deux qualités, deux appartenances. L'une c'est la præsence, que la chose estant en un lieu y soit præsente, et ceste qualité n'est autre qu'estre en un lieu : de façon qu'estre praesent en un lieu n'est autre sinon y estre ; estre absent, c'est n'y estre pas. L'autre qualité que nous concevons estre en la chose qui est en quelque lieu, c'est qu'elle y occupe une place, c'est a dire qu'elle y soit tellement, que la ou elle est nulle autre chose y puisse estre avec elle ; elle remplit tellement le lieu ou elle est, qu'autre chose n'y puisse avoir lieu.
Ces deux conditions, a nostre grossiere façon de penser, nous semblent estre tellement liëes l'une avec l'autre, qu'elles ne peuvent estre aucunement separëes ; et nous [329] est bien advis que quand une chose est en un lieu, elle y occupe place, et partant qu'une autre chose n'y peut estre avec elle. Or neantmoins la chose n'est pas ainsy, car il y a grande difference entre estre præsent et occuper de façon que l'un peut bien estre sans l'autre. Je veux dire une chose peut estre tres parfaitement præsente en un lieu sans y occuper lieu ; ains les choses, d'autant que plus parfaittement elles sont præsentes a quelque lieu, moins elles y occupent de place : dequoy les exemples vous feront foy.
La majesté de Dieu est tellement par tout, que saint Pol a dict : Non longe est ab unoquoque nostrum ; in ipso enim vivimus, movemur et sumus ; Act., 17 . Ce qu'il disoit aux Atheniens au propos du Dieu inconneu. Et comme je vous disois dernierement de David : Si ascendero in cœlum, tu illic es ; si descendero in infernum, ades . Or, quoy qu'il soit praesent a toutes choses, si est ce qu'il n'occupe aucun lieu ou place : ainsy les Anges n'occupent aucune place en eux [mêmes], de façon que des legions entieres de diables se sont trouvëes en un cors. La præsence donques peut estre sans l'occupation de lieu, et l'est ordinairement es espritz ; mays es choses corporelles, ordinairement la præsence d'une chose n'est pas sans occupation de place.
Et voicy maintenant la difficulté ouverte entre nous et nos adversaires ; car nous disons que comme la præsence est ordinairement separëe de l'occupation de lieu es choses spirituelles, aussi le peut elle estre es choses corporelles par la toute puyssance de Dieu. Ilz le nient, et nous le prouvons ; et nostre premiere preuve se prend de ce que nous disions Dimanche, comme reciproquement ce que nous prouvions Dimanche se peut prouver par ce que nous dirons maintenant, estant la nature des verités de s'entr'ayder l'une l'autre. [330]
Nous disions Dimanche, et le prouvasmes suffisamment, qu'un seul cors peut estre en deux lieux ; donques deux cors peuvent estre en un lieu, n'y ayant non plus de difficulté que deux cors n'ayent qu'un lieu, que de dire que deux lieux n'ayent qu'un mesme cors. Matt. 19 ; Marc., 10 ; Lucæ, 18 : Facilius est camelum per foramen acus transire, quam divitem intrare in Regnum cœlorum. His auditis, discipuli mirabantur valde, dicentes : Quis ergo poterit salvus esse ? Et eos respiciens Jesus, dixit eis : Hoc apud homines impossibile est, apud Deum omnia possibilia sunt. Comment se pourroit il faire qu'un chameau entrast par le trou d'une eguille, sinon qu'il n'y occupast point de place? Un si grand animal, estre compris en un si petit lieu, n'est ce pas un bel exemple a nostre propos ? Je sçay bien qu'il y en a eu qui l'ont entendu d'une corde de chanvre, qu'on appelle cable ; mays tous les Peres l'entendent de cest animal. Voyes vous, il dict que tout cela est impossible aux hommes ; mays ni cela ni autre chose n'est impossible a Dieu. Et s'il n'est impossible de mettre un si grand cors en un si petit lieu, pourquoy sera il impossible qu'il mette un cors humain glorifié en l'hostie et en la moindre partie d'icelle ?
En saint Jan, 20 , Nostre Seigneur, le jour de sa resurrection, vint les portes fermëes au milieu des disciples, et fut la au milieu d'eux et leur dict : Pax vobis. Œcolampade dict qu'il entra par les fenestres ; Calvin, qu'il ouvrit et resserra, ou qu'il aneantit les portes et tout a coup les recrea ; Pierre Martyr dict qu'il entra par quelque ouverture, ou qu'il rendit rares les portes, ou qu'il les fit ceder. Je proteste, mes Freres, que ces [331] gloses et interpretations ne sont point en l'Escriture. Ah mon Dieu, que ce que l'esprit humain hait est bien haï ! qu'est ce qu'il ne va rechercher pour s'excuser ? Voyes en saint Luc, 24 , comme ses disciples s'esmerveillerent de ceste soudaine apparition, et voyant les portes bien fermëes, ilz pensoyent voir un esprit ; comme nos adversaires, lesquelz quand on leur dict que Nostre Seigneur n'occupe point de lieu, ilz pensent que ce ne soit pas son cors. Non, non, c'est son cors ; ce n'est pas une contenance spirituelle, c'est son vray cors mais spiritualisé.
Si les bons anciens eussent pensé que ces eschappatoires eussent esté solides, ilz s'en fussent servis contre les Marcionites qui objectoyent le passage de saint Jan pour prouver que le cors de Nostre Seigneur estoit fantastique, comme le tesmoigne saint Cirille sur ce lieu. Mais jamais aucune attaque ne leur fit reculer d'un pas ; ilz voulurent maintenir en tout et par tout le sens naïf et simple de l'Escriture.
Mais quoy, o mon Dieu, o mon Sauveur, o mon Maistre, permettes moy que je parle de la premiere entrëe que vous fistes en ce monde, en laquelle non vous, mais les Anges pour vous, vous voyant parmi les hommes, petit enfant, pauvret, nud et pleurant, chanterent : Gloria in altissimis Deo, et in terra pax hominibus bonæ voluntatis . En ceste entrëe icy, Seigneur, comme comparustes vous au milieu des hommes ? Sans doute que vous y entrantes, la porte virginale de Nostre Dame vostre sainte Mere estant tres bien fermëe, car elle fut Vierge en l'enfantement et apres ; jamais il n'y eut aucune corruption ny en sa tressainte ame ny en son cors. Voyes vous, mes Freres, Nostre Seigneur avec son vray cors sort hors du ventre de sa Mere sans aucune fraction ni ruption de sa virginité ; ne failloit il pas donques que ce fut sans occuper [332] place, et qu'il passast par ce cors virginal par penetration de dimension ? A Dieu ne playse que je die ce que nos adversaires respondent en cest endroit ; c'est chose hors de respect. A quelque prix que ce soit, ilz veulent ce qu'ilz ont dict une fois soit vray ; ilz ayment mieux blesser la virginité de la Mere de Dieu que confesser leur faute. Certes, Jovinien a esté tenu pour hæretique, entr'autres pour avoir dict que Nostre Dame avoit perdu sa virginité enfantant son Filz. Isaïe, au 7. chapitre, dict et proteste que la Mere de Dieu seroit Vierge, non seulement concevant, mays enfantant : Ecce Virgo concipiet et pariet ; et en nostre Symbole : « Natus ex Maria Virgine. »
Quoy, Nostre Seigneur ne sort il pas du sepulchre fermé ? Sans doute. Saint Matthieu, 28 , saint Marc, 16 : l'Ange leva la pierre apres que Nostre Seigneur fut resuscité ; donques, il sortit a travers la pierre sans y occuper aucune place.
Voudries vous bien, Messieurs, que je me servisse du tesmoignage de saint Augustin au 22. livre de la Cité de Dieu, chap. 8 ? La il est dict que Petronie eut un anneau d'un certain Juif, ou il y avoit une pierre pour la guerir de certaine maladie qu'elle avoit ; l'anneau estoit tres bien lié et attaché a un lien, bien fort et ferme ; elle s'en va au sepulchre de saint Estienne. Affin que la guerison ne fust attribuee a l'anneau du Juif, incontinent l'anneau tombe aux piedz de ceste femme sans estre rompu, ni le lien desnoüé ou rompu, ainsy, dict saint Augustin, qu'on doit croire Nostre Seigneur estre sorti du ventre virginal sans aucune rupture. Vous voyes donques comme un cors peut estre en un lieu sans y occuper place.
Nos adversaires ne sçavent que dire ; ilz voyent nos raysons bien establies sur l'Escriture, dans laquelle ilz sont allés recherchant s'il y avoit rien qui peust servir a leur negation ; et voyans qu'il n'y avoit rien, [333] ilz se sont jettés sur la philosophie, et ont voulu monstrer que cela estoit impossible. Si je voulois rapporter les raysons qu'alleguent Pierre Martyr et Calvin, je n'aurois jamais faict, quoy qu'il me seroit tres aysé de leur respondre en philosophie et a la scholastique ; mays je n'ay que faire de me mettre sur la philosophie, quand j'ay la parole de Dieu pour moy. Nostre Seigneur respond asses a tous ces argumens quand il dict en saint Matthieu, 19 : Hoc apud homines impossibile est ; apud Deum omnia possibilia sunt. Vous n'entendes pas ? O, il ne faut pas laisser de croire pour cela. Mais puysque vous voules laisser l'Escriture pour la philosophie, je vous prie, dites moy comme vous pouves voir ; car, ou c'est par mission ou par immission. Si c'est le premier, comme vostre œil peut il contenir tant de choses, estant si petit ? comme peut il avoir tant de rayons qu'il en faut pour couvrir toute une montaigne qu'il voit tout a coup, et occuper l'espace de cinquante lieuës de loin ? le fil le plus deslié du monde, en si grand espace, feroit un tres gros peloton. Si c'est le second, comme peut recevoir vostre œil, qui est si petit, une repræsentation de si grandes choses et si diverses ? Qu'ilz me disent comme la lumiere corporelle penetre ainsy en un instant les deux, l'air et l'eau ; car encores qu'elle n'aÿe pas de substance, si est ce qu'elle est corporelle.
Voyla, mes Freres, la verité du fait : Nostre Seigneur est en l'Eucharistie sans y occuper place. Il y est les parties bien proportionnëes ensemble, mays sans aucune proportion de place parce qu'elles n'en occupent point. On me dira : Comme se peut il faire qu'il y soit invisible et impalpable ? Cela est aysé ; car quand on voulut jetter Nostre Seigneur du sommet de la montaigne, il passa a travers d'eux sans y estre ni veu ni apperceu ; quand, apres la resurrection, il laissa ses disciples en Emails, il disparut devant eux et ne le virent plus, encor qu'auparavant ilz le vissent et que leurs yeux fussent ouvertz.
Il n'y a donq plus de difficulté de tous ces costés la. [334] Un cors peut estre en deux lieux, ainsy qu'il appert par l'histoire de la conversion de saint Pol. Un cors peut estre en un lieu sans y occuper place, ainsy qu'il appert par l'entrëe de Nostre Seigneur les portes fermëes et par sa Nativité. Un cors peut estre en un lieu sans qu'on le puisse voir et connoistre qu'il y soit, comme il appert par les exemples que je viens d'apporter.
[2.] Mays il y a encor une difficulté ; car nos adversaires ne voulans abandonner leur quomodo, demandent : Comme se peut il faire qu'une chose qui estoit n'a gueres pain, soit, maintenant la chair de Nostre Seigneur ? Il se peut faire par un changement total de substance en substance, que l'on appelle fort proprement du mot de transsubstantiation. Ceux qui ont suivi le parti de Luther pour combattre l'Eglise ont opinion qu'en ce Sacrement il n'y aye point de changement au pain, ains que le pain y demeure ; et neantmoins confessent que le vray cors de Nostre Seigneur y est. Ceux qui suivent Calvin nient le changement au pain, et quant et quant la realité du cors. Or, l'Eglise confessant la realité, dict le cors de Nostre Seigneur y estre reellement sans aucune substance du pain, laquelle a esté changëe en la chair, etc. Pierre Martyr, au livre contre Gardinerus, dispute fort et ferme contre ceste transsubstantiation, comme contre chose impossible.
Mais je ne sçay en quoy ilz trouvent ceste impossibilité ; car n'a on pas veu la substance de l'eau changëe en la substance du vin es noces de Cana en Galilëe (elle fut faicte vin, Jan, 2 ), et la femme de Loth en une statue de sel (Genese, 19 ) ? Mays voyes comme le diable mesme reconnoist la transsubstantiation estre possible : Si Filius Dei es, dic ut lapides isti panes fiant . Mays quelle difficulté : Qui convertit petram in stagna aquarum, et rupem in fontes aquarum ; Psal. 113 . Et en Exod., 7 , la verge d'Aaron n'est [335] elle pas veritablement convertie en couleuvre ? car l'Escriture dict que ce que les autres firent fut par sorcellerie, mays que ce que fit Aaron fut veritable. Nostre Sauveur n'a il pas converti le rien en tout ? Genes., 1. Ne convertira il pas nostre pourriture en un beau cors, en la resurrection ? 1. Cor., 15 . Ne convertit il pas la poudre en chair ? Gen., 3 . Il n'y a donq plus de doute qu'elle se puisse faire. Or, je prouve maintenant qu'elle s'est faite en l'institution du tressaint Sacrement.
Nostre Seigneur prit du pain et dict : Cecy est mon cors. Donq ce n'est plus pain si c'est le cors de Nostre Seigneur ; car si ce qu'il prit en ses benistes mains n'estoit pas changé, il ne failloit pas dire que ce fut autre chose que ce qui estoit auparavant. Auparavant c'estoit pain, maintenant c'est son cors ; donques il est changé de pain en cors. Il ne faut pas dire que son cors y soit et le pain aussi ; car qui vendroit un sac, moitié froment, moitié avoine, et dirait : Achetes cecy, car c'est froment, sans doute qu'il tromperoit le monde et seroit reputé pour avoir dict mensonge. Ainsy qui dirait d'un tonneau plein d'eau et d'huyle : Cecy est huyle, on le tiendroit pour menteur. Il ne faut pas donq dire que Nostre Seigneur disant : Cecy est mon cors, le pain y soit encores. Quand donques il dict : Hoc est corpus meum, il monstre clairement que le pain avoit esté changé.
Secondement, en saint Jan, 6, quand Nostre Seigneur dict : Panis quem ego dabo, caro mea est pro mundi vita, si ce qu'il disoit n'eust deu estre faict par changement, il eust esté faux ; car le pain, s'il demeure pain, ne peut estre chair. Il faut donques qu'il entendit d'un pain changé et tel qu'il descrit, la mesme : Ego sum panis vivus, qui de cœlo descendi.
Mais voudries vous bien, Messieurs, qu'en ce Sacrement on repeust le ventre et l'esprit tout ensemble ? Non, cela n'estoit pas convenable. Je sçay bien qu'il y a [336] de la difficulté en cecy, mais il y en auroit encores davantage autrement. Et quant a l'Escriture, tout ce qu'ilz nous sçavent objecter, c'est premierement que ce nom de transsubstantiation n'est point en l'Escriture ; a quoy je respons que ni le mot de Trinité, ni Omoousios, ni Theotocos. Il suffit que la chose est en l'Escriture, encores que le mot n'y soit pas.
Secondement, ilz disent que ce Sacrement est appellé pain ; mais je respons que ce n'est pas parce qu'il y ayt du pain, mais parce qu'il y a apparence de pain exterieure, ou bien parce qu'il a esté faict du pain, ou parce qu'il a les effectz et proprietés du pain, ou parce que, selon la coustume des Hebrieux, toute sorte de viande a esté appellëe pain (comme on voit de la manne qui a esté appellëe pain, Exode, 16 , dont Nostre Seigneur n'a pas dict : Caro mea vere est panis, mays vere est cibus , qui est le mesme que quand il dict : Ego sum panis vivus), et que l'Escriture ayt accoustumé d'appeller les choses du nom de celles la desquelles elles ont esté faites, ainsy qu'il est aysé a voir Exod., 7 , ou la verge d'Aaron estant convertie en serpent ne laisse d'estre appellëe verge ; au Genes., 3 , ou l'homme faict et tiré de poudre, ne laisse d'estre appellé poudre.
Tiercement, ilz disent que ceste opinion de transsubstantiation est nouvelle, mais ilz ont tres grand tort; car, a la verité, elle a de tout tems esté en l'Eglise. Il seroit aysé de recueillir ce qu'en ont dict les Anciens. Oyes en quelques uns. Saint Cyprien, qui vivoit il y a plus de treize cens ans, in sermone De Cæna Domini : « Panis iste quem Dominus Discipulis porrigebat, non effigie sed natura mutatus, omnipotentia Verbi factus est caro. » Saint Cirille Hierosolimitain, Cathec. 4 : « Aquam aliquando mutavit in vinum, et non erit [337] dignus cui credamus quod vinum in sanguinem transmutarit? » Nyssenus, in Oratione Magna, c. 37 : « Recte Dei verbo sanctificatum panem in Dei Verbi corpus credimus immutari. » Saint Augustin, ut citat Beda, cap. 10, 1. ad Cor. : Non omnis panis, sed accipiens Christi benedictionem, fit corpus Christi. En fin, il y a cinq cens ans passés qu'en un Concile general celebré sous le Pape Nicolas II, qui estoit de ce païs de Savoye, et d'une tres noble mayson, Berengarius fut contrainct d'abj urer cest erreur. Voulons nous aban donner toute l'antiquité si bien fondëe en l'Escriture pour esviter un peu de difficulté et flatter les consequences de nostre entendement propre ? Concluons donques qu'apres la consecration, le vray cors de Nostre Seigneur y est, et n'y a point d'autre substance quelle qu'elle soit ; il y est, dis je, reellement et tres veritablement.
[3.] D'ou s'ensuit la troysiesme proposition que j'avois avancëe : que ce Sacrement, entant qu'il contient Nostre Seigneur, est adorable, que l'on le doit adorer. Car a la verité, puysque c'est Jesus Christ et que Jesus Christ est Dieu, qui ne l'adorera je vous prie, aussi bien la qu'au Ciel, puysqu'il est escrit en saint Matthieu, 4 : Dominum Deum tuum adorabis, et illi soit servies ? car Nostre Seigneur, ou qu'il soit, il y veut estre [338] adoré. Ainsy fut il adoré en croix par le larron, marchant parmy Hierusalem, par les troupes qui crioyent Hosanna, en la creche, par les Roys. Il est voylé en l'Eucharistie, mays cela ne doit pas empescher qu il n'y soit adoré ; car ainsy fut il adoré des Roys, voylé des langes et emmailloté.
Or affin que tout d'un coup je prouve que Nostre Seigneur est reellement selon sa chair en ce tressaint Sacrement, et tout ensemble qu'il l'y faut adorer, l'un ne pouvant estre sans l'autre, ni qu'il y soit adoré s'il n'y est pas, ni qu'il y soit sans y estre adoré par l'Eglise, qui est jalouse de rendre a son Espoux tout honneur, je vous prie de regarder combien ceste affaire est convenable, puysque ceste adoration ayant esté preveüe par David, il en tressaute de consolation au Pseaume 21 , et chante : Manducaverunt et adoraverunt omnes pingues terræ. Manducaverunt, ait Augustinus, corpus humilitatis Domini sui divites terræ ; nec sicut pauperes saturati sunt usque ad imitationem, sed tamen adoraverunt. Arnobius, Basilius, Theodor. Sic explicatur locus Psal. 98 : Adorate scabellum pedum ejus, quoniam sanctum est, ab Augustino. Mays saint Pol, 1. aux Cor., 11 , qu'est ce qu'il dict ? Qui manducat et bibit indigne, judicium sibi manducat et bibit, non dijudicans corpus Domini.
Ponenda est ergo differentia quam par est adhibere, [339] et venerari corpus Domini. Et affin qu'il ne semble pas que ce soit une nouveauté, ains qu'on connoisse que l'adoration de l'Eucharistie a tousjours esté en l'Eglise, et par consequent qu'on a tousjours creu fermement qu'en icelle est le vray cors de Nostre Seigneur, oyes un peu le tesmoignage de quelques grans Peres.
Et premierement, je produiray saint Chrisostome qui vivoit il y a plus de douze cens ans, et lequel pour son excellence a esté loué et appellé « Bouche d'or », homil 61 ad Populum Antiochenum : « Considera, quæso, mensa regalis est, Angeli ministrantes, ipse Rex adest et tu adstas oscitans ? Igitur adora, et communica. Cum vela videris retrahi, tunc superne Cœlum aperiri cogita et Angelos descendere. » Idem, lib. 6 de Sacerdotio, il raconte une vision d'un viellard qu'il appelle « admirable, lequel pendant la Messe avoit tout incontinent veu une trouppe d'Anges resplendissans entourer l'autel, inclinés comme soldatz devant leur roy. » Notes ceste comparaison, notes le mot d'autel. Puys, la mesme, il raconte d'un autre qui avoit appris par vision que ceux qui prenoyent ce saint Sacrement deuëment a la fin de leur vie, avoyent des Anges autour de leurs cors qui les accompaignoyent jusques au Ciel. C'est chose belle de voir ce qu'il dict, homil. 3 et 4 contra Anomæos.
Saint Ambroyse, en son Orayson preparatoire, invoque ce saint Sacrement, et l'appelle « pain saint, vivant, pur, beau, tres doux, » et luy demande [la] grace de pouvoir aller a son Royaume.
Saint Gregoire Nazianzene, oratione in laudem sororis suæ Gorgoniæ , raconte que sa seur « estant malade d'une maladie prodigieuse, vint de nuict a l'autel [340] se prosternant, et priant Celuy qui est adoré sur iceluy ; omnibusque nominibus appellans, atque omnium rerum quas fecerat commonefaciens, » quid fecerit audite : « caput cum clamore et lacrymis [altari] admovens, se non nisi reddita sanitate discessuram minitans, » etc. Ainsy elle fut guerie.
Et Origene, plus ancien encores, homil. 5 in diversa, dict qu'en ce Sacrement nous recevons en nous comme en nostre mayson, le cors de Nostre Seigneur : « Dis donques, » dict il, « Domine, non sum dignus, » etc.
Cyprian., sermone De Lapsis : « Mulier quædam cum arcam suam in qua sanctum Domini corpus posuerat indignis manibus tentasset aperire, igne inde surgente deterrita est. » [341]
participatio corporis Domini est ?
Le pain que nous rompons, n'est-ce pas
la participation du cors de Jesus Christ ?
Les adversaires de l'Eglise Catholique respondent a ceste interrogation que non, parce que Jesus Christ leur a dict : Caro non prodest quicquam ; La chair ne prouffite de rien. Les Catholiques respondent qu'ouy, parce, disent ilz, que accepimus a Domino, quoniam Dominus Jesus, in qua nocte tradebatur, accepit panem, et gratias agens, fregit et dixit : Accipite et manducate, hoc est corpus meum ; Nous avons appris du Seigneur que le Seigneur Jesus, la nuict en laquelle il fut livré, prit du pain, et rendant graces, il le rompit et dict : Prenes et manges, cecy est mon cors. C'est en cest article, auditeurs, ou je vous desire attentifz, si jamais vous le fustes, pour entendre nos raysons, vous conjurant de laisser toute passion pour bien juger en une cause si importante ; et je suis asseuré que, le tout meurement consideré, vous feres jugement en faveur des Catholiques, tant leurs raysons devancent en fermeté, en sainteté, en solidité et en bonté celles des adversaires.
Je prie, si jamais je priay humblement et d'affection, que Celuy qui faict la bouche des enfans diserte, daigne par sa bonté me donner l'entendement de bien sonder ses tesmoignages : Da mihi intellectum, et [342] scrutabor legem tuam, et custodiam illam in toto corde meo ; et a vous, mes tres chers auditeurs, qu'il incline vos coeurs es tesmoignages de sa parolle ; car en ceste difficulté je vois les ennemys qui m'attendent avec une trouppe de doutes et questions humaines : Me expectaverunt peccatores ut perderent me, testimonia tua intellexi ; mays l'intelligence de vos commandemens m'en delivre. Pendant que l'un me veut tirer par la voye des figures, l'autre de l'ubiquité, l'autre des effectz, faites, Seigneur, que j'aÿe pour ma guide vostre seule parolle, et qu'elle me soit phare en ceste navigation : Lucerna pedibus meis Mot tuum, et lumen semitis meis . A celle fin qu'ainsy soit, invoquons l'ayde du Saint Esprit, disant Ave Maria.
De peur que par un praejugé et supposition fause vos entendemens ne soyent atteintz de quelque passion contre nous, chers auditeurs, pendant qu'on vous pourrait avoir faict accroire que le differend qui est entre nous et nos adversaires ne gist en autre, sinon en ce qu'ilz ne veulent rien croire que ce qui est es Escritures, et [que] nous voulions fonder nostre doctrine ailleurs que sur icelles, je vous supplie de croire qu'en ce particulier differend (ni en pas un autre aussi, non plus qu'eux) nous ne voulons ceder a eux en l'honneur que nous avons juré aux Saintes Escritures ; mays que tout au contraire nous protestons ne vouloir le demesler que par la seule, pure et expresse parolle de Dieu, ainsy que nous fismes Dimanche. Si donques on vous a dict que l'Eglise n'alleguoit que l'authorité des hommes, si on vous a dict qu'elle laissoit en arriere l'Escriture, je vous prie de vous en desabuser, et croire que l'Escriture [343] a tousjours esté en nos mains, et que ce riche thresor n'a esté gardé que par l'Eglise, et que nos adversaires ne l'ont eu que de nous. Nous ne voulons icy que l'Escriture.
Nous sommes donq desja d'accord en ce poinct, quj est que ce differend ne se decide que par l'Escriture ; mais c'est en l'interpretation que gist nostre controverse et dispute ; car nous apportons de beaux et bons passages de l'Escriture, et eux en apportent de ceux qu'ilz peuvent penser estre telz. Tout est de l'Escriture ; mays quoy ? ilz veulent interpreter les nostres et les leurs contre nous ; et nous, quasi comme estans sur la defensive, sans interpreter les nostres, car ilz sont clairs voulons seulement rejetter leurs interpretations affin qu'elles ne nous offencent. Entrons, je vous prie, en matiere, et vous verres clairement la verité de ce que je dis.
Quand Berengarius comparut, l'Eglise tenoit qu'au saint Sacrement de l'Eucharistie estoit reellement, substantiellement et veritablement le cors et sang de Jesus Christ. Depuys, elle le soustint paisiblement jusques au tems de Jan Hus, Wiclef ; puys vindrent Œcolampadius, Carolostadius, Zuingle, Calvin, lesquelz dirent qu'elle se trompoit et parloit sans fondement. Mais, au contraire, voicy ses defenses.
Premierement, le sixiesme chapitre de saint Jan, sur lequel j'ay discouru Dimanche. Secondement, elle apporte les paroles de l'institution : Matthieu, 26 , Marc, 14 , Luc, 22 , 1. Cor., 11 ; en tous lesquelz lieux Nostre Seigneur parlant de la viande qu'il donnoit instituant la manducation de la Cene, ilz rapportent qu'il dict que c'estoit son cors, par des paroles si expresses qu'elles ne le sçauroyent estre davantage, dont elle tire ceste claire rayson : Dieu l'a dict, Dieu ne peut mentir, donques il y est. L'adversaire respond que Dieu ne l'a pas dict ; nous monstrons ses propres motz. Il dict qu'ilz ne se doivent ainsy entendre comme nous pensons ; nous disons que si. Voyla nostre differend : qui entend mieux les Escritures ? Si je puys monstrer clairement que nous [344] sommes bien fondés, il s'ensuivra que les adversaires le seront d'autant moins, qu'ilz viennent combattre le possesseur de bonne foy.
Rayson premiere. Icy Nostre Seigneur institue un Sacrement. Or, les Sacremens doivent estre institués en arolles claires ; donques, etc. La mineure se prouve par rayson : parce que l'usage du Sacrement nous doit estre aysé et commun a tous ; donq chacun doit entendre ce qui en est. Voyes en saint Matt., dernier, et en saint Jan, 3 , comme Nostre Seigneur se declaire instituant le Baptesme.
Deuxiesme rayson. C'est un testament. Matthieu, 26 : Hic est sanguis novi testamenti ; Luc, 22 : Hic est calix novum testamentum in sanguine meo, qui pro vobis fundetur. Or les testamens doivent estre en termes clairs. Heb., 9 : Lecto omni mandato Legis a Moyse universo populo, accipiens sanguinem vitulorum et hircorum, cum aqua et lana coccinea et hissopo, ipsum quoque librum et omnem populum aspersit, dicens : Hic est sanguis testamenti quod mandavit ad vos Deus. Ad Gal., 3 : Hominis confirmatum testamentum nemo spernit, aut superordinat. Abrahæ factæ sunt promissiones, et semini ejus. Non dicit et seminibus. Pourquoy voules vous, o Messieurs, adjouster vos interpretations sur le testament de Nostre Seigneur ? Si saint Pol faict consideration sur un singulier et pluriel, tant il veut prendre rigoureusement la proprieté des parolles, pourquoy [345] voulons nous prendre la licence de renoncer a la proprieté des paroles du Filz de Dieu en ce sien testament?
De plus, l'intention de Nostre Seigneur en sa sainte Cene, faysant son testament, estoit de laisser un gage a son Espouse de l'amour qu'il luy portoit, amour si grand que de vouloir mourir pour elle. Voudries vous bien chers auditeurs, qu'un morceau de pain, un legs si petit, fut le gage d'un tel et si grand amour ? Non, c'estoit luy mesme en une autre forme, impassible, qu'il donnoit comme un juste et asseuré tesmoignage de l'exces de son amour. En outre, Nostre Seigneur n'avoit que son cors et son sang ; car Filius hominis non habet ubi caput suum reclinet ; donques faisant son testament et laissant des legs a ses amys, il ne pouvoit laisser que son cors et son sang. En fin, vous semble il qu'un morceau de pain soit un present digne d'un tel Seigneur ? et voules vous que nous soyons tousjours serviteurs, n'ayant pour hæritage qu'une figure, comme les Mosaïques ?
Troisiesme rayson. Est lex et dogma ; atqui leges et dogmata numquam tradi debent obscure, ainsy que dict saint Augustin, lib. 2, de Doct. Christ., cap. 6 et 9 : Nihil est dictum obscure nec scriptum quod spectet ad fidem et mores, quod non planissime dictum sit in aliis locis.
4. rayson. Il n'y a aucune marque de figure comme es autres lieux ou il parle figurativement.
5. rayson. Tous les escrivains s'accordent.
6. Tous les expositeurs anciens s'accordent.
7. Numquam dimittendus sensus litteralis, alioquin omnia exposita sunt interpretationibus spontaneis.
Voyla les raysons generales par lesquelles il appert [346] que nous sommes bien fondés a les interpreter en leur sens expres et formel, non figuré et metamorphosé.
Maintenant monstrons le un peu plus particulierement contre les argumens de nos adversaires.
Premiere interpretation, d'André Carlostade : « Hoc, id est, hic, » et dict que le Pere cæleste le luy a revelé ; dont Luther a intitulé un livre : Contra cælestes Prophetas. J'ay veu une Bible imprimëe en françois, despuys que je suis en ce pais, ou il y a : C'est cy mon cors. Mays le grec y repugne tout ouvertement, τοῦτο, et le sens : car, quelle rayson ? Manges, car c'est cy mon cors.
Une autre est de Zuingle, qui allegue une vision d'un je ne sçay qui, blanc ou noir, qui luy dict que est vouloit dire significat. Œcolampade dict : Corpus, id est, signum corporis. Et tout de mesme Calvin, horsmis qu'il adjouste l'apprehension par la foy. Mays Luther, pour monstrer qu'il avoit autant d'esprit que les autres pour se mocquer des Sacremens, en son livre Quod verba Domini firmiter stent, dict : « Meum, quia omnia mea sunt. »
Par ou il appert que l'institution de ce grand mistere consistant en quattre paroles, il n'y en a aucune qui n'aye esté attaquëe avec grande audace et sacrilege par les superbes ennemis de la foy, trop attachés a leur sens et propre rayson. [347]
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Et ego dico tibi ; pour contrechange. (Les huguenotz gastent et avilissent la parole de Dieu, celle des Sacremens et celle cy. Sil dict delere, ilz disent non imputare.) O quelle grace de Nostre Seigneur : Tu es Petrus, Cepha, Petros, et super hanc petram ædificabo . Les portes ; cela s'entend la puyssance. O quel honneur. On bayse les pieds a ses successeurs. Es. 49 : Erunt reges nutritii tui, et reginæ nutrices tuæ ; vultu in terra demisso adorabunt te, et pulverem pedum tuorum lingent. Non mihi sed Christo.
Teste : Caldeens anciens. Persicum : duo regna Medorum et Persarum ; 3. Alexandri et Grecorum ; 4. Romanorum. [348]
Lapis Jacob vocabitur domus Dei ; [Gen.,] 28 . Neanmoins, il le laysse persecuter.
Sap. II : Nihil odisti eorum quæ fecisti. Sap. 14 : Odio est Deo impius et impietas ejus. Psal. 5 : Non Deus volens iniquitatem tu es. Omnia quæcumque voluit fecit. Ezech. 18 : Nolo mortem peccatoris. 2. Pet. 3 : Deus neminem vult perire.
1. ad Cor. c. 10 : Fidelis Deus, qui non sinet vos tentari supra id quod potestis. Jac. 1 : Nemo cum tentatur dicat quoniam a Deo tentatur. Ipse autem neminem tentat. Gen. 22 : Tentavit Deus Abraham ad probandum, non ad seducendum.
Oz. 13 : Perditio tua ex te, Israel, tantummodo in me auxilium tuum. 1. Jo. 3 : Qui facit peccatum ex diabolo est. Apoc. 3 : Ego sto ad ostium et pulso ; si quis aperuerit intrabo ad eum.
Deus est summum bonum ; ergo est contrarium summo malo. Est communicativum ; non communicat quod non [349] habet. Universæ viæ Domini misericordia et Veritas ; Psal. 24 . Deus vult omnes homines salvos fieri, et ad agnitionem veritatis venire ; 1. Tim. 2 . Hierusalem, Hierusalem, quæ occidis Prophetas, quoties volui congregare filios tuos, sicut gallina, etc., et noluisti ; Mat. 23 .
Exitus aquarum deduxerunt oculi mei, quia non custodierunt legem tuam. [Ps.] 118 . Thren. 1 : Sordes ejus in pedibus ejus, nec est recordata finis sui. Vocavi et renuistis ; ego quoque in interitu vestro ridebo ; Prov. 1 .
Jamais Agar ne fut si faschëe ; Gen. 21 ; Non videbo morientem puerum ; et sedens contra, levavit vocem suam et flevit. Scissis vestibus, indutus est cilicio, lugens filium suum multo tempore ; [Ibid.,] 37 . Cumque ejulatu magno fleret ; [Ibid.,] 27 . Michas pleure ses dieux ; Jud. 18 : Quid clamas ? quid tibi vis ? Qui respondit : Deos meos quos mihi feci tulistis, et dicitis quid est mihi ? Mulier, quid ploras ? Tulerunt Dominum meum, et nescio ubi posuerunt eum ; Jo. 20 . Lib. 2. Machab. c. 1 .
« Une femme de celles qui demeuroyent pres le fleuve Jourdain. » Titus leve les yeux au ciel, etc. ; l. 5 . Ilz furent eventrés par les Arabes.
Tota die expandi manus meas ad populum non credentem et contradicentem mihi ; Ro. 10 . [350]
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Interea, [Gen.,] c. 35 , c'est a dire apres le sac de Sichem, ascendit in Bethel : Abjicite deos alienos qui in medio vestri sunt. Dederunt ergo ei omnes deos alienos, et inaures quæ erant in auribus eorum ; at ille infodit ea subter therebintum, quæ est post urbem Sichem, id est, humerum. Afferam pauxillum aquæ, et laventur pedes vestri, et requiescite sub arbore ; Gen. 18 . Mambre, rebellis, amarus, commutans ; Hebron, societas. Cant. I : Fasciculus myrrhæ dilectus meus mihi, inter ubera mea commorabitur. 3 Reg. 19 : Subter unam juniperum. Adhæsit anima, mea post te. Anima Jonathæ conglutinata est animæ David, et dilexit eum Jonathas quasi animam suam ; 1 Reg. 18 . Abimelech ; 9 Jud. Jehu ad Jonadab filium Rechab ; 4 Reg. 10 . Quia fortis est ut mors dilectio ; [Cant.,] 8 .
Cependant... il monta en Béthel : Rejetez les dieux étrangers qui sont au milieu de vous. Ils lui donnèrent donc tous les dieux étrangers qu'ils avaient, et les pendants qui étaient à leurs oreilles ; et il les enfouit sous le thérébinthe qui est derrière la ville de Sichem, c'est-à-dire, épaule. J'apporterai un peu d’eau pour laver vos pieds, et vous vous reposerez sous l'arbre. Mambré, rebelle, amer, qui change ; Hébron, société. Mon bien-aimé m'est un faisceau de myrrhe, il demeurera entre mes mamelles. Sous un genièvre. Mon âme s'est attachée à vous. L'âme de Jonathas s'était collée à l'âme de David, et Jonathas l'aima comme son âme. Abimélech. Jéhu à Jonadab, fils de Réchab. Parce que l'amour est fort comme la mort.
Abel pastor fuit ovium ; Genes. 4 . Facta est rixa inter pastor es Abram et Lot ; Genes. 13 . [351] Isaac en Gerara de Palæstine, du roy Abimelec. Foderuntque in torrente et repererunt aquam vivam. Jurgium pastorum Geraræ dicentium : Nostra est aqua ; [Ibid.,] 26 . Jacob in plaga orientali, trouve des pasteurs qui assemblent leurs troupeaux, et unanimement levent la pierre de la bouche du puy, et unanimement les abbreuvent. La, Rachel estoit avec son troupeau : Nam gregem ipsa pascebat. La, Jacob ouvre le puy a Rachel ; [Ibid.,] 29 . Voy la responce de Jacob a Laban ; [Ibid.,] 31 . Genes. 46 , voyes l'excuse que Joseph præpare pour ses gens. Cum dixerit : Quod est opus vestrum ? respondebitis : Viri pastores sumus, et nos et patres nostri. Hæc autem dicetis, quia detestantur Ægiptii omnes pastores ovium.
Species adorationis quæ dicitur de Deo et hominibus, dicitur analogice ; Bellarminus, l. 1. de Sanctorum Beatitudine, c. 12. Sacrificandum Deo soli ; Aug., l. 10. de Civit., c. 4. Eodem modo se incurvat Abraham Deo, [352] Gen. 17 , Angelis, 18 , hominibus, 23 . Genes. 27 , Isaac Jacobo : Serviant tibi populi, et adorent te filii matris tuæ. Ro. 2 : Gloria et honor omni operanti bonum. Distinctio de latria habituali et actuali. Exodi, 20 : Non facietis mecum deos aureos et deos argenteos. Levit. 26 : Non facietis sculptile et idolum ut adoretis. Is. 42 : Ego Dominus ; gloriam meam alteri non dabo, et laudem meam sculptilibus.
Author Sextus Aurelius Victor : Romæ Trajanum mortuum triumphasse, et ejus statuam pro eo repositam. Aristot., l. de Memoria et Reminiscentia, c. 2. Prudentius, Hymnus ante somnum. Paulinus, Natali 8 .
Translatio ossium Joseph, Ex. 13 ; prophetarunt, Eccli. 49 . Act. 7 : Translati sunt cineres duodecim Patrum ; chap. 2. du 6. livre des Confessions. Angelis suis Deus mandavit de te, etc. Psal. 33 : Immittet Angelus Domini in circuitu timentium eum, et eripiet eos. Agar consolëe par l'Ange ; Gen. 16 . Immittet, auxilium et præsidium, per eclipsim ; [353] Castrametabitur, Septuaginta et Hebraice. Iste pauper clamavit ad Dominum .
Mihi autem nimis honorificati sunt amici tui Deus ; nimis confortatus est principatus eorum. In memoria æterna erit justus ; ab auditione mala non timebit. Prover. 10 : Memoria justi erit in benedictione. Ecclesiastici, c. 44 : Laudemus viros gloriosos, et parentes nostros in generatione sua. Jo. 12 : Ubi ego sum, illic sit et minister meus. Si quis mihi ministraverit, honorificabit eum Pater meus. Protegamque urbem hanc, propter me et propter David servum meum ; 4 Reg. 19 . Recordare Abraham, Isaac et Jacob, servorum tuorum ; Ex. 32 . [354]
Assuerus fecit convivium ut ostenderet divitias gloriæ regni sui ; invitavit omnem populum ; Hest. 1 . In charitate perpetua dilexi te ; ideo attraxi te miser ans ; Hier. 31 . Bonus es tu, et in bonitate tua doce me justificationes tuas.
Greg., hom. 38. in Evangelia : « Amice, per fidem, non per operationem. » Jac. 2 : Fides sine operibus mortua est. Habacuch, 2 : Justus ex fide vivit.
Mat. 23 : Hierusalem, Hierusalem, quæ occidis Prophetas. Is. 5 : Quid est quod ultra debui facere vineæ meæ et non feci ? Hier. Quare moriemini, domus Israel ? quia nolo mortem morientis, dicit Dominus : revertimini et vivite ; [Ezech.,] 18 .
Act. 7 : Vos semper Spiritui Sancto restitistis. [355] Rom. 2 : An divitias bonitatis contemnis ? Ignoras quia benignitas Dei ad pœnitentiam te adducit ? Apoc. 3 : Ego sto ad ostium. Mat. 11 : Væ tibi, Corozain. Ezech. 18 : Quare moriemini, domus Israel ? et 33 : Convertimini, convertimini, quare moriemini, domus Israel ? Proverb. 1 : Vocavi et renuistis ; extendi manus meas et non fuit qui aspiceret.
Gen. 7 , extra arcam ; Fulg., 1. De Fide, ad Petr. 1. Cor. 12 : Multi unum corpus sumus in Christo Aug., ep. 50 . Prima ad Cor., 5 : Nescitis quia modicum fermentum totam ? August., in Psal. 88 : « Si haberes patronum, » etc. Eph. 5 .
Nadab et Abiu ; Levit. 10 . Dathan, Core et Abiron ; Nu. 16. Iren., l. 4 . Josue, 2 , extra domum Raab. Ex. 12 : Comedetis in domo una. Cyp., de Simpl. præl. Gen. 21 : Ejice ancillam et filium ejus.
Sixcens mille ; Nu. 11 . Josué seul et Caleb.
Assuérus fit un festin pour montrer les richesses de la gloire de son royaume ; il invita tout le peuple. Je t'ai aimé d'une charité éternelle ; c'est pourquoi, ému de pitié, je t'ai attiré. Vous êtes bon, et dans votre bonté enseignez-moi vos justifications.
Saint Grégoire, hom. XXXVIII sur les Evangiles : « Ami, par la foi, non par les œuvres. » La foi sans les œuvres est morte. Le juste vit de la foi.
Jérusalem, Jérusalem qui tues les Prophètes. Qu'ai-je dû faire de plus pour ma vigne que je n'aie fait ? Pourquoi mourrez-vous, maison d'Israel ? car je ne veux point la mort de celui qui meurt, dit le Seigneur : revenez et vivez.
Vous avez toujours résisté à l'Esprit-Saint. Méprises-tu les richesses de sa [355] bonté ? Ignores-tu que la bénignité de Dieu t'attire à pénitence ? Je me tiens à la porte. Malheur à toi, Corozaïn. Pourquoi mourrez-vous, maison d'Israël ? Convertissez-vous, convertissez-vous ; pourquoi mourrez-vous, maison d'Israël ? J'ai appelé et vous avez refusé ; j'ai tendu mes mains et il n'y a eu personne qui ait regardé.
Hors de l'arche ; saint Fulgence, livre à Pierre, Sur la Foi. Bien que nous soyons plusieurs, nous ne sommes qu'un seul corps dans le Christ. Ne savez-vous pas qu'un peu de ferment [corrompt] toute, etc. Saint Augustin, sur le Ps. LXXXVIII : « Si vous aviez un maître, » etc.
Hors de la maison de Rahab. Vous mangerez dans une seule maison. Saint Cyprien, De l'unité de gouvernement dans l'Eglise. Chasse la servante et son fils.
Lex zelotipiæ ; Nu. 5. Serpens in arbore ; pulchrum, Gen. 3 . Deus in rubo ; Ex. 3 . Regnum cœlorum ; [356] Eph. 2 . Mat. 23 : Omnes vos fratres estis. Ro. 8 : Primogenitus in multis fratribus. 1 Cor. 12 : Membra de membro. Philipp. 1 : Quid eligam ignoro. Ad Gal. 4 : Filioli, quos iterum parturio, donec formetur in vobis Christus. Is. 60 : Qui sunt isti qui ut volant, quasi columbæ ad fenestras suas ? Quoniam propter te mortificamur tota die, æstimati sumus sicut oves occisionis ; [Ps.] 43 . 2 Reg. 23 , de cisterna Bethleem.
La loi de jalousie. Le serpent sur l'arbre ; beau. Dieu dans le buisson. Royaume [356] des cieux. Vous êtes tous frères. Le premier-né entre beaucoup de frères. Membres de membre.Je ne sais que choisir. Mes petits enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous. Qui sont ceux-ci qui volent comme des nuées, comme des colombes vers les ouvertures de leurs colombiers ? Puisque à cause de vous nous sommes mis a mort tout le jour, nous sommes regardés comme des brebis d'immolation. Sur la citerne de Bethléem.
Aug., 1. 22 Contra Faustum, c. 27 : « Dictum, factum vel concupitum contra legem æternam. » De Vera Rel., c. 14 : « Peccatum voluntarium est malum. » Ex. 19 : Estote parati in diem tertium. Ro. 8 : Quis nos separabit ? Justus perit ; Is. 57 .
Jo. 7 : Nolite secundum carnem judicare, sed rectum judicium facite. Eccli. 10 : Quid superbis, terra et cinis ? Job, 9 : Verebar omnia peccata mea.
Prophetæ tui viderunt tibi falsa et stulta, nec [357] aperiebant tibi iniquitatem tuam ut te ad pænitentiam provocarent ; Thren., 2 . Convertimini ad me ; Joel, 2 . Luc 10 : Si in Tiro et Sidone, etc.
Saint Augustin, liv. XXII Contre Fauste, chap. XXVII : « Une parole, une action ou un désir contre la loi éternelle. » De la Vraie Religion, chap. XIV : « Le péché est un mal volontaire. » Soyez prêts au troisième jour. Qui nous séparera ? Le juste meurt.
Ne jugez pas selon la chair, mais jugez selon la droiture. Pourquoi t'enorgueillir, terre et cendre ? Je redoutais tous mes péchés.
Tes prophètes ont eu pour toi des visions fausses et insensées, et ils ne te [357] découvraient pas ton iniquité pour te provoquer à la pénitence. Convertissez-vous à moi. Si dans Tyr et Sidon, etc.
Prima conditio veræ pænitentiæ
Ut sit ex toto corde. Joel, 2 : Convertimini ad me in toto corde vestro. In toto corde meo exquisivi te. Soph. 1 : Jurant in Deo et jurant in Melchon. Elias 3. Reg. 18 : Si Dominus est Deus, etc. Manna non descendit donec farina Ægipti, etc. ; Ex. 16. Aquila aquatica, pedem unum anseris, alium aquilæ. A corvo superatur ; Plinius. Clamavi in toto corde meo ; miserere mei et exaudi me. Labia dolosa, in corde et corde locuti sunt. Hier. 2 : Duo mala fecit populus meus. Tactus dolore cordis intrinsecus. Oculus dividi nequit ; unum cor.
Totæ sunt addictæ Domino. Per vota. Sacrificium Deo spiritus contribulatus, cor contritum et humiliatum Deus non despicies. Erat in templo Salomonis mare æneum quo lavabantur victimæ. [358]
Première condition de la vraie pénitence
Qu'elle soit de tout cœur. Convertissez-vous à moi de tout votre cœur. Je vous ai cherché de tout mon cœur. Ils jurent par Dieu et jurent par Melchom. Elie : Si le Seigneur est Dieu, etc. La manne ne descendit pas jusqu'à ce que la farine d'Egypte, etc. L'aigle aquatique a une patte d'oie et l'autre d'aigle. Il se laisse vaincre par le corbeau (Pline). J'ai crié de tout mon cœur ; ayez pitié de moi et exaucez-moi. Les lèvres trompeuses ont parlé avec un cœur et un cœur. Mon peuple a fait deux maux. Touché de douleur jusqu'au fond du cœur. L'œil ne peut être divisé ; le cœur est un.
Le Seigneur a droit à toute pénitence. Par les vœux. Le sacrifice que Dieu désire est un esprit affligé ; vous ne dédaignerez pas, ô Dieu, un cœur contrit et humilié. Il y avait dans le temple de Salomon une mer d'airain où étaient lavées les victimes. [358]
Ignis autem in altari meo semper ardebit, quem nutriet sacerdos subjiciens ligna per singulos dies ; Levit. 6 . Tit. 3 : Apparuit humanitas et benignitas Salvatoris, etc. Psal. 7 : Exurge, Domine Deus, in præcepto quod mandasti, etc.
4 Reg. 4 : Incubuit Helisæus. Utinam disrumperes cœlos, et descenderes. A facie tua montes diffluerent ; sicut exustio ignis tabescerent, aquæ arderent igni, ut notum fieret nomen tuum in Gentibus ; Is. 64 . Psal. 24 : Dulcis et rectus Dominus ; propter hoc legem dabit delinquentibus in via. Diriget mansuetos in judicio ; docebit mites vias suas. Universæ viæ Domini. Psal. 7 : Exurge Domine in ira tua, et exaltare in finibus inimicorum tuorum ; et exurge Domine Deus meus in præcepto quod mandasti. Jo. 12 : Nunc judicium est mundi.
Sicut febris hectica non desinit donec separet, etc., ab omni humido. Tune anima ascendit. Renunciate dilecto meo quia amore langueo ; Cant. 5 . Si dederit [359] homo omnem substantiam domus suæ pro dilectione quasi nihil despiciet eam. 2 ad Cor. 12 . Omnibus omnia factus.
Gen. 13 : Ne, quæso, sit jurgium inter me et te. Jo. 15 : Hoc est preceptum meum, ut diligatis. Hier. 31 : Charitate perpetua dilexi te, ideo attrax. Concaluit cor meum intra me, et in meditation mea exardescit ignis ; [Ps.] 38 .
Mais le feu brûlera toujours sur mon autel, et le prêtre l'entretiendra, y mettant du bois chaque jour. La bénignité et l'humanité de notre Sauveur est apparue, etc. Levez-vous, Seigneur mon Dieu, selon le précepte que vous avez établi, etc.
Elisée se coucha. Oh si vous ouvriez les deux, si vous descendiez ! Les montagnes s'écouleraient devant votre face ; elles fondraient comme si elles étaient consumées par le feu, les eaux s'embraseraient, afin que votre nom fût connu parmi les Gentils. Le Seigneur est doux et juste ; c'est pour cela qu'il donnera aux pécheurs la loi à suivre dans la voie. Il conduira les hommes dociles dans la justice ; il enseignera ses voies à ceux qui sont doux. Toutes les voies du Seigneur. Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, et dominez au milieu de vos ennemis ; et levez-vous, Seigneur mon Dieu, selon le précepte que vous avez établi. C'est maintenant le jugement du monde.
Comme une fièvre hectique ne cesse jusqu'à ce qu'elle sépare, etc., de toute humeur. Alors l'âme s'élève, Annoncez à mon Bien-Aimé que je languis [359] d'amour. Quand un homme aurait donné toutes les richesses de sa maison four l'amour, il les mépriserait comme un rien. Je me suis fait tout a tous.
De grâce, qu'il n'y ait pas de débat entre moi et toi. Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez. Je t'ai aimé d'une charité éternelle, c'est pourquoi je t'ai attiré. Mon cœur s'est échauffé au dedans de moi, et dans ma méditation un feu s'embrase.
Exod. 17 : In deserto Sin, in Raphidim, percussit petram, et fluxerunt aquæ largissimæ. Elige viros et egressus pugna contra Amalec ; cras ego stabo in vertice collis, habens virgam Dei in manu mea. Exod. 14 : Moises virga percutit marc et dividitur ; iterum, et revertitur. Exod. 4 : Dixit Dominus : Quid est quod tenes in manu tua ? Virga. Projice. Projecit, et versa est in colubrum, ita ut fugeret Moises, etc. Extende manum tuam et apprehende caudam ejus. Versaque est in virgam.
Hebr. 12 : Sanguis Christi melius loquitur quam sanguis Abel. Coloss. 1 : Pacificans per sanguinem crucis ejus, etc. Esther, 5 et 7 : Suspensus est [360] itaque Aman in patibulo quod paraverat Mardochæo, et regis ira quievit. Sap. 14, apres avoir monstré la betise de qui navige porté sur le bois et neantmoins la adore l'idole, parce que navem artifex fabricat, tua, Pater providentia gubernat, puis : Ab initio cum perirent superbi gigantes, spes orbis terrarum ad ratem confugiens, remisit sæculo semen nativitatis Benedictum enim est lignum illud per quod fit justitia.
Hebr 12 : Per patientiam curramus ad propositum nobis certamen, aspicientes in Auctorem fidei, qui proposito sibi gaudio sustinuit crucem, confusione contempta. Arca testamenti circumtecta ex omni parte auro, in qua urna aurea habens manna et virga Aaron quæ fronduerat ; Hebr. 9 . Cap. 17 Num. : Refer virgam Aaron in testimonii tabernaculum, ut servetur ibi in signum rebellium filiorum Israel.
Marc. 16 : Jesum quæritis Nazarenum crucifixum. Pone me ut signaculum super cor tuum, ut signaculum super brachium; quia fortis ut mors dilectio, dura sicut infernus æmulatio, lampades ejus, etc. Es. 49 : Si mater oblita fuerit, etc. Ecce in manibus meis descripsi te. [361]
Dans le désert de Sin, en Raphidim, il frappa la pierre, et les eaux jaillirent en grande abondance. Choisis des hommes, et étant sorti, combats contre Amalec ; demain je me tiendrai sur le sommet de la colline, ayant la verge de Dieu en ma main. Moïse frappe la mer de sa verge et elle est divisée ; il frappe de nouveau, et elle se rejoint. Le Seigneur dit : Que tiens-tu en ta main ? Une verge. Jette-la. Il la jeta, et elle fut changée en serpent, de sorte que Moïse s'enfuyait. Etends ta main et prends-le par la queue. Et il fut changé en verge.
Le sang du Christ parle plus avantageusement que le sang d'Abel. Pacifiant [360] par le sang de sa croix, etc. Aman fut donc pendu à la potence qu'il avait préparée pour Mardochée, et la colère du roi s'apaisa.
L'ouvrier construit le navire, votre providence, ô Père, le gouverne. Dès le commencement, lorsque périrent les géants superbes, l'espoir de l'univers se réfugiant dans un vaisseau, conserva au monde un germe de renaissance. Car ce bois par lequel la justice est faite est béni.
Courons par la patience au combat qui nous est proposé, contemplant l'Auteur de la foi, auquel la joie étant proposée, il a souffert la croix en méprisant la confusion. L'Arche de l'alliance couverte d'or de tous côtés, dans laquelle se trouvait une urne d'or contenant la manne, et la verge d'Aaron qui avait fleuri. Reporte la verge d'Aaron dans le tabernacle du témoignage, afin qu'elle y soit gardée comme un signe de la rébellion des enfants d'Israël.
C’est Jésus de Nazareth le crucifié que vous cherchez. Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras, parce que l'amour est fort comme la mort et le zèle de l'amour inflexible comme l'enfer ; ses lampes, etc. Si la mère oubliait, etc. Voici que je t'ai écrit dans mes mains. [361]
Ad Ro., 12 , 1. ad Cor., 12 , saint Pol dict que nous sommes tous membres d'un mesme cors ; dont il tire une conclusion conforme a ce quil escrit aux Galath., 6 : Alter alterius onera portate, etc. Lex Christi est, Jo. 13 : Mandatum novum do vobis ; ut diligatis invicem. Jo. 17 , rogat Patrem ut omnes credentes unum sint. Dan. 3 : Tunc ii tres quasi uno ore laudabant Deum. Et c'est ce que Nostre Seigneur enseigne : Pater noster.
[1re] rayson. Quia singuli, etc. Psal. 118 : Particeps ego sum. Gen. 18 : 50, 45, 40, 30, 20, 10. Jac. ult. : Orate pro invicem ut salvemini ; multum enim valet deprecatio justi assidua. En ce grand naufrage qui se fit sur la coste de Mitilene, Act. 27, l'Ange apparut a saint Pol et luy dict : Ecce donavit tibi Deus omnes qui navigant tecum ; 276 ames. [362] Gen. 39 : Benedixit Dominus domui Ægiptii propter Joseph, Putiphar. Saul manda des sergens par trois fois en Najoth de Ramatha, puys y vint, et tous prophetisent ; et voyla pourquoy.
2nt : affin que tous, tant que nous sommes, reconnoissions nous sommes freres, comme dict saint Augustin, et que partant, sit nobis cor unum et anima una ; Act., 4 . Le bon Judas, Gen. 37 : Quid nobis prodest si occiderimus fratrem nostrum ? Manus nostræ non polluantur ; frater enim et sanguis noster est.
Maintenant, qui es in cœlis. Dieu est par tout : Cœlum et terram ego impleo ; et David : Si ascendero in cœlum, etc. ; et saint Pol, Act. 17 : Non longe, etc. Neanmoins, Is. 66 : Cœlum mihi sedes est, terra autem scabellum, etc. Math. 5 : Nolite jurare per cœlum, quia thronus Dei est. Psal. 122 : Ad te levavi oculos meos, qui habitas in cœlis. [1.] Par ce que la il faict sa gloire ; 2. par ce que la seul on le voit ; 3. par ce que le ciel est le plus admirable de ses ouvrages : Cœli enarrant ; [Ps.] 18 .
D'ou nous apprenons que Sursum corda, et quil faut prier de grand'ardeur. De profundis clamavi ad te, etc. En fin, disant Pater noster, admonemur adoptionis divinse ; qui es in cœlis, peregrinationis terrenæ. Or … [363]
Eccli. 5 : Esto mansuetus ad audiendum. Job. 31 . Quis mihi tribuat auditorem ? Psal. 17 : Populus quem non cognovi servivit mihi ; in auditu auris obedivit mihi. Ps. 84 : Audiam quid loquatur in me Dominus. Is. 28 : Audite Mot Domini, viri illusores ; delebitur fœdus vestrum cum morte. Ez. 3 : Domus Israel nolunt audire te, quia nolunt audire me. N'estant envoyé aux estrangers, ad quos si mittereris, audirent te. Amos, 8 : Emittam famem in terram ; non famem panis, sed audiendi Mot Domini. 1 Cor. 1 : Nos autem prædicamus Christum crucifixum. Deut. 5 , populus ait : Quid est omnis caro, ut audiat vocem Dei viventis ? 1. Reg. 3 , instruction d'Heli. Dices : Loquere, Domine, quia [364] audit servus tuus. Luc. 24 : Nonne ardens ? etc. 2 ad Cor 13 : An experimentum queritis ejus qui in me ? Ez 3 : Quodcumque inveneris, comede. Et aperui os meum, et cibavit me volumine illo, et factum est sicut mel in ore meo. Apoc. 10 : Accipe librum, et devora illum ; faciet amaricari ventrem tuum, sed in ore tuo erit dulce tanquam mel.
Muri Hierico concidunt clangentibus tubis ; Josue, 6 : exercitus Josue intrat ; interficiuntur omnia, salva Raab meretrice. Hiericho, anima peccatoris ; muri, peccatum : Peccata diviserunt inter Deum et vos. Omnia interficiuntur, malæ habitudines ; salva Raab, fide, quæ excepit exploratores, id est, verba. Meretrix, quia non fecit liberos fidei, id est, bona opera, sed adulterinos, id est, mala. Hier. 5 , postquam Deus de peccatis Hierusalem conquestus est : Ascendite muros ejus, et dissipate. Psal. 54 : Die ac nocte circumdabit super muros ejus iniquitas, et labor in medio ejus et injustitia. Is. 59 : Peccata vestra diviserunt inter vos et Deum. Circumdabit, quia sicut muri conservant urbem ab extraneis, sic peccatum conservat a Deo, in pressibus ut pulset ad ostium, et conservat diabolo cujus est peccator. [365]
Sacerdotibus clangentibus, ait Josue ad populum : Non clamabitis, nec audietur vox, nec ullus sermo ex ore vestro egredietur. Nehemiæ, 8 ; Silentium fecerunt Levitæ in populo ad audiendam legem. Psal. 37 : Ego autem tanquam non audiebam, etc. Prover. 13 : Qui illusor est, non audit cum arguitur. Prov. 28 : Qui declinat aures suas ne audiat legem, oratio ejus erit execrabilis. Hier. 11 : Maledictus vir qui non audiverit verba pacti hujus. [366]
Sois doux pour écouler. Qui me donnera un auditeur ? Un peuple que je ne connais pas m'a servi ; en écoutant de ses oreilles il m'a obéi. J'écouterai ce que le Seigneur me dira intérieurement. Ecoutez la parole du Seigneur, hommes railleurs ; votre alliance avec la mort sera détruite. Ceux de la maison d'Israel ne veulent pas t'écouter, parce qu'ils ne veulent pas m'écouter... Auxquels si tu étais envoyé ils t'écouteraient. J'enverrai la faim sur la terre ; non la faim du pain, mais celle de la parole du Seigneur. Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié. Le peuple dit : Qu'est toute chair pour qu'elle entende la voix du Dieu vivant ?... Tu diras : Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur [364] écoute. N'était-il pas tout brûlant ? etc. Est-ce que vous voulez éprouver celui qui [parle] en moi ? Quoi que tu trouves, mange-le. Et j'ouvris ma bouche, et il me fit manger ce livre, et il fut comme le miel dans ma bouche. Prends le livre et dévore-le ; il te causera de l'amertume dans les entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel.
Les murs de Jéricho tombent au son des trompettes ; l'armée de Josué entre, tout est tué, Rahab la courtisane est sauvée. Jéricho, c'est l'âme du pécheur ; les murs, sont le péché : Les péchés ont établi une séparation entre Dieu et vous. Tout est tué, les mauvaises habitudes ; Rahab, la foi, est sauvée, qui reçut les explorateurs, c'est-à-dire les paroles. Courtisane, parce qu'elle n'enfante pas des fils de la foi, c'est-à-dire des bonnes œuvres, mais des fils illégitimes, c'est-à-dire des œuvres mauvaises. Après que Dieu s'est plaint amèrement des péchés de Jérusalem : Montez sur ses murs et renversez-les. Jour et nuit l'iniquité l'environnera sur ses murs, et le travail est au milieu d'elle ainsi que l'injustice. Vos péchés ont établi une séparation entre vous et Dieu. L'environnera, parce que comme les murs garantissent la ville des étrangers, ainsi le péché sépare de Dieu qui est pressé de frapper à la porte, et maintient sous la puissance du diable, à qui le pécheur appartient. [365]
Pendant que les prêtres sonnent de la trompette, Josué dit au peuple : Vous ne crierez point, et votre voix ne sera point entendue, et aucune parole ne sortira de votre bouche. Les Lévites imposèrent silence au peuple afin qu'il entendît la loi. Mais moi, comme si je n'entendais pas, etc. Le moqueur n'écoute pas quand on le reprend. La prière de celui qui détourne ses oreilles pour ne pas écouter la loi, sera exécrable. Maudit l'homme qui n'écoutera pas les paroles de cette alliance. [366]
Ductus est Jesus in desertum a Spiritu,
Voicy bien la description du duel le plus grand et le plus memorable qui fut jamais veu : les parties sont tres puissantes de costé et d'autre, hardies et courageuses a toute extremité, les armes dangereuses, l'inimitié irreconciliable ; la fin ne peut estre que la victoire, car il n'y a point de composition qui puisse terminer ce combat. Les parties sont Dieu et le diable, les armes sont la parolle de Dieu, l'inimitié est fondee sur une rebellion. Description que l'Eglise nous fait aujourd'huy pour nous donner courage a semblable execution, car nous devons suivre ce nostre Cappitaine qui se bat aujourd'huy, et nostre vie n'est qu'un perpetuel combat sur la terre. Mays sur tout en ce tems de Caresme ou nous aspirons a la penitence, il nous faut attendre de recevoir des attaques plus rudes et plus frequentes qu'en aucune autre sayson. Voicy le tems de nostre recolte spirituelle ; c'est ce qui fera mettre les forces ennemies [367] en campaigne pour nous l'empescher. Il faut se battre a bon escient : l'exemple de Nostre Seigneur est devant nos yeux, l'ennemy n'est pas invincible ; si nous taschons de suivre nostre Maistre, sans doute que la victoire nous en demeurera. C'est le sujet de l'Evangile que je traitteray maintenant ; mays que l'Esprit Saint qui assista a Nostre Seigneur pour ce combat, m'assiste pour vous bien instruire, et vous pour me bien escouter, ce que nous luy devons demander par les intercessions de Nostre Dame. Ave Maria.
Il y a en ce monde trois sortes de biens pour l'homme : l'utile, le delectable, l'honneste, et sommes attirés a toutes entreprises et a toutes actions par l'un de ces trois moyens : ou par l'utilité, ou par le playsir, ou par l'honnesteté. Mais il n'y a que l'honnesteté qui soit justement proportionnee a nostre volonté ; car, que la volonté s'estende tant qu'elle voudra sur le desir de l'honnesteté, jamais elle ne sera que bonne et louable ; que si elle s'addonne a l'utilité et au playsir hors certaine mesure et limites, elle en demeure mauvaise. Le desir de l'utilité, s'il est trop grand, se tourne en avarice ; mays le desir du playsir se peut trouver en l'esprit et au cors, et le corporel s'appelle luxure, le spirituel s'appelle gloire et superbe, qui sont les trois grans maux de ce monde ; car, comme dict saint Jan, en sa 1. can., 2 , omne quod est in mundo, aut est concupiscentia carnis, aut concupiscentia oculorum, aut superbia vitæ. C'est a dire, nous nous devons garder de trois choses : luxure, avarice, superbe ; car nous pouvons trop exceder en desirant trop de moyens exterieurs, de commodités au cors, et trop d'honneur a l'esprit. Et, suivant ces trois sortes de vices, Satan livre aujourd'huy trois puyssans assautz a ce grand Cappitaine ; car quant aux playsirs du cors, il luy dict : Si Filius Dei es ; [368] quant a la superbe : Mitte te deorsum ; quant a quant a l'avarice : Hæe omnia tibi dabo . Mais bien assailli, bien defendu.
Voyons un peu le tems et les occasions, par le discours de l'Evangile. Tunc ductus est Jesus in desertum a Spiritu, ut tentaretur a diabolo.
Post baptismum, ut ostendat Christianos ad pugnam vocatos.
Antequam prædicaret, ut ostendat vitam prædicatoris obnoxiam tentationibus.
Secessit in montem, ut ostendat tentationes ubique sequi hominem.
Exprimitur ductus Sancti Spiritus, ut intentius cogitemus de hac tentatione.
Ut spiritus nequam, victor in serpente, vinceretur a Spiritu Sancto in Domino, etc.
Ut qui vicit in horto, vinceretur in eremo.
Ut oculis, auribus, omnibusque corporis sensibus jejunaret. [369]
Ut cum corporis castigatione adjungeret privationem rerum mortalium, et inanis gloriæ fugam in exemplum nostrum.
Ut neminem immunem sciamus a pugna.
Ut fiduciam haberemus vincendi.
Ut modum doceret vincendi, et cujus munimur auxilio erudiamur exemplo.
Après le baptême, pour montrer que tout Chrétien est appelé à la lutte.
Avant la prédication, pour montrer que la vie du prédicateur est sujette aux tentations.
Jésus se retire sur la montagne pour montrer que les tentations suivent l'homme partout.
Jésus fut conduit par l'Esprit
Ces mots : conduit par l'Esptrit-Saint, sont ajoutés pour attirer davantage notre attention sur cette tentation.
L'esprit malin, vainqueur sous la forme du serpent, devait être vaincu par l'Esprit-Saint dans le Seigneur, etc.
Celui qui avait vaincu dans le jardin, devait être vaincu au désert.
Afin que les yeux, les oreilles, tous les sens du corps jeûnassent. [369]
A la mortification corporelle, il allait, pour notre exemple, joindre l'éloignement des choses périssables et la fuite de la vaine gloire.
Pour nous apprendre que nul n'est exempt de combat.
Pour nous inspirer la confiance de vaincre.
Pour nous enseigner la manière de vaincre, et afin que Celui qui nous porte secours, nous instruisît par son exemple.
Jejunavit quadraginta diebus et quadraginta noctibus. Cur hoc, quæso ? Primo, ut jejunium suo exemplo consecraret. Secundo, ut jejunium armaturam spiritualem ostenderet. Tertio, ut jejunium ad res spirituales percipiendas aptum esse medium ostenderet. Quarto, ut curaret temperantia quod Adam vastarat gula.
Primo, ergo, nos sequamur exemplum. 1. Cor., 4 : Imitatores mei estote sicut et ego Christi. Secundo arma jejunii sumamus ; civitas diaboli fame vincenda. Hoc genus dæmoniorum non ejicitur nisi in oratione et jejunio. Tertio, utamur ad orandum. Dan., 10 vers. 12 : Ex die quo posuisti cor tuum ut te affligeres in conspectu Dei, exaudita sunt verba tua. Et ante dixerat : Ego lugebam trium hebdomadarum diebus, panem desiderabilem non comedi, caro et vinum non introierunt in os meum. Quarto, ob [370] remedium peccatorum. Jonæ, 3 : Jejunaverunt Domino, et vidit Deus opera eorum.
Il jeûna quarante jours et quarante nuits. Pourquoi cela, je vous prie ? 1. Pour donner au jeûne la consécration de son exemple. 2. Pour montrer dans le jeûne une armure spirituelle. 3. Pour indiquer que le jeûne dispose admirablement à percevoir les choses spirituelles. 4. Pour réparer par la tempérance ce qu'Adam avait ruiné par la gourmandise.
Premièrement, donc, suivons son exemple. Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ. 1. Revêtons l'armure du jeûne ; la citadelle du diable se prend par la faim. Ce genre de démons ne s'expulse qui par la prière et le jeûne. 3. Servons-nous-en pour prier. Dès le jour où tu as appliqué ton cœur afin de l'affliger devant Dieu, tes paroles ont été entendues. Et il avait dit auparavant : Je pleurai tous les jours pendant trois semaines ; le pain si appétissant, je n'en [370] mangeai point ; la viande et le vin n'entrèrent pas dans ma bouche. Comme remède au péché. Ils jeûnèrent dans le Seigneur, et Dieu vit leurs œuvres.
Partim ostendit potestatem divinam, dum non ante ; partim humanam naturam, dum postea esuriit.
Ille qui tentando vicit primum Adam, ut vinceret secundum.
Tentator malorum, ut ex bono opere malum faciat.
Accusator fratrum, ut Patrem etiam accusaret.
Si Filius Dei es, ut sciat an sit ; si non est, ut superbiam ingerat.
Deus dicendo facit. Id facere poterat qui virgam Moysis in serpentem verterat ; Exod., 4 . En gula. « Deest illi amœnitas arborum, deest illi consiliatrix Eva, deest illi pomorum speciosa deceptio, et quia non invenit cibum quem offerret esurienti, postulat in cibum saxa mutari ; » Amb., serm. 35 , De jejunio Domini. [371]
D'un côté, il montre la puissance divine : auparavant il n'avait pas eu faim ; d'un autre, la nature humaine : ensuite il eut faim.
Et voici que le tentateur lui dit :
Celui dont la tentation avait vaincu le premier Adam voulait aussi vaincre le second.
Celui qui porte au mal veut d'une bonne œuvre en faire une mauvaise.
L'accusateur des frères voulait aussi accuser le Père.
Si vous êtes le Fils de Dieu, pour savoir s'il l'est ; s'il ne l'est pas, pour lui inspirer de l'orgueil.
Dieu en disant, opère. Il pouvait produire ce miracle Celui qui avait converti en serpent la verge de Moïse. Voilà bien la gourmandise. [« Le démon n'a pas à offrir] d'ombrages agréables, pas d'Eve séductrice, pas de fruits à l'attrayant aspect, et parce qu'il ne trouve pas d'aliments à présenter à un affamé, il demande donc de changer les pierres en aliments ; » saint Ambroise, serm. XXXV, Du jeûne du Seigneur. [371]
Qui respondens dixit : Scriptum est : Non in solo pane. Deuteronome 8 , au propos de la manne. L'Escriture utile contre les tentations. Providence de Dieu.
Tunc assumpsit eum in sanctam civitatem et statuit eum super pinnaculum templi, et dixit ei ; Mitte te deorsum ; scriptum est, etc. Quomodo Christus dæmoni portandum committit ? Quid ergo mirum, si tam variis mirisque modis vexamur a diabolo ? [372]
FERIA SEXTA. POST DOMINICAM QUARTAM QUADRAGESIMÆ
Domine, ecce quem amas infirmatur.
L'orayson est briefve, mays tres-belle et bien dressee. Le sujet fut la maladie du Lazare : Erat autem quidam languens Lazarus. Celles qui la font, deux saintes dames : Miserunt ergo sorores ejus ad eum dicentes.
Le motif ou rayson qu'elles employent c'est l'amour : Ecce quem amas. L'effect fut premierement la plus grande gloire de Dieu : Infirmitas hæc non est ad mortem, sed pro gloria Dei.
Or, ceste gloire de Dieu vint de la resurrection du Lazare, d'autant plus admirable, 1. qu'elle fut faitte en præsence de plusieurs : Multi ergo qui venerant ex Judæis ; 2. qu'elle fut retardee : Tunc quidem [373] mansit in eodem loco duobus diebus ; 3. qu'elle fut faitte plus solemnellement : Jesus autem elevans sursum oculos, dixit.
Derechef, l'effect deuxiesme de ceste priere est que ces femmes receurent une plus grande faveur qu'elles ne demandoyent ; elles ne demandoyent que la guerison du Lazare leur frere, et Nostre Seigneur le resuscita.
La cause donq pour laquelle ces deux seurs envoyent a Nostre Seigneur, c'est la maladie et langueur du Lazare : Erat quidam languens Lazarus a Bethania de castello Mariæ et Marthæ. Miserunt ergo ; Donq elles manderent. Leur frere estoit malade, et partant elles envoyerent ; elles estoyent affligees, et partant elles ont recours au Seigneur.
O sainte affliction, o benite tribulation qui nous faict recourir a ce celeste Consolateur ! Certes, entre tous les prouffitz de la tribulation qui ne sont pas petitz, je trouve celuy cy l'un des plus excellens, qu'elle nous faict revenir a Nostre Seigneur. Quand nous sommes en prosperité, bien souvent nous l'oublions ; mays en adversité nous recourons a luy comme a nostre singulier refuge. Comme la liqueur de la vigne, si on la laisse dans la grappe long tems se pourrit et se gaste, ainsy l'ame de l'homme, si on la laisse en ses playsirs et voluptés, en ses desirs et souhaitz, elle se corrompt ; mais si on la presse, il en sort la douce liqueur de pœnitence et d'amour.
Ainsy le Prophete royal atteste que quand Nostre Seigneur affligeoit les Hebrieux, ilz retournoyent a luy : Cum occideret eos, quærebant eum, et diluculo veniebant ad eum ; Ps. 77. Sedit populus manducare et bibere, et surrexerunt ludere (Ex. 32) ; et timuerunt valde, clamaveruntque ad Dominum, estans persecutés ; Exodi, 14. Et de luy mesme, [374] Ps : Quoniam gravata est super me manus tua ; conversus sum in ærumna mea, dum configitur spina. Psal. 114 : Tribulationem et dolorem inveni, et nomen Domini invocavi. Psal. 82 : Imple facies eorum ignorninia, et quærent nomen tuum, Domine, est il dict de impiis Ecclesiæ hostibus. Ainsy Valent empereur ayant persecuté saint Basile, recourt a luy lhors qu'il son malade ; et Modestus prefect estant malade, recourt aussi au mesme Saint lequel il avoit menacé de mort. (Nazianzenus, in Monodia de Sancto Basilio.)
Jonas liber fugiebat a facie Domini ; in ventre cœti, recourt a luy ; Jon., 1 et 2. Exemple de la chair qui ne pourrit dans l'eau salee, mays dans la douce. Oue dira-on de David, ce dit saint Augustin ? en ses persecutions, il faisoit ses Psalmes ; en paix, il peche. Ainsy l'arche de Noë, Gen., 7 : Multiplicatæ sunt aquæ, et elevaverunt arcam in sublime. Ezechias malade se convertit a Dieu.
Domine, ecce quem amas infirmatur. Saint exemple de recourir a Dieu ; mays il faut, comme ces devotes dames, recourir en confiance. Nostre Seigneur est loin ; elles envoyent seulement dire : Ecce quem amas infirmatur ; Celuy que vous aymes est malade.
Renuit consolari anima mea ; Ps. 76 . Non enim in arcu meo sperabo, et gladius meus non salvabit me ; sed in nomine tuo spernemus insurgentes in nobis. Hi in curribus et hi in equis, nos autem in nomine Domini Dei nostri invocabimus ; Ps. 19 . [375]
Quoniam in me speravit, liberabo cum ; [Ps.] 90 . David persecuté de Saül (1. Reg., 19) dit : In Domino confido. Bonum est confidere in Domino, quam confidere in homme ; Ps. 117 . Miserere mei, secundum magnam misericordiam tuam ; Psalm. 50 . Quam bonus Israel Deus, his qui recto sunt corde ; Psalm. 72 . Confitemini Domino quoniam bonus ; Psalm. 117 . C'est pourquoy il nous enseigne de dire : Pater noster. Et le prodigue : Pater, peccavi, etc. Et ces dames : Ecce quem amas infirmatur. Qui Filium dedit, quomodo non omnia dabit ?
Reconnaissance de nostre misere
Quem amas infirmatur. Psalm. 8 : Quid est homo, quod memor es ejus ? etc. In humilitate nostra memor fuit nostri ; Psalm. 135 .
Nostre Seigneur nous l'enseigne, se prosternant sur sa face au jardin des Olives. Jacob, Gen., 32 : Domine, minor sum omnibus miserationibus tuis. [376]
Act. 17 : Deo ignoto. In eum sperabunt omnes gentes, et erit sepulchrum ejus gloriosum ; Is. 11 : intelligitur de Christo, Ro. 15 . Ave Maria, etc. Est oratio per modum insinuantis : Domine, ecce quem amas infirmatur. Aug. : « Amanti tantummodo nunciandum fuit ; » « non enim amas et deseris. »
Nimis honorati sunt amici tui, Deus ; Psal. 138 . Luc. 14 : Omnis qui se humiliat exaltabitur. 4 Reg. 5 : Nonne cor meum in præsenti erat quando reversus est homo de curru suo in occursum tui ? Heb. 1 : Tanto melior Angelis effectus, quanto differentius nomen præ illis hæreditavit. Cui enim unquam dixit Angelorum ? etc. Et rursum : Ego ero illi in [377] Patrem, et ipse erit mihi in Filium ? Hæc dies quam fecit Dominus ; [Ps.] 117 .
Qui replet in bonis desiderium tuum ; Hier, Aben Esra : ornamentum tuum (hod), animam tuam. Renovabitur. Rabbi Saadias : « Demergit se in mare ; » Hier., ad Præsidium : « Colligit in se calorem ; » Saadias : « Petit ignem elementarem. » Lactantius, Carmen de Phænice. Tacitus, l. 6 Annal. Plin., [Hist. nat., l.] 10, c. 2. Amb., De fide Resur. : « Tecam sibi de thure et mirrato et cæteris odoramentis. » Tertul 1. De Resur. carnis : « Natali fine decedens, ac sibi ipsi succedens ; » ou il cite le passage du Psal. 91 . Justus ut palma florebit ; sicut cedrus Libani multiplicabitur. Phœnix ; en grec, et palmam et phœnicem ; tamar, phœnicem tantum.
Psal. 15 : Non derelinques animam meam in inferno, nec dabis Sanctum tuum videre corruptionem. Providebam Dominum in conspectu meo semper, quoniam a dextris est mihi, ne commovear. Propter hoc lætatum est cor meum, insuper et caro mea.
Aug., 1. 8 Confess., c. 3 : « Triumphat victor ; » et non triumphasset nisi vicisset, « non vicisset nisi pugnasset. » « Jactat tempestas navigantes, » etc. « Exultant [378] nimis quia timuerunt » mori. « Æger est charus, » etc. Amb., De excel. Virginit., c. 9 ; Rupert., De Divinis officiis. Paul., 2. Cor. 1 : Sicut socii passionum estis, eritis consolationis. Si on met un vivant au sepulchre, etc.
Joseph filius tuus vivit, et ipse dominatur in terra Ægipti. Quo audito Jacob, quasi de gravi somno evigilans, tamen non credebat eis ; illi contra referebant omnem ordinem rei. Cumque vidisset plaustra, et universa quæ remiserat, revixit spiritus ejus, et ait : Sufficit mihi, si vivit filius meus. [Gen.,] 45 .
Samson emporte les portes de Gaza sur la montaigne d'Ebron ; 16, Juges. Omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur. Epulemur, non in fermento veteri. Amb., De Pœnit., l. 2. Gal. 2 : Vivo ego, jam non ego. 2 Timot. 2 : Non coronatur nisi qui. Intellige quæ dico : Non coronabitur nisi qui legitime certaverit.
Barthol. Diazii, Bonæ Spei promontorii cum Joanne nominatio. [379]
Au Dieu inconnu. Toutes les nations espéreront en lui, et son sépulcre sera glorieux : ce qui est entendu du Christ dans l'Epître aux Romains, chap. XV. Je vous salue, Marie, etc. Il y a une prière par manière d'insinuation : Seigneur, voilà que celui que vous aimez est malade. Saint Augustin : « Il fallait seulement l'annoncer à celui qui aimait ; » « car si on aime on ne délaisse pas. »
O Dieu, vos amis sont devenus extrêmement honorables. (Quiconque s'humilie sera exalté. Mon esprit n'était-il pas présent lorsque l'homme est revenu de son char à ta rencontre ? Ayant été fait d'autant supérieur aux Anges, que le nom qu'il a reçu en partage est bien différent du leur. Car auquel des [377] Anges a-t-il jamais dit ? etc. Et encore : Je serai son Père, et il sera mon Fils ? Voici le jour que le Seigneur a fait.
C'est lui qui remplit de biens ton désir. Saint Jérôme, Aben Esra : ton ornement (hod), ton âme. Sera renouvelée. Le rabbin Saadias : « [L'aigle] se plonge dans la mer. » Saint Jérôme : « Il concentre en lui la chaleur. » Saadias : « Il cherche le feu élémentaire »... Saint Ambroise, De la foi en la Résurrection : « Il se construit un coffret avec de l'encens, du bois enduit de myrrhe et d'autres aromates. » Tertullien, au livre De la Résurrection de la chair : « Renaissant de sa mort, il se survit à lui-même »... Le juste fleurira comme le palmier ; il sera multiplié comme le cèdre du Liban. Phénix ; en grec, palmier et phénix ; tamar, phénix seulement.
Vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer, vous ne permettrez point que votre Saint voie la corruption. Je voyais toujours le Seigneur en ma présence, parce qu'il est à ma droite afin que je ne sois pas ébranlé. C'est pourquoi mon cœur s'est réjoui et ma chair même.
Saint Augustin, liv. VIII des Confessions, chap. III : « Le vainqueur triomphe ; » et il n'eût pas triomphé s'il n'eût vaincu, « il n'eût pas vaincu s'il n’eut [378] combattu. » « La tempête ballotte les navigateurs, » etc. « Ils se réjouissent grandement parce qu'ils craignaient » de mourir. « Le malade est cher, » etc. Saint Paul : Comme vous êtes associés aux souffrances, vous le serez aussi à la consolation.
Joseph ton fils vit encore, et c'est lui qui commande dans toute la terre d'Egypte. Ce que Jacob ayant entendu, il s'éveilla comme d'un profond sommeil, cependant il ne les croyait pas ; eux, au contraire, lui rapportaient toute la suite de la chose. Et quand il vit les chariots et tout ce que Joseph avait envoyé, son esprit se ranima, et il dit : Il me suffit si mon fils vit encore.
A la vérité, nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. Mangeons, non avec le vieux levain... Je vis, non plus moi. Nul n'est couronné sinon celui qui, etc. Entends ce que je dis ; Nul ne sera couronné sinon celui qui aura légitimement combattu.
Barthélemi Diaz, de concert avec [le roi] Jean, nomme le cap de Bonne Espérance. [379]
Cucurrit ergo ad Simonem Petrum et ad alium discipulum quem amabat Jesus, et dixit illis : Tulerunt Dominum de monumento, et nescimus ubi posuerunt eum. Maria autem stabat ad monumentum foris, plorans. Dum ergo fleret, inclinavit se et prospexit ; et vidit duos Angelos in albis, sedentes. Dicunt ei illi : Mulier, quid ploras ? Dicit eis : Quia tulerunt Dominum meum, et nescio ubi posuerunt eum ; Jo. 20 .
De tribu Dan 600, in montem Ephraim. Quid tibi vis ? quid clamas ? Qui respondit : Deos meos, quos mihi feci, tulistis, et dicitis : Quid tibi est ? Gen. 37 : Scissisque vestibus, indutus est cilicio, lugens filium suum multo tempore. Congregatisque multis [380] liberis, noluit consolationem accipere, sed ait : Descendam ad filium meum lugens in infernum. Puer non comparet, et ego quo ibo ? 2 des Rois, dix huict : Fili mi Absalom, Absalom fili mi, quis mihi tribuat ut ego moriar pro te, Absalom fili mi, fili mi Absalom ?
A Gabelus en Rages. Raguel. Sets quod numerat pater meus dies ; Tob. IX. Heu me, heu me, fili mi, ut quid te misi peregrinari ? [Ibid.,] 10 . Quæretis me, et invenietis cum quæsieritis in toto corde vestro ; Jer. 29 . [381]
Elle courut donc à Simon Pierre et à l'autre disciple que Jésus aimait, et leur dit : Ils ont enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où ils l'ont mis. Mais Marie se tenait debout hors du sépulcre, pleurant. Or, comme elle pleurait, elle se pencha et regarda ; et elle vit deux Anges vêtus de blanc, assis. Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis.
Six cents hommes de la tribu de Dan [passèrent] à la montagne d'Ephraim. Que veux-tu ? pourquoi cries-tu ? Il répondit : Vous m'avez enlevé mes dieux que je me suis faits, et vous dites : que ? importe ?... Et ayant déchiré ses vêtements, il se couvrit d'un cilice, pleurant son fils pendant longtemps. Alors ses nombreux enfants s'étant assemblés, il ne voulut point recevoir de consolation, [380] mais il dit : Je descendrai en pleurant vers mon fils dans l'enfer... L'enfant ne parait pas, et moi, oh irai-je ?... Mon fils Absalom, Absalom mon fils, qui me donnera que je meure moi-même pour toi ? Absalom mon fils, mon fils Absalom.
Tu sais que mon père compte les jours. Hélas, hélas, mon fils, pourquoi t'avons-nous envoyé en pays étranger ? Vous me chercherez et vous me trouverez lorsque vous m'aurez cherché de tout votre cœur. [381]
[Unde illos quis poterit hic saturare
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En tous deux il y a de la murmuration, et presque semblable. Et male locuti sunt de Deo ; dixerunt : Nunquid poterit parare mensam in deserto ? Ainsy : Quomodo potest hic nobis carnem suam ?
Mais, o comme ces deux induisent, etc. ; car qu'est ce quil y a de plus difficile ? Que la substance soit sans ses accidens ? Pourquoy plus tost ? etc. Que les accidens sans substance ? Et en la manne, gustus erat quasi similæ cum melle ; bien plus : tout goust ; Sap. 16 . Icy la substance sans ses accidens ; car n'est ce pas le propre des cors de diminuer, et qu'en levant il en reste moins ? Et icy au contraire. Ainsy : Nec qui plus collegerat habuit amplius . Qu'un cors soit sans dimensions ? Nec qui plus, etc. Quoy en plusieurs lieux ? Voyes exactement ce texte. [382]
Monte sur la nasselle, vint en Dalmanutha. Les Pharisiens luy demandent signe ; il les tance, repasse a l'autre bord. Les Disciples oublient le pain. Levain des Phariseens et d'Herodes ; pensent que ce soit pour avoir oublié le pain. Non recordamini, etc., in quinque in quatuor .
Luc 9 . Mat. 14 : Respexit in cœlum ; il benit. Nos adversaires, ne l'un ne l'autre. Saint Pol : Calix benedictionis cui benedicimus. Vertu de ceste benediction. Amb., De iis qui initiantur, c. 9 : « Major est vis benedictionis quam naturæ ; nam benedictione etiam natura mutatur. » Et benedicens fregit ; Mar. 14 . Benedictio : Crescite et multiplicamini, etc. Chrisost., hom. de proditore Juda . [383]
IN DIE SANCTI JACOBI, AD CAPUCINCS ; l601
MARC. 3 : Et fecit ut essent duodecim
cum illo, et mitteret eos prædicare.
Et dedit illis potestatem curandi infirmitates
et ejiciendi dæmonia. Et imposuit Simoni
nomen Petrus ; et Jacobum Zebedei, et
Joannem fratrem Jacobi, et imposuit eis
nomina Boanerges, quod est, filii tonitrui.
Trois sont les principaux Patriarches en la loy de nature : Abraham, Isaac et Jacob ; et trois en la loy escritte : Moyse, Aaron, Josué ; et en voicy trois en l'evangelique : Pierre, Jan et Jaques. Mays combien il y ait de convenance entre ces trois triades, il faudrait un long discours pour le deduire. Il me revient seulement de vous dire que saint Jaques, duquel nous faysons aujourdhuy la feste, a mille similitudes avec Jacob et [384] Josué, desquelles je diray quelques unes, si elles se rencontrent sur les chemins de mon discours. Mays au moins y a il celle cy, que Jacob porta deux noms, car il fut encor appellé Israel ; Josué en eut deux, car il fut nommé Osee. Ainsy nostre saint Jaques non seulement fut apellé Jacobus, mays eucor Boanerges, nom lequel ayant esté imposé par Nostre Seigneur, ne peut estre sans mistere. Parcet pauperi et inopi, etc., et honorabile nomen eorum coram ipso ; [Ps.] 71 . C'est pourquoy, sur ce nom, etc.
Is. 60 : Qui sunt isti qui ut nubes volant ? Psal. 67 : Virtus ejus in nubibus. Exod. 16 : Gloria Domini apparuit in nube. Psal. 103 : Ponis nubem ascensum tuum. Contrario sensu, Judas falsos doctores appellat nubes sine aqua. Psal. 77 : Deduxit eos in nube diei.
1a similitudo. Ex generatione ; nam nubes est vapor vi solis attractus. Apostoli sunt homines. Jacobi, 4 : Quæ est vita vestra ? vapor ad modicum apparens. Igitur Apostoli sunt vapores ut cæteri hominum ; ita isti Apostoli petitionem hominum faciunt in Evangelio ; sed vi solis attracti sunt ut fiant nubes : Venite post me, faciam vos fieri piscatores ; at illi continuo, relictis retibus et patre, secuti sunt eum.
2a similitudo. Major pars vapori ex mari ; ita Petrus [385] et Andreas, Joannes et Jacobus, juxta mare Galileæ ; Mat. 4 . O fœlices qui trahuntur a mari ad portum ! Inveni ; sors et fortuna, valete. Relinquunt retia ; mundus laqueis plenus. Eccli. 9 : In medio laqueorum pertransis. Relinquunt patrem, ut verius dicant : Pater noster.
3. Nubes refrigerant tempore caloris, calefaciunt tempore frigoris, et radios, ut dulcius ad nos deferantur, attemperant. Sic Apostoli medii sunt inter Deum (sic) : Sic nos existimct homo ; Dii estis ; radii Redemptoris ad nos illorum ministerio perveniunt.
At in nube jam elevata generantur tonitrua ; cum exhalationes intercluduntur nubibus et quæritur exitus. In Apostolico collegio facta sunt tonitrua, et quidem de omnibus verum est ; quia exivit sonus eorum. Job, 37 : Tonabit, inquit Eliud, Deus in voce sua mirabiliter. Et factus est repente, etc. Sed præcipue a Domino Joannes et Jacobus dicuntur filii tonitrui ; quod intelligi debet ex altero duorum hebraismorum. Primus est : filius perditionis dicitur filius perditus ; filius iniquitatis, filius pacis ; ita filii tonantes. Revera tenantes : In principio erat Mot ; alius, ut magis [386] tonans, ab Hærode primus occiditur. Secundus : filius tonitrui, hoc est, qui a tonitru procedit. Thren. 3, 12 : Tetendit arcum suum, et posuit me quasi signum ad sagittam ; misit in renibus meis filias pharetræ suæ ; filia Sion, filia populi mei. Tirum, urbem maritimam, Isaias, 23, v. 10, filiam maris apellat ; et hoc modo filii tonitrui.
Porro ex tonitru tria procedit (sic) : fulgur, fulmen et pluvia. Fulgur : Alluxerunt fulgura ejus orbi terræ. Mat. 24 : Sicut fulgur exit ab oriente, ita Jacobus a Judæa in Hispaniam. Quam involvens ! Qui facit Angelos suos spiritus, et ministros suos, ignem ; [Ps.] 103 . Dispertitæ [linguæ] sunt ignis. Ita columna erat nubis in die, ignis in nocte. Secutus Dominum ubique : cum filiam archisinagogi Jairi, Mar. 5 : Talitha cumi. Ab oriente, montis Thabor, ad occidentem, montem Olivarum. Fulmen : Fulgura coruscationem ; emitte sagittds tuas ; [Ps.] 143 . [Ps.] 44 : Specie tua et pulchritudine, etc. Propter veritatem. Sagittæ tuæ acutæ, populi sub te cadent. Es. 18 : Sicut imber roris. [387]
Je trouv'en ce granger, metay ou fermier plusieurs actes de grande prudence. 1. En ce quil croit a la premiere denonciation qui luy est faite : Jam enim non poteris amplius villicare. 2. Ce quil y prouvoit tout incontinent : Quid faciam, quia Dominus meus ? etc. 3. L'artifice avec lequel il y prouvoit, etc.
Thren. 1, v. 9 : Sordes ejus in pedibus ejus, nec recordata est finis sui ; deposita est vehementer, non habens consolatorem. Vide, Domine, afflictionem meam, quoniam erectus est inimicus. Cogitavi annos antiquos, etc. ; Ps. 76 . Is. 38 : Recogitabo tibi annos meos in amaritudine animæ meæ. Hier., ad [388] [Heliod., de] Nepotiano : Facile contemnit omnia qui semper se cogitat esse moriturum. Eccli. 7 : Memorare novissima Dormierunt somnum suum omnes viri divitiarum, et nihil invenerunt in manibus suis ; Ps. 75 . Ex. 14 : Fugiamus Israelem ; Dominus enim, etc. 2 Reg. 14 : Omnes morimur, et quasi aquæ dilabimur. 2 Reg. 2 : Vivit Dominas, etc. Psal. 101 : Dies mei sicut umbra declinaverunt, et ego sicut fœnum arui ; Ne revoces me in dimidio, etc. Psal 108 : Sicut umbra cum declinat ablatus sum, et excussus sicut locustæ. Luc. 19 : Negotiamini donec veniam. Ro. 14 : Omnes nos manifestari opportet. Mat. 16 : Reddet unicuique, etc. Job : Verebar omnia peccata mea, etc. Ez. 5 .
Lettre de banque. Le commerce, etc. On loue ceux qui, etc. Fleuve, etc., mer. [Apoc.,] 5 : Habentes citharas, phialas aureas plenas odoramentorum, quæ sunt orationes sanctorum. [Ibid.,] 8 : Vidi septem Angelos stantes in conspectu Dei ; et datæ sunt illis septem tubæ. Et alius Angelus venit, et stetit ante altare, habens thuribulum aureum ; et data sunt illi incensa multa, ut daret de orationibus sanctorum omnium super altare aureum. Gen. 48 . [389]
Sisara pour Jabin pres le torrent de Cison. Jahel femme de Heber, ad vallem Sennim . Barac pour Debora. Qui soporem morti socians ; c. 4 .
Conciones, 3. 29. Luc. 20 : Erunt æquales Angelis Dei. 1 Timot. 2 : Unus Deus, etc., qui dedit redemptionem. [390]
Prov. 11 : Mulier gratiosa, Maria gratia plena, inveniet gloriam. Si Isaiæ, 11 , Erit sepulchrum ejus gloriosum, quanto magis corpus Mariæ, vivum Dei habitaculum.
[1.] Philip. 2 : Humiliavit semetipsum, etc. ; propter quod... et dedit illi nomen, etc. Humiliavit semetipsam, facta obediens usque ad mortem. Respexit humilitatem. Ecce ancilla Domini. Qui se humiliat exaltabitur. Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles. Ascendam, et ero similis Altissimo. Quomodo cecidisti, Lucifer, qui mane oriebaris ? Isaiæ, 14 . Mays la glorieuse Vierge : Descendam, et ero similis minimæ. Ecce ancilla Domini, etc.
2. Incorruptio facit esse proximum Deo ; Sap. 6 . Mathei, 5 : Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum [391] videbunt. Psal. 14 : Domine, quis habitabit in tabernaculo tuo ? Marie : Tota pulchra es amica mea, et macula non est in te ; Cant. c. 4 . Virgo ante partum, virgo in partu, virgo post partum. Judith, 8 , Ozias et les prestres de Bethulie a Judith :
La femme douée de grâces, Marie pleine de grâce, trouvera la gloire. Si Iaaïe [a dit] : Son sépulcre sera glorieux, combien plus le corps de Marie, la vivante demeure de Dieu.
[1.] Il s'est humilié lui-même, etc. ; c'est pourquoi... et il lui a donné un nom, etc. Elle s'est humiliée elle-même, s'étant faite obéissante jusqu'à la mort. Il a regardé l'humilité. Voici la servante du Seigneur. Quiconque s'humilie sera exalté. Il a renversé les puissants de leur trône, et il a exalté les humbles. Je monterai, et je serai semblable au Très-Haut. Comment es-tu tombé, Lucifer, toi qui te levais dès le matin ? Mais la glorieuse Vierge : Je descendrai et je serai semblable à la plus humble. Voici la servante du Seigneur, etc.
2. L'incorruption approche de Dieu. Bienheureux ceux qui ont le cœur pur [391] parce qu'ils verront Dieu. Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle ? Marie : Tu es toute belle, mon amie, et il n'y a point de tache en toi. Vierge avant l'enfantement, vierge pendant l'enfantement, vierge après l'enfantement.
Ora pro nobis, quoniam mulier sancta es et timens Deum. Job, ult. : Conversus est Dominus ad pœnitentiam Job cum oraret pro amicis suis.
Luc. 10 ; Evangelium, Dominus intravit in quoddam castellum, etc., applicatur Assumptioni et laudi Beatæ Virginis per similitudinem. Sicut enim exceptus est in domum Marthæ et Mariæ sororum, sic exceptus in domum Mariæ Virginis. Sed notatur Martha agens circa ministerium exterius, quia Christus receptus est in corpore Beatæ Virginis, quod ministravit illi corpus beatissimum. In Virgine pars est corporalis, pars spiritalis. Ministravit illi corpore : Beatus venter qui te portavit ; ministravit mente : Quinimo, beati qui audiunt, etc. Secus pedes Domini. Conferens conservabat omnia verba hæc in corde suo. Magnificat anima mea Dominum. Combien a elle gardé la charité active, servant en tout et par tout a Nostre Seigneur ; combien la contemplative ! etc.
Eadem die reddes ei prætium laboris sui ante [392] solis occasum, quia pauper est, et ex eo sustentat animam suam ; Deut. 24 . Sic Mariæ corpori reddes gloriam, quam meruit tibi dando corpus tuum, ante mundi occasum ; quia corpus pauperculum alioquin foret, et ex eo corpore anima ejus expectabunda, tanquam pars aliquo modo inquieta, sustentationis.
Multæ filiæ congregaverunt divitias. Surrexerunt filii ejus, et beatissimam prædicaverunt ; vir ejus, et laudavit eam. Fallax gratia, et vana est pulchritudo ; mulier timens Dominum, ipsa laudabitur. Date ei de fructu manuum suarum, et laudent eam in portis opera ejus ; Prov. 31 . Luc. 15 : Majus est gaudium in Cœlo super uno peccatore pœnitentiam agente, quam super nonaginta novem justis qui non indigent pœnitentia. Quale gaudium super omnes habebit Maria, non secus expectans ac Anna ! Tob. 11 .
« Suscipe sancte Pater, omnipotens æterne Deus, hanc immaculatam hostiam quam ego indignus famulus tuus offero tibi, Deo meo vivo et vero, pro innumerabilibus peccatis et offensionibus meis, et pro omnibus circumstantibus, quorum tibi nota est fides et devotio, ut mihi et illis proficiat in salutem et vitam æternam. Amen. » [393]
« In spiritu humilitatis et animo contrito suscipiamur a te Domine, et sic fiat sacrificium nostrum in conspectu tuo hodie ut placeat [tibi], Domine Deus. »
Non accipies loco pignoris inferiorem et superiorem molam ; Deut. 24 . Non coges subditos et filios aut servos servire tibi superiori et inferiori parte, secundum tuam religionem malam et secundum politicam. Deut. 24.
Notabilis similitudo : les bales pesantes du plomb descendent, mays le feu les faict monter es artilleries ; ainsy nos œuvres ne monteroyent, sans l'assistence de ce feu de charité que Nostre Seigneur est venu mettre au monde.
Pro Petri lachrimis respexit in eum Christus, ut Anna, mater Tobiæ, respiciebat e monte filium num veniret. O pecheurs, il me semble que je vois mon Seigneur sur la montaigne de Calvaire, qui regarde si nous retournons point a luy. Tob. 11 . Luc. 15 : Majus erit gaudium super, [etc.]
Mac. 2, c. 15 . Scribitur Machabeum contra Nicanorem bellaturum retulisse somnium. Vidit Oniam orantem pro populo, et Onias ostendebat Hieremiam, dicens : Hic est fratrum amator.
Jo. 12 : Ubi ego sum, illic sit et minister meus. Psal. 138 : Nimis honorificati sunt amici tui, Deus. [394] Si compatimur, et conglorificabimur ; Ro. 8 . Simeon, Luc. 2 : Tuam ipsius animam doloris gladius pertransivit. Luc. 14 : Omnis qui se humiliat exaltabitur, etc.
Damasc., in ser. [II] de Dormitione Deiparæ : « In Getsemane, quo loco Angelorum himnodia et psalmodia post tres dies cessavit, cum Thomas absens quod Deum susceperat corpus adorare voluisset, » « hoc solum cogitare potuerunt. » Et Dionisius, epistola ad Thimoth. Aug., l. de Assumptione Mariæ, varie probat. Chrisost. et Jacob. in Liturgiis.
Levavi oculos meos in montes unde veniat auxilium mihi (Psal. 120 ) ; Aug., in Sanctos. Rubus Mosis, Ex. 3 ; Aaron virga, Num, 17 ; Gedeon vellus, Jud. 6 . Nazianz., orat. in laud. Cyp. : Dei beata Justina testatur, sollicitata artibus magis a Cypriano. Sic Damasceni amputata manus restituitur præcibus Virginis ; Joan., Patriarcha Constantinop. Metaphrastes recitat historiam Theophili Ciliciæ œconomi. [395]
Tam multa sunt in nos Dei beneficia, ut si infinitam vitam duceremus et infinitis modis ei serviremus, tamen ejus beneficentiam non æquaremus, et post hæc omnia dicere deberemus quia servi inutiles essemus. Propterea hac præfatione utitur : Ego sum Dominus Deus tuus, qui eduxi te de terra Ægipti et de domo servitutis. Scitote quoniam Dominus ipse est Deus ; ipse fecit nos, et non ipsi nos. Itaque, quicquid sumus, ipsius sumus. Si tuus sum qui me creasti, quam tuus quia recreasti ! Sed ob vitandum infernum quid non [396] deberemus facere ? Duxit et reduxit. Deberemus esse tam solliciti quam fuit Tobias. Sed ob gloriam quid ? Non sunt condignæ.
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Les bienfaits de Dieu à notre égard sont si nombreux, que, pussions-nous vivre sans fin et le servir de toutes manières, nous n'égalerions pas sa libéralité ; et après tout cela, nous devrions dire : Nous sommes des serviteurs inutiles. Aussi, le Seigneur débute-t-il par ces paroles : Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t'ai retiré de la terre d'Egypte et de la maison de servitude. Sachez que le Seigneur est Dieu ; c'est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. Donc, tout ce que nous sommes, nous le tenons de lui. Si je vous appartiens parce que vous m'avez créé, combien plus parce que vous m'avez créé une seconde [396] fois ! Mais que ne devrions-nous pas faire pour éviter l'enfer ? Il m'a mené et ramené. Nous devrions avoir autant de sollicitude que Tobie. Mais, que ne devrions-nous pas faire pour la gloire du Ciel ? [Les souffrances] ne sont pas dignes d'être comparées...
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3. Ut vestis nuptialis fiat. In vestitu deaurato, circumamicta varietatibus. Sed quænam est ista vestis ? Verus amor. Sed quisnam verus amor ? Amor purus quo Deus diligitur propter se et illi totum cor datur. Præbe mihi cor tuum. Cor, oculus, etc., non patitur divisionem. Genes. 15 . Sacrificium Abrahæ quoad volucres non dividitur. Sine hac charitate parum fit. Abraham solum Isaac facit hæredem ; filiis ancillarum largitur munera.
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Esau quia peccavit tempore cecidit jure ; nos, et tempore et rebellione. Sancti, tacti conscientia, nolunt tam vili emere Paradisum ; et nos omnino contemnimus. [397]
3. Afin que ce soit un vêtement nuptial. Dans un vêtement d'or, couverte d'ornements variés. Mais quel est ce vêtement ? Le véritable amour. Mais quel est le véritable amour ? L'amour pur par lequel Dieu est aimé pour lui-même, le cœur lui étant totalement donné. Donne-moi ton cœur. Le cœur, l'œil, etc., ne peuvent souffrir la division. Les oiseaux offerts en sacrifice par Abraham n'étaient pas divisés. Sans cette charité on fait peu. Abraham constitue Isaac son seul héritier ; aux fils des servantes, il distribue des présents.
... Esaü pèche par son retard et perd son droit ; nous péchons par retard et révolte. Les Saints, touchés dans leur conscience, ne veulent pas acheter le Paradis à vil prix ; et nous, nous le dédaignons absolument. [397]
J'attendois de voir imprimee l'orayson funebre prononcee aux superbes funerailles faittes en Lorraine avec tant de magnificence pour honnorer la sepulture de Monseigneur vostre pere, esperant que par ce moyen je serois facilement excusé de mettre celle cy sous la presse ; mais cest espoir ne m'estant reusci, et ne pouvant plus differer d'obeyr a qui a pouvoir de me commander, au moins esperé-je d'estre beaucoup plus aysement excusé si je laisse sortir ceste orayson si mal polie et avec tant de defautz, quand on considerera que c'est par une humble obeyssance. Elle fut favorablement accueillie lhors que je la prononçay devant plusieurs grans princes et princesses, et en la presence de ceste fille aisnee de l'Astree françoise, je veux dire de ce grand oracle de la France, de ce Parlement de Paris, Cour des pairs, et premier des Parlemens de France, lequel y assista en cors, comme aussi les autres chambres et cours souveraines, a celle fin que Paris, mais toute la France conneust l'estime qu'elle fait des merites du prince decedé, et que l'on sceust qu'elle advoüoit l'obligation que toute la Chrestienté a a sa memoire. Je sçay bien que ce bonheur m'arriva pour le sujet que je traittois, auquel je ne pouvois contribuer que de l'affection, de laquelle aussi je ne pouvois pas manquer puisqu'elle m'est hereditaire, mon pere, mon ayeul et mon bisayeul ayans eu l'honneur d'avoir esté nourris [398] pages et presque le reste de leur vie, en la mayson des tres illustres princes de Martigues, les pere, ayeul et bisayeul de Madame vostre mere, au service desquels leur fidelité a tous-jours rencontré beaucoup de faveur.
Comme donq je fis ce discours pour obeyr a Madame vostre mere, aussi le laisse-je maintenant sortir en public pour satisfaire a vostre desir, vous suppliant tres humblement de vous en servir pour respondre a toutes les raysons que vostre perte vous pourroit suggerer contre la consolation, car il est dressé a ceste intention. Vous y verres que la vie de Monseigneur vostre pere a esté l'une des plus belles et accomplies entre celles des princes des derniers siecles, et comparable a celle des plus excellens de l'antiquité. Il vous fera resouvenir que vous estes fille d'un si grand prince, sa fille unique, sa chere fille ; mays il adjoustera que vous estes fille de son esprit et de sa foy plus que de son cors, puysqu'il vous a receuë de Dieu par les prieres du grand saint François, duquel aussi vous portes le nom, et que par ce vous estes plus obligee de vous resjouyr en la vie et gloire de son esprit, que de regretter la mort de son cors. Fous y verres qu'encores que Dieu le nous eust laissé davantage, vous n'eussies pourtant gueres jouy du bien de sa presence ; car il avoit tant de charité, qu'il eut tous-jours privé de ce contentement son espouse et sa fille, pour ne point frustrer de son secours l'Eglise sa mere et l'espouse de son Dieu. Bref, ce discours ne vous representera les belles actions de Monseigneur vostre pere que pour vous consoler. Loues donq la bonté de Dieu, je vous supplie, de ce qu'il vous a fait naistre d'un si bon pere, et qu'il vous a laissé pour vostre conduitte une si vertueuse grand'mere et une si grande mere ; et moy, je supplieray sa divine Majesté qu'elle vous donne les benedictions que Monseigneur vostre pere vous a desirees, pour le voir la haut en Paradis apres avoir heureusement fini la course de ceste vie, en laquelle je vous supplie tres humblement de m'advoüer,
Votre tres humble et tres obeyssant serviteur,
Si Dieu me donnoit autant d'esprit pour discourir et force a bien dire que j'en desirerois maintenant, pour le service de ceste action publique que nous celebrons pour honnorer la memoire du grand Philippe Emmanuel de Lorraine duc de Mercœur, lieutenant general de l'Empereur en ses armees d'Hongrie, je ne pourrois pas pourtant ni ne devrois vous representer, tres illustre et chrestienne assemblee, la justice du regret que nous avons pour son trespas. Je ne le pourrais pas, parce que la perte que nous avons faitte avec toute l'Eglise est si grande, qu'estant extremement sensible elle en est d'autant plus indicible ; aussi est il tres difficile de trouver asses de passion pour exprimer un grand dueil. Les petites douleurs crient, se plaignent, se lamentent ; mays les grandes estonnent, estourdissent, perdent et esgarent la parolle, la voix et le discours. Je ne le devrois pas aussi ; car si je devois exprimer la grandeur de la perte qu'en reçoit tout le Christianisme, ce seroit sur vostre face, Messieurs, que je tirerais, comme un [400] autre Timanthe, le voyle du silence, puisque je ne vois en toute ceste triste compaignie que ses plus chers et fidelles amis, ou ses plus intimes et affectionnés serviteurs. Et certes, je serois bien honteux si, en la consideration d'un sujet si lamentable, je me trouvois seul avec l'asseurance de pouvoir parler autrement que par larmes et sanglotz.
Il ne m'est donques pas necessaire de vous esmouvoir a regretter ce prince, puisque c'est vous qui y aves le principal interest, et qui, plus sensibles aux affections du public, connoisses trop bien la perte que nous avons faite. Il n'est, ce me semble, besoin de vous attendrir le cœur, puisque vous en ressentes la plus grande passion. Ne vaut il pas beaucoup mieux cesser d'affliger ceux qui sont affligés * et mettre peyne d'essuyer vos pleurs, que de les exciter? Aussi, quand je vois devant et tout autour de moy le feu de tant de flambeaux allumés, signe ordinaire de l'immortalité, et que je me trouve revestu de blanc, couleur et marque de gloire, je connois bien que mon office n'est pas maintenant (et je vous supplie, Messieurs, de ne le pas desirer de moy), de vous representer les raysons que nous avons eu de regretter et plaindre, mays plustost celles que nous avons de finir nos regretz par le commencement de la consideration du bien dont jouyt ce grand prince par son trespas, affin que le sujet que nous avons de nous resjouyr attrempe et modere la violence du ressentiment que nous avons de ceste grande perte, quoy que je sçache que l'on doit permettre quelque chose a la pieté, mesme contre le devoir, et qu'en une douleur extreme c'est une partie du mal que d'ouÿr des consolations.
Permettes moy, je vous supplie, puysqu'aussi bien les larmes que nous espandons pour nos amis nous meneront plustost a eux qu'elles ne nous les rameneront, et que les pleurs apres la mort sont de tardives preuves d'amitié, permettes moy, dis je, Messieurs, que je revoque vos [401] espritz a la consolation, plustost que de les provoquer a une plus grande affliction. En quoy neanmoins je ne feray rien contre la juste apprehension que j'ay du defaut que je reconnois en moy et de discours et d'eloquence ; car la consolation que je vous puis donner depend du mesme principe duquel procede la cause de nostre affliction. N'est ce pas l'excellente bonté, la valeur, la vertu du prince trespassé qui rend nostre perte incomparable ? Et n'est ce pas la mesme bonté, valeur et vertu qui nous obligent de recevoir la consolation ?
Soit donq que je jette les yeux sur son bien pour nous consoler ou sur nostre mal pour nous affliger, je ne puys eschapper de l'abisme de ses vertus infinies, dont la grandeur et l'esclat est insupportable a la foiblesse de mes yeux. Aussi, s'il ne failloit plustost recevoir avec humilité les commandemens des grans que d'en esplucher les motifz, j'aurois a mon advis rayson de m'estonner du choix que l'on a fait de moy pour parler en ceste occasion, en ceste assemblee et en ce lieu. En ceste occasion, que j'estime aussi digne d'une grande eloquence qu'aucune autre qui se soit presentee en ce siecle ; en ceste assemblee, qui est presque toute la fleur de ce grand royaume ; et en ce lieu, auquel mille beaux espritz eussent ambitieusement recherché de faire paroistre tout leur art et science de bien dire, et de respandre mille belles fleurs d'eloquence sur l'estoffe d'un si riche sujet.
Mais que sçay je si a l'adventure j'auray rencontré la rayson de ce choix ? Les couleurs de l'eloquence, les fleurs des paroles, l'esmail des sentences n'est peut estre pas convenable ni au dueil ni aux funerailles :
« Non est conveniens luctibus iste color . »
Les harangues et discours si polis, les paroles harmonieusement concertees n'y sont pas, a mon advis, sortables : Musica in luctu importuna narratio . [402] Que s'il est ainsy, me voicy riche d'affection, de simplicité et de fidelité pour entreprendre le discours des vertus du prince decedé, lequel j'envoye de bon cœur a son ame, c'est a dire a cest esprit que j'espere, mays que je crois estre au Ciel, et a celuy lequel estant en terre n'est pourtant qu'une mesme ame avec luy, non plus que par le mariage ilz ne furent qu'un mesme cors icy bas. Que si ce discours est pauvrement paré, c'est pour rendre plus d'honneur et de reverence au prince qu'il celebre, comme quelques peuples du Nouveau Monde envoyent leurs deputés a leur roy au moindre equipage qu'il leur est possible, pour rendre de tant plus remarquable leur bassesse et humilité en comparayson de la gloire et majesté de leur roy.
Au surplus je vous desire, Messieurs, autant de bienveuillance en mon endroit que j'ay de confiance en vostre bonté ; pour ce peu que j'ay a parler d'une si belle vie comme fut icelle de ce prince, vous seres bien tost consolés en sa mort. Prendre playsir a ouÿr les louanges des bons, c'est participer a leur gloire.
O si nous pouvions comprendre les verités que nous recevons par la foy, combien nous serions aysement consolés en la mort de ceux auxquelz nous avons quelque devoir d'amitié ou d'honneur ! Sapientiam loquimur inter perfectos . Nous nous imaginons qu'ilz sont mortz et en la mort, et ilz ne le sont plus ; ilz le furent seulement au dernier instant de ceste vie mortelle. Telles pensees ne sont pas dignes de nous, si nous ne voulons estre de ceux auxquelz le Sage donne tiltre de folz : Visi sunt oculis insipientium mori. Nous ressemblons a ceux qui vont sur mer le long de la rade et terre a terre : il leur est advis que les arbres les laissent et se reculent d'eux, et que le navire dans lequel ilz sont portés est du tout immobile et sans changer de place ; car il nous semble que ceux qui sont [403] decedés de ce monde sont tous-jours en la mort et que nous sommes en la vie. Mays, helas, que nous sommes trompés ! Ilz sont en la paix et au repos de la vraye et constante vie, et nous sommes bien avant dans la mort, en laquelle nous nous enfonçons tous-jours de plus en plus jusques a tant que nous l'ayons passee.
Omnes morimur, disoit une sage dame ; mais elle pouvoit bien dire : Semper morimur, comme dit despuis l'Apostre : Quotidie morior. Nous mourons tous les jours, et nostre vie s'en va par pieces et morceaux, comme cest animal des Indes, lequel estant de sa nature terrestre, petit a petit et piece a piece perd du tout son estre naturel et devient entierement poisson ; car ainsy, piece a piece, nous changeons ceste vie mortelle, jusques a tant que par une entiere et finale mutation, que nous appelions mort, nous ayons du tout acquise une vie immortelle.
Et certes, comme les ratz du Nil se forment petit a petit, et ne reçoivent la vie en tous leurs membres ensemblement, aussi les philosophes sont bien d'accord que nous ne vivons pas tout a coup ni ne mourons pas en un moment, puysqu'ilz disent que le cœur est le premier membre qui vit en nous et le dernier qui meurt. Mais, je vous supplie, nostre Dieu ne dit-il pas au premier homme qu'au jour qu'il mangeroit du fruit defendu il mourroit de mort ? Et neanmoins, si nous parlons selon le vulgaire, il ne mourut qu'apres plusieurs centaines d'annees despuis qu'il eut prevariqué ; toutefois la verité est qu'il commença a mourir des le jour qu'il eut offencé, et continua jusques a son dernier jour.
Ah que nous sommes donq bien trompés quand nous appelions mortz ceux qui ont passé ceste vie mortelle, et vivans ceux qui la passent encor ! Nous nommons vivans ceux qui meurent, parce qu'ilz n'ont pas achevé [404] de mourir, et ceux qui ont achevé de mourir, nous les apppellons mortz. Nous imitons les peintres qui ne sçavent representer les Anges qu'avec des cors, parce que jamais ilz ne furent veuz autrement ; car ainsy n°us nommons les deffunctz mortz, parce que nous ne les avons jamais veuz sinon en la mort de ceste vie ou en la vie de ceste mort. Mais si nous les voyions maintenant qu'ilz en sont delivrés, mon Dieu, que nous serions honteux de les avoir appellés mortz, et que nous serions en peyne de trouver des belles parolles pour exprimer l'excellence de la vie en laquelle ilz sont arrivés! Aussi nostre langue françoise ne les appelle pas mortz, mais trespassés, protestant asses que la mort n'est qu'un passage et trait, au dela duquel est le sejour de la gloire.
Ce grand duc de Mercœur n'est donques pas mort, il est seulement trespassé. Que si nous n'avions la veuë si debile, nous le verrions bien loin au dela de la mort, en ce jardin celeste ou il jouît des consolations eternelles. Il n'est pas si loin de nous que nous pensons ; il y est allé, selon le vulgaire des hommes, en un moment, car la mort, a leur advis, ne dure pas davantage ; mais selon les sages, il a mis quarante trois ans en ce voyage.
Helas, que ce terme est court ! La pluspart de nous a desja beaucoup plus employé d'annees ; les uns n'y vont pas si viste que les autres, mais presque tous neanmoins y vont tousjours plus viste qu'ilz ne voudroyent. Nous avons mille peynes et travaux pour parvenir ou il est ; pourquoy serons nous faschés qu'il y soit arrivé ? Pourquoy pleurerons nous tant le trespas de ce prince, lequel pleureroit, s'il estoit en lieu de larmes, avec beaucoup plus de rayson le retardement du nostre, que nous n'avons pas pleuré l'avancement du sien? Nolo vos ignorare de dormientibus, ut non contristemini, sicut et cæteri qui spem non habent . [405]
Mays par ce que ceste consolation que je vous presente est fondee sur la certayne esperance que nous avons que nostre trespassé est receu en la main droitte de son Dieu avec tous les justes, Justorum animæ in manu Dei sunt , voyons je vous supplie, le sujet que nous avons d'une confiance tant asseuree. Les astrologues et theologiens ont cela de commun qu'ilz prædisent les choses a venir, ceux ci tous-jours avec la verité, ceux-la souvent avec de la vanité. Mays leurs phœnomenes et inspections sont du tout opposees et contraires ; car les astrologues predisent ce qui doit arriver en terre, par l'inspection des rencontres et divers mouvemens qui se font au ciel ; nos theologiens au contraire ne praedisent sinon ce qui se fait au Ciel, par la consideration des œuvres que l'on fait en terre. Si vous faittes misericorde en terre, disent ilz, on vous fera misericorde au Ciel ; si vous consoles les affligés icy bas, vous seres consolés la haut ; si vous esclaires les ignorans en la nuict de ce monde, vous aures la clarté [406] de la vision de Dieu au plein midy de l'autre ; si vous combattes pour Dieu en terre, vous seres couronnés au Ciel. Bref, par la hauteur et latitude des actions que nous faysons ça bas, ilz mesurent les distances et estendues de la gloire que nous aurons en ce grand mont celeste : Prout gessit unusquisque in corpore suo, sive bonum, sive malum .
Si donques nous sçavons quelles ont esté les actions de l'ame de ce grand prince pendant qu'elle estoit en ce monde, et que, jointe a son cors, elle nous donnoit le bonheur de sa conversation, nous aurons asseurance par ceste inspection de ce qu'elle est au Ciel ; que s'il nous reste aucun desir d'aspirer a ce siege de gloire, nous aurons un riche exemplaire et beau sujet d'imitation. Mays ne penses pas, je vous supplie, que je veuille entreprendre de vous representer fleur a fleur et piece a piece, l'esmail d'une si belle vie : les perfections de ce prince se peuvent plustost admirer qu'imiter, desirer qu'esperer, envier qu'acquerir ; c'est pourquoy j'ay peur d'offencer sa memoire, disant trop peu de ce qui ne se peut asses louer. Que si je raconte quelques unes de ses vertus, ce ne sera pas pour donner lumiere [407] au soleil, comme l'on dit, ni que je presume de le pouvoir dignement louer, mais seulement pour faire reconnoistre a tout le monde que ce n'est pas sans grande rayson que l'on l'a regretté avec des pleurs si extraordinaires, que l'on honnore tant sa memoire, et que l'on a une si grande esperance qu'il est maintenant en la gloire de son Dieu. *
J'imiteray donq les cosmographes, qui en leurs mappemondes ne marquent que des pointz pour des villes, des lignes pour des montaignes, et layssent a l'imagination son office pour se representer le reste. Je ne diray des genereuses actions et belles qualités de ce prince, sinon celles que le tems par lequel mon discours doit estre limité me permettra de dire. Mais sur tout je vous supplie de croire qu'en ceste chaire et en cest habit je parle tous-jours avec beaucoup de sincerité et de religion ; aussi, puisque la verité est nue et simple, je penserois faire tort a ma veritable narration si je la desguisois avec des artifices.
O saint et celeste Esprit, o bel Ange de lumiere et de paix, qui fustes assigné a ce prince pour protecteur de son ame, et qui aves esté fidelle tesmoin des bonnes actions que Dieu luy a inspirees et que vous aves sollicitees, je suis vostre humble serviteur et devot ; [408] suggeres maintenant a ma foible memoire ce que vous en jugerés de plus digne d'honneur et d'imitation.
C'est tous-jours Dieu qui fait en nous tout nostre salut, il en est le grand architecte ; mays il procede differemment en ses misericordes, car il nous donne certains biens sans nous, et d'autres avec l'entremise de nos desirs, travaux et volontés. Le prince Philippe Emmanuel duc de Mercœur receut abondamment des biens de la premiere façon, sur lesquelz il bastit un excellent ediffice de perfection de ceux de la seconde sorte ; car quant au premier, Dieu le fit naistre de deux maysons des plus illustres, anciennes et catholiques qui soyent entre les princes de l'Europe. C'est beaucoup d'estre fruit d'un bon arbre, metail d'une bonne miniere, ruisseau d'une bonne source.
Du costé paternel, qui tient le premier lieu en la consideration civile, il estoit de ceste royale mayson de Lorraine, dont l'origine est si tres ancienne, que, comme [409] estant de tems immemorable, les escrivains n'ont pas encor sceu demeurer d'accord de son commencement, comme les habitans d'Ægipte ne sçavent se resoudre de l'origine du Nil. Mays tous s'accordent bien que ç'a esté une pepiniere plantureuse et feconde d'une grande quantité d'empereurs et de roys, et des plus genereux princes de toute la Chrétienté, et qu'il n'y a contree en laquelle elle n'aye heureusement planté les lauriers et les palmes de sa valeur et pieté.
Je ne vous diray rien de ce qu'elle a fait en France et en Allemagne ; aussi vous est-ce chose trop connue. Mays si nous passons en Espagne, vous y verres Henri, frere de Guillaume duc de Lorraine, lequel ayant fidellement et vaillamment combattu pour la religion sous Alphonse roy de Castille, en la guerre qu'il avoit lhors contre les Maures et Sarrasins, espousa en recompense sa fille, qui luy porta en dote la province laquelle despuis erigee en royaume est appellee Portugal, ou la race de ce premier Henri a fort chrestiennement et genereusement regné jusques au dernier Henri, Cardinal, trespassé de nostre tems.
Allons en Italie, et nous y verrons le riche et fertile [410] royaume de Sicile. Mais qui ne sçait que les deux ducz de Lorraine, René premier et second, en furent rois ? Et par ce, passons outre mer, et voyons l'heureuse Palestine en laquelle nostre redemption fut faitte ; nous y contemplerons ce trois fois grand Godefroy de Bouillon, lequel ayant quitté son païs et ses biens, et mesme vendu son duché de Bouillon, pour chasser les infidelles de la Terre Sainte, y alla armé de zele et de religion, brave et conquerant, et comme un autre Josué il establit la foy au peril de son sang au lieu ou le Sauveur avoit respandu le sien pour la planter et faire le salut des hommes. Consideres cest admirable roy de Hierusalem, lequel refuse la couronne d'or en un royaume ou son Sauveur fut couronné d'espines. C'est un roy d'or couronné de bois, beaucoup meilleur que les rois de bois couronnés d'or, lequel regne comme un autre David sur la montaigne de Sion, preschant et annonçant la foy de son Dieu. Voyla l'origine paternelle du grand duc de Mercœur.
Mays quelle mere pouvoit on rencontrer pour le filz de telz peres ? Digne et belle rencontre, affin que de tous costés son origine fust pleine de splendeur. La mayson de Saxe, l'une des plus puissantes et anciennes de toute l'Allemagne, ayant fourni a l'empire plusieurs grans empereurs, electeurs, defenseurs et conducteurs d'armes, produisit, il y a plusieurs centaines d'annees, le prince Berard, tres vaillant et tres catholique, lequel donna heureux commencement a la serenissime mayson de Savoÿe, laquelle, d'aage en aage sans interruption, a continué jusques a present autant magnanime que constante en la religion. D'elle sont sortis plusieurs Amés, Louys, Humbertz, Pierres, Philibertz et autres grans princes, entre lesquelz l'un des Amés, par sa force et valeur, delivra l'isle de Rhodes de la servitude des infidelles, et l'asseura pour le Christianisme entre les mains des chevaliers de saint Jean de Hierusalem, lesquelz desirans que la posterité de leur protecteur receust des lhors quelques marques de l'obligation qu'ilz luy avoyent, communiquerent les armes [411] de leur milice, qui sont de gueules en une croix d'argent, a toute la mayson de Savoye, laquelle les a cherement retenues, non tant en memoire de la valeur de ce grand ancestre, que comme un signe sacré qui peust servir de protestation perpetuelle que ceste race est toute dediee a la defense de l'honneur de la Croix, comme elle a fait voir en la Moree, en Cypre et en plusieurs autres lieux ou elle a porté les armes avec non moins de pieté que de valeur.
De ceste claire source, laquelle outre infinies alliances reciproques qu'elle a eu avec tous les potentatz du monde, mesmement avec ceste couronne tres chrestienne, avoit donné n'a gueres une mere au grand roy François, de ceste serenissime mayson, dis-je, sortit une tres vertueuse princesse, Jeanne de Savoye, fille de Philippe et seur de Jacques, ducz de Genevois et de Nemours, deux aussi vaillans et vertueux princes que nostre siecle en aÿe veu. Ceste princesse estant mariee au tres illustre prince Nicolas de Lorraine, comte de Vaudemont, eut de luy plusieurs enfans, l'aisné desquelz fut le duc de Mercœur, qui nasquit au marquisat de Nomeny, tenu lhors, et despuis a luy laissé par son pere en tiltre de souveraineté ; nasquit, dis je, pour la gloire des armes et l'honneur de l'Eglise, ce prince decedé, digne surgeon de deux si grandes races, desquelles comme il receut le sang, aussi herita-il de leurs vertus. Et comme deux rivieres se joignant font un grand et noble fleuve, ainsy ces deux maysons des ayeulz paternelz et maternelz de ce prince, ayant mis ensemble leurs belles qualités en son ame, le rendirent accompli en tous les dons de la nature ; pour quoy il pouvoit bien dire avec le divin Sage : Puer autem eram ingeniosus, et sortitus sum animam bonam. Ce fut un bon rencontre a sa vertu d'estre en un sujet si capable ; ce fut un grand bien a sa capacité de s'estre rencontré en une telle vertu. [412]
Et pour l'extreme desir qu'il avoit de continuer en sa posterité ceste sienne naturelle valeur, il choisit en mariage la princesse Marie, fille unique du grand et courageux prince de Martigues, lequel pour le service de la religion et du roy, combattant a Saint Jean d'Angeli les ennemis de l'Eglise, seella de son sang et trespas le progres d'une vie tres chrestienne, digne de la grande mayson de Luxembourg dont il estoit, de laquelle sont sortis tant de grans et magnanimes empereurs.
Mais a la verité, je ne me fusse pas arresté a vous ramentevoir la gloire de ses predecesseurs, laquelle a mon advis est la moindre partie de la sienne, si luy mesme n'en eust fait un grand cas pour s'animer a la vertu ; car en la resolution qu'il print d'aller en Hongrie, il alleguoit entre ses autres raysons, que ses predecesseurs paternelz et maternelz luy avoyent laissé comme en heritage ceste sainte volonté, et qu'ilz le conduisoyent par leur exemple, comme par la main, au chemin de ce saint voyage. Tellement qu'il m'a esté bien-seant de parler de son extraction, quoy qu'il semble a plusieurs que la noblesse estant chose hors de nous, nos seules actions soyent nostres. Et a la verité, l'extraction sert de beaucoup et a un grand pouvoir sur nos desseins, voire sur nos actions mesmes, soit pour la sympathie des passions que nous empruntons souvent de nos predecesseurs, soit pour la memoire que nous conservons de leur prouesse, soit aussi pour la bonne et plus curieuse nourriture que nous en recevons.
Donques le duc de Mercœur considerant qu'il y a autant de difference entre la vertu et la noblesse qu'entre la lumiere et la splendeur, l'une esclàirante de soy et l'autre d'emprunt, louant Dieu d'avoir moyen de rendre ses actions plus exemplaires, il a tous-jours eu soin de ne rien faire qui peust obscurcir ou amoindrir la grande splendeur que la generosité de ses ancestres luy avoit acquis ; et entant qu'il luy a esté possible, il l'a non seulement conservee, mais de beaucoup augmentee.
Saint Paul partage le devoir d'un Chrestien en trois [413] vertus : en la sobrieté que nous appelions temperance, en la justice et en la pieté : Ut sobrie, juste et pie vivamus, dit-il ; la temperance au regard de nous mesmes, la justice quant au prochain, et la pieté pour ce qui concerne le service de Dieu.
Quant a la temperance, qui n'est autre chose qu'un retranchement des playsirs et delices de ce monde, elle se trouve en ce prince au plus haut degré. Aussi n'ignoroit il pas que les voluptés ne nous embrassent que pour nous estrangler, et que pour cela nostre ame ne doit point autrement regarder nostre cors que comme les fers de sa captivité. Il estoit donq des plus temperans en son vivre, attendu qu'il ne mangeoit que comme par force et ne beuvoit presque que de l'eau. Il ne fut pas moins temperant aux autres voluptés corporelles, dont il avoit borné l'usage dans les loix d'un chaste mariage et par le devoir que les princes ont de laisser ça bas de la posterité ; vertu rare en un siecle si depravé, en un aage si vigoureux, en un cors si beau et tant accompli, et en la commodité que la cour et ses appas luy offroit. Pour moy, je tiens qu'il n'est pas plus difficile qu'un fleuve passe par la mer sans se saler, que de demeurer en la cour sans y apprendre et prattiquer des mœurs corrompues. Il a pourtant vescu parmi le tumulte en repos, et au milieu des vices, avec des tres grandes vertus.
Ce prince s'est tous-jours monstré sobre en la possession des grandeurs et faveurs immenses dont le Ciel l'avoit comblé et n'en abusa jamais; car sa grande reputation, ni l'estre beau-frere de roy, ni la rareté des graces qui estoyent en luy, ni les heureux succes de ses armes et desseins ne le firent jamais sortir des bornes de la modestie ni abandonner la bien-seance d'une humble gravité, par laquelle il donnoit un acces esgalement facile et gratieux aux petitz et aux grans. Il estoit sobre en ses recreations et passetems qu'il [414] rendoit compatibles et accommodoit aux devoirs de sa charge, les autres inutiles assemblees luy estans en extreme mespris.
Bref, il ne touchoit la terre que des piedz, comme la mere perle se conserve pure et nette au fond de la mer, ne sortant jamais de sa coquille que pour recevoir sa nourriture de la rosee du ciel. Tellement que le tems qui luy restoit pour son playsir, il l'employoit partie a l'orayson et partie a la lecture des bons livres, au moyen dequoy il s'estoit acquis la connoissance de trois sciences non seulement bien-seantes, mays presque necessaires a la perfection d'un prince chrestien. Car il avoit une exacte connoissance et prattique des mathematiques, que le fameux Bressius luy avoit enseignees ; il avoit aussi l'usage de l'eloquence et la grace de bien exprimer ses belles conceptions, non seulement en ceste nostre langue françoise, mays mesme en allemande, italienne et espagnole, esquelles il estoit beaucoup plus que mediocrement disert; et neanmoins il n'employa jamais son bien dire en choses vaines, ou pour mieux dire, il ne voulut abuser de ce beau talent que Dieu luy avoit si liberalement departi, ains il l'employa a la persuasion des choses utiles, louables et vertueuses. Et ce que je prise le plus, il estoit fort instruit en ceste partie de la theologie morale qui nous enseigne les regles de bien establir la conscience. Telles occupations estoyent ses menus playsirs. Ah, menus playsirs, que vous estes devenus grans, ayant fait naistre en ce prince le playsir de l'immortalité !
Or, que pouvoit-on attendre d'une telle moderation et temperance qui luy estoit naturelle, sinon « une perpetuelle volonté de n'offencer personne et de rendre a chacun ce qui luy appartient, » qui est ce que nous [415] appelions justice ? Quand l'a-on jamais veu maltraitter ou offencer personne ? Ses domestiques tesmoignent que c'estoit la douceur et patience mesme. Quicomque est doux a l'endroit de ses domestiques, l'est beaucoup plus envers les autres. Et de fait, il n'employa jamais sa cholere qu'en la guerre, ou pour maintenir le respect et l'honneur qui luy estoyent necessaires pour faire les grans services que le Christianisme attendoit de luy ; en quoy il imitoit les abeilles qui font le miel pour les amis et piquent tres vivement leurs ennemis.
Il ne craignoit rien tant que de voir entrer en ses coffres ou des exactions indeuës ou des deniers mal acquis ou l'or du sanctuaire ; au contraire, il en faysoit sortir beaucoup de bonnes et de belles aumosnes pour les pauvres et de grandes liberalités pour les autres. Il ne s'attribuoit rien de ses richesses que la puissance de les dispenser, sçachant bien que la lueur de l'or et celle de l'espee ne nous doivent non plus esblouir l'une que l'autre.
Quant a l'honneur et le respect, il en rendoit soigneusement a un chacun ce qu'il sçavoit luy en appartenir, et n'en faysoit perdre a aucun, pour peu que ce fust, ni par mesdisance ni par outrage. Bref, il rendoit a l'Eglise beaucoup de reverence, au roy beaucoup d'honneur et d'obeyssance, a son mariage beaucoup de fidelité et d'amitié, aux princes une ouverte et aggreable conversation, aux moindres une grande douceur et debonnaireté, a sa famille une grande affection, avec une paix et tranquillité admirable.
Quant a la pieté envers nostre bon Dieu, qui est le souverain bien de nostre ame, c'estoit le rendes-vous de toutes ses pensees et le centre de toutes ses imaginations. A ce saint autel de la religion il avoit consacré son ame, voué son cors, dedié toute sa fortune, et pouvoit bien dire avec ce grand Roy : Deus, docuisti me a juventute mea ; In te projectus sum ex utero ; [416] car si nous considerons les desirs de la jeunesse, ce n'ont esté que les fleurs des fruitz qu'il a fait paroistre en son plein aage.
La loüange d'avoir esté des lhors tres chrestiennement eslevé ne luy est point particuliere, mais commune a tous les princes et princesses ses freres et seurs : tesmoins les annees de virginité, de mariage et viduité de Louise de Lorraine, tres chrestienne et tres pieuse reyne de France et de Pologne, d'heureuse memoire, miroüer de la pieté et idee des princesses de nostre aàge, de laquelle je vous ay veu, o Paris, unanimement admirer la religion, humilité et charité. Tesmoin encor le tres vertueux. Cardinal de Vaudemont, la vie duquel n'a esté qu'un recueil de toutes les vertus qu'on peut desirer en un grand prelat, aupres duquel je pourrois mettre Monsieur de Verdun, si la louange des vivans, pour juste qu'elle puisse estre, n'estoit sujette au soupçon de l'interest et de la flatterie. Tesmoin aussi le comte de Chaligny, lequel ayant consacré le printems de ses plus belles annees a la pieté, a peu apres rendu le fruit d'une tressainte mort au retour de plusieurs braves exploitz par luy executés en la sainte guerre de Hongrie, sous la conduitte et a l'imitation de ce sien frere.
Mais la louange d'avoir si bien nourri ses premieres inclinations a la vertu parmi tant de rencontres et d'occasions doit estre fort consideree en ce prince, veu que, comme nous avons ja dit, ni la cour ni la guerre, ennemies jurees de la devotion, quoy qu'aydees des secrettes amorces de la jeunesse, beauté et commodités de cest excellent prince, ne peurent jamais rien gaigner dessus son ame, laquelle il maintenoit tous-jours pure parmi tant d'infections. Chose a la verité admirable, que l'on ne luy voyoit passer une journee sans ouÿr la sainte Messe, si une necessité extreme ne l'en empeschoit, sans dire l'Office de Nostre Dame et son chapelet, sans faire l'examen de sa conscience et le soir et le matin, mettant ordre, comme grand cappitaine qu'il estoit, aux sentinelles de son ame pour la garder de la surprise de ses ennemis. [417]
Mays je l'eusse bien voulu voir apres ceste action, quand se representant la necessité de la mort, il baysoit plusieurs fois la terre, comme rendant hommage a celle laquelle par apres es occasions de la guerre il bravoit, mesprisoit et fouloit a ses piedz. Ces exercices ordinaires luy servans comme d'une continuelle preparation a la Communion, il n'oublioit pas aux festes solemnelles de faire une entiere reveuë de toutes ses actions pour s'esprouver soy mesme avec une severité extreme, a celle fin de recevoir plus dignement le tressaint Sacrement de l'Eucharistie auquel il avoit une devotion inestimable, se croyant beaucoup plus asseuré de la victoire en guerre quand il rencontroit ou attaquoit les ennemis de l'Eglise le jeudy, pour estre l'institution de ce saint Sacrifice, ou bien le samedy, jour que nos peres ont destiné a l'honneur de Nostre Dame.
Je laisse a part les confessions et communions qu'il faysoit allant a la guerre, puisque ceux qui s'exposent ordinairement au danger du trespas sont obligés de se confesser et mettre en bon estat, s'ilz ne veulent que la mort temporelle soit suivie de l'eternelle. Au surplus, il vouloit que les choses sacrees, et particulierement les paroles de la Sainte Escriture, fussent tenues en respect et devotion, et ne s'offensoit jamais tant que quand il oyoit tirer en sens profane les motz que le Saint Esprit a donnés pour nostre sanctification. Ouÿr jurer et blasphemer le saint nom de Dieu luy estoit un mal insupportable. Bref, il pouvoit bien dire avec cest autre prince : Et anima mea illi vivet ; Adhæsit anima mea post te .
Mais ou vay je ? Ne sçay je pas en quel danger de naufrage je me precipite, me hazardant a de telles louanges ? Je cours bien encor une plus grande fortune, si je single en ceste mer sans fond et sans fin des vertus et genereux exploitz de ce prince. Si je voguois, par [418] maniere de dire, sur l'infinité de vos louanges, o grand duc, j'aurois beau naviger a voile françoise, je chercherois terre en vain ; aussi suis je si jaloux de vostre gloire que je serois bien marry qu'on peust trouver quelque fin au los de vos merites.
Puysque vous attendes, Messieurs, que je continue, et qu'il le faut, je diray que quant a ses biens temporelz, ilz estoyent tous dediés au service de la religion Catholique : tesmoins les bastimens d'eglises, monasteres, chapelles et services bastis et fondés, ores en l'honneur du Saint Sacrement, ores en l'honneur de la Vierge, de laquelle il estoit si devot qu'il ne sçavoit jamais pres de luy aucune eglise ou chapelle dediee a ceste thresoriere de graces, qu'il ne la visitast et n'y eslargist quelque aumosne. Il a basti a ses despens les monasteres des Peres Capucins et Minimes de Nantes, comme tres devot aux bienheureux saintz François, desquelz il avoit receu plusieurs faveurs signalees, et nommement Mademoyselle sa fille, qu'il obtint par l'intercession de saint François d'Assise. Il n'a pas peu obligé la Bretagne d'y avoir planté ces deux pepinieres de sainteté et pieté. Mais cecy estant a la veuë d'un chacun, comme aussi les aumosnes publiques que les grans font pour le bon exemple qu'ilz doivent aux moindres, il faysoit plusieurs autres aumosnes secrettes, de l'argent qu'il reservoit pour ses menus playsirs. Ce fut avec ceste mesme devotion d'employer tous ses biens au service de Dieu, qu'il mena bon nombre de cavalerie a ses despens au premier voyage qu'il fit en Hongrie.
Je dis donq que, quelque jeune qu'il ait esté, estant accompaigné et doué des vertus susdites, il a tous-jours fait reconnoistre et remarquer en luy de grandes arrhes de sa pieté et prudence a venir : prudence tant requise en un chef de guerre que chacun sçait, attendu qu'elle est la memoire des choses passees, le jugement des futures et la disposition des presentes.
Que restoit il donq a ce prince pour dedier a Dieu, sinon son cors et sa vie ? Ce qu'il fit par le desir continuel qu'il eut des sa plus tendre jeunesse de faire la guerre [419] contre les infidelles, desir que Dieu luy a donné la grace d'assovir avec la gloire que la Hongrie et tout le Christianisme sçait et tesmoigne. Mais cependant, si tost que l'aage le luy permit, il ne laissa passer aucune occasion de s'employer aux armes qu'il n'aÿe embrassé avec beaucoup d'honneur et de merite, comme a la charge faitte a Dormans contre les reystres, en Brouage, a la Fere et par tout ailleurs, mesme au siege d'Issoire, ou, commandant a l'une des batteries, il donna un signe tres certain de sa grandeur future en la profession des armes. Despuis lequel tems jusques a ce qu'il alla chercher des nouveaux lauriers jusques a l'un des coins du septentrion, il s'est trouvé, selon la diversité des occurrences, en plusieurs sieges, assaillant et defendant en diverses armees, rencontres et batailles, ou Dieu l'a tellement favorisé que jamais il n'a eu conduitte qu'elle n'ayt esté suivie d'une heureuse victoire ; dont j'aurois a dire de luy beaucoup plus de choses que le tems qui m'est prefix, voire que la vie d'un homme ne pourroit suffire a reciter ; mais je ne puis sinon esbaucher et desseigner grossierement l'idee d'un genereux prince chrestien, que le grand duc de Mercœur a exprimé en soy mesme par tant de vertus et de braves exploitz d'armes qu'il a produit.
Et combien que je peusse dire icy en termes generaux et d'une haleyne, qu'en toutes les parties de sa vie il a fait paroistre en luy toutes les qualités qui se peuvent desirer en un grand prince pour le rendre parfait, toutesfois, pour parler plus distinctement, il me sera plus a propos de ne vous faire plus attendre la monstre de la piece, laquelle, comme elle a esté la derniere de sa vie, a aussi esté la plus glorieuse pour luy, la plus aggreable pour sa memoire et la plus utile a la republique chrestienne, et en laquelle, comme en une riche tapisserie, vous verres la tisseure d'autant de faitz d'armes et de vertus que l'œil de vos entendemens en sçauroit desirer.
Le croissant de Mahomet grossissoit si fort en Hongrie qu'il sembloit se vouloir rendre pleine lune, et sous sa [420] maligne influence faysoit descheoir nos forces et presque nos courages. On ne parloit plus que des progres de l'armee turquesque et de son cimeterre, quand, le vray Soleil de justice suscita ce vaillant et genereux prince, qui volontairement et librement, je ne diray pas seulement de gayeté mais encores de pieté de cœur, part de son païs, et, comme un autre Machabee, se rend en l'armee chrestienne au commencement du mois d'octobre, l'annee 1599. Et sçachant que l'ennemy s'approchoit avec une armee de cent cinquante mille hommes pour assieger Strigonie, ville tres importante, il l'alla incontinent visiter, et l'asseura si bien de sa presence, par l'offre qu'il fit de s'y enfermer et l'ordre qu'il donna pour la conservation des fortz qu'on estoit sur le point d'abandonner, que les ennemis estant advertis de son arrivee et resolution, changerent de dessein et tirerent droit contre nostre armee, a la teste de laquelle ilz trouverent tout aussi tost ce grand prince, qui leur eut fait des lhors ressentir les effectz de sa presence, s'il eut eu autant de pouvoir et de commandement en l'armee chrestienne qu'il y en a eu despuys, ainsy qu'il fut reconneu par la perte des occasions qui, selon son advis, devoyent estre embrassees.
Dequoy l'Empereur bien adverti il desira le voir, si qu'il luy fit prendre le chemin de son retour par Prague, ou il le receut avec fort grand accueil ; et ayant reconneu par ce premier essay l'excellente valeur et prudence de ce prince, il le fit son lieutenant general, et luy en envoya les patentes jusques en ceste ville de Paris ou il estoit de retour de son premier voyage. Avant que de les accepter, il les presenta au Roy, a l'obeissance duquel il avoit tant voué d'affection et de service qu'il n'estimoit rien d'honnorable que ce qui seroit authorisé de ses commandemens. Sa Majesté, comme tres chrestienne, luy permit d'accepter ceste charge si belle et si digne du nom françois.
Nostre nouveau general va donques en Hongrie pour la seconde fois, et tira droit a Vienne, et de la, a Javarin ou estoit l'armee chrestienne, composee seulement [421] d'environ treize mille hommes, ou il fut receu et reconneu lieutenant general de l'Empereur, et mis en possession de sa charge par l'archiduc Mathias, frere de l'Empereur. O journee bienheureuse pour la Hongrie et pour toute la Chrestienté !
A peyne estoit-il arrivé, que voyant Canise assiegee de six ou sept vingt mille Turcz, apres avoir soigneusement mis ordre a tout ce qu'il jugeoit a propos pour son dessein, et sur tout ayant tiré promesse des princes et seigneurs du païs qu'il auroit la commodité des vivres necessaires pour l'entretenement de son armee, la teste eslevee en la confiance qu'il avoit en son Dieu, il la baissa par apres contre l'ennemy, s'achemine contre ceste puyssante armee, et de son premier effort en emporte une partie, qui l'attendoit avec force canons sur les avenues et passages, en un lieu fort avantageux pour l'ennemy et ou il s'estoit fort bien retranché. Le champ de bataille, les canons, les drapeaux demeurent neanmoins aux nostres pour la bienvenue de ce grand general ; dont le Turc estonné de se voir battu d'un si petit nombre de Chrestiens, eust indubitablement levé des l'heure le siege, si la nuict avec son obscurité n'eust empesché le progres des armes de ce grand conducteur.
Le jour suivant, le Turc voulant reconquerir ce qu'il avoit perdu, ne fit qu'augmenter sa honte par la perte qu'il fit de sept mille autres Turcz, et d'un fort ou l'on trouva treize autres pieces de canon qui servirent despuis contre l'ennemy, pendant sept jours entiers que nostre general garda le champ de bataille qu'il avoit gaigné, lequel il eut conservé davantage, si la necessité des vivres qui survint par la faute de ceux du païs qui manquerent a leur promesse n'eut donné sujet aux gens du conseil de l'Empereur et a toute l'armee de le presser, voire contraindre par leur importunité de se retirer, ce que neanmoins il ne voulut faire qu'ilz ne luy eussent donné leurs advis signés. Si que l'on peut bien dire que si ce grand general eust esté secouru de vivres par ceux qui le devoyent faire, comme il secouroit [422] la ville par ses armes, elle eust indubitablement esté conservee :
« Et nunc, Troïa, stares, Priamique arx alta, maneres ; »
puysque pendant tout le tems que nostre armee demeura en ce champ de bataille (qui n'estoit esloigné de la ville que d'une portee de canon et que d'une mousquetade du camp et retranchement de l'ennemy), il ne fut fait aucun effort ni tiré un seul coup de canon contre la ville.
Mais, mon Dieu, qu'il faisoit bon voir ce grand general demeurer a la queue de son armee, qui estoit presque destituee de tous ses autres chefz et reduitte a six ou sept mille hommes, la faim ayant fait retirer le reste, et amuser le Turc par escarmouches pendant qu'elle faisoit sa retraitte l'espace de cinq a six lieues, et jusques a ce qu'il l'eut entierement degagee d'une grande quantité de mauvais passages ; combattant tantost a pied, tantost a cheval, se trouvant ores en teste de l'avant garde, ores a la queue de l'arriere garde, faysant l'office non seulement de general, mais de mareschal de camp, de general de l'artillerie, de sergent majeur, de colonnel, et bref ayant luy seul sur les bras le faix et la charge de ceste si perilleuse et tant admirable retraitte, en laquelle il se trouva plusieurs fois aux mains et meslee, donnant secours aux siens, signamment en une assistance fort remarquable qu'il donna a son arriere-garde laquelle s'en alloit desconfite par la furieuse charge de cinquante mille chevaux turcz, quoy que courageusement combattuz par le vaillant comte de Chaligny sous les heureux auspices de son frere et general, qui le secourut en fin si a propos, que les Turcz, battuz et repoussés, firent les premiers une autant honteuse retraitte que celle de nostre armee fut glorieuse, pour avoir esté faitte avec une poignee de gens que nostre general sauva et garantit heureusement des effortz [423] d'une si effroyable multitude, avec le butin de plusieurs pieces de canon.
Au retour de cest exploit, estant arrivé a Vienne au mois de novembre, l'Empereur le retint tout l'hiver et rompit le dessein qu'il avoit de venir visiter les siens en France, affin de s'en servir et prendre avec luy les resolutions de ce qu'il failloit faire pour l'annee suivante, en laquelle, environ la fin d'aoust, ce prince mit aux champs son armee, qui pouvoit estre de dix sept a dix huict mille hommes, et tira droit a Comor. Et peu apres, faysant courir le bruit d'aller assieger Bude, apres avoir usé de plusieurs beaux stratagemes, en fin il se logea devant la ville neuve et a la portee du canon d'Albe-Royale, ville principale de la basse Hongrie, saisit toutes les avenues, s'y retranche et dresse sa batterie, et l'attaque si furieusement de tous costés, se mettant luy mesme avec cinquante chevaux-legers françois a la teste d'un regiment d'infanterie, si a propos et si vaillamment, faysant office de cappitaine et soldat tout ensemble, que les ennemis, apres [avoir] long tems rendu combat, perdent en fin autant de leur courage que nostre general en donnoit aux siens, qui le voyans a leur teste, forcent l'ennemy et le menent battant jusques a la porte de la vielle ville, les murailles de laquelle ayant luy mesme reconneu, et despuis fait battre jusques a ce qu'il y eust breche raysonnable, il presente l'assaut qui fut bravement soustenu par les assiegés, jusques a ce que ce grand prince se presentant avec ses gentilz-hommes armés de toute piece, anima tellement les assaillans, que l'ennemy fut contraint d'abandonner la breche et se trouva si fort pressé, qu'une grande quantité de Turcz se precipita dans les fossés, et l'autre partie se retira dans les maysons ou estoyent leurs poudres, auxquelles ayans mis le feu par desespoir, ilz firent mourir plusieurs des nostres avec eux. Le bascha qui y commandoit s'estant retiré dans le palais avec mesme dessein, ayant demandé et obtenu la vie pour luy et les siens, demeura prisonnier, et par mesme moyen grande quantité de Chrestiens qui estoyent prisonniers dans la [424] ville receurent liberté par la main de ce brave vainqueur, lequel ayant asseuré les affaires de ceste grande ville, y laissa Steremberg, colonnel allemand, et s'en esloigna d'une ou deux lieues pour rafraischir son armee, et attendre celle de l'ennemy qui s'approchoit pour l'attaquer ou reprendre la ville.
C'est ainsy, Messieurs, que ce grand guerrier, autant digne d'estre surnommé Mars que Mercure, n'entreprenoit pas ce qui estoit facile, mays facilitoit ce qu'il entreprenoit. Ce que je dis pour l'importance et force d'Albe-Royale, en laquelle autrefois les rois d'Hongrie estoyent couronnés et ensepulturés ; place si forte, que le grand Soliman amena en personne deux cent mille hommes pour la prendre, et si, ne s'en peut rendre maistre qu'apres un siege de trois mois, et par composition, il y a environ soixante ans, durant lesquelz elle a tellement esté fortifiee, que trois divers sieges d'armees chrestiennes y ayant esté long tems n'en ont rapporté que de la perte et du dommage, jusques a ce que nostre trespassé, qui estoit de la race de ceux par lesquels si souvent salus facta est in Israel, comme il est dict des Machabees, y porta son espee, son courage et sa prudence pour s'en rendre heureusement le maistre en moins de douze jours, Dieu luy ayant reservé ceste conqueste et la delivrance des os et sepultures des anciens rois de Hongrie, avec lesquelz il avoit l'extraction commune de la grande mayson de Saxe.
Or l'ennemy s'approchoit, faysant demonstration de tirer droit a Albe-Royale pour la reprendre comme il en avoit l'ordre, et pensoit le pouvoir aysement faire d'autant que les munitions de guerre et les vivres [425] avoyent esté presque consumés par le feu, et une grande partie des murailles ruinees tant par la batterie des nostres que par les mines des siens. Mais nostre general le sçachant fit aussi de son costé rapprocher son armee, et ayant prins avec soy environ six vingtz chevaux françois s'avança jusques dans la ville, de laquelle il ne pouvoit abandonner le soin, pour la visiter et asseurer ; mais il n'y fut pas plus tost, qu'elle fut investie de huict mille chevaux, suyvis d'un gros de six vingtz mille hommes. Nostre general fit bien faire plusieurs sorties par lesquelles plusieurs Turcz furent prisonniers ; mais ce pendant ceste effroyable armee se loge entre la ville et nostre armee, laquelle n'estoit presque plus qu'un cors sans ame, estant privee de la presence de son general, lequel neanmoins ne la laissa gueres en cest estat ; car ayant donné bon ordre aux affaires de la ville, voilé et favorisé de la nuict, il sort et se vint rendre parmi sa chere trouppe, de laquelle il fut receu, et notamment de l'archiduc Mathias, avec une joye inestimable qui fut aussi suivie de braves et signalés exploitz.
Il me seroit, a la verité, du tout impossible de vous representer par parolles la valeur et prudence avec laquelle ce prince attaquoit les escarmouches avec l'armee des ennemis, desengageant ceux qui parfois s'engageoyent temerairement, regaignant les logis et petitz fortz occupés par les Turcz, faysant paroistre pendant dix sept jours entiers que les deux armees furent presque en continuel combat, un parfait assemblage de toutes les parties requises en un grand chef d'armees, et principalement en trois grandes journees esquelles il combattit si heureusement, qu'il y gaigna plusieurs canons et fit un carnage de Turcz des plus signalés qui se soit fait en nostre aage ; auquel, entre plusieurs autres chefz, Mechmet Kiaïa bascha de Bude et le bascha de Caiaie demeurerent mortz, desquelz les testes furent envoyees [426] pour estre baillees en eschange de plusieurs Chrestiens. Apres lequel exploit nostre armee demeura six jours a la campaigne ; et le grand duc de Mercœur ne voyant plus aucun ennemy autour de luy, vint avec le merite de mille palmes et d'autant de lauriers en la ville de Vienne, ou il fut receu avec la joye, les acclamations et benedictions que l'on peut penser, et avec autant d'appareil que l'on eust sceu faire pour l'Empereur en cas pareil.
Mais apres la victoire de tant d'ennemis, ce grand prince ne fut pas pourtant vaincu de la vanité, laquelle bien souvent est victorieuse des autres vainqueurs. Il sçavoit que le fruit des belles et saintes actions c'est de les avoir faittes, et que hors de la vertu il n'y a point de loyer digne d'elle ; c'est pourquoy il n'en desiroit point d'autre que la gloire de nostre Dieu. Ce qu'il monstroit bien clairement es lettres qu'il escrivoit a Madame sa femme ; car il mettoit tant de soin de rapporter a la seule gloire de Dieu les heureux succes de ses armes, qu'il sembloit mesme n'en vouloir pas estre estimé l'instrument : signe certain d'une vraye humilité, et non point affectee, puysqu'il la prattiquoit a l'endroit de celle qui n'estoit qu'un autre luy mesme.
Voyla donq quelque chose que ce grand general a fait en Hongrie ; car de vouloir dire tout, ni le tems, ni ma voix, ni le lieu ne le permettent pas. Ce sera le sujet de quelque grand maistre, lequel tout glorieux de l'heureuse rencontre d'un si riche sujet, pourra, comme un autre Maron, dire au commencement de son œuvre :
Mais ce pendant, imagines vous avec moy, je vous supplie, un prince estranger en un païs lointain, en une armee composee d'une si grande diversité de nations et de laquelle la moindre partie estoit françoise. Consideres aussi le credit qu'il s'estoit acquis : voyes l'archiduc [427] frere de l'Empereur, sous sa conduitte, penses aux grans faitz d'armes qu'il a executés en si peu de tems, resouvenes vous de la puissance de l'ennemy qu'il a deffait, l'inegalité de ses forces avec la monstrueuse multitude des Turcz, et vous admireres l'immensité des merites de ce prince, mays plustost de ce grand miracle, duquel nous devons bien tous remercier le grand Dieu des armees, qui a voulu deffaire ses ennemis par le bras de ce prince, prenant en main la justice de la cause.
Consideres comment avec treize mille hommes il attaque et surmonte cent cinquante mille Turcz, renouvellant les miracles des anciens cappitaines Josué, Gedeon, David, les Machabees, Godefroy, saint Louis, Scanderbeg et du bon comte de Montfort. Aussi ce prince renouvelloit la façon chrestienne de venir aux combatz ; car il n'y entra jamais qu'apres avoir demandé le secours a Celuy duquel il conduisoit les armees et auquel il faysoit tousjours des saintz vœux, qu'apres le succes il rendoit fort religieusement. Il avoit tousjours en son armee des Peres Capucins, lesquelz portans une grande croix, non seulement animoyent les soldatz, mais aussi apres la confession generale que tous Catholiques faisoyent en signe de contrition, ilz leur donnoyent la sainte benediction. Mays sur tout c'estoit une chose belle de voir ce general exhorter ses cappitaines a la constance, leur remonstrer que s'ilz mouroyent ce seroit avec le merite du martyre, et parler a un chacun en sa propre langue, françois, allemand, italien. Quelles merveilles si telles armees sont suivies de si grans effectz ? A la verite, Guillaume Tyrien dict que les exploitz de Godefroy estoyent entierement semblables et qu'ilz procedoyent d'une pareille conduitte.
Dieu avoit donné a ce grand prince un cœur plein de valeur, un courage invincible. De peur que ce courage se relaschast par le repos, il l'a exercé despuis son enfance jusques a la fin par des labeurs et dangers continuelz, avec tel heur neanmoins, que tant de hazardeuses secousses ne luy ont esté qu'une escole de vertu et une occasion de gloire. Et semble certainement, a voir le progres de [428] sa vie, que Dieu luy ayt excité expres ces exercices, et qu'en fin il y eut appellé tant de sortes de nations pour tesmoins, a celle fin qu'elles y remarquassent le spectacle d'une extreme valeur et d'un extreme bonheur.
Ah, que les François sont braves quand ilz ont Dieu de leur costé ! qu'ilz sont vaillans quand ilz sont devotz ! qu'ilz sont heureux a combattre les infidelles ! Leo qui omnibus insultat animalibus, solos pertimescit gallos, disent les naturalistes. C'est grand cas que la presence de ce cappitaine françois ayt peu arrester la course des armees turquesques, et qu'a son aspect leur lune se soit eclipsee. Je m'en resjouys avec vous, o belle France, et loué soit nostre Dieu que de vostre arsenal soit sortie une espee si vaillante, et que l'Empire soit venu a la queste d'un lieutenant general a la cour de vostre grand Roy, auquel c'est une grande gloire d'estre le plus grand guerrier d'un royaume duquel sortent des princes qui au reste du monde sont estimés et tenuz les premiers. Aussi plusieurs estiment que ce sera un de vos rois, o France, qui donnera le dernier coup de la ruyne a la secte de ce grand imposteur Mahomet.
En fin donques ce grand prince, apres avoir tant soustenu de travaux pour la foy et fait tant de dommage a l'ennemy d'icelle, passa de Vienne a Prague ou il print congé de l'Empereur, desirant revenir en France visiter les cheres arrhes qu'il avoit laissees. Mais estant a Noremberg il fut saysi d'une fievre pestilente, laquelle jettant le pourpre luy fit connoistre des le troysiesme jour qu'elle devoit finir ses peynes et labeurs et qu'elle luy serviroit de barque pour passer le trait de ceste mortalité. Mais parce que la vie doit estre comme une image dont toutes les parties doivent estre belles, et que la conclusion est la plus remarquable partie de l'œuvre, voyons un peu, je vous supplie, quelle fin eut une si belle vie. [429]
A la verité, c'est une tromperie par trop affectee qu'une oubliance volontaire de ce passage, puysque la nature ne fait grace a personne de sa necessité. C'est pourquoy l'homme prudent ordonne chaque journee comme devant estre la derniere de sa vie, laquelle ne doit estre qu'une continuelle disposition a faciliter ce passage, duquel ce grand prince se voyant proche, apres l'avoir tant et tant attendu, il n'eut pas beaucoup de peyne a s'y resoudre et a se resigner entierement ; car ne sçachant ou ceste heure l'attendoit, il l'attendoit par tout. Et par ce, la voyant proche : Or sus, dit il, loué soit eternellement en la terre comme au Ciel mon Dieu, mon Createur. Me voicy arrivé par sa grande misericorde a la fin de ceste vie mortelle ; sa toute bonté ne veut pas que j'arreste plus longuement parmi tant de miseres. Je luy avois fait vœu d'aller a sa sainte mayson de Lorette pour y honnorer la grandeur de sa Mere ; mais puisqu'il luy plaist, je changeray le dessein de mon voyage pour honnorer au Ciel celle que je desirois honnorer sur la terre. Et sur ce sujet il dit un monde de belles et pieuses parolles. Puys se resouvenant qu'il laissoit a Madame sa femme une jeune princesse son unique fille, pleine de bonté naturelle et de tous les signes qui peuvent præsager une excellente vertu, il s'en consola, et se resjouyt en soy raesrae de luy laisser ce gage de leur saint mariage, et reciproquement de laisser a sa fille une dame et mere, sous la douce et vertueuse conduitte de laquelle elle ne pouvoit qu'esperer de surgir au port qu'il desiroit.
Apres lesquelz ou semblables discours il demanda de pouvoir ouÿr la tressainte Messe. Mais parce qu'il n'y a aucun exercice de la foy catholique a Noremberg, l'on luy denia ce dernier bien qu'il desiroit plus que tout autre, toutesfois avec mille protestations et excuses, et entr'autres que le mesme avoit esté refusé a la reyne Elizabeth quand elle vint en France. Neanmoins, pour tesmoigner le respect que son merite avoit acquis sur tous ceux qui se disent Chrestiens, il fut permis a son aumosnier d'aller prendre le tressaint Sacrement et [430] Viatique en quelque eglise catholique pour le luy apporter ; et particulierement d'autant qu'il avoit resolu de se faire porter hors de la ville pour l'aller recevoir, quand mesme il eust deu avancer son trespas, tant il desiroit estre refectionné de ceste viande celeste et divine. L'aumosnier ayant donq pris ce gage sacré de nostre redemption au lieu le plus voysin qu'il peut, l'apporta a ce prince malade, lequel l'attendoit avec une devotion et avec des souspirs ineffables. Il ne l'eut pas plus tost veu, que tout languissant et foible de cors, mays fort et ferme d'esprit, ayant « plus de foy que de vie, » il se jetta hors de son lict, et se prosternant en terre il adora son Sauveur, plein de larmes, de parolles devotes et de mouvemens religieux, luy presente son ame et luy dedie son cœur, puys le reçoit avec toute l'humilité et la ferveur que sa grande foy luy peut suggerer en ce dernier passage. Et comme l'on void que le mouvement naturel est tous-jours plus fort en la fin qu'au commencement, aussi sa devotion et pieté en ceste derniere action fit tout l'effort de ses saintz mouvemens. Il vescut jusques au treiziesme jour, auquel il rendit en paix et envoya son esprit a son Dieu, immediatement apres avoir prononcé ces divines parolles : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum ; redemisti me, Domine Deus veritatis .
Quand je dis que le duc de Mercœur est decedé, je dis aussi un grand duc et grand prince ; mais ce qui est plus que tout cela et ou le monde ne peut atteindre, je dis ensemble un grand selon Dieu, grand en foy et religion, grand en vertu et preudhommie, grand en douceur et debonnaireté, grand en merites et bienfaitz, grand en prudence et en conseil, grand en reputation et honneur devant Dieu et devant les hommes, grand en toutes sortes et manieres. Je dis le duc de Mercœur, un des rempartz de la Chrestienté, un des boulevertz de [431] l'Eglise, un des protecteurs de la foy, guidon du Crucifix, terreur des Musulmans et Mahometans, support des affligés, exemplaire de charité, bref, la benediction de son siecle. O trespas, que tu nous prives de grandes choses ! Si nous croyons le desir des siens, voire de tous les gens de bien, ce grand prince a fort peu vescu ; si nous mesurons la grandeur de ses actions, il a asses vescu ; si nous mesurons la misere du tems, il a trop vescu ; si nous regardons la memoire de ses beaux exploitz, il vivra aeternellement.
Heureuse fin pour le concours de toutes les vertus susdites, qui comme vrays amis, quand les forces de nature, quand les grandeurs et toutes les choses l'ont quitté, ne luy ont pas failli au besoin, se rencontrant toutes ensemble pour luy faire ce dernier office. Et comme il advient en un grand fleuve dont l'embouchure est estroitte, qu'avec plus d'impetuosité il se desgorge en la mer, ou [à] l'arbre qui veut mourir, que pour la derniere fois il porte du fruit plus que l'ordinaire, les vertus qui auparavant faisoyent en luy leurs fonctions a part, tant qu'il a vescu en ce monde, se sont icy jointes ensemble pour luy faire dire avec saint Paul : Cum infirmor, tunc potens sum, pour marcher au devant de luy, servir de fanal dans les tenebres du trespas, et pour faire que cest arbre, sur les rameaux duquel tant d'oyseaux ont reposé et a l'abri duquel tant d'animaux ont repeu, tombant du costé du midy, c'est a dire en estat de grace et de gloire, y demeure eternellement. Heureux eschange, de gaigner l'eternité par la perte de si peu d'annees !
Que vous semble il maintenant, Messieurs, de la vie et du deces de ce prince ? Sa vie merite elle pas d'estre celebree par des louanges immortelles ? Vous est il advis qu'il faille regretter le trespas de celuy qui a si bien vescu ? Il a receu la mort de bon cœur, et vous en voules detester la nouvelle ? Non, non ; quicomque vous a [432] dict qu'il estoit mort vous a trompés, ceux qui ont si bien vescu ne meurent jamais. Laisses pleurer David sur la mort de son Absalon lequel est mort reprouvé ; mais consoles vous sur le trespas de ce prince qui n'est pas mort, mais sauvé de la mort. Ne penses plus a sa vie pour regretter sa mort, mais penses plustost a sa mort pour imiter sa vie, de laquelle si vous voules avoir une perpetuelle idee devant les yeux et en conserver un brief memorial, resouvenes vous de sa devise : « Plus fidei quam vitæ. »
Il eut a la verité tous-jours « plus de foy que de vie ; » car sa foy fut tous-jours maistresse de sa vie. Il ne vivoit que de foy ; son ame estoit la vie de son cors, sa foy la vie de son ame. Voyes qu'il ne vit qu'a mesure que sa foy le luy permettoit, sobre, juste et devot. Voyes qu'il ne fait la guerre que selon que la foy le luy suggere, pour la religion et l'Eglise, en vœux et devotions. Mays il nous a laissé ceste sainte devise qu'il a tant cheri en ce monde, montant en l'autre ; car le mot est bon pour avoir le passage au Ciel, mais il ne se peut dire des qu'on y est entré. Vous resouvient-il pas du bon Helie ? Le chariot ardent l'enleve, et le transporte au ciel, mais il laisse tomber son manteau pour son disciple Helisee. Quicomque est entré dans les saintz domiciles de la felicité, ne peut avoir le manteau de la foy, car tout y est descouvert : la clarté y est si grande qu'on n'y peut rien croire, d'autant qu'on y voit tout. Au lieu donques que ce prince disoit estant icy : « Plus de foy que de vie, » maintenant il chante pour cantique : Tout de vie et point de foy.
Voyla donques la devise de ce vaillant et genereux prince qu'il nous laisse ici bas. Hé, qui sera ce courageux Helisee qui la recueillira ? Qui sera ce brave prince qui, marchant sur les pas de ce grand conducteur d'armees, avec « plus de foy que de vie, » poursuivra les victoires qu'il a si bien commencees contre les ennemis du Crucifix ? Permettes moy que je vous expose une mienne pensee. Si l'esprit de ce prince a quelque soin de nous, comme il n'en faut pas douter, je crois que c'est principalement pour le desir qu'il a que quelqu'un luy succede [433] qui puisse comme luy porter pour sa devise : « Plus de foy que de vie. » Car au reste, quel soin peut-il avoir pour ce qui est au monde ? De Madame sa femme ? Hé quoy, ne sçait-il pas qu'estant vertueuse et devote, elle se sçaura bien consoler en Dieu ? De Mademoyselle sa fille ? Hé quoy, ignore il qu'elle a une dame et mere qui suppleera le manquement du pere ? De l'honneur de sa mayson ? Mais il a laissé tant de grans princes qui le sçauront bien maintenir, voire accroistre mesme, a la faveur de ce grand Roy qui luy a rendu tant de tesmoignages de ses merites pendant sa vie, et tant d'honneur a sa memoire apres sa mort. Non, croyes-moy, je vous supplie, qu'il n'a point de plus grand soucy que celuy que je dis.
Il me semble que je le voy nous arraisonnant avec une grace celeste presque en ces termes : Quis consurget mihi adversus malignantes ? aut quis stabit mecum adversus operantes iniquitatem ? Je suis maintenant en ceste vie heureuse ou la foy n'arrive point, ou il n'y a plus d'esperance, car la clarté a chassé la foy, et la jouissance a banni l'esperance. Je voy ce que j'ay creu, je tiens ce que j'ay esperé ; mais la charité m'accompaigne, laquelle me fait tous-jours desirer l'exaltation de l'Eglise et l'extermination de ses ennemis. Hé, ne se trouvera-il personne qui veuille entreprendre de combattre pour la gloire de mon Dieu, et qui d'une ame courageuse reprenne mes brisees a la poursuitte d'une si sainte entreprise ?
Mais encores me semble-il qu'il vous parle, Madame sa tres chere vefve, et a vous, Messieurs ses parens, et qu'il vous dit ces paroles : Regardes ou je suis, je vous supplie : je suis au lieu que j'ay tant desiré, auquel je me console en mes travaux passés qui m'ont acquis ceste gloire presente ; pourquoy ne vous consoles vous avec moy ? Quand j'estois avec vous, vous faisies profession de vous resjouïr avec moy de toutes mes consolations, [434] mesmement des caduques et illusoires : hé, ne suis-je pas tous-jours celuy-la ? Pourquoy vous affliges vous donques de mon trespas, puysqu'il m'a donné tant de gloire ? Non, je desire de vous tout autre chose que ces regretz ; si vous aves des larmes, gardes les pour pleurer vos pechés et les malheurs de vostre siecle.
Pour moy, je le considere en cest estat ; car encor que je m'imagine que ce grand prince a esté pecheur, au moins comme le sont ceux qui tombent sept fois le jour, et qu'a l'adventure il a eu besoin de quelque purgation selon la severité du juste jugement divin, si est ce que d'ailleurs, considerant sa belle vie : helas, dis je, est il possible que celuy duquel Dieu s'est servi pour delivrer tant d'ames de la captivité des infidelles, soit encor privé de la jouissance de la pleine et triomphante liberté ?
Que si neanmoins le secret inscrutable de nostre Dieu vous avoit encores confiné, o devot et genereux esprit, pour quelque tems au sejour de purgation, voicy que nous vous donnons nos prieres et oraysons, nos jeusnes et nos veilles et tout ce que nous pouvons, et sur tout ces saintz Sacrifices, aflin qu'ilz vous soyent appliqués. Nous vous donnons tous nos vœux et souhaitz. Dieu vous reçoive en son saint domicile, o belle ame. Dieu exauce les prieres de tout le Christianisme, lequel, joignant ses vœux aux nostres, conspire en ceste voix pour vous : Dieu donne sa paix a celuy qui a tant combattu pour defendre la nostre ; Dieu donne son Paradis a celuy qui a conservé les maysons de tant de Chrestiens ; Dieu donne son temple celeste a celuy qui a tant preservé d'eglises en terre ; Dieu reçoive en la cité de Hierusalem triomphante celuy qui a tant combattu pour la militante. Et Dieu donne a tous ceux qui font de telles prieres pour l'ame de ce grand prince la grace de sa sainte paix et de son eternelle consolation !
Multi in nativitate ejus gaudebunt ;
erit enim magnus coram Domino.
Ut aves venuste garriunt tempore veris, sic hoc in nativitatis Joannis Baptiste tempore Maria, Elizabeth, Zacharia, omnes vicini, et quotquot sancti postea extitere. Sed audiamus philomelam Angelum, vel potius unum versum cantici ejus : Multi in nativitate ejus gaudebunt ; erit enim magnus. En Præcursoris præcursor. Magnus porro fuit Joannes ante nativitatem, in nativitate, post nativitatem ; in vita, in morte, post mortem. Sed his duabus concionibus : quam magnus fuerit ante nativitatem, et quam magnus in vita. Magnus [436] fuit in utero, in mundo et in Cælo ; hodie quam magnus in utero, cras quam magnus in mundo.
Tria in utero habuit Joannes quæ magnum illum effecerunt. Generationem ex sterili et sene matre et patre : Eo quod esset Elisabeth sterilis, et ambo processissent in diebus suis. Ex sterili propemodum magni : Isaac, Joseph, Samuel, Samson. Manna in deserto. Aqua e petra. Rosa inter spinas.
Ex nobilissimis, de Aaron. Pater quia sacerdos, mater quia expresse habet Evangelista de filiabus Aaron. Elisabeth, juramentum Dei ; Zacharias, memoria Dei. Missio Joannis ordinaria hinc fuit, neque eguit miraculis ; approbata deinde ab ordinariis. Deinde miraculis nativitatis probatur, et Christi.
Ex ambobus justis ante Deum. Boni corvi, bonum ovum. Propter inclinationem, educationem, imitationem, impetrationem. Incedentes in omnibus mandatis et justificationibus Domini sine quærela. Mandata, ad mores ; justificationes, ad cæremonias et cultum ; judicia, ad politiam et leges civiles Moisi ; testimonia, ad promissiones.
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Plusieurs se réjouiront à sa naissance ; car il sera grand devant le Seigneur.
Comme au printemps les oiseaux gazouillent avec grâce, ainsi en fut-il au jour de la naissance de Jean-Baptiste, pour Marie, Elisabeth, Zacharie, tous les voisins et chacun des saints qui vinrent ensuite. Mais écoutons l'Ange, cette philomèle, ou plutôt un seul verset de son cantique : Plusieurs se réjouiront à sa naissance ; car il sera grand. Voilà le précurseur du Précurseur. Or, Jean fut grand avant sa naissance, en sa naissance, après sa naissance ; dans la vie, dans la mort, après la mort. Ces deux instructions nous montreront combien il fut grand avant sa naissance, combien durant sa vie. Il fut grand [436] dans le sein de sa mère, dans le monde, au Ciel. Montrons aujourd'hui sa grandeur dans le sein de sa mère, nous dirons demain sa grandeur dans le monde.
Trois causes contribuèrent à la grandeur de Jean dans le sein de sa mère. Il naquit d'une mère stérile et de parents âgés : Car Elisabeth était stérile et tous deux étaient avancés en âge. Plusieurs grands hommes sont, comme lui, nés de stériles : Isaac, Joseph, Samuel, Samson. Manne dans le désert. Eau tirée de la pierre. Rose entre les épines.
Il naquit de parents très nobles, de la race d'Aaron. Son père en effet était prêtre, et l'Evangéliste dit expressément de sa mère qu'elle était d'entre les filles d'Aaron. Elisabeth signifie serment de Dieu ; Zacharie, mémoire de Dieu. De là, Jean tenait sa mission ordinaire, il n'était pas besoin de miracles ; ses supérieurs réguliers l'approuvèrent ensuite. Puis, sa mission, comme celle du Christ, a été prouvée par les miracles de sa nativité.
Il naquit de deux personnes justes devant Dieu. De bon corbeau, bon œuf. Justes par inclination, éducation, imitation, prières. Marchant sans reproche dans tous les commandements et les rites du Seigneur. Les commandements se rapportent aux mœurs ; les rites, aux cérémonies du culte ; les jugements, aux lois civiles et politiques de Moïse ; les témoignages, aux promesses.
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2°. Ad merendum : Qui justus est, justificetur adhuc.
« Ne levi saltem maculare vitam famine posses. »
Quanta cura custodiri debent gratiæ ! Ut rosæ inter spinas. Vulpes non comedit gallos gallinaceos si jecur comederint ejus animalis. Pediculus fasianos nisi pulverantes sese comedit et interficit. « In Carrinensi Hispaniæ agro, fons aurei coloris omnes ostendit pisces, » etc. Muscæ morientes perdunt suavitatem unguenti ; Eccles. 10 .
[4°.] Ut doceret rectius. Echineis asservata sale, aurum ex puteo extrahit. Hinc lucerna marina effecta est [vita ejus]. Et manus hominis sub pennis eorum. Gallus albus formidabilior leoni.
Qui peccant pœnitentiam non faciunt. Si nos ipsos judicaremus, non utique judicaremur.
O quam magnum præmium ! Virgo, Doctor, Martir. [438]
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2. Pour mériter : Que celui qui est juste, se justifie encore.
« Pour que pas un seul mot ne pût souiller ta vie. »
Avec quel soin devons-nous conserver les grâces I Comme les roses entre les épines. Les renards ne mangent pas les poussins qui ont mangé le foie d'un renard. Si le faisan ne se couvre de poussière, la vermine le ronge et le tue. « Au pays de Carrina, en Espagne, une source montre tous les poissons couleur d'or, » etc. Les mouches mourantes gâtent la suavité du parfum.
[4.] Pour instruire plus convenablement. Le rémora conservé dans le sel, tire l'or du puits. De là, [sa vie] est devenue une lanterne de mer. Et des mains d'hommes étaient sous leurs ailes. Le coq blanc est plus redoutable au lion.
Ceux qui pèchent ne font pas pénitence. Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions certainement point jugés.
Oh quelle grande récompense ! Vierge, Docteur, Martyr. [438]
Quæ est ista quæ ascendit de deserto, deliciis
affluens, innixa super Dilectum suum ?
Qui est celle cy qui monte du desert, abondante
en delices, appuyee sur son Bienaymé ?
L'Arche de l'alliance avoit longuement esté sous les tentes et pavillons, quand en fin le grand roy Salomon la fit colloquer dans le riche et magnifique temple qu'il luy avoit preparé. Et lhors la resjouyssance fut si grande en Hierusalem, que le sang des sacrifices ruisseloit par les rues, l'air estoit couvert des nuages de tant d'encensemens et suffumigations, et les maysons et places retentissoyent des cantiques et psaumes que l'on chantoit par tout en musique et sur les instrumens harmonieux. [439]
Mais, mon Dieu, si la reception de ceste ancienne Arche fut si solemnelle, quelle devons nous penser avoir esté celle de la nouvelle Arche, je dis de la tres glorieuse Vierge Mere du Filz de Dieu, au jour de son Assumption? O joye incomprehensible ! o feste pleine de merveilles, et qui fait que les ames devotes, les vrayes filles de Sion, s'escrient par admiration : Quæ est ista quæ ascendit ? Qui est celle cy laquelle monte du desert ? Et pour vray, ces pointz sont admirables : la Mere de la vie est morte, la morte est resuscitee et montee au lieu de la vie. Et ceux cy sont pleins de consolation : c'est qu'elle est montee pour l'honneur de son Filz et pour exciter en nous une grande devotion. C'est presque le sujet que j'ay a traitter devant vous, o peuple, mays que je ne puis bien traitter si je n'obtiens l'assistance du Saint Esprit. Ave Maria.
Dieu mit au ciel deux luminaires au commencement, l'un desquelz fut appellé par grand excellence le grand luminaire, et l'autre fut nommé le moindre ; le grand pour esclairer et præsider au jour, et le moindre pour esclairer et præsider a la nuict ; car encores que nostre Createur voulust qu'il y eust vicissitude de jour et de nuict, et que les tenebres succedassent a la lumiere, si est ce qu'estant lumiere luy mesme, il ne voulut pas que les tenebres et la nuict demeurassent du tout privees de lumiere ; dont ayant creé le grand luminaire pour le jour, il en crea un moindre pour la nuict, affin que l'obscurité des tenebres fust encores meslee et attrempee par le moyen de sa clarté.
Ce mesme Dieu, avec sa sainte providence, voulant creer le monde spirituel de son Eglise, y a mis comme en un divin firmament deux grans luminaires ; mais l'un plus grand, l'autre moindre. Le plus grand c'est son Filz Jesus Christ nostre Sauveur et Maistre, abisme de lumiere, source de splendeur, vray Soleil de justice ; le moindre, c'est la tressainte Mere de ce grand Filz, Mere toute glorieuse, toute resplendissante et vrayement plus belle que la lune. Or ce grand luminaire venant [440] icy bas en terre, le Filz de Dieu prenant nostre nature humaine, comme le vray soleil qui vient sur nostre hemisphere, fit la lumiere et le jour ; jour bienheureux et tant desiré qui dura trente trois ans environ, pendant lesquelz il esclaira la terre de l'Eglise par les rayons de ses miracles, exemples, predications et saintes parolles. Mais en fin, quand l'heure fut venue en laquelle ce pretieux soleil devoit se coucher et porter ses rayons a l'autre hemisphere de l'Eglise qui est le Ciel et la trouppe angelique, que pouvoit-on attendre sinon les obscurités d'une nuict tenebreuse ? La nuict aussi arriva tout aussi tost et succeda au jour ; car tant d'afflictions et persecutions qui survindrent aux Apostres, qu'estoit ce qu'une nuict ? Mais ceste nuict eut encor son luminaire qui l'esclaira, affin que ses tenebres fussent plus tolerables ; car la bienheureuse Vierge demeura en terre parmi les disciples et fidelles. Dequoy nous ne pouvons aucunement douter, puisque saint Luc, au 2. chapitre des Actes et au 1er, tesmoigne que Nostre Dame estoit avec les disciples au jour de la Pentecoste, et qu'elle perseveroit avec eux en orayson et communion ; dont quelques errans sont convaincus de faute en ce qu'ilz ont estimé qu'elle mourut avec son Filz, a cause des parolles de Simeon qui avoit prædit que le glaive transperceroit son ame ; mais je declaireray bien tost ce passage, et monstreray par le vray sens que Nostre Dame ne mourut pas avec son Filz.
Ce pendant voyes les raysons pour lesquelles son Filz la laissa apres luy en ce monde. 1. Ce luminaire estoit requis pour la consolation des fidelles qui estoyent en la nuict des afflictions. 2. Sa demeure ici bas luy donna loysir de faire un grand amas de bonnes œuvres, affin qu'on peust dire d'elle : Plusieurs filles ont assemblé des richesses, mais tu les as toutes surpassees. 3. Quelques heretiques dirent, tout aussi tost que Nostre Seigneur fut mort et monté au Ciel, qu'il n'avoit pas eu un cors naturel et humain, mais fantastique. La Vierge sa Mere demeurant apres luy, servoit d'un asseuré tesmoignage pour la verité de sa nature humaine, commençant. [441] par la a verifier ce que nous chantons d'elle : « Cunctas haereses interemisti ; Tu as ruyné, o Vierge, et destruit toutes les heresies. » Elle vesquit donques apres la mort de sa vie, c'est a dire de son Filz, et apres son Ascension, et vesquit asses longuement, bien que le nombre des annees ne soit pas bien asseuré ; mais le moins ne peut estre que de quinze ans, qui auroit fait arriver son aage a 63 ans. C'est le moins, dis je, d'autant que les autres, avec beaucoup de probabilité, la font passer jusques a 72, mais cela importe bien peu. Il nous suffit de sçavoir que ceste sainte Arche de la nouvelle alliance demeura ainsy en ce desert du monde, sous les tentes et pavillons, apres l'Ascension de son Filz.
Que si cela est certain comme il l'est, il est aussi tres certain qu'en fin ceste sainte Dame mourut ; non que l'Escriture le tesmoigne, car je ne trouve aucune parole en l'Escriture ou il soit dit que la Vierge soit morte ; la seule tradition ecclesiastique est celle-la qui nous en asseure, et la sainte Eglise, laquelle le confirme en l'orayson secrette qu'elle dit au saint office de la Messe de ceste feste. Il est vray que l'Escriture nous enseigne en termes generaux que tous les hommes meurent, et n'y en a pas un qui soit exempt du trespas, mais elle ne dit pas que tous les hommes sont mortz, ni que tous ceux qui ont vescu soyent des-ja trespassés ; au contraire elle en excepte quelques uns, comme Helie qui sans mourir fut transporté sur le chariot de feu, et Enoch qui fut ravi par Nostre Seigneur avant qu'il aye senti la mort ; et encores saint Jean Evangeliste, comme je pense estre le plus probable selon la parole de Dieu, ainsy que je vous ay remonstré cy devant, le jour de sa feste en may. Ces trois Saintz ne sont pas mortz, et neanmoins ne sont pas exemptz de la loy du trespas, parce que s'ilz ne sont mortz ilz mourront au dernier tems, sous la persecution de l'Antichrist, comme il appert au chap. 11 de l'Apoc. Pourquoy ne pourroit on pas dire de mesme de la Mere de Dieu, a sçavoir qu'elle n'est pas morte encor, mais qu'elle mourra cy apres ? Certes, si quelqu'un vouloit maintenir ceste opinion, on ne sçauroit le convaincre [442] par l'Escriture, et selon vos principes, o adversaires de l'Eglise Catholique, il seroit bien fondé. Mais la verité est qu'elle est morte et trespassee aussi bien que son Filz et Sauveur, car encor que cela ne se peut prouver par l'Escriture, si est ce que la tradition et l'Eglise, qui sont d'infallibles tesmoins, nous en asseurent.
Asseurés donques qu'elle est morte, meditons, je vous supplie, de quelle sorte de mort elle mourut. Quelle mort fut tant hardie que d'oser attaquer la Mere de la vie, et celle de laquelle le Filz avoit vaincu et la mort et sa force qui est le peché ? Soyes attentifz, mes tres chers auditeurs, car ce point est digne de consideration. J'auray bien tost respondu a la demande, mays il ne me sera pas si aysé de la bien prouver et declairer.
Ma response est en un mot que Nostre Dame Mere de Dieu est morte de la mort de son Filz. La rayson fondamentale est parce que Nostre Dame n'avoit qu'une mesme vie avec son Filz, elle ne pouvoit donq avoir qu'une mesme mort ; elle ne vivoit que de la vie de son Filz, comme pouvoit-elle mourir d'autre mort que de la sienne ? C'estoyent a la verité deux personnes, Nostre Seigneur et Nostre Dame, mais en un cœur, en une ame, en un esprit, en une vie ; car si le lien de charité lioit et unissoit tellement les Chrestiens de la primitive Eglise, que saint Luc asseure qu'ilz n'avoyent qu'un cœur et une ame (aux Actes, 4 ), combien avons nous plus de rayson de dire et croire que le Filz et la Mere, Nostre Seigneur et Nostre Dame, n'estoyent qu'une ame et qu'une vie ?
Oyes le grand Apostre saint Paul ; il sentoit telle union et liaison de charité entre son Maistre et luy, qu'il fait profession de n'avoir point d'autre vie que celle du Sauveur : Vivo ego, etc. ; Je vis, mais non ja moy, ains Jesus Christ vit en moy. O peuple, ceste union, ce meslange et liaison de cœurs estoit grande qui faysoit dire telles parolles a saint Paul, mais non pas comparable avec celle qui estoit entre le cœur du Filz Jesus et celuy de la Mere Marie ; car l'amour que Nostre Dame portoit a son Filz surpassoit celuy que saint Paul portoit [443] a son Maistre, d'autant que les noms de mere et de filz sont plus excellens en matiere d'affection que les noms de maistre et de serviteur. C'est pourquoy, si saint Paul ne vivoit que de la vie de Nostre Seigneur, Nostre Dame aussi ne vivoit que de la mesme vie, mais plus parfaitement, mais plus excellemment, mais plus entierement.
Que si elle vivoit de sa vie, aussi est-elle morte de sa mort. Et certes, le bon viellard Simeon avoit long tems auparavant prædit ceste sorte de mort a Nostre Dame, quand tenant son Enfant en ses bras, il luy dit : Tuam ipsius animam pertransibit gladius ; Ton ame sera transpercee par le glaive, le glaive transpercera ton ame ; car considerons ces parolles. Il ne dit pas : Le glaive transpercera ton cors, mais il dit ton ame. Quelle ame ? La tienne mesme, dit le Prophete. L'ame donq de Nostre Dame devoit estre transpercee ; mais par quelle espee, par quel Cousteau ? Et le Prophete ne le dit pas ; neanmoins, puysqu'il s'agit de l'ame et non pas du cors, de l'esprit et non pas de la chair, il ne faut pas l'entendre d'un glaive materiel et corporel, ains d'un glaive spirituel et qui puisse atteindre l'ame et l'esprit.
Or je trouve trois glaives qui peuvent porter leurs coups en l'ame. 1. Le glaive de la parolle de Dieu, lequel, comme parle l'Apostre, est plus penetrant qu'aucune espee a deux taillans. 2. Le glaive de douleur duquel l'Eglise entend les parolles de Simeon : Tuam, dit-elle, ipsius animam doloris gladius pertransivit :
3. Le glaive d'amour, duquel Nostre Seigneur parle : Non veni mittere pacem, sed gladium ; Je ne suis [444] pas venu mettre la paix, mais le glaive, qui est le mesme que quand il dit : Ignem veni mittere ; Je suis venu mettre le feu. Et au Cantique des Cantiques, l'Espoux estime que l'amour soit une espee par laquelle il a esté blessé, disant : Tu as blessé mon cœur, ma seur, mon espouse. De ces trois glaives fut transpercee l'ame de Nostre Dame en la mort de son Filz, et principalement du dernier qui comprend les deux autres.
Quand on donne quelque grand et puissant coup sur une chose, tout ce qui la touche de plus pres en est participant et en reçoit le contre coup. Le cors de Nostre Dame n'estoit pas joint et ne touchoit pas a celuy de son Filz en la Passion ; mais quant a son ame, elle estoit inseparablement unie a l'ame, au cœur, au cors de son Filz, si que les coups que le beny cors du Sauveur receut en la croix ne firent aucune blesseure au cors de Nostre Dame, mais ilz firent des grans contre coups en son ame, dont il fut verifié ce que Simeon avoit prædit. L'amour a accoustumé de faire recevoir les contre coups des afflictions de ceux que l'on cherit : Quis infirmatur, et ego non infirmor ? Qui est malade, que je ne le sois ? qui reçoit un coup de douleur, que je n'en reçoive le contre coup ? dit le saint Apostre ; et neanmoins l'ame de saint Paul ne touchoit pas de si pres au reste des fidelles, comme l'ame de Nostre Dame touchoit et attouchoit de fort pres, et de si pres que rien plus, a Nostre Seigneur, a son ame et a son cors, duquel elle estoit la source, la racine, la Mere. Ce n'est donques pas merveille si je dis que les douleurs du Filz furent les espees qui transpercerent l'ame de la Mere.
Disons un peu plus clairement : une flesche dardee rudement contre une personne, ayant outrepercé son cors, percera encores celuy qui se trouvera tout touchant et joint a luy. L'ame de Nostre Dame estoit jointe en parfaitte union a la personne de son Filz, elle estoit collee sur elle : Anima Jonathæ conglutinata est ad animam David, dit l'Escriture, I Reg., 18 ; L'ame de Jonathas fut liee ou collee a celle de David, tant leur [445] amitié estoit estroitte ; et partant, les espines, les clouz, la lance qui percerent la teste, les mains, les piedz, le costé de Nostre Seigneur, passerent encores outre et outrepercerent l'ame de la Mere. Lhors je puis bien dire avec verité, o sainte Vierge, que vostre ame fut transpercee de l'amour, de la douleur et des paroles de vostre Filz. Car quant a son amour, o comme il vous blessa, lhors que vous voyies mourir un Filz qui vous aymoit tant et que vous adories tant ! Quant a sa douleur, comme elle vous toucha vivement, touchant si mortellement tout vostre playsir, vostre joye, vostre consolation ! Et quant a ses paroles si douces et si aigres tout ensemble, helas, ce vous furent autant de vens et d'orages pour enflammer vostre amour et vos douleurs, et pour agiter le navire de vostre cœur presque brisé en la tempeste d'une mer tant amere ! L'amour fut l'archer, car sans luy la douleur n'eust pas eu asses de mouvement pour atteindre vostre ame ; la douleur fut l'arc qui lançoit les paroles interieures et exterieures, comme autant de dars qui n'avoyent autre but que vostre cœur.
Helas, comme fut il possible que des sagettes tant amoureuses fussent si douleureuses ? Ainsy les eguillons emmiellés des abeilles font extreme douleur a ceux qui en sont piqués, et semble que la douceur du miel avive la douleur de la pointe. C'est la verité, o peuple, plus les paroles de Nostre Seigneur furent douces, plus furent elles cuisantes a la Vierge sa Mere, et le seroyent a nous si nous aymions son Filz. Quelle plus douce parole que celle qu'il dit a sa Mere et a saint Jean, paroles tesmoins asseurés de la constance de son amour, de son soin, de son affection a ceste sainte Dame ; et neanmoins ce furent des paroles qui sans doute luy furent extremement douleureuses. Rien ne nous fait tant ressentir la douleur d'un amy que les asseurances de son amour.
Mais revenons a nous, je vous prie. Ce fut donq lhors que l'ame de Nostre Dame fut transpercee du glaive. Et quoy, me dires-vous, mourut elle alhors ? J'ay des-ja dit que quelques uns qui l'ont ainsy voulu dire ont fort [446] erré, et que l'Escriture tesmoigne qu'elle estoit encor vivante au jour de la Pentecoste, et qu'elle persevera avec les Apostres aux exercices de l'orayson et communion, et de plus que la tradition est qu'elle vescut plusieurs annees despuis. Mais oyes, je vous prie : n'arrive il pas souvent qu'une biche est blessee par le veneur, et que neanmoins elle s'eschappe avec son coup et sa playe, et va mourir bien loin du lieu ou elle a esté blessee et plusieurs jours apres? Ainsy certes Nostre Dame fut blessee et atteinte du dard de douleur en la Passion de son Filz sur le mont de Calvaire, et ne mourut toutefois pas a l'heure, mays porta longuement sa playe de laquelle en fin elle mourut. O playe amoureuse ! o blesseure de charité, que vous fustes cherie et bienaymee du cœur que vous blessastes !
Aristote raconte que les chevres sauvages de Candie (Pline en dit de mesme des cerfz) ont une malice et ruse, ou plustost un instinct admirable ; car estant transpercees d'une flesche elles recourent au dictamon, par le moyen duquel la flesche est expulsee et rejettee du cors. Mays qui est le Chrestien qui n'ayt esté quelquefois blessé du dard de la Passion du Sauveur ? Qui est le cœur qui ne soit atteint, considerant son Sauveur fouetté, tourmenté, garrouté, cloué, couronné d'espines, crucifié ? Mays je ne sçay si je le dois dire, que la pluspart des Chrestiens ressemblent aux hommes de Candie desquelz parlant l'Apostre, il dit : Cretenses mendaces, ventres pigri, malæ bestiæ ; Les Candiotz sont menteurs, ventres coüars, mauvaises bestes. Au moins puis je bien dire que plusieurs ressemblent aux chevres sauvages de Candie ; car ayant esté blessés et atteins en leur ame de la Passion du Sauveur, ilz recourent incontinent au dictamon des consolations mondaines, par lequel les dars de l'amour divin sont rejettés et repoussés de leur memoire. Au contraire la Sainte Vierge se sentant blessee, cherit et garda soigneusement les traitz dont elle estoit outrepercee et ne voulut jamais les repousser ; ce fut sa gloire, ce fut son triomphe, et partant elle desira d'en mourir et en mourut en fin : si [447] que elle mourut de la mort de son Filz, bien qu'elle n'en mourut pas sur l'heure.
Or, si ne faut-il pas s'arrester ici ; ce sujet est aggreable a mon advis. Nostre Dame mourut de la mort de son Filz ; mais son Filz, de quelle mort mourut il ? Voicy des nouvelles flammes, o Chrestiens. Nostre Seigneur souffrit infiniment en son ame et en son cors ; ses douleurs ne reçoivent point de comparayson en ce monde. Voyes les afflictions de son cœur, voyes les passions de son cors, consideras, je vous supplie, et voyes qu'il n'y a point de douleurs esgales aux siennes ; mais neanmoins toutes ces douleurs, toutes ces afflictions, tous ces coups de main, de roseau, d'espines, de fouet, de marteaux, de lance ne pouvoyent le faire mourir ; la mort n'avoit pas asses de force pour se rendre victorieuse sur une telle vie, elle n'y avoit point d'acces. Comme mourut-il donq ?
O Chrestiens, l'amour est aussi fort que la mort : Fortis ut mors dilectio. L'amour desiroit que la mort entrast en Nostre Seigneur, a fin que par sa mort il peust se respandre en tous les hommes ; la mort desiroit d'y entrer, mais elle ne pouvoit d'elle mesme. Elle attendit l'heure, heure bienheureuse pour nous, a laquelle l'amour luy fit l'entree et luy livra Nostre Seigneur piedz et mains cloué ; si que ce que la mort n'eut peu faire, l'amour, aussi fort qu'elle, l'entreprit et le fit. Il est mort d'amour, ce Sauveur de mon ame ; la mort n'y pouvoit rien que par le moyen de l'amour : Oblatus est quia ipse voluit .
Ce fut par election qu'il mourut, et non par la force du mal : Ego pono animam meam ; nemo tollit eam a me, sed ego pono eam . Tout autre homme fut mort de tant de douleurs, mais Nostre Seigneur, qui tenoit en ses mains les clefs de la mort et de la vie, pouvoit tous-jours empescher les effortz de la mort et les [448] effectz des douleurs. Mais non, il ne voulut pas ; l'amour qu'il nous portoit comme une Dalila luy osta toute sa force, et se laissa volontairement mourir ; et partant il n'est pas dit que son esprit sortit de luy, mais qu'il le rendit : Emisit spiritum. Et saint Athanase note qu'il baissa la teste avant que de mourir : Inclinato capite, emisit spiritum, pour appeller la mort, laquelle autrement n'eust osé s'approcher. C'est cela qui le fait crier a pleine voix en mourant, pour monstrer qu'il avoit asses de force pour ne mourir pas, s'il luy eust pleu. C'est la resolution qu'il donne luy mesme : Majorem charitatem nemo habet, quam ut animam suam ponat quis pro amicis suis.
Il est donq mort d'amour, et c'est ce qui fait que son sacrifice de la croix fut un holocauste, parce qu'il y fut consumé par ce feu, invisible mais d'autant plus ardent, de sa divine charité qui le rend sacrificateur en ce sacrifice, et non les Juifz ou Gentilz qui le crucifierent, d'autant qu'ilz n'eussent sceu luy donner la mort par leurs actions, si son amour, par le plus excellent acte de charité qui fut onques, n'en eust permis et commandé le dernier effect, puysque tous les tourmens qu'ilz luy firent fussent demeurés sans effect, s'il n'eust voulu leur permettre la prise sur sa vie et leur donner force sur luy : Non haberes potestatem adversum me, nisi datum tibi esset desuper .
Or, puysqu'il est certain que le Filz est mort d'amour et que la Mere est morte de la mort du Filz, il ne faut pas douter que la Mere ne soit morte d'amour. Mays comment cela ? Vous aves veu qu'elle fut blessee d'une playe d'amour sur le mont de Calvaire voyant mourir son Filz ; des lhors cest amour luy donna tant d'assautz, elle ressentit tant d'eslancemens, ceste playe receut tant d'inflammation, qu'en fin il fut impossible qu'elle n'en [449] mourust. Elle ne faisoit que languir, sa vie n'estoit plus qu'en defaillances et ravissemens, elle se fondoit en elle mesme par tant de chaleurs, si que elle pouvoit bien dire ordinairement : Stipate me floribus, fulcite me malis, quia amore langueo ; Appuyes moy de fleurs, environnes moy de pommes, car je languis d'amour. Amnon espris de l'amour infame de Thamar, en devint si malade qu'on le voyoit mourir et dessecher. O que l'amour divin est bien plus actif et puyssant ! Son object, son principe est bien plus grand ; c'est pourquoy ce n'est pas chose estrange si je dis que Nostre Dame en mourut. Elle portoit tous-jours en son cœur les playes de son Filz ; pour quelque tems elle les souffrit sans mourir, mais en fin elle en mourut sans souffrir. O amor vulneris, o vulnus amoris ! O passion d'amour, o amour de la Passion !
Helas, son thresor estoit au Ciel, c'est a dire son Filz, son cœur n'estoit donq plus en elle ; la estoit le cors qu'elle aymoit tant, os de ses os, chair de sa chair ; la voloit ceste sainte aigle : Ubicumque fuerit corpus, ibi congregabuntur et aquilæ . Bref, son cœur, son ame, sa vie estoit au Ciel ; comme eut elle peu demeurer en terre ? Donques en fin, apres tant de volz spirituelz, apres tant de suspensions et d'extases, ce saint chasteau de pudicité, ce fort d'humilité ayant soustenu miraculeusement mille et mille assautz d'amour, fut emporté et pris par un dernier et general assaut ; et l'amour qui en fut le vainqueur, emmenant ceste belle ame comme sa prisonniere, laissa dans le cors sacré la pasle et froide mort. O mort, que fais tu dans ce cors ? estimes tu de le pouvoir garder ? Ne te souvient il point que le Filz de ceste Dame dont tu possedes le cors, t'a vaincu, t'a battu, t'a rendu son esclave ? Ah, ja n'advienne qu'il te laisse en la gloire de ceste tienne victoire ; tu sortiras tantost autant honteusement comme tu y es superbement, et l'amour qui t'a logé en ceste sainte place [450] par un certain exces, revenant a soy mesme dans bien peu, t'en ostera la possession.
Le phœnix meurt par le feu, et ceste sainte Dame mourut d'amour. Le phœnix assemble des busches de bois aromatiques, et les posant sur la cime d'un mont, fait sur ce buscher un si grand mouvement de ses aisles, que le feu s'en allume aux rayons du soleil. Ceste Vierge assemblant en son cœur la croix, la couronne, la lance de Nostre Seigneur, les posa au plus haut de ses pensees, et faisant sur ce buscher un grand mouvement de continuelle meditation, le feu en sortit aux rayons des lumieres de son Filz. Le phœnix meurt en ce feu la ; la Vierge mourut en celuy ci, et ne faut pas douter qu'elle n'eust en son cœur gravees les armes de la Passion. Ah, si tant de vierges, comme sainte Catherine de Sienne, sainte Claire de Montefalco, ont bien eu ceste grace, pourquoy non Nostre Dame, laquelle ayma son Filz et sa mort et sa croix incomparablement plus que ne firent onques tous les Saintz et les Saintes ? Aussi n'estoit elle plus qu'amour, et en nostre langage, l'anagramme de Marie n'est autre chose que aimer : aimer c'est Marie, Marie c'est aimer. Alles, alles heureux, o beau phœnix, ardent et mourant d'amour, dormes en paix sur le lict de charité !
Ainsy donq mourut la Mere de la vie. Mais comme le phœnix resuscite bien tost apres sa mort et reprend une nouvelle et plus heureuse vie, ainsy ceste bienheureuse Vierge ne demeura gueres (ce ne fut au plus que trois jours) sans resusciter ; son cors ne fut point sujet a la corruption apres la mort, cors qui n'en receut jamais pendant sa sainte vie. La corruption n'avoit point de prise sur une telle integrité, ceste Arche estoit du bois incorruptible de sethim, comme l'autre ancienne. Ah, cela se croit des cors d'Helie et Enoch lesquelz, comme il est dit en l'Apocalypse, mourront, mais pour trois jours seulement et sans corruption ; combien plus de la Vierge, de laquelle la chair immaculee a une si estroitte alliance avec celle du Sauveur, qu'on ne sçauroit imaginer aucune imperfection en l'une que le deshonneur ne rejaillisse [451] sur l'autre. Tu es poudre et tu retourneras en poudre ; cela fut dit au premier Adam et a la premiere Eve, le second et la seconde n'y ont point eu de part : et c'est une regle certes bien generale, mais non pas sans exception, comme j'ay monstré d'Helie et d'Enoch. La ville de Hiericho fut generalement pillee et saccagee, mais la mayson de Raab fut privilegiee et exempte du sac, parce qu'elle avoit logé une nuict les espies du grand duc Josué. Le monde et tous ses habitans sont sujetz au sac et pillage et au feu general ; mais ne vous semble il pas qu'il y aye rayson d'excepter Nostre Dame et son cors ? cors qui receut et logea non les espies, mais le vray Josué, le vray Jesus, et non pour une nuict, mays bien pour plusieurs : Beatus venter, beata ubera. Les vers butineront nos cors, maya ilz ont reveré celuy qui a produit le cors de leur Createur.
Le pontife Abiathar s'estoit rangé a la sedition d'Adonias, ou estant descouvert et surpris : Tu devois mourir, dit Salomon, mais parce que tu as porté l'Arche de l'alliance devant mon pere, tu ne mourras pas. Certes, selon les lois generales, la Vierge ne devoit pas resusciter avant le jour de la generale resurrection, ni mesme estre exempte de la corruption ; mais l'honneur qu'elle a eu de porter devant le Pere eternel, non l'Arche d'alliance, mais le Filz unique, le Sauveur, le Redempteur, la rend exempte de toutes ces regles. N'est il pas vray que nonobstant ces regles, plusieurs resusciterent au jour de la resurrection, Multa corpora sanctorum qui dormierant resurrexerunt ? Et pourquoy non la Vierge, a laquelle, dit le grand Anselme, nous ne devons refuser aucun privilege ni honneur qui soit accordé a aucune creature simple ?
Mais en fin, si l'on me presse pour sçavoir quelle certitude nous avons de la resurrection de la Vierge, je respondray que nous en avons tout autant que de son trespas. L'Escriture, laquelle ne contredit ni a l'une de [452] ces deux verités ni a l'autre, n'en establit aussi ni l'une ni l'autre par paroles bien expresses ; mays la sainte tradition qui nous enseigne qu'elle est decedee, nous apprend avec esgale asseurance qu'elle est resuscitee, et si quelqu'un refuse credit a la tradition pour la resurrection, il ne sçauroit convaincre celuy qui en fera de mesme pour la mort et trespas. Mays nous qui sommes Chrestiens, croyons, asseurons et preschons qu'elle est morte, et bien tost resuscitee, parce que la tradition le porte, parce que l'Eglise le tesmoigne. Et si quelqu'un veut contredire, nous avons a luy respondre, comme fit en cas pareil l'Apostre : Si quis videtur contentiosus esse, nos talem consuetudinem non habemus, neque Ecclesia Dei ; Que s'il y a quelqu'un qui semble estre contentieux, nous n'avons point telle coustume, ni aussi l'Eglise de Dieu.
Or, ce n'est pas asses de croire qu'elle est resuscitee, car il faut encor establir en nostre ame qu'elle n'est pas resuscitee pour mourir lautre fois comme fit le Lazare, mais pour suivre son Filz au Ciel, comme firent ceux qui resusciterent au jour que Nostre Seigneur resuscita ; Math., 27 . Le Filz qui receut son cors et sa chair de sa Mere venant en ce monde, ne permit pas que sa Mere demeurast ici bas, ni selon le cors ni selon l'ame ; mais bien tost apres qu'elle eut payé le tribut general de la mort, il la tira apres soy au royaume de son saint Paradis. C'est ce que tesmoigne l'Eglise, appellant ceste feste Assumption, fondee sur la mesme tradition par laquelle elle est asseuree de la mort et resurrection.
Et certes, les cigoignes ont ceste naturelle pieté envers leurs peres et meres desja caduques et vieux, que lhors que l'aspreté de la sayson et du tems les contraint a faire passage et retraitte en lieu plus chaud, elles les saisissent, s'en chargent et les portent sur leurs aysles, pour en quelque façon contrechanger le benefice qu'elles ont reçeu en leur education. Nostre Seigneur avoit reçeu son cors de celuy de sa Mere, et avoit esté porté longuement en son sacré ventre, entre ses chastes bras, et mesme lhors que par l'aspreté de la persecution il fallut faire [453] passage et retraitte en Egypte. Hé, Seigneur, dit la cour celeste apres la mort de la Vierge, exurge in præcepto quod mandasti. Vous aves commandé l'assistance des enfans a l'endroit de leurs peres vieux, et l'aves gravé si avant en la nature que les cigoignes mesmes en prattiquent la loy. Leves vous en ce commandement que vous aves fait, et ne permettes pas que ce cors qui vous a engendré sans corruption en reçoive maintenant par la mort ; mais resuscités le et le saisisses sur les aysles de vostre puissance et bonté, pour le transporter du desert de ce monde bas en ce lieu de felicité immortelle. Il ne faut pas douter que le Sauveur n'aye voulu observer ce commandement qu'il a fait a tous les enfans, au plus haut point de perfection que l'on peut imaginer. Mays qui est l'enfant qui ne resuscitast sa bonne mere, s'il pouvoit, et ne la mist en Paradis apres qu'elle seroit decedee ? Ceste Mere de Dieu mourut d'amour, et l'amour de son Filz la resuscita ; et en ceste consideration laquelle, comme vous voyes, est toute raysonnable, nous disons aujourd'huy : Quæ est ista quæ ascendit de deserto, deliciis affluens, innixa super Dilectum suum ? C'est le sujet de nostre feste, c'est l'occasion de ceste grande allegresse que tous les saintz celebrent en l'Eglise militante et triomphante.
Quand le patriarche Joseph receut son bon pere Jacob au royaume d'Egypte en la cour de Pharao, outre le favorable accueil que le roy mesme luy fit, ne doutes pas que les principaux courtisans ne luy allassent au devant et ne fissent toutes sortes de demonstrations d'une grande resjouyssance. Et comme douterons nous qu'a l'Assumption de la tressainte Mere du Sauveur tous les Anges n'ayent fait feste et celebré sa venue par toutes sortes de cantiques de joye, auxquelz joignans nos vœux et affections, nous devons faire une solemnelle feste avec des voix et chans de triomphe : Qui est celle ci qui monte du desert, abondante en delices ?
Aussi fut-ce la plus belle et magnifique entree qui fut jamais veuë au Ciel apres celle de son Filz ; car quelle ame y fut jamais receuë si pleyne de perfections, si [454] richement paree en vertus et privileges ? Elle monte du desert du monde inferieur, mais neanmoins tant parfumee de dons spirituelz que le Ciel, hors la personne de son Filz, n'a rien de comparable. Elle monte sicut virgula fumi ex aromatibus myrrhæ et thuris : Qui est celle, est il dit au Cantique des Cantiques, qui monte du desert comme une colomne de fumee, parfumee de mirrhe et d'encens, et de toutes les poudres d'un parfumeur ? La reyne de Saba vint, comme vous sçaves, visiter le roy Salomon pour considerer sa sagesse et le bel ordre de sa cour, et a son arrivee elle luy donna une grande quantité d'or, de parfums et de pierres pretieuses : Non sunt allata ultra tam multa aromata, quam ea quæ dedit regina Saba regi Salomoni. Mais la Vierge montant au Ciel en la cour de son Filz, y porta tant d'or de charité, tant de parfums de dévotion et vertus, tant de pierres pretieuses de patience et souffrances qu'elle avoit supportees pour son nom, que tout cela reduit en merites, on peut bien dire que jamais on n'en porta tant au Ciel, jamais on n'en presenta tant a son Filz comme fit ceste sainte Dame.
Voules vous voir clair en ceste doctrine ? Sçaches qu'en matiere de bonnes œuvres, il n'y a personne qui commence si tost a en faire ni qui continue si diligemment comme fit Nostre Dame ; car quant a nous autres, nous commençons bien tard a en faire, et si nous en faysons, bien souvent nous les perdons par le peché et ne continuons pas ; si que l'amas ne s'en trouve pas fort grand, car bien qu'a l'adventure nous assemblons quelques deniers de merite, ce n'est que quelquefois, et bien souvent nous jouons et dissipons nostre argent en un coup de peché. Et si bien par la penitence nous sommes restablis, si voyes vous qu'il y a bien du mauvais mesnage en nos affaires, car nous perdons beaucoup de tems ; et si, nos forces demeurent affoiblies apres le peché, et mesme apres la penitence, si que nostre amas ne peut estre grand. Mays parlons des plus parfaitz. Saint Jean Baptiste mesme, vostre grand Patron, [455] o peuple, n'a pas esté exempt du peché veniel ; or, le peché veniel allentit nos œuvres, retarde nos progres, empesche nostre advancement. Mais nostre sainte Dame ayant esté comblee de grace en sa conception, des qu'elle eut l'usage de sa rayson n'a jamais cessé de prouffiter et croistre de plus en plus en toutes sortes de vertus et de graces, si que l'amas d'icelles en fut incomparable : Multæ filiæ congregaverunt divitias, sed tu supergressa es universas ; Plusieurs ames ont assemblé des richesses, mais vous les aves toutes surpassees.
O qu'elle fut abondante en delices, puisqu'elle avoit esté si abondante en bonnes œuvres et travaux en ce monde ! Aussi fut-elle establie au plus haut lieu de la gloire des Saintz. Pharao defera tant a Joseph, que son pere estant arrivé en Egipte, il luy dit : Ton pere et tes freres sont venus vers toy ; le païs d'Egipte est a ton commandement, fais habiter ton pere et tes freres en la meilleure terre ; Gen., 47 . Mays en ceste sainte journee en laquelle Nostre Dame arriva au royaume de son Filz, penses comme le Pere eternel luy aura dit : Toute ma gloire est tienne, o mon bienaymé Filz ; ta Mere est venue vers toy, fais la habiter au plus haut grade, en la meilleure et eminente place de ce royaume. Il ne faut pas douter de cela, Chrestiens. Nostre Seigneur venant en ce monde chercha la plus basse place qui y fut et n'en trouva point de plus basse par humilité que la Vierge ; maintenant il la remonte en la plus haute du Ciel par gloire. Elle luy donna place selon son desir, il la luy donne maintenant selon son amour, l'exaltant sur les Cherubins et Seraphins.
Mais voyons le reste de la sentence que nous avons choisie pour sujet. Elle dit en fin que ceste sainte Dame montant du desert, abondante en delices, est appuyee sur son Bienaymé. C'est la conclusion de toutes les louanges que l'Eglise donne saintement aux Saintz, et sur tout a la Vierge ; car nous les rapportons tous-jours a l'honneur de son Filz, par la force et vertu duquel elle monte et a receu la plenitude des delices. Aves-vous pas remarqué que la reyne de Saba portant tant de [456] choses pretieuses en Hierusalem, les offrit toutes a Salomon ? Ah, tous les Saintz en font de mesme, et particulierement la Vierge ; toutes ses perfections, toutes ses vertus, toutes ses felicités sont rapportees, consacrees et dediees a la gloire de son Filz qui en est la source, l'autheur et le consommateur : Soli Deo honor et gloria ; tout revient a ce point. Si elle est sainte, qui l'a sanctifiee sinon son Filz ? Si elle est sauvee, qui en est Sauveur sinon son Filz ? Innixa super Dilectum suum. Tout son bonheur est fondé sur la misericorde de son Filz. Voules-vous que Nostre Dame soit un lys de pureté et d'innocence ? Ouy, elle l'est a la verité ; mais ce lys a sa blancheur du sang de l'Aigneau auquel elle a esté blanchie, comme les estolles de ceux qui dealbaverunt eas in sanguine Agni, qui les ont lavees au sang de l'Aigneau. Si vous l'appelles rose pour son extreme charité, son vermeil ne sera que le sang de son Filz. Si vous dites qu'elle est une colomne de fumee souëfve et gratieuse, dites tout aussi tost que le feu de ceste fumee c'est la charité de son Filz ; le bois c'est la Croix d'iceluy. Bref, en tout et par tout elle est appuyee sur son Bienaymé. C'est ainsy, o Chrestiens, qu'il faut estre jaloux de l'honneur de Jesus Christ, non pas comme les adversaires de l'Eglise, qui pensent bien honnorer le Filz refusant l'honneur deu a la Mere ; ou au contraire, l'honneur porté a la Mere estant rapporté au Filz, rend magnifique et illustre la gloire de sa misericorde.
Et pour tesmoigner la pureté de l'intention de l'Eglise en l'honneur qu'elle rend a la Vierge, je vous represente deux heresies contraires, qui ont esté contre le juste honneur de Nostre Dame : l'une par l'exces, qui nommoit Nostre Dame deesse du Ciel et luy offroit sacrifice, et celle-ci fut maintenue par les Collyridiens ; l'autre par le defaut, qui rejettoit l'honneur que les Catholiques font a la Vierge, et celle-ci fut des Antidicomarites. Les [457] folz tiennent tous-jours les extremités et sont contraires ensemble. L'Eglise qui va tous-jours par le chemin royal et se tient dans le milieu de la vertu, ne combattit pas moins les uns que les autres, mais determinant contre les uns que la Vierge n'estoit que creature et que partant on ne devoit luy faire aucun sacrifice, elle establit contre les autres que neanmoins ceste sainte Dame, pour avoir esté Mere du Filz de Dieu, devoit estre reconneuë d'un honneur special, infiniment moindre que celuy de son Filz, mays infiniment plus grand que celuy de tous les autres Saintz. Aux uns elle remonstre que la Vierge est creature, mais si sainte, mais si parfaitte, mais si parfaittement alliee, jointe et unie a son Filz, mais tant aymee et cherie de Dieu, qu'on ne peut bien aymer le Filz que pour l'amour de luy on n'ayme extremement la Mere, et que pour l'honneur du Filz on n'honnore excellemment la Mere. Mais aux autres elle dit : le sacrifice est le supreme honneur de latrie qui ne doit estre porté qu'au Createur ; et ne voyes-vous pas que la Vierge n'est pas la creatrice, mais une pure creature, quoy que tres excellente ?
Et pour moy, j'ay accoustumé de dire qu'en certaine façon la Vierge est plus creature de Dieu et de son Filz que le reste du monde ; pour autant que Dieu a creé en elle beaucoup plus de perfections qu'en tout le reste des creatures, qu'elle est plus rachetee que tout le reste des hommes, parce qu'elle a esté rachetee non seulement du peché, mays du pouvoir et de l'inclination mesme du peché, et que racheter la liberté d'une personne qui devroit estre esclave, avant qu'elle le soit, est une grace plus grande que de la racheter apres qu'elle est captive. Tant s'en faut que nous voulions mettre en comparayson absolue le Filz avec la Mere, comme nos adversaires croyent ou font semblant de croire pour le persuader au peuple.
Bref, nous la nommons belle, et belle plus que tout le reste des creatures, mais belle comme la lune qui reçoit sa clarté de celle du soleil, car elle reçoit sa gloire de celle de son Filz. L'espine appellee aspalatus, dit [458] Pline, n'est pas de soy odoriferante ; mais si l'arc en ciel vient fondre sur elle, il luy laisse une odeur de suavité incomparable. La Vierge fut l'espine de ce buysson ardent mais non bruslé, que vit le grand Moyse : « Rubum quem viderat Moyses, conservatam agnovimus tuam sanctam virginitatem, » dit l'Eglise. Et certes, de soy elle n'estoit pas digne d'aucun honneur, elle estoit sans odeur ; mais puysque ce grand arc du ciel, ce grand signe de la reconciliation de Dieu avec les hommes, vint petit a petit a fondre sur ceste sainte espine, premierement par grace des sa conception, puys par filiation, se rendant entierement son Filz et reposant en son pretieux ventre, la suavité en a esté si grande que nulle autre plante n'en a jamais tant eu, suavité qui est tant aggreable a Dieu, que les prieres qui en sont parfumees ne sont jamais debouttees ni inutiles ; mais tous-jours l'honneur en revient a son Filz duquel elle a receu son odeur.
Son Filz est nostre advocat ; elle, nostre advocate, mais bien diversement, je l'ay dit cent fois. Le Sauveur est advocat de justice, car il plaide pour nous, alleguant le droit et rayson de nostre cause ; il produit nos pieces justificatives, qui ne sont autres que sa redemption, que son sang, que sa croix ; il confesse a son Pere que nous sommes debiteurs, mais il fait voir qu'il a payé pour nous. Mais la Vierge et les Saintz sont advocatz de grace : ilz supplient pour nous qu'on nous pardonne, et le tout par la Passion du Sauveur ; ilz n'ont pas pour monstrer dequoy nous justifier, mais s'en confient au Sauveur ; bref, ilz ne joignent pas leurs prieres a l'intercession du Sauveur, car elles ne sont pas de mesme qualité, mais aux nostres. Si Jesus Christ prie au Ciel, il prie en sa vertu ; mais la Vierge ne prie que comme nous en la vertu de son Filz, mais avec plus de credit et de faveur. Voyes-vous pas que tout cela revient a l'honneur de son Filz et en magnifie la gloire ? [459]
C'est pourquoy toute l'antiquité, pour honnorer Nostre Seigneur, a tant honnoré sa Mere. Regardes le Christianisme : de trois eglises, les deux sont sous l'invocation de la Vierge, ou ont des marques signalees de la devotion du peuple en son endroit. Viderunt eam filiæ Sion : Les filles de Sion, les ames des fidelles, les peuples l'ont consideree, et l'ont louee pour tres heureuse. Et reginæ laudaverunt eam : et non seulement le peuple, mais les ames plus relevees, les prelatz, les docteurs, les princes et monarques l'ont loüee et magnifiee ; et comme les oyseaux commencent a gazouiller chacun en son ramage a la pointe du jour, ainsy tous se sont evertués a celebrer ses honneurs, comme elle mesme l'avoit præveu, disant : Beatam me dicent omnes generationes, a la suitte desquelz tous les fidelles doivent, et vous le deves plus particulierement, o Parisiens, l'invoquer et luy obeyr, qui sont les deux premiers honneurs que nous luy pouvons rendre et qu'elle nous a invité a luy rendre.
Je trouve que Nostre Dame ne parla que deux fois aux hommes pour ce qui en est recité en l'Evangile : l'une, quand elle salua Elisabeth, et lhors c'est sans doute qu'elle pria pour elle, car le salut des fidelles se fait par prieres. La seconde fut quand elle parla aux serviteurs des noces, en Cana de Galilee, et lhors elle ne dit sinon : Faites tout ce que mon Filz vous dira. En ces deux actes est comprins l'exercice de la charité et volonté de la Vierge a l'endroit des hommes ; c'est de prier pour eux, et partant nous la devons invoquer avec grande confiance. En tous dangers, en tous orages, o Parisiens, « regardes ceste estoille de mer, invoques-la ; » a sa faveur, vostre navire arrivera au port sans bris et sans naufrage.
Mais si vous voules qu'elle prie pour vous, oyes sa seconde parolle, obeysses a ses commandemens. Or, ses commandemens sont en un mot, que vous facies la volonté [460] de son Filz : Omnia quæcumque dixerit vobis, facite. O Chrestiens, voulons nous que la Vierge nous exauce ? exauçons la. Voules vous qu'elle vous escoute ? escoutes la ; elle vous demande de tout son cœur et pour tout contrechange de ses affections, que vous soyes obeyssans serviteurs de son Filz. Un jour Bethsabee vint a David avec beaucoup d'humilité et de reverence, pour luy faire une requeste et supplication ; mais en fin elle ne demandoit pour tout, sinon que son filz Salomon fust roy apres son pere, et successeur de la couronne. Ceste Vierge, o peuple, vous demande sur tout pour la plus asseuree demonstration de vostre devotion en son endroit, que vous ayes son Filz pour Roy de vostre cœur et de vostre ame, qu'il regne en vous et que ses commandemens soyent mis en execution. Faites le, o peuple, pour vostre devoir, pour vostre salut et pour l'amour de Nostre Dame, laquelle, comme vous aves veu, apres l'Ascension de son Filz, demeura encores pour quelques annees en terre, et mourut neanmoins apres quelque tems, et de la mort de son Filz, c'est a dire d'amour. Mais elle ne demeura gueres morte, mais fut resuscitee, et monta du desert de ce monde la haut en Paradis, ou elle est au supreme degré de toutes les creatures ; et tout cela pour la plus grande gloire de son Filz, pour laquelle elle prie pour nous et nous demande que nous luy soyons fidelles serviteurs.
O tres sacree et tres heureuse Dame, qui estes au plus haut du Paradis de felicité, helas, ayes pitié de nous qui sommes au desert de misere ; vous estes en l'abondance des delices, et nous sommes en l'abisme des desolations ; impetres nous la force de bien porter toutes afflictions, et que nous soyons tous-jours appuyés sur vostre Bien-aymé, seul appuy de nos esperances, seule recompense de nos travaux, seule medecine de nos maux. Hé, Vierge glorieuse, pries pour l'Eglise de vostre Filz ; assistes de vos faveurs tous les superieurs, le Saint Pere, les prelatz et evesques, et particulierement celuy de vostre ville de Paris. Soyes propice au Roy : vostre grand père [461] David fit du bien au filz de Jonathas pour la memoire des services et offices receuz de Jonathas, et ce Roy est petit filz d'un de vos plus fidelles et devotz serviteurs, le bienheureux saint Louys ; nous vous prions de luy donner vostre protection au nom de ce saint Roy. La reyne, qui a l'honneur de porter vostre nom, soit tous-jours a l'abril de vos saintes faveurs. O lys celeste, arrouses les lys de vostre France de vos saintes benedictions, affin qu'ilz soyent blancz et purs en unité de la vraye foy et religion. Vous estes une mer, prestes les ondes de vos graces a ce jeune dauphin ; vous estes estoille de mer, hé, soyes favorable au navire de Paris, affin qu'il puysse surgir au saint havre de gloire, pour y louer le Pere, le Filz et le Saint Esprit es siecles des siecles. Amen. [462]
Prævenisti eum in benedictionibus
dulcedinis ; posuisti in capite ejus
Et nunc reges, intelligite ; erudimini,
qui judicatis terrant. Servite Domino
in timore, et exultate ei cum tremore.
Triplex regnum, triplex corona Domini Ludovici
Primum sui ipsius. Non regnet peccatum ; Rom. 6 . Per tria movetur terra : per servum cum regnare [463] cœperit ; Prov. 30 . Pharao quidam Joseph cognoscit, tempore justitiæ originalis ; sed alius non cognoscit Joseph, id est, rationem. Genes. 39. Reges quinque contra Gabaonitas ; sensus externi contra potentias rationales.
Rex senex et stultus ; fomes peccati, vetus Adam. Eccles. 4 : Melior est puer pauper et sapiens, rege sene et stulto qui nescit prævidere in posterum. Regnans Saul duobus annis ; id est, innocenter vivit ; 1 Reg. 13 .
Dominus Ludovicus mire sui ipsius regnum administravit. Exi post vestigia gregum tuorum : exi ad sensus, quasi in regni limitibus ; Pasce hædos tuos ; id est, motus pravos, et in servitutem redige, juxta tabernacula pastorum, id est, leges Ecclesise.
Homo microcosmus ; hujus rex ratio, tempore justitiæ originalis, nam omnes passiones illi subjectæ : boni futuri desiderium, spes ; adepti gaudium, lætitia ; indifferentis amor ; mali impendentis timor ; præsentis tristitia, dolor.
Ro. 7 : Non ego operor illud, sed quod habitat in me peccatum. Infelix. Gratia, etc. [464]
Ita Dominus Ludovicus : Castigo corpus meum ; nam quod sine pugna tunc, nunc cum pugna. Haire, discipline : Ego autem cum mihi molesti essent, induebar cilicio ; humiliabam in jejunio animant meam, et factum est in opprobrium mihi. Nuncius comitis Geldriæ : « papilardum. »
Humilité. Lilia Plinio semper incurvantur ; lilium convallium, ut Christus. Liberalité in pauperes. Prieres cum lachrimis. Lilia etiam multiplicantur lachrimis et guttis manantibus. Ego autem orabam, dit le Psalmiste ; et eæ, non modo interiori gustui sed exteriori, miram habebant suavitatem.
O quam magnus Rex ! Bonum est viro cum portaverit jugum ab adolescentia. Non coronabitur nisi qui legitime certaverit ; ut Ludovicum, qui pugnavit contra eos Usque ad internecionem. Sic paratus debuit rex esse ; ut David argumentatur ab iis quæ fecerat privatus ad ea quae facturus erat publice.
O Gallia, adeptus est regnum anno 12, unctus Remis ab Episcopo Suessionensi. Et verum est reges malos moribus et perditissimos, reges esse, quos Deus dat in furore suo, sed longe beatior respublica cujus rex [465] sapiens. Lilia tua similitudine declarabunt, quæ, ex Ambrosio, etiam caule sicco, et foliis, florescunt et retinent nitorem, longe tamen felicius vernantibus foliis ; Amb., [in] Luc. 12 .
Ac primo rem habuit cum proceribus regni, qui rempublicam turbabant ; eos dejecit vel redegit, ac brevi pacavit : Sicut lilium inter spinas. Ac ubi res militaris peracta est, tanquam Melchisedech, rex Salem (justitiæ et pacis) : suscipiant montes pacem populo, et colles justitiam ; Justitia et pax osculatæ sunt. Lilium spinis facillime agnascitur ; sic pax justitiæ. Porro justitia triplex : commutativa, distributiva, vindicativa.
Commutativam exacte observavit. Heu quanta fides cum Sultano ; et subditis, quam exacte. Ipsemet, veritus ne subditi pauperes relinquerentur, bis in hebdomada causas eorum audiebat, de bello loco, etiam interdum sub arbore, quo facilius rustici accederent : Omnibus omnia factus.
Distributivam ; nam officia omnia dignis. Et id in eleemosinis etiam observabat ; ut dignioribus digna.
Vindicativam exacte. Beati qui faciunt justitiam in [466] omni tempore. In blasphemos quam maxime ; nam blasphemia est læsæ majestatis Divinæ, non tamen omnia peccata. Ipse vero cum urgeretur ut promitteret se talia facturum aut Deum negaturum, numquam adduci potuit. Heu quam degenerem habet populum ; nec ipsis mercatoribus fides, nec nobilibus religio.
Sed si de fortudine, quam invictis animis ! bis ultra mare profectus, ac primo per quinque annos aut sex stetit. Cum posset evadere, noluit.
Jud. 20, contra Benjamin in Maspha. Les evenemens des Machabees.
Redeo ad pietatem. Nec sertis filios ornari die Veneris, sanctam Crucem veneratus ; ejus partem vobis, o Parisienses, coronam spineam, inter cujus spinas esset lilium. Sacramentum Eucharistiæ. Religiosos. Ut cedrus Libani. Pauperes, leprosos ; in quibus agnoscens Christum, seipsum nihil sestimabat ; ut stellæ juxta solem. Sic Magi dicuntur, non reges, quia presente Christo non reges. Omnia spernebat, et se potius moriturum quam peccatum lætale perpetraturum asserebat.
O felix Gallia, quam multo tempore inter lilia tua [467] Sponsus pascitur. Quam multa regna, provinciæ, etc. Non marcescent lilia tua, Deo dante, sed vide tu ne illa destruas.
Qui vicerit, et custodiverit usque in finem opera mea, dabo illi pot estatem super gentes, et reget eas in virga ferrea, et tanquam vas figuli confringentur, sicut et ego accepi a Patre meo ; Apoc. 2 . Mat. 24 : Beatus ille servus, etc. [468]
Vous l'avez prévenu des bénédictions de douceur ; vous avez posé sur sa tête une couronne de pierres précieuses.
Et maintenant, â rois, comprenez ; instruisez-vous, vous qui jugez la terre. Servez le Seigneur dans la crainte et réjouissez-vous en lui avec tremblement.
Triple règne, triple couronne du seigneur Louis
Premier règne, sur lui-même. Que le péché ne règne point. La terre est troublée par trois choses : par l'esclave lorsqu'il commence à régner. Un [463] Pharaon connaît Joseph, temps de la justice originelle ; mais un autre ne connaît pas Joseph, c'est-à-dire la raison. Les cinq rois qui marchent contre les Gabaonites sont les sens extérieurs qui s'érigent contre les puissances de l'âme raisonnable.
Le roi vieux et insensé ; ferment de péché, le viel Adam. Un enfant pauvre et sage vaut mieux qu'un roi vieux et insensé qui ne sait pas prévoir pour l'avenir. Saül qui règne deux ans, c'est-à-dire, qui vit dans l'innocence.
Le seigneur Louis a admirablement régné sur lui-même. Sors et suis les traces de tes troupeaux : sors jusqu'aux sens, jusqu'aux confins du royaume, pour ainsi dire. Pais tes chevreaux, c'est-à-dire les mouvements dépravés, réduis-les en servitude, près des tentes des pasteurs, c'est-à-dire, selon les lois de l'Eglise.
L'homme est un petit monde ; au temps de la justice originelle la raison en était le roi, toutes les passions lui étaient soumises : le désir, l'espérance du bien futur ; la joie, l'allégresse pour le bien obtenu ; l'amour des choses indifférentes de leur nature ; la crainte du mal à venir ; la tristesse, la douleur pour le mal présent.
Ce n'est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Malheureux... La grâce, etc. [464]
Ainsi le seigneur Louis : Je châtie mon corps ; car ce dont on jouissait sans lutte au temps de l'innocence originelle, s'obtient aujourd'hui en combattant. Haire, discipline : Mais pour moi, pendant qu'ils me tourmentaient, je revêtais le cilice ; j'humiliais mon âme dans le jeûne, et on m'en a fait un sujet d'opprobre. Le messager du comte de Geldrie : « papilard. »
Humilité. Pline dit que les lis sont toujours inclinés ; le lis des vallées, comme le Christ. Libéralité envers les pauvres. Prières avec larmes. Les lis aussi se multiplient par les larmes et les gouttes qui les arrosent. Mais moi, je priais, dit le Psalmiste ; et ces prières étaient d'une admirable suavité non seulement au goût intérieur, mais même à l'extérieur.
Oh ! quel grand Roi ! Il est bon à l'homme d'avoir porté le joug dès sa jeunesse. Nul ne sera couronné sinon celui qui aura légitimement combattu ; comme Louis qui lutta contre ses ennemis jusqu'à l'extermination. Ainsi préparé, il devait être roi ; comme David qui de ses actions privées concluait à ce que devaient être ses actes publics.
O France, il occupa le trône dès l'âge de douze ans, et fut sacré à Reims par l'Evêque de Soissons. Il est vrai que les rois aux mœurs dépravées et corrompues sont des rois, que Dieu donne dans sa fureur ; mais combien plus [465] heureux est l'état gouverné par un roi sage ! Vos lis parleront par analogie, ces lis qui, d'après saint Ambroise, fleurissent et conservent leur éclat même quand la tige et les feuilles sont desséchées ; leur épanouissement toutefois est bien plus beau quand ils sont entourés de feuilles printanières.
Et d'abord, il eut affaire avec les grands du royaume qui troublaient l'état ; il les terrassa ou les soumit, et bientôt les apaisa : Comme le lis entre les épines. Dès que la question militaire eut été réglée, semblable à Melchisédech, roi de Salem (de la justice et de la pair.) : que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines, la justice. La justice et la paix se sont donné un baiser. Le lis croît très facilement parmi les épines ; de même la paix avec la justice. Or la justice est triple : commutative, distributive, punitive.
Commutative. Saint Louis l'a strictement observée. O Dieu ! quelle loyauté avec le Sultan ; quelle équité avec ses sujets. Craignant que ses sujets pauvres fussent délaissés, il entendait leurs causes en personne deux fois la semaine, en un lieu convenable, quelquefois sous un arbre, pour se rendre plus accessible aux paysans : il s'est fait tout à tous.
Distributive : il conférait tous les emplois à ceux qui en étaient dignes. Ce qu'il observait aussi pour les aumônes, afin que les plus dignes fussent récompensés selon leur mérite.
Saint Louis n'a pas moins exactement observé la justice punitive. Bienheureux [466] ceux qui font justice en tout temps. Il la pratiqua avant tout à l'égard des blasphémateurs, car le blasphème est un crime de lèse-majesté divine ; il n'en va pas de même de tout péché. Les plus vives sollicitations ne purent jamais l'amener à promettre de cette sorte : Je m'engage à faire telle chose ou à renier Dieu. Hélas ! que son peuple a dégénéré ! Les commerçants n'ont plus de conscience, les nobles, plus de religion.
S'agit-il de sa force ? Quelle âme indomptable ! Il traverse deux fois la mer ; la première fois pour cinq ou six ans. Il pourrait s'enfuir, il s'y refuse.
Je reviens à sa piété. Il ne permet pas, par vénération pour la sainte Croix, que ses enfants soient parés de fleurs le vendredi ; et à vous, ô Parisiens, il légua une partie de cette sainte Croix, il vous légua la couronne d'épines, afin que le lis fût entre les épines. Sacrement de l'Eucharistie. Les Religieux. Comme le cèdre du Liban. Les pauvres, les lépreux ; reconnaissant en eux le Christ, il s'estime lui-même néant, comme les étoiles devant le soleil. De même les Mages ne sont pas appelés rois, parce qu'en présence du Christ ils ne sont pas rois. Louis méprisait tous les biens de ce monde ; il affirmait qu'il préférait mourir plutôt que de commettre un péché mortel.
O heureuse France, combien longtemps l'Epoux s'est nourri parmi tes lis ! [467] Combien de royaumes, de provinces, etc. Dieu fasse que tes lis ne se flétrissent jamais, mais toi veille à ne les jamais perdre.
Celui qui aura vaincu, et aura gardé mes œuvres jusqu'à la fin, je lui donnerai puissance sur les nations ; il les gouvernera avec une verge de fer et elles seront irisées comme le vase d'un potier, comme je l'ai obtenu moi-même de mon Père. Heureux ce serviteur, etc. [468]
I Reg. 9 : Ab humero et sursum eminebat omnem populum. Caius se Deum insigniis deorum fieri existimavit ; at non ita, sed virtutibus. Saturabuntur ligna campi et cedri Libani quas plantavit ; illic passeres nidificabunt ; [Ps.] 103 .
Sanctus Ludovicus similis Jacob ; indutus vestibus primogeniti, intus vero simplex. Ego autem cum mihi molesti essent, induebar cilicio ; humiliabam in jejunio animam meam*.
Per medios leones, etc., Dominus Ludovicus ingreditur regnum. Oseas 11 : Sicut mane transiit rex Israel. Aurora seipsam destruit, veniens et crescens. Similitudines : Jacobi, 4 , vapori ad modicum parenti ; [469] arc au ciel ; hinc regna Babyloniorum, Persarum, Græcorum, Romanorum in somnis visa.
Gloria et honore coronasti eum ; [Ps.] 8 . Qui coronat te in misericordia et miserationibus ; [Ps.] 102 . Eccli. 45 , de Aaron : Coronavit eum in vasis virtutis. Timor Domini, corona exultationis.
Il dépassait tout le peuple de l'épaule et de la tête. Caïus se figurait qu'il deviendrait Dieu en revêtant les insignes de la divinité ; toutefois, ce n'est pas ainsi qu'on le devient, mais par les vertus. Les arbres de la campagne et les cèdres du Liban qu'il a plantés seront rassasiés ; les passereaux y feront leurs nids.
Saint Louis était semblable à Jacob ; il était revêtu des vêtements de l'aîné, mais au dedans il était simple. Mais pour moi, pendant qu'ils me tourmentaient je revêtais le cilice, j'humiliais mon âme dans le jeûne.
Le seigneur Louis est entré dans le royaume en passant au milieu des lions. Le roi d'Israël passe comme le matin. L'aurore se détruit elle-même eu naissant et croissant ; Similitudes : d'après saint Jacques, la vapeur qui paraît [469] pour un peu de temps... pour cela les royaumes des Babyloniens, des Persans, des Grecs, des Romains sont vus en songe.
Vous l'avez couronné de gloire et d'honneur. C'est lui qui te couronne dans sa miséricorde et dans sa bonté. Dans l'Ecclésiastique, il est dit d'Aaron : Il l’a couronné d'ornements de majesté, La crainte du Seigneur est une couronne de joie.
Vinaigre contraire aux champignons estant prins apres iceus ; [Plin., Hist. nat.,] l. 22. c. 23. Serpent environné de betoine se debat et meurt ; l. 25. [c. VIII.] Serpent acharné ne s'arrache qu'avec la main gauche ; [l.] 28. c. 3. Serpent pose sa peau et rajeunit, a recours au fenouil, et pour esclarcir sa vëue, ilz (sic) despouillent premierement leur teste ; item, se sentant amorty et que ses escailles se tiennent l'un'a l'autre, il se frotte au genevrier ; [l.] 8. c. 27. Roiteletz curent les dens des crocodiles et leur font ouvrir la bouche en dormant ; ce pendant le rat d'Inde se lance dedans, et luy ronge les entrailles et le fait mourir ; [l. VIII,] c. 25. Grecz tiennent que la pasture du fresne est poison aux bestes qui ne ruminent. Pline a veu un serpent choisir le feu plustost que le fresne ; l. 16. c. XIII.
Le long du fleuve Euphrates serpens ne nuisent aux habitans mais estrangers ; les scorpions de Latmos en Carie au contraire ; [l.] 8. c. 59. Le pescheteau, diable de mer, trouble le limon pour y faire venir les petitz poissons et les attire et prend ; l. 9. 42. Admirable nature du nacre et du cancre ou scuade ; ibidem. [470]
Custodiens parvulos Dominus ; humiliatus sum, et liberavit. Fasianas pediculi interficiunt nisi pulverantes sese. Greg. Turon., De Gloria Confess., c. 32 : « Sile, vir Dei, quia non est necesse proloqui virum nemine interrogante secretum. » Gen. 40 : Videbam vitem, etc. Psal. 68 : Eripe me de luto, ut non infigar ; libera me ab iis qui oderunt me, et de profundis aquarum. Non me demergat tempestas aquæ, neque absorbeat me profundum, neque urgeat super me puteus os suum. Vir obediens loquetur victorias. Emitte manum tuam de alto ; eripe me, libera me de aquis multis et de manu filiorum alienorum ; [Ps.] 143 . Lot, Gen. 19. [471]
Quis magis nos privat rebus nostris amore ? Sol suis radiis efficit ut vestimenta abjiciamus ; sed idem vestit arbores floribus et frondibus. Fortis ut mors dilectio. Sarai castissima in matrimonio : Postquam consenui et dominus meus vetulus est, voluptati operam dabo ? Gen. 18 . Et tamen adhuc erat pulcherrima, Gen. 20 : Abimelech. Pro nihilo salvos facies illos ; in ira populus confringes ; [Ps.] 55 . Es. 50 : Dominus Deus aperit mihi aurem ; ego autem non contradico, retrorsum non abii. Sagitta Saul non est reversa inanis. Jael, Judicum 50, Sisaram. Esther omnia observabat ac eo tempore solita erat cum nutriebat eam parvulam in domo sua ; Est. 2 . Pœnitet me fecisse hominem quia caro sunt. Eph. 5 : Fornicatio nec nominetur. [472]
Le Seigneur garde les petits ; j'ai été humilié, et il m'a délivré. La vermine tue les faisans s'ils ne se couvrent de poussière. Saint Grégoire de Tours, De la gloire des Confesseurs : « Garde le silence, ô homme de Dieu ; c'est inutile de publier le nom d'un inconnu quand personne ne le demande. » Je voyais un cep, etc. Retirez-moi de la fange afin que je n'enfonce point ; délivrez-moi de ceux qui me haïssent et du profond des eaux. Que la tempête ne me submerge pas, que l'abîme ne m'engloutisse pas, que le puits ne referme pas sa bouche sur moi. L'homme obéissant parlera de ses victoires. Envoyéz d'en-haut le secours de votre main ; délivrez-moi, sauvez-moi des grandes eaux et de la main des fils des étrangers... [471]
Quelle force plus que celle de l'amour nous prive de nos biens ? La chaleur des rayons du soleil nous oblige à rejeter nos vêtements ; mais cet astre même revêt les arbres de fleurs et de feuilles. L'amour est fort comme la mort. Saraï très chaste dans le mariage : Après que je suis devenue vieille et que mon seigneur est aussi vieux, penserai-je au plaisir ? Et cependant, elle était encore très belle : Abimélech. Vous ne les sauverez à aucun prix ; vous briserez les peuples dans votre colère. Le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille ; pour moi, je ne contredis point, je ne me suis pas retiré en arrière. La flèche de Saül n'est pas retournée sans effet... Esther observait toutes choses comme elle avait coutume lorsqu'il l'élevait petite enfant dans sa maison. Je me repens d'avoir fait l'homme, parce qu'ils sont chair. Que la fornication ne soit pas même nommée. [472]
Et congregabuntur ante eum omnes
gentes et separabit eos ab invicem.
2. Thimot. 4 : Testificor coram Deo. Joel, 3 : Ecce in diebus illis et in tempore illo, cum convertero captivitatem Juda et Hierusalem, congregabo omnes gentes, et educam eas in vallem Josaphat, et disceptabo cum eis ibi ; et judicabor cum eis, Heb. Quid admiramini ? etc. Ergo congregabuntur omnes. Et tunc fiet separatio. Agar et Ismael. Duo erunt ; Mat. 24 .
Mat. [XXV,] 12 : Amen dico vobis. 1 Cor. 4 : Mihi autem pro minimo est, etc. ; itaque nolite ante tempus judicare. Dan. 7 : Judicium sedit et libri [473] aperti sunt. Apoc. 20 : Vidi thronum candidum, et sedentem super eum, a cujus conspectu fugit terra et cœlum, et locus non est inventus eis ; et vidi mortuos, etc., et libri aperti sunt, et alius liber qui est vitæ ; et judicati sunt mortui ex iis quæ scripta erant in libris secundum opera eorum. Liber vitæ, prædestinatorum ; Anselmus : vitæ Christi.
Soph. 1 : Et erit in die illa ; scrutabor in lucernis Hierusalem, et visitabo super viros defixos in fæcibus suis, qui dicunt in cordibus suis : Non faciet Dominus bene, non faciet male. [In die illa ;] 1. De captivitate Babilonis ; 2. Hier. (et Joseph.), de excidio Hierusalem ; 3. de die judicii. In lucernis ; verbi Dei et Sanctis. Hierusalem ; Bern., etiam Sanctos. Cum accepero tempus, ego justitias judicabo ; [Ps.] 74 . Misericordiæ Domini quia non sumus consumpti. Historia Joseph.
Quarta die : Fiant luminaria in firmamento, etc. Isaiæ 34 : Tabescet omnis militia cœli et complicabuntur sicut liber cœli. Cœli qui, ut libri, enarraverunt gloriam Dei. Apocal. 6 : Cœlum recedet quasi liber involutus. Sol, luna, etc. Dueil, honte. [Psalm.] 96 : Ignis ante ipsum præcedet. [474] [Psalm.] 49 : Ignis in conspectu ejus exardescet. 2. Thess. 1 . 2. Pet. 3 .
Tunc omnes morientur. Heb. 9 : Statutum est, etc. [Ps.] 88 : Quis est homo qui vivet et non videbit mortem ? Ro. 5 : In omnes homines mors pertransiit.
1 Cor. 15 : Omnes resurgemus. Tuba : Mittet Angelos suos cum tuba et voce magna. 1. Thess. 4 : Ipse Dominus in jussu, in voce Archangeli, in tuba Dei descendet de cœlo, et mortui qui in Christo sunt resurgent primi. 1. Cor. 15 : Ecce mysterium dico vobis : Omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur. In momento, in ictu oculi, in novissima tuba; canet enim tuba. Hæc tuba ad bellum malos, ad festum bonos, omnes ad judicium. Ut enim cæcinit buccina in monte Sinai cum daretur lex, sic et canet cum Legislator examinabit utrum lex servata sit. Surgite, mortui, et venite, etc. Jo. 5 : Nolite mirari hoc, quia venit hora in qua omnes qui in monumentis sunt audient vocem Filii Dei ; et procedent qui bona, etc.
O vox terribilis ! Sonet hæc vox in auribus nostris, [475] ut Hieronimus. O vox omnipotens, quam mirabiles effectus ! transsubstantiatio. Job in lege naturæ conformis articulo resurrectionis nostræ, etsi a solo Deo fieri possit. Judicium, resurrectio. Quid tu vides, Hieremia ? Jacob, Esau. Carbones, aurum. Melas et Cyphissus.
Tunc parebit signum. « O Crux, ave, » etc. [476]
Et toutes les nations seront rassemblées devant lui et il les séparera les uns d'avec les autres.
Je t'en conjure devant Dieu. Voilà qu'en ces jours-là et en ce temps-là, lorsque j'aurai ramené les captifs de Juda et de Jérusalem, je rassemblerai tous les peuples et je les conduirai dans la vallée de Josaphat, et là j'entrerai en jugement avec eux ; selon l'hébreu : et je serai jugé avec eux. Pourquoi regardez-vous ? etc. Donc, tous seront rassemblés. Et alors se fera la séparation... Deux seront, etc.
En vérité, je vous le dis. Pour moi, je me mets fort peu en peine, etc. ; c'est pourquoi ne jugez pas avant le temps. Le jugement se tint et les livres furent [473] ouverts. Je vis un trône blanc, et quelqu'un assis dessus, en présence duquel la terre et le ciel s'enfuirent, et leur place ne se trouva plus ; et je vis les morts, etc. ; et les livres furent ouverts, et un autre livre qui est le livre de vie ; et les morts furent jugés sur ce qui était écrit dans les livres selon leurs œuvres. Le livre de vie, c'est-à-dire des prédestinés ; d'après Anselme, c'est la vie du Christ.
En ce jour-la je scruterai Jérusalem avec des lampes et je visiterai les hommes enfoncés dans leur lie, qui disent en leurs cœurs : Le Seigneur ne fera pas de bien, il ne fera pas de mal. [En ce jour-là ;] 1. De la captivité de Babylone ; 2. saint Jérôme (qui renvoie à Josèphe) : de la destruction de Jérusalem ; 3. du jour du jugement. Avec des lampes ; de la parole de Dieu et de l'exemple des Saints. Jérusalem ; saint Bernard : même les Saints. Lorsque j'aurai pris mon heure, je jugerai les justices. C'est grâce aux miséricordes du Seigneur que nous n'avons pas été consumés. Histoire de Joseph.
Le quatrième jour : Qu'il soit fait des luminaires dans le firmament, etc. Toute la milice des cieux s'anéantira, et les deux se rouleront comme un livre. Les cieux qui, comme des livres, ont annoncé la gloire de Dieu. Le ciel se [474] retirera comme un livre roulé. Le soleil, la lune, etc... Le feu marchera devant lui. Le feu s'allumera en sa présence.
Alors tous mourront. Il est statué, etc. Quel est l'homme qui vivra et qui ne verra pas la mort ? La mort a passé dans tous les hommes.
Nous ressusciterons tous. La trompette : Il enverra ses Anges avec une trompette et une voix éclatante. Aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'Archange et au son de la trompette de Dieu, le Seigneur même descendra du ciel, et ceux qui seront morts dans le Christ ressusciteront les premiers. Voici que je vais vous dire un mystère : A la vérité, nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. En un moment, en un clin d'œil, au son de la dernière trompette ; car la trompette sonnera. Cette trompette appellera les méchants à la guerre, les bons à la fête, tous au jugement. Car ainsi que la trompette sonna sur le mont Sinaï lorsque la loi fut donnée, de même sonnera-t-elle lorsque le Législateur examinera si la loi a été gardée. Levez-vous, morts, et venez, etc. Ne vous en étonnez pas, car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui auront fait le bien en sortiront, etc.
O voix terrible ! Que cette voix retentisse à nos oreilles, comme dit saint [475] Jérôme. O voix toute-puissante, quels merveilleux effets ! transsubstantiation. Job, dans la loi de nature, témoigne, en conformité avec nous, de sa foi à l'article de notre résurrection ; bien que celle-ci se puisse faire par Dieu seul. Jugement, résurrection. Que vois-tu, Jérimie ?... Charbon, or. Mélas et Céphisse.
Alors apparaîtra le signe. « O Croix, je te salue ! » etc. [476]
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